Avant-propos
Comme chaque année, la Revue Défense Nationale publie les libres réflexions de nombreux auditeurs du Centre des hautes études militaires. Ces Regards du CHEM, puisque tel est le sous-titre constant de ce recueil annuel depuis ses débuts, se déploient sur une large palette thématique. Quoi de plus normal en cette année d’approfondissement de la pensée personnelle de nos auditeurs, et d’élargissement de leurs perspectives, en préparation à l’exercice futur, potentiellement, des plus hautes responsabilités militaires ?
Cependant, à sous-titre constant, titres changeants. Et la succession, année après année, des titres de chacun de ces ouvrages, choisis a posteriori de la rédaction des articles, n’a rien d’anodin. Elle révèle une évolution de « l’ambiance stratégique » telle que la perçoivent spontanément des acteurs de premier ordre.
Qu’on en juge : mi-2016, un livre intitulé La guerre par ceux qui la font (Éditions du Rocher, 367 pages) regroupait une sélection d’articles écrits par les deux sessions précédentes du CHEM, à la recherche en quelque sorte de la nature profonde des opérations de l’époque. Débuts de l’hybridité, asymétrie qui semblait installée, perte des codifications traditionnelles, les constats illustraient un paradoxe : parallèlement à la fin, que le livre estimait « sans doute provisoire », des guerres majeures – et sans doute même à cause d’elle, la guerre mutait en une « pulvérisation de la violence ».
S’enchaînèrent ensuite, dans la forme actuelle des Regards du CHEM, Penser demain en 2017, Action 2030 en 2018, qui indiquaient l’urgence croissante, dans un délai de plus en plus précis, de s’adapter à cette mutation sans cesser de s’interroger sur son caractère ou non définitif. Un monde en turbulence en 2019, 2020 : chocs stratégiques, Faire face à la recomposition du monde en 2021, Idées de la guerre et guerre des idées en 2022, nous conduisent désormais à cette édition 2023, Au(x) défi(s) de la puissance. On lit l’ascension vers des rapports de force désinhibés – jusqu’au retour de la guerre majeure entre États aux portes de l’Europe – sans que se réduise la multiplicité des domaines où nous devons y répondre en « puissance d’équilibres », pour reprendre les mots présidentiels.
Cette sobre litanie d’une urgence qui monte et de menaces qui pressent, épouse bien sûr les travaux nationaux, revues stratégiques, lois de programmation militaires (LPM), stratégies nationales de toutes natures. Les articles qu’elle contient en éclairent parfois certaines conséquences ou certaines nécessités concrètes. Parfois, au contraire, ils tentent de prendre un recul conceptuel sur certains axes d’effort, sur certaines permanences et sur ce qui change vraiment.
Ils convergent en tout cas sur la nécessité de se préparer à des lendemains plus durs, puis à l’enchaînement ou à la simultanéité des chocs et à leur manifestation dans des espaces inédits. La « pulvérisation » s’est muée en jet sous pression, sans que sa dispersion diminue pour autant. La violence reprend la forme de la guerre sans rien « désinventer » de ce par quoi elle est passée – pas plus, d’ailleurs, la dissuasion nucléaire qui la garde dans certaines limites volontairement ambiguës, que tout ce qu’elle a pu imaginer pour exploiter au maximum le champ ouvert entre ces limites.
Là résident les « défis de la puissance », et je vous en souhaite une excellente lecture. Puisse-t-elle contribuer, selon l’une des missions assignées au CHEM, à enrichir utilement la réflexion stratégique, pour le bien de notre pays et, s’il le faut, pour le succès de nos armes. ♦