Le contexte stratégique avec la perspective de conflits de haute intensité implique une mutation de notre outil de défense. Ce passage à une « économie de guerre » nécessite des investissements pour faire évoluer nos outils de production ou améliorer notre résilience, constituer des stocks d’approvisionnements, réinternaliser en France certaines activités, maintenir un niveau d’innovation élevé, mais aussi accompagner des prospects export. Cependant, faute principalement d’une image favorable, l’industrie de défense souffre d’une difficulté d’accès aux financements privés. Face à cette situation, l’État « keynésien » doit utiliser les leviers que lui permettent ses différents rôles de client, d’investisseur, de régulateur et de stratège pour favoriser et accompagner les évolutions nécessaires.
Quel rôle pour l’État face aux enjeux de financement de la Base industrielle et technologique de défense (BITD) ?
Il pourrait y avoir comme un paradoxe dans le fait de parler d’« enjeux » de financement de l’industrie de défense au moment où, en France, le président de la République a souhaité qu’un budget en forte hausse soit alloué à la Défense au titre de la Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 (1), et alors que, sur fond d’une guerre en Ukraine très consommatrice d’armements, et face à l’évolution des menaces, la plupart des pays européens (2) accroissent substantiellement leur effort de défense. Car même si le contexte économique inflationniste ainsi que l’extension des milieux et des champs d’intérêts conduisent à relativiser l’ampleur de ces efforts et surtout de leurs effets, le secteur de la défense semble mondialement et durablement en croissance.
Dans cette perspective, face aux enjeux de sécurité et de nécessaire souveraineté auxquels la France et l’Europe sont confrontées, comment s’assurer de moyens économiques suffisants pour notre Base industrielle et technologique de défense (BITD) ? Comment garantir notre capacité à faire émerger et croître des acteurs durables dans les domaines des technologies d’avenir ? Quel écosystème économique favoriser ou accompagner, quel rôle pour l’État client, pour l’État investisseur et pour l’État stratège face à une industrie dont la responsabilité serait accrue, dans le cadre de l’« économie de guerre » appelée de ses vœux par le président de la République (3) ?
Un paysage économique largement transformé et un poids de la puissance publique amoindri à la fin de la guerre froide
« Lointaine héritière d’une longue tradition de développement, sous l’impulsion de l’État, du potentiel des sciences et de la technique au service de la puissance de celui-ci » (4), la BITD s’est fortement transformée au cours du temps. Les grands arsenaux (de la Marine et des manufactures d’armes notamment), créés au XVIe siècle et développés jusqu’au XXe siècle, ont évolué en sociétés de droit privé à capitaux en partie publics à partir des années 1990, puis les secteurs industriels se sont concentrés par des fusions successives de sociétés dans les années 2000. De cet héritage persistent une relation très étroite entre l’État et les industries de défense, ainsi que le maintien de corps spécialisés d’ingénieurs militaires dont la formation est financée par l’État.
Mondialisation, ultra-financiarisation (5) et loi de marché constituent désormais la donne économique. Celle-ci inclut le secteur de la défense vis-à-vis duquel l’État a, dans le même temps, fait évoluer ses modes d’engagement comme client – en réduisant (en pourcentage du PIB) régulièrement et significativement ses commandes depuis les années 1990 – mais également comme actionnaire lors de la privatisation des grandes sociétés d’armement françaises, à la faveur notamment de la fin de la guerre froide et du recueil de ce qui a été appelé les « dividendes de la paix ».
Un modèle qui s’appuie désormais largement sur les acteurs privés
La capacité de notre industrie de défense à exporter (6) et à créer des alliances au profit de projets en coopération est devenue un axe structurant de son modèle économique. Sa capacité à lever des fonds ou à emprunter pour accompagner, voire favoriser son développement, financer ses investissements (laboratoires de recherche, outil de production…), sa résilience (en particulier dans le domaine cyber et vis-à-vis de la criticité d’un certain nombre d’approvisionnements), son adaptation aux problématiques nouvelles telles que la transition énergétique ou ses projets d’exportation est désormais cruciale.
Face aux besoins d’accélération de production et de résilience vis-à-vis des nouvelles menaces et des nouveaux risques, dans un cadre de responsabilisation de l’industrie, la problématique de l’accès aux financements privés devient de plus en plus prégnante. Le développement de nouvelles sources d’approvisionnement, la constitution de stocks stratégiques, la réinternalisation ou relocalisation de certaines activités critiques, la modernisation des outils de production (passage à l’usine 4.0) en sont des exemples significatifs (7). L’export – et de fait la capacité de l’industrie de défense à exporter en étant accompagnée financièrement – joue également un rôle majeur puisqu’en dehors des ressources financières qu’il génère (et qui peuvent être réinvesties), il peut permettre de mutualiser des moyens et être une variable d’ajustement en cas de besoin, par exemple de montée en puissance de la production nationale (8). Les difficultés rencontrées lors de la fourniture d’aide à l’Ukraine, notamment dans le domaine des munitions (artillerie, missiles…), démontrent la nécessité d’anticiper la réduction des chemins critiques (délais d’approvisionnements, optimisation de l’outil de production, mobilisation des ressources humaines…).
Il s’agit bien d’un des principaux enjeux des travaux sur l’« économie de guerre » dont l’accès aux financements privés est un des volets. Thomas Gomard, directeur de l’Institut français des relations internationales (Ifri), rappelle à ce titre le constat effectué par Robert Frankenstein dans sa thèse sur le prix du réarmement français de 1935 à 1939 durant le Front populaire : celui de l’échec industriel qu’a constitué ce réarmement, principalement du fait de l’incapacité de l’industrie à augmenter rapidement sa production, et de résultats industriels – qui furent toutefois réels – intervenus (trop) tardivement. L’impact de la faible propension de l’industrie à l’investissement (9), en particulier dans les outillages, est notamment souligné, de même que le rôle des établissements de crédit (10), restés méfiants et peu enclins à favoriser ces investissements, malgré l’augmentation continue des commandes de l’État à partir de 1935. Même si le contexte international et notamment la perception de la menace, le paysage industriel ainsi que la situation économique ne sont pas directement transposables à l’époque actuelle, l’exemple du réarmement qui a précédé la Seconde Guerre mondiale illustre bien, déjà, la difficulté que constitue une « montée en puissance » industrielle rapide et non anticipée. L’ajustement délicat du rôle de l’État, entre interventionnisme et libéralisme (11), pour « pallier les défaillances de l’initiative privée » et « améliorer le fonctionnement de l’économie » apparaît également comme un facteur clé de gestion de la situation.
Sur le plan technologique, les équilibres public-privé et militaire-civil ont également largement évolué. Le secteur de la défense est passé, en matière d’innovation et de nouveaux développements, d’une position de leader dominant dans les années 1950 (avec de l’ordre de 60 % des nouvelles technologies montées en maturité à son actif – technologies purement militaires mais aussi de nature duale, comme les télécommunications, les radars, les capacités spatiales, les capacités de puissance de calcul…) à une position désormais largement minoritaire face au monde civil. Sa part ne représente plus que de l’ordre de 20 % de la Recherche et développement (R&D) financée. L’avènement de la transition numérique et la démocratisation des hautes technologies dans le monde civil, devenu l’acteur majeur du développement de technologies duales comme les drones, les minisatellites ou l’Intelligence artificielle (IA), en sont les principaux facteurs. Le défi porte désormais sur la captation puis l’adaptation de ces innovations civiles aux spécificités de la défense, signe d’« une forme de bascule du temps des spin-off (extensions à un usage civil d’innovations conçues pour un usage militaire) vers celui des spin-in (captation des innovations civiles pour les intégrer à un système de défense) » (12) qu’il est nécessaire d’accompagner. C’est pour répondre à ce besoin croissant que l’Agence de l’innovation de Défense (AID), dont le rôle est de favoriser ce lien entre les acteurs civils de l’innovation et le monde de la Défense, a été créée en 2018 par la ministre des Armées, Florence Parly, sous la tutelle de la Direction générale de l’armement (DGA).
Une inflexion vers un rôle de l’État redéfini, ciblé sur les enjeux stratégiques
Si l’État a transféré au secteur privé la plupart de sa production industrielle de défense tout en gardant quelques moyens d’essais d’ampleur au sein de la DGA, il continue à jouer un rôle important auprès d’une industrie de défense jugée stratégique pour sa souveraineté.
L’État est avant tout client, l’industrie de défense étant la première bénéficiaire de la commande publique malgré un contexte budgétaire qui reste contraint, mais également actionnaire et stratège (régulateur, impulseur). Il dispose de l’ensemble de ces leviers pour influer dans les champs économique et de politique industrielle, au profit de sa stratégie de défense. Depuis une dizaine d’années et particulièrement depuis les crises récentes qui ont impacté le tissu économique français et généré une prise de conscience des enjeux de souveraineté, l’action de l’État vise à se renforcer par la mise en œuvre d’instruments variés. Ces instruments lui permettent de cibler ses effets dans le cadre de marges de manœuvre financières limitées et de trouver un équilibre entre juste interventionnisme et nécessaire libéralisme.
L’État client
Vis-à-vis des investisseurs privés, la dépendance de l’industrie de défense à la commande publique est à double tranchant. Elle représente une sécurité, en particulier dans le contexte actuel de croissance du secteur ou dans un contexte de crise comme celui de la pandémie de Covid-19 et un risque : la fiabilité de l’État n’est pas toujours garantie, pour des raisons politiques comme économiques, comme l’ont montré le blocage de la vente des Bâtiments de projection et de commandement (BPC) Mistral à la Russie (2014-2015) (13) ou l’étalement d’un certain nombre de commandes (14) au cours des actualisations de programmation. La « visibilité » attendue de l’État, comme appelée de ses vœux par le ministre des Armées dans une interview (15), afin de permettre à l’industrie de « prendre des risques », c’est-à-dire en pratique d’utiliser des fonds propres ou d’accroître sa dette pour anticiper des approvisionnements, faire des stocks ou investir dans l’optimisation ou la résilience de son outil industriel, n’a de réalité économique que dans le cadre de commandes fermes ou de mécanismes de commandes optionnelles assorties d’indemnités de dédit (16). Elle ne peut notamment être garantie par la seule programmation budgétaire pluriannuelle compte tenu de son infériorité normative par rapport aux lois de finances annuelles.
L’État investisseur
L’Agence des participations de l’État (APE), la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la Banque publique d’investissements (Bpifrance) constituent les trois principaux acteurs qui œuvrent pour le compte de l’État dans la gestion des capitaux publics.
L’investissement de l’État peut être direct, au travers de l’APE : c’est le cas de la participation de l’État au capital de la plupart des grandes sociétés de défense (Naval Group à hauteur de 62 %, Airbus et Safran à hauteur de 11 %, Thales à hauteur de 26 % par exemple), ou indirect au travers d’une part de Bpifrance dont l’État est actionnaire à parité avec la CDC, et d’autre part de la CDC qui investit les ressources qui lui sont confiées (dépôts des professions juridiques et centralisation d’une partie de l’épargne réglementée (17)).
Deuxième secteur (à hauteur de près de 30 %) après l’énergie dans la valeur du portefeuille de l’APE, le secteur de l’aéronautique et de la défense est bien considéré comme stratégique par l’État qui veut rester capable d’assurer un contrôle et une influence. De façon plus générale, depuis les années 1990, l’État utilise de façon ciblée sa capacité d’investissement en capital pour garder dans son giron ou soutenir des entreprises jugées stratégiques. Cela a été le cas d’Areva (nucléaire), de Peugeot et d’Alstom, plus récemment également d’EDF, lorsque ces sociétés ont rencontré des difficultés financières, ou de STX en 2017 sur lequel l’État a exercé son droit de préemption afin de ne pas laisser les chantiers de l’Atlantique tomber entre les mains d’un concurrent, l’Italien Fincantieri. En parallèle, afin de retrouver des marges de manœuvre au profit notamment de l’investissement dans l’innovation, l’État a procédé à d’importantes cessions d’actifs à partir de 2017 (Engie, et Française des Jeux (18) notamment), dans le cadre d’un recentrage de son portefeuille, démontrant sa volonté d’utiliser ses capacités d’investissement au profit de ses objectifs stratégiques.
Bpifrance privilégie les prises de participation minoritaires, en partenariat avec des investisseurs privés, essentiellement dans les TPE (Très petites entreprises), les PME (Petites et moyennes entreprises) et les ETI (Entreprises de taille intermédiaire), avec une perspective de sortie au terme d’une étape de leur développement, de leur croissance internationale ou de leur consolidation. Créé il y a tout juste 10 ans (par une loi de fin 2012), il s’agit d’un outil dynamique permettant à l’État, souvent critiqué pour son manque de réactivité, d’adapter plus rapidement son action et de générer un effet de levier vis-à-vis de l’investissement privé. C’est dans ce cadre que le fonds d’investissement souverain Definvest, géré par Bpifrance et doté de 100 M € sur 5 ans, a été créé en 2018 afin de prendre des participations minoritaires dans des entreprises de la BITD jugées critiques ou innovantes (19). Les investissements restent toutefois limités et n’ont pas vocation à accompagner les phases avancées de développement des start-up, lorsque celles-ci deviennent par exemple des « licornes » (20).
L’État peut également être initiateur de fonds d’investissement public-privé destinés à accompagner et à soutenir des filières industrielles en renforçant les fonds propres des PME et ETI stratégiques pour la filière et en accompagnant la consolidation du secteur. C’est le cas par exemple, pour l’aéronautique, du fonds d’investissement Ace Aéro Partenaires, géré par Ace Management, filiale de la société de gestion d’actifs et d’investissement Tikehau Capital, créé en 2020 dans le cadre du plan aéronautique mis en place par l’État au moment de la crise Covid. Aux côtés de l’État, et notamment de Bpifrance, ainsi que de Tikehau Capital, ce fonds (21) rassemble les 4 grands donneurs d’ordre industriels de la filière : Airbus, Safran, Dassault Aviation et Thales. Si ce fonds n’est pas spécifique au secteur de la défense, en cohérence avec sa stratégie assumée de n’investir que dans des entreprises dont l’activité est duale, il a le mérite de développer une expertise sectorielle avec une vraie vision industrielle et non uniquement financière, de consolider un écosystème et de bénéficier à l’ensemble de la filière. Ce type d’initiative permet d’irriguer le secteur de la défense mais reste trop rare et limité aux secteurs duaux (Ace Management gère également un fonds dual dans le domaine cyber). Toutefois, avec le lancement d’un fonds d’investissement dédié aux minerais et métaux critiques (22) et visant une levée conséquente de deux milliards d’euros, l’État vient de démontrer sa capacité à mobiliser les acteurs, notamment privés, au profit du financement de secteurs jugés désormais stratégiques comme celui des mines. Le secteur minier a pourtant longtemps souffert d’un défaut d’attractivité mais son rôle clé dans la transition énergétique et dans la souveraineté industrielle le replace au centre des préoccupations et des politiques de l’État. Ce cas d’école, s’il était couronné de succès, pourrait être applicable au domaine de la défense.
L’État régulateur et l’État stratège
Outre sa capacité à mettre en œuvre des mesures fiscales susceptibles d’infléchir le comportement des investisseurs ou des entreprises (comme ce fut le cas en 1939 (23)), l’État intervient sur le plan législatif et réglementaire dans deux domaines particulièrement sensibles pour la BITD et son financement : le commerce des armes (l’« export ») et les investissements étrangers.
Le contrôle export relève principalement d’une précaution de politique internationale permettant de préserver les intérêts de la France, en particulier en cas de dégradation de sa relation stratégique avec un client potentiel. Ce contrôle doit s’articuler avec le nécessaire développement économique des entreprises de la BITD qui s’effectue au travers de prises de commandes à l’export et d’éventuels offset (24) associés.
Concernant les investissements étrangers, l’État utilise son contrôle comme un instrument de souveraineté dans les domaines sensibles prévus par la réglementation. Ce contrôle ne doit pas obérer l’attractivité générale des entreprises de la BITD vis-à-vis des investisseurs. Il s’inscrit depuis 1966 dans un cadre législatif qui a récemment évolué (25) pour tenir compte de l’évolution des menaces et du contexte géostratégique, en étendant notamment le champ des secteurs contrôlés. Le principe du contrôle réglementé n’est pas nécessairement pénalisant pour les entreprises puisqu’il permet, si la réglementation est explicite et transparente, de donner une certaine forme de prévisibilité et de sécurité aux investisseurs. Il convient de disposer d’une capacité d’évolution souple de la réglementation pour rester agile et préserver un contrôle au juste niveau, en cohérence avec l’évolution des risques et les tendances d’investissement.
C’est toute la difficulté du rôle de l’État qui a développé une capacité à agir en « gestionnaire de crise », comme lors de la crise sanitaire (26) ou en réaction face aux déficiences du marché, dans un tempo politique court, mais dont l’action doit également s’envisager en profondeur au travers d’une stratégie de temps long. Les travaux menés sur l’économie de guerre, qui englobent le volet financier, devraient être destinés à engager cette démarche de long terme.
À titre d’exemple, si les investissements étrangers dans le domaine de la défense sont avant tout perçus comme un risque d’évaporation de pépites émergentes et plus largement de perte de souveraineté dans des domaines technologiques jugés porteurs, ils pourraient être encouragés de manière spécifique pour les chaînes de production, à l’image de ce qui est fait actuellement pour les batteries dans le cadre du projet de loi Industrie verte (27). En effet, ces chaînes de production et les savoir-faire ainsi développés pourraient alors être naturellement mobilisables à certains stades de la mise en place d’une économie de guerre.
Le cas particulier de l’innovation, au cœur des enjeux de souveraineté
La recherche et la technologie ont toujours constitué un instrument privilégié de la puissance militaire (28). Néanmoins, la révolution numérique couplée au durcissement de l’environnement géostratégique a mené à une prise de conscience de plus en plus accrue par les États de la contribution de l’innovation, et plus globalement de l’appropriation et de la sécurisation des nouvelles technologies, à leur souveraineté et à leur sécurité. À cette prise de conscience est associé le terme de « technologies critiques », apparu dès les années 1990 dans les textes de l’administration américaine et adopté en 2019 (29), d’une part par la France dans la loi PACTE et d’autre part par la Commission européenne, dans le but de définir les technologies (30) devant être maîtrisées de façon souveraine.
Dans la continuité des initiatives menées par le gouvernement français depuis le début des années 2010 (31), le président Emmanuel Macron a fait de l’accès aux nouvelles technologies un de ses axes de campagne en 2017, souhaitant mettre en place une stratégie économique qui favorise l’entreprenariat et l’innovation, à l’image d’Israël, parangon de la start-up nation dont le secteur de l’innovation représente 10 % de son PIB et près de la moitié de ses exportations.
Les États disposent en effet de leviers d’intervention plus directs pour financer, orienter et encadrer la recherche que pour influer sur le développement de technologies plus matures relevant déjà de l’industrie.
Dans le domaine de la défense, une politique de soutien à l’innovation et à l’écosystème industriel associé a été mise en place par un certain nombre de dispositifs et outils, à l’instar des Rapid (Régime d’appui aux PME pour l’innovation duale) et Astrid (Accompagnement spécifique des travaux de recherches et d’innovation Défense) ou du Fonds innovation Défense (FID). Doté initialement de 200 M €, ce dernier permet à l’État d’investir dans des start-up d’intérêt dans les phases très amont de leur développement (et de créer un effet de levier vis-à-vis des investisseurs privés, à l’instar du fonds Definvest). Certaines technologies d’intérêt, comme le quantique, font également l’objet de stratégies dédiées.
L’effort particulier mené depuis 2017 par l’État se matérialise tout parti-culièrement dans la création de l’AID et dans le budget plancher « emblématique » d’un milliard d’euros consacré à l’innovation de défense depuis 2022 et destiné à augmenter dans la LPM à venir. Grâce à son « guichet unique », l’AID permet de centraliser le processus de « captation » de l’innovation dans le but de le rendre plus efficient. Au-delà de la réelle dynamique insufflée, les enjeux portent d’une part sur le juste équilibre entre une centralisation nécessaire et une subsidiarité maintenue (en particulier dans l’utilisation des moyens financiers), au sein notamment des armées (32), et d’autre part sur le « passage à l’échelle » (33), c’est-à-dire la diffusion des innovations au sein de programmes d’armement.
Les outils mis en place par l’État sont donc nombreux pour soutenir l’innovation au profit du secteur de la défense et pour initier une dynamique.
Sur le plan financier, les initiatives de l’État permettent de générer un effet de levier mais n’ont pas vocation à couvrir les phases de consolidation où seuls les investissements privés sont à même de prendre le relais. Or, ce relais est mal assuré par les investisseurs privés français, faute d’outils suffisamment capitalisés dédiés au secteur de la défense. Ainsi, sur 16 start-up qui ont levé plus de 100 M € en 2021, une seule avait pour principal investisseur un investisseur français. Cet état de fait constitue une singularité majeure au regard des pratiques anglo-saxonnes et notamment américaines (34). Il traduit une absence d’appétence des acteurs français du financement pour le secteur de la défense. Si la création en février 2023 par la société d’investissement Weinberg Capital Partners du fonds Eiréné exclusivement dédié au secteur de la défense française et européenne a été saluée, ce fonds reste d’une ampleur limitée (35) pour accompagner les start-up dans leur croissance rapide.
Face au rôle indispensable des acteurs privés, quels enjeux ?
Faire face à la « frilosité » des acteurs du financement privé à l’égard du secteur
Les difficultés d’accès aux financements privés des industriels du secteur de la défense ont fait l’objet d’alertes répétées de plusieurs acteurs (36) depuis la crise générée par la pandémie de Covid-19 qui en a exacerbé l’impact. Le risque d’accroissement de ces difficultés, sous l’effet des négociations menées à Bruxelles sur les projets de taxonomie européenne de la finance durable et de création d’un écolabel, a également été dénoncé (37), soulignant le poids croissant de l’investissement autoproclamé « responsable » et le risque d’exclusion qu’il représente pour le secteur de la défense. L’accès de la BITD aux financements privés fait par ailleurs l’objet du cinquième « chantier » de la feuille de route ministérielle (38) mise en place dans le cadre des travaux menés depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine sur l’« économie de guerre ». Si cette formulation est objectivement excessive au regard de sa signification historique (celle du remplacement de l’économie de marché du temps de paix par une économie entièrement prise en mains par l’État et tournée exclusivement vers l’effort de guerre (39)), elle vise à impulser une dynamique, en particulier au sein de l’appareil d’État et de l’industrie.
La prégnance récente de la problématique de l’accès au financement privé rend compte de son importance au regard des nouveaux enjeux, de la nécessaire complémentarité du financement privé avec les efforts financiers de la puissance publique afin d’en démultiplier les effets. Toutefois, elle met également en exergue les spécificités du secteur qui, au regard des critères privilégiés par les investisseurs, freinent l’accès à ces financements.
Ainsi, trois principaux types de difficultés sont à souligner.
En premier lieu, le modèle de notre industrie de défense fait structurellement face à un problème général de marché. La longueur de ses cycles de production et les besoins en fonds de roulement importants générés par le décalage entre les paiements de ses clients et ceux à effectuer auprès de ses fournisseurs, ainsi que le rôle que peut être amené à jouer l’État, notamment en termes de contrôle des investissements étrangers, font de la défense un secteur dont la liquidité à la revente est perçue par les investisseurs privés comme présentant des contraintes et donc des risques.
La deuxième difficulté porte sur une exposition forte du secteur (notamment ses activités menées à l’export) aux exigences croissantes de « conformité » en matière de lutte contre la corruption (40) et aux mécanismes de contrôle interne des banques qui en découlent. Au poids de la conformité s’ajoute également une tendance accrue (41) à la « sur-conformité » vis-à-vis du droit américain et du risque d’extraterritorialité associé, pouvant mener certaines banques à exclure par précaution certaines opérations de financement.
Enfin, l’industrie de défense se heurte à un « mouvement général de responsabilisation de la finance amorcé depuis le milieu des années 2000 » (42) qui vise à orienter les flux financiers et notamment les capitaux privés vers des investissements « à impact » ou « durables », au moyen notamment de critères de notation dans les domaines environnementaux, sociaux et de gouvernance (critères ESG). La création au printemps 2021 d’un nouvel indice boursier, le CAC 40 ESG, rassemblant les 40 sociétés cotées à la Bourse de Paris affichant les meilleures pratiques, en est emblématique. Cette tendance est particulièrement visible et mesurable en Europe puisque plus de 50 % des actifs sous gestion sont désormais gérés selon des critères ESG, contre moins de 10 % il y a quelques années. Si elle répond de façon certaine à une attente de la société, elle relève également d’une politique européenne visant à recourir à des outils normatifs pour favoriser ses objectifs, et en particulier l’atteinte de la neutralité carbone en 2050. C’est dans ce cadre que les taxonomies environnementale et sociale ainsi que l’écolabel ont été prévus et qu’est apparu le risque d’exclusion, ou tout du moins de non priorisation, de l’industrie de défense.
Les difficultés rencontrées par l’industrie de défense pour accéder aux finan-cements privés relèvent surtout de deux phénomènes allant en partie de pair et contre lesquels des actions ciblées pourraient être poursuivies dans l’objectif d’infléchir la tendance, à la faveur du contexte favorable généré par la guerre en Ukraine. D’une part, un risque réputationnel, alimenté par des actions d’Organisations non gouvernementales (ONG) pratiquant le Naming and Shaming (43) particulièrement préjudiciables aux acteurs financiers soucieux de rester attractifs auprès de leur clientèle. D’autre part, une méconnaissance générale du secteur de la défense et de ses spécificités – que ce soit par les acteurs du monde de la finance (44) ou par les experts de Bruxelles –, couplée à une faible connaissance réciproque des règles et pratiques de la finance par les acteurs industriels.
Améliorer l’image du secteur privé de la défense
Vis-à-vis du problème d’image qui constitue le cœur de la problématique de l’accès au financement privé, il convient de « valoriser les activités de souveraineté et de défense afin que le risque à l’image s’inverse » (45). Soulignant le rôle des armées dans la gestion, à long terme, des conséquences du changement climatique (immigration, raréfaction des ressources, intensité des catastrophes naturelles et plus globalement accroissement de la conflictualité), le PDG de Thales, Patrice Caine, conclut dans une de ses tribunes : « Il devient donc urgent d’affirmer sans ambiguïté que les entreprises européennes de défense sont des acteurs clés pour bâtir un avenir durable (46). »
La guerre en Ukraine est une opportunité à saisir pour faire valoir la participation de l’industrie de défense à un monde durable. Participer à l’industrie de la défense, c’est, d’une certaine manière, œuvrer pour le développement durable… de la paix dans le monde car rien de durable sans sécurité. Si cette guerre nous montre bien une chose, c’est que, plus que de découler du changement climatique, la sécurité dépend de facteurs à plus court terme et écrase cette préoccupation sous l’effet de l’urgence et au détriment du long terme. À ce titre, du « contre-naming and shaming » pourrait être mené à l’encontre des lobbies et ONG qui se sont lourdement trompés et nous auraient plus encore placés en dépendance stratégique de la Russie ou dans l’incapacité d’aider l’Ukraine que nous ne l’étions au début de la guerre. De façon plus générale, une stratégie d’influence offensive au profit de l’amélioration de l’image de l’industrie de défense pourrait être imaginée : lobbying, développement d’éléments de langage basés sur un argumentaire et un nouveau vocabulaire centrés sur le caractère durable des activités de défense. Cette démarche pourrait notamment s’appuyer sur la définition de l’Objectif de développement durable n° 16 de l’ONU : « Paix, justice et institutions efficaces » qui reconnaît que « les conflits, l’insécurité, les institutions faibles et l’accès limité à la justice portent atteinte au développement durable » (47). Pourquoi, afin de marquer les esprits, ne pas remplacer le terme « défense » par le terme « développement durable de la paix » ?
Dans la continuité de l’initiative que vient de mettre en place l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) (48) avec la création d’un cycle « Banques et Industries de Défense », cette stratégie d’influence pourrait s’accompagner d’un rapprochement, en amont, des mondes de la finance et de l’industrie de défense, par la généralisation de cycles de formation sur la défense, son industrie et son financement dans les différentes écoles de commerce et d’ingénieurs. Plus largement, des réflexions pourraient être menées pour augmenter la surface d’échanges entre ces deux mondes, par exemple via le dispositif de réserve citoyenne et de la place accordée dans les banques aux nouveaux référents « défense ». Pour convaincre les acteurs du financement de l’importance et de l’intérêt de financer l’industrie de défense, les armées, utilisatrices finales et garantes de la défense de tous les citoyens, ont aussi un rôle à jouer. Des échanges pourraient être encouragés et les acteurs du financement pourraient, à titre d’exemple, être conviés à la présentation annuelle des capacités de chaque armée. Les armées doivent en effet intégrer dans leur sphère d’influence ces acteurs devenus stratégiques.
Par ailleurs, cette stratégie nécessiterait en particulier d’investir les instances européennes. En créant un Fonds européen de défense (FED ou FEDef) doté de 7 Md € et en adoptant une Boussole stratégique (49) en matière de sécurité qui fixe dans ses objectifs la consolidation d’une BITD européenne, l’Union européenne démontre sa prise de conscience des enjeux de défense et de souveraineté. Dans cette perspective, quels « outils » mettre en œuvre pour réconcilier les objectifs de défense et de développement durable, et rassurer les acteurs financiers ? Car au niveau européen, le risque d’exclusion de la taxonomie sociale (dont les discussions ont été gelées avec la guerre en Ukraine) plane toujours sur l’industrie de défense, et la Banque européenne d’investissements (BEI) continue d’exclure la défense de ses investissements. Pourtant, les outils de financement se multiplient au niveau européen, notamment avec la création récente, en février 2023, du fonds ICTE (50) doté de 3,75 Md € auquel participe la BEI, dont l’objectif est d’investir dans les start-up européennes les plus prometteuses se situant déjà à un stade avancé de leur développement. Or, les signaux donnés par Bruxelles influent sur les investisseurs qui anticipent la réglementation. À ce titre, il serait utile que la BEI donne le signal au marché que financer l’industrie de défense n’est pas incompatible avec les objectifs d’investissement responsable. Le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique français, qui est un des gouverneurs de la BEI, pourrait investir davantage le sujet et lancer, par exemple, un club de partenaires et experts à même de traiter cette problématique.
S’agissant des outils, l’idée de créer une taxonomie ou un label spécifique de type « souveraineté et résilience » portés par l’UE a été développée au sein de groupes de réflexion (51) puis reprise par des députés de la Commission de défense et des forces armées (52) d’une part et de la Commission des finances (53) d’autre part. L’extension des outils existants au domaine de la défense pourrait être aussi une piste à étudier, comme celui d’augmenter le champ des critères ESG en y incluant les notions de souveraineté et de résilience, voire plus directement de sécurité. Sur le plan environnemental, la résilience vis-à-vis des conséquences du changement climatique fait déjà partie des critères valorisés dans les notations. Cela montre la pertinence de ce critère qui pourrait être plus largement étendu aux problématiques de défense et de sécurité.
Cette démarche nécessite toutefois d’embarquer tout un écosystème d’acteurs (dont les agences de notation, les acteurs bancaires, les experts de Bruxelles…). Elle est couplée à la mise en place de la stratégie d’influence précitée.
Capitaliser sur les grands donneurs d’ordre industriels du secteur et sur l’implication citoyenne croissante
Comme précisé dans le rapport parlementaire de la mission flash sur le financement de la BITD et confirmé auprès de l’industrie, en dehors de cas particuliers liés notamment à l’export (54), la difficulté d’accès aux financements privés concerne principalement les PME et ETI, les grands groupes étant davantage épargnés du fait de leur assise commerciale. Ces grands groupes qui représentent autour de 80 % de l’activité des 2 000 entreprises du cœur de la BITD et 84 % de son chiffre d’affaires à l’exportation jouent toutefois un rôle incontournable dans la structuration de la BITD et l’animation des filières dont ils connaissent bien l’écosystème. Ils disposent également de capacités d’investissement et le plus souvent d’équipes dédiées à cette activité. Si la création de fonds de « corporate venture », à l’image de ce qui est fait dans les grandes entreprises civiles en Europe (55), peut faire débat, notamment au sein même de ces entreprises (en dehors de MBDA, aucun grand donneur d’ordre industriel n’a encore créé un tel fonds dédié au secteur de la défense), ils sont en mesure d’investir dans des fonds tiers ou des fonds de fonds sectoriels qui leur permettent de s’en remettre à la stratégie d’investisseurs avisés et de générer un effet de levier. Au-delà de l’investissement en capital, des mesures pourraient être également imaginées pour inciter ces grands groupes à aider leurs sous-traitants les plus fragiles dans l’acquisition de leurs grosses immobilisations (machines-outils…).
Par ailleurs, la perception par la société civile des notions de souveraineté et de résilience change et laisse désormais une place aux initiatives citoyennes comme celle de devenir un Defense Angel (56) en investissant en tant que particulier dans les futures pépites du domaine de la défense et de sécurité au stade d’amorçage. Cette tendance traduit l’émergence d’acteurs complémentaires aux acteurs économiques classiques et participe au relais d’influence au profit de l’industrie de défense. Elle pourrait être encouragée fiscalement au-delà de ce qui est fait aujourd’hui et s’étendre à d’autres communautés, comme les fonds d’investissement créés dans certaines grandes écoles comme Polytechnique pour drainer les capacités d’investissements et d’influence des alumni. Par ailleurs, le fléchage de l’épargne des Français vers l’industrie de défense au travers des livrets A et de développement durable, à l’image de ce qui est étudié pour la relance du nucléaire (57), fait l’objet de discussions dans le cadre de l’examen de la prochaine LPM, un amendement ayant été déposé sur le sujet. Ces discussions dépassent le simple ministère des Armées et nécessitent notamment que le ministère des Finances se saisisse de la problématique du financement de l’industrie de défense.
Plus généralement, une task force « investissements défense » rassemblant un panel d’acteurs variés disposant des compétences techniques nécessaires pourrait être créée afin d’émettre des recommandations sur les outils financiers les plus pertinents à envisager et la façon de les mettre en œuvre.
Sous un angle plus politique enfin, un grand forum annuel sur l’investissement dans le domaine de la défense et de la sécurité (organisé par exemple lors d’un salon d’armement), parrainé à bon niveau et rassemblant les PDG des grands groupes industriels, les acteurs de l’innovation, les dirigeants du monde du financement (banques, fonds d’investissement…), les acteurs publics concernés (ministères, directeurs de l’APE et de Bpifrance…), etc. aurait le mérite de donner de la visibilité au sujet et de favoriser les avancées.
Conclusion
Face aux enjeux d’une « économie de guerre », le sujet des investissements dans l’outil industriel de défense paraît central et pose la question du rôle de l’État. Au regard de la situation économique et sociale ainsi que de la perception de la menace, l’État n’est pas en mesure d’opérer un réel virage en prenant à sa seule charge ces investissements et les risques associés. Il se doit donc de favoriser et d’accompagner les efforts industriels en « améliorant le fonctionnement de l’économie » (58) dans le cadre d’une financiarisation tardive mais indispensable du secteur de la défense.
Dans ce contexte, et au regard notamment de l’importance que représentent pour notre souveraineté l’émergence et la croissance en France de pépites techno-logiques, les difficultés d’accès de notre industrie de défense aux financements privés ne peuvent plus être occultées et doivent devenir l’affaire de tous.
Faire évoluer la tendance repose sur un changement durable de perception collective de la défense, et donc sur une compréhension par l’opinion publique, les instances européennes et les acteurs du financement, des spécificités du secteur et de ses apports pour notre société. Cela s’accompagne, par l’intermédiaire d’un épaulement public, d’une démarche d’adaptation nécessaire de l’industrie de défense aux tendances de long terme et aux attentes de la société, notamment en termes de responsabilité sociale et environnementale. Le retour de la guerre aux portes de l’Europe a permis de commencer à inscrire ces problématiques dans le débat public, notamment grâce à la représentation nationale, et d’engager de premières actions. Il convient désormais de lancer une démarche de long terme en priorisant parmi les nombreux outils identifiés. ♦
(1) Macron Emmanuel, « Déclaration du président de la République sur la politique de défense de la France », Base aérienne de Mont-de-Marsan, le 20 janvier 2023 (https://www.vie-publique.fr/). Lors ce discours, un effort budgétaire de 400 milliards d’euros est annoncé, permettant de couvrir un total de 413 Md € de besoins militaires (à comparer à la LPM 2019-2024 qui représentait un effort de 295 Md €). NDLR : à noter que la LPM 2019-2024 couvrait 6 ans, contre 7 pour la LPM 2024-2030 ; à rapporter également à la durée d’un quinquennat : 2027 verra l’élection d’un nouveau président. Voir dans ce Cahier, l’article du commissaire David sur « L’histoire des LPM » sous la Ve République, p. 191-208.
(2) Les annonces les plus marquantes concernent l’Allemagne (décision historique de débloquer une enveloppe de 100 Md €) et la Pologne (augmentation, dès 2023, des dépenses militaires à hauteur de 4 % de son PIB correspondant à l’effort de défense le plus conséquent d’Europe), mais nombre d’autres pays ont également annoncé une augmentation nette de leur budget de défense (notamment l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Suède, la Roumanie et plus récemment le Royaume-Uni et la Norvège).
(3) Macron Emmanuel, « Déclaration du président de la République, sur les industries d’armement française et européenne », inauguration du salon Eurosatory, Villepinte, le 13 juin 2022 (https://www.vie-publique.fr/).
(4) Rademacher Benoit, « Les industries de défense françaises », Cahiers français n° 428, juillet-août
(5) La financiarisation accrue de l’économie mondiale se traduit par des activités économiques de plus en plus liées aux marchés financiers et par une influence croissante des flux de capitaux sur l’économie. Ainsi, le secteur financier a connu une croissance exponentielle ces dernières années, en particulier les institutions financières non bancaires telles que les fonds d’investissement, les hedge funds, les sociétés de capital-investissement et les fonds de pension qui gèrent des montants de plus en plus importants d’actifs dans le monde (le montant des fonds levés entre 2015 et 2020 par les cinq premiers fonds de capital-investissements dans le monde représente près de 300 Md de dollars et a été multiplié par 2 par rapport à la période 2017-2012. Plus globalement, le montant des actifs sous gestion des fonds de capital-investissement s’élevait à 9 700 Md $ en 2021). Parallèlement, les marchés financiers ont connu ces dernières années une expansion rapide avec l’augmentation du nombre d’actions cotées en bourse, l’expansion des marchés des produits dérivés tels que les contrats à terme ainsi que la croissance des marchés de la dette, notamment les obligations d’entreprises.
(6) La part de la production d’armement exportée est passée de 8 % dans les années 1960 à près de 30 % en 2021. 80,4 % des entreprises du secteur de la défense exportent contre 52,6 % en moyenne pour les autres industries. Dans l’industrie de défense terrestre, 50 % du chiffre d’affaires était, jusqu’en 2022, conditionné par l’export.
(7) La société Eurenco, spécialiste de la fabrication de charges explosives militaires, a annoncé le 22 février 2022 investir de l’ordre de 50 millions € sur fonds propres (complétés par un financement de l’ordre de 10 M € de l’État) pour relocaliser en France, à Bergerac, sa fabrication de poudres (jusqu’ici confectionnée dans une usine suédoise du groupe), afin de disposer d’un outil industriel entièrement souverain à même de produire les charges destinées à l’artillerie de 155 mm. La société Nexter a également annoncé début mars 2023 engager 120 M € de trésorerie pour reconstituer ses stocks de matières premières et commander de nouvelles machines, notamment un second robot pour le ceinturage des obus.
(8) À cet égard, il convient de travailler, en amont (et donc dès les phases de préparation des programmes d’armement nationaux), sur des configurations export et nationale proches ou dérivables l’une de l’autre.
(9) Frankenstein Robert, Le prix du réarmement français de 1935 à 1939, Publication de La Sorbonne, 1982, p. 242 : « [Les industriels] avaient peur d’engager des capitaux dans l’acquisition d’équipements spécifiques aux fabrications militaires ».
(10) Ibid., p. 244 : « Il ne fait aucun doute que les établissements de crédit, en général, jouèrent un rôle négatif face aux problèmes financiers du réarmement ».
(11) En août 1936, le gouvernement de Léon Blum fit voter une loi permettant la nationalisation d’un certain nombre d’entreprises du secteur de l’armement. Dans ce cadre, le contrôle direct de l’État fut circonscrit aux seules entreprises dont étaient attendus les investissements le plus lourds et les moins rentables. Il s’agissait de concilier nationalisation et libéralisme pour favoriser la mobilisation industrielle dans un contexte économique devenu durablement capitaliste.
(12) Rademacher Benoit, op. cit.
(13) Voir le fil info « La vente de Mistral à la Russie annulée » par L’Express (https://www.lexpress.fr/).
(14) Le cas des Frégates multimissions (Fremm) en est emblématique : envisagées initialement au nombre de 17, seules 8 ont été in fine commandées selon un calendrier très étalé en comparaison avec ce qui était initialement prévu et un coût unitaire renchéri.
(15) Meddah Hassan, « “Les entreprises de la défense doivent prendre davantage de risques”, juge Sébastien Lecornu, ministre des Armées », L’Usine nouvelle, 23 janvier 2023 (https://www.usinenouvelle.com/).
(16) Les indemnités de dédit permettent, si la commande n’est in fine pas affermie par l’État, de compenser les coûts fixes supportés par l’industrie.
(17) Environ 60 % de l’encours du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire (LDDS) et 50 % de celui du Livret d’épargne populaire (LEP).
(18) Deharo Ambre, « Privatisation : Macron acte le désengagement de l’État chez Engie, ADP et la FDJ », Capital, 13 juin 2018 (https://www.capital.fr/). NDLR : L’État a cédé 52 % de la FDJ (et conserve 20,5 % via l’ADE), mais la vente des 50,6 % d’ADP est au point mort depuis la crise sanitaire. « Le projet de privatisation d’ADP est au point-mort, confirme le PDG du groupe », Boursorama, 30 septembre 2022 (https://www.boursorama.com/).
(19) Tethys (solutions pyrotechniques), Kalray (microprocesseurs), Fichou (optique de haute précision) et Preligens (intelligence artificielle pour l’analyse d’images satellites) font partie des sociétés qui ont bénéficié de financements du fonds Definvest.
(20) Une licorne est une start-up valorisée à plus d’un milliard de dollars, non cotée en Bourse et non filiale d’un grand groupe, dont le modèle économique est basé sur une croissance rapide financée par des fonds extérieurs.
(21) L’encours à investir du fonds d’investissement Ace Aéro Partenaires s’élève à 630 M € répartis en 200 M € en provenance de l’État (dont 50 M € issus de Bpifrance), 200 M € en provenance de l’industrie, et 230 M € issus des fonds propres de Tikehau Capital Investissement. Cf. ministère de l’Économie, des Finances, et de la souveraineté industrielle et numérique, « Nouveau fonds d’investissement aéronautique pour soutenir les PME et les ETI de la filière » (https://www.economie.gouv.fr/).
(22) Géré par la société InfraVia, ce fonds sera abondé par l’État à hauteur de 500 M € mais a surtout vocation à être investi par des partenaires privés (industriels et financiers). CDC, « Souveraineté : un fonds d’investissement dédié aux minerais et métaux critiques », 11 mai 2023 (https://www.caissedesdepots.fr/).
(23) Frankenstein Robert, op. cit., p. 274 : « Le décret du 13 février 1939 facilitait en effet sur le plan fiscal l’amortissement industriel. Le décret du 31 mars 1939 de « détente fiscale » accordait des exonérations d’impôts aux fournisseurs des machines-outils pour le compte de la Défense nationale ».
(24) Compensations souhaitées par certains pays clients qui peuvent se traduire par des transferts de technologies ou de production mais qui peuvent aussi être l’occasion d’accéder à des nouvelles technologies ou capacités.
(25) La loi PACTE, promulguée le 22 mai 2019, relative à la croissance et à la transformation des entreprises (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038496102/), vise à renforcer la protection des intérêts publics lors d’investissements dans les entreprises sensibles et procède à un durcissement du régime des investissements étrangers en France.
(26) À titre d’exemple, mise en place d’un plan de soutien à la filière aéronautique de plus de 15 Md € d’aides, d’investissements et de prêts et garanties.
(27) Mesure 6 du projet de loi : Soutenir les technologies vertes grâce au crédit d’impôt « investissements industries vertes »
(28) Selon toutefois une priorité et des investissements ayant évolué au cours du temps (la fin de la guerre froide a notamment été marquée par une baisse des investissements publics en matière d’innovation de défense dans de nombreux pays européens – dont la France – alors que les efforts de recherche des États-Unis n’ont pas subi de réduction financière comparable).
(29) Le concept de « technologies-clés » apparaît en France dès 1995 pour désigner les technologies pour lesquelles l’État doit effectuer un « pilotage stratégique » de la recherche et déterminer les axes prioritaires.
(30) Les technologies critiques de la loi française portent sur la cyber-sécurité, l’IA, la robotique, la fabrication additive, les semi-conducteurs, les technologies quantiques et le stockage de l’énergie. En 2022, la liste fut élargie afin d’y inclure les biotechnologies et les technologies impliquées dans la production d’énergies renouvelables.
(31) Dès 2012, tout un écosystème institutionnel favorable à l’entreprenariat est mis en place, notamment par la création de la BPI qui devient un outil permettant à l’État de financer massivement des start-up. Le label French Tech, subventionné en partie par la BPI, est lancé en 2013 par la ministre déléguée chargée des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique. En 2015, sont lancés le French Tech Ticket puis, en 2017, le French Tech Visa. Plus tard, à la faveur de la guerre en Ukraine, un plan Tech de soutien public conjoncturel destiné aux entreprises technologiques de la French Tech sera financé. Il comprendra la création d’un fonds « French Tech Souveraineté » géré par Bpifrance et initialement doté de 150 M €, ayant pour objectif de soutenir les entreprises technologiques françaises développant des technologies d’avenir.
(32) Les forces spéciales (mises à l’honneur lors du salon Sofins) disposent par nature d’un vrai potentiel d’innovation. Il serait paradoxal qu’une agence créée pour capter l’innovation – et notamment l’innovation d’usage – en bride la possibilité au sein des structures organiques ou opérationnelles de base, dans les armées.
(33) Cet axe de progrès fait l’objet d’actions mises en place par l’AID (comité de suivi, indicateurs…).
(34) À titre d’exemple, la start-up américaine Anduril, spécialisée dans les systèmes de détection de drones et plus globalement les technologies d’IA pour applications militaires a réussi une levée de fonds de 1,48 Md $ fin 2022. Une telle levée de fonds serait impossible en France, faute d’acteurs financiers.
(35) Quelque 100 M € ont été confiés par des investisseurs qui semblent avoir été longs à mobiliser, malgré la notoriété de l’homme d’affaires et président du conseil d’administration de Sanofi, Serge Weinberg.
(36) Une mission « flash » sur le financement de l’industrie de défense a été menée début 2021 par la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale (https://www2.assemblee-nationale.fr/), en réponse au cri d’alarme des industriels de défense formalisé par le Gicat le 19 octobre 2020 : « Comment les nouvelles contraintes du système bancaire français mettent en péril notre industrie de défense et de sécurité ». Le DGA, Joël Barre, auditionné quelques jours plus tard par les sénateurs, utilise le terme de « frilosité bancaire » pour évoquer le phénomène auquel l’industrie de défense est de plus en plus confrontée.
(37) Commission des affaires européennes, La proposition de résolution européenne visant à protéger la base industrielle et technologique de défense et de sécurité européenne des effets de la taxonomie européenne de la finance durable (Rapport n° 4792), 9 décembre 2021, Assemblée nationale (https://www.assemblee-nationale.fr/).
(38) Bilan des actions menées en faveur de l’économie de guerre effectué par le chef du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique de la DGA lors du point presse du ministère des Armées du 9 février 2023 (https://www.youtube.com/watch?v=RXDuj2JnCL0). NDLR : son intervention commence au bout de 13 min.
(39) Quinet Alain, Économie de la guerre, Économica, 2023, p. 258.
(40) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2 (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033558528).
(41) L’amende de 9 Md $ infligée à BNP Paribas pour avoir violé les embargos américains, notamment vis-à-vis de l’Iran, a généré une vigilance accrue du secteur bancaire, notamment au regard du risque d’évolution, avec effet rétroactif, de la jurisprudence américaine de l’OFAC (Office of Foreign Assets Control).
(42) Ferey Amélie et Roucy-Rochegonde Laure, « Don’t bank on the bombs ». L’industrie de défense face aux nouvelles normes européennes, Briefing de l’Ifri, 22 septembre 2022 (https://www.ifri.org/).
(43) Publication depuis 2012 par l’ONG PAX d’un rapport annuel intitulé « Don’t bank on the Bomb » dénonçant les acteurs liés à la production et au financement des armes nucléaires. Publication de rapports par l’ONG Amnesty International mettant en cause des exportations d’armes en Égypte. Plaintes déposées en 2019 par l’ONG ECCHR auprès de la Cour pénale internationale (CPI) contre plusieurs industriels de l’armement.
(44) Contrairement à d’autre domaines (agricole et maritime notamment), il n’existe pas de banques spécialisées dans le domaine de la défense et pas d’équipes spécialisées au sein des banques généralistes, comme pour le domaine aéronautique par exemple.
(45) Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Ukraine : un an de guerre. Quels enseignements pour la France ? (Rapport d’information n° 334), 8 février 2023, Sénat, p. 11 (https://www.senat.fr/).
(46) Caine Patrice, « Paix et développement durable sont-ils compatibles ? », Les Échos, 28 septembre 2022.
(47) ONU, ODD n° 16, Paix, justice et institutions efficaces (https://www.un.org/).
(48) En association avec le Gicat (Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéro-terrestres) et la FBF (Fédération bancaire française).
(49) Conseil de l’Union européenne, Une boussole stratégique en matière de sécurité et de défense, 24 mars 2022 (https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-7371-2022-INIT/fr/pdf).
(50) Initiative champions technologiques européens.
(51) Association des auditeurs et cadres des sessions nationales « Armement et Économie de Défense » de l’IHEDN et du Centre des hautes études de l’Armement (CHEAr), « XVe Entretiens armement et souveraineté – Un monde en crises : en quête de nouvelles coopérations », 2022 (https://aed-ihedn.fr/) et Un monde en crises : en quête de nouvelles coopérations – ESG (Environmental, Social, and Governance), Souveraineté et résilience, quelle place pour l’investissement privé ?, 80 pages (https://aed-ihedn.fr/).
(52) Député Jean-Louis Thiériot lors de l’examen de la LPM 2024-2030 par la commission de Défense de l’Assemblée nationale, 10 mai 2023, Compte rendu n° 78, p. 24 (https://www.assemblee-nationale.fr/).
(53) Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, L’économie de guerre (Rapport d’information n° 1023), 29 mars 2023, Assemblée nationale (https://www.assemblee-nationale.fr/).
(54) Arquus s’est vu, par exemple, refuser l’encaissement d’un paiement client lors d’une vente de camions militaires aux États du G5 Sahel, ce refus bloquant le processus d’exportation pendant de longues semaines.
(55) D’après une étude de Pitchbook, les fonds d’investissement des grandes entreprises ont participé à un cinquième des levées de fonds européennes en 2022. Au total, ces fonds de « corporate venture » ont injecté plus de 42,6 Md €. Parmi les opérations les plus emblématiques, Porsche Venture a, dans le domaine des véhicules électriques, participé à la levée de 500 M € de Rimac.
(56) Defense Angel est le premier réseau français de Business Angels dédié au financement de la défense et de la sécurité. Créé fin 2021, il compte désormais une soixantaine d’investisseurs (https://defenseangels.org/).
(57) Interview d’Éric Lombard, directeur général de la CDC, sur BFM Business le 15 février 2023 (https://www.bfmtv.com/).
(58) Frankenstein Robert, op. cit., p. 288