De Sun Tzu à Clausewitz, de grands stratèges militaires ont réfléchi à la place de la masse dans la guerre. Les progrès technologiques, quant à eux, ont parfois fait passer l’avantage de l’attaquant au défenseur – il s’agit du dilemme « du glaive et du bouclier ». Depuis l’apogée des armées massives pendant la Seconde Guerre mondiale et l’introduction du bouclier technologique ultime que constituent les armes nucléaires, les armées du monde entier ont cherché le meilleur équilibre entre la technologie et la masse. Cet article examine le retour d’expérience de conflits récents afin d’identifier les stratégies possibles pour tirer le meilleur parti de la masse et de la technologie afin de se préparer aux guerres de demain.
99 Luftballons : réévaluer l’équilibre entre masse et technologie dans les conflits futurs
« En découvrant les dispositions de l’ennemi et en restant nous-mêmes invisibles, nous pouvons maintenir nos forces concentrées, alors que celles de l’ennemi doivent être divisées. Nous pouvons former un seul corps uni, alors que l’ennemi doit se diviser en fractions. Il y aura donc un tout opposé à des parties séparées d’un tout, ce qui signifie que nous serons nombreux face au petit nombre de l’ennemi. Et si nous sommes ainsi capables d’attaquer une force inférieure avec une force supérieure, nos adversaires seront dans une situation désespérée ».
Sun Tzu (1)
Nous sommes en 2030. Après des années de contestations des deux côtés de l’océan Pacifique, le renforcement des capacités militaires de part et d’autre a encore accentué les tensions entre la Chine et les États-Unis. Les deux parties ont anticipé une prochaine guerre et se sont préparées à un engagement majeur de haute technologie.
Pourtant, le début effectif de la guerre passe presque inaperçu. Il ne s’agit pas d’une cyberattaque massive plongeant les villes américaines dans l’obscurité, ni d’un assaut amphibie sanglant sur les plages de Taïwan, encore moins d’une vague de missiles se dirigeant vers la base militaire de Guam. Au large des ports commerciaux de Seattle, de Los Angeles et de Honolulu, sur trois cargos, les portes de conteneurs de 40 pieds s’ouvrent en grinçant dans la nuit. En sortent 99 « ballons météo », chacun coûtant moins de mille dollars. Certains sont équipés d’appareils photos et de dispositifs GPS de base, tandis que d’autres disposent de moyens de surveillance électronique et d’une capacité de brouillage plus sophistiquées ; plusieurs d’entre eux éclatent lors de leur déploiement et tombent dans l’océan.
Lorsque le soleil se lève, l’espace aérien au-dessus de l’Ouest américain est fermé et les chasseurs furtifs de l’US Air Force, qui coûtent plusieurs millions de dollars pièce, patrouillent dans le ciel, décochant de temps à autre un missile AIM-9X Sidewinder à quatre cent mille dollars pour détruire la « menace ». Le Pentagone est choqué, la Maison-Blanche paralysée, mais quelle ligne rouge a été franchie et quelle réponse proportionnelle apporter ? Et c’est alors que les véritables attaques commencent…
La masse : de Sun Tzu à la Seconde Guerre mondiale
Dans L’art de la guerre, le général chinois du VIe siècle av. J.-C. Sun Tzu a écrit sur l’importance, dans la guerre, de regrouper ses forces et ses ressources pour remporter la victoire. Il insiste sur la nécessité de concentrer ses forces sur un point décisif du champ de bataille et d’éviter de les disperser. Rédigée aux alentours de 500 avant J.-C., cette œuvre stratégique et révolutionnaire pour l’époque a eu une profonde influence sur la pensée militaire orientale. Cependant, elle est restée relativement méconnue des stratèges occidentaux jusqu’au XXe siècle. Il est aussi intéressant de noter que Sun Tzu aborde le concept de « masse » en le corrélant à l’utilisation d’espions et à la collecte de renseignements, élargissant ainsi la définition commune qu’utilisent de nombreux penseurs militaires occidentaux qui le considèrent comme une simple quantité de soldats et d’armes. Ainsi conseillait-il de recueillir une masse de renseignements auprès de multiples sources et de les analyser soigneusement afin de dresser un tableau complet des capacités et des intentions de l’ennemi pour utiliser ensuite plus efficacement sa propre masse militaire.
Plus de deux millénaires plus tard, Carl von Clausewitz, général prussien, a beaucoup écrit sur les principes de la guerre dans son ouvrage fondamental De la guerre, publié un an après sa mort en 1832. Dans cet ouvrage, Clausewitz soulignait à nouveau l’importance du principe de masse dans la guerre. Pour lui, la masse désigne la concentration de la puissance de combat, et non uniquement de force, en un point décisif du champ de bataille. Il affirmait que le camp capable de concentrer ses forces et ses ressources en un point critique disposait d’un avantage significatif sur son adversaire. Clausewitz pensait que la masse était essentielle pour remporter la victoire dans une bataille, car elle permet de disposer d’une force écrasante capable de percer les défenses ennemies. Il a également reconnu que la masse pouvait être atteinte, non seulement par la supériorité numérique, mais aussi par d’autres facteurs tels qu’un meilleur entraînement, de meilleurs équipements et une meilleure coordination. On parlerait aujourd’hui de « masse capacitaire ». Dans l’ensemble, Clausewitz considérait donc « la masse » comme un principe fondamental de la guerre, et il croyait que le camp qui pourrait le mieux l’appliquer aurait un avantage significatif sur le champ de bataille (2).
Avec leurs nombreuses batailles dans lesquelles s’affrontent des millions de soldats mobilisés sur de multiples théâtres, les Première et Seconde guerres mondiales représentent le « point culminant » de l’emploi massif de force. Elles reflètent la croyance répandue à l’époque que la victoire peut être obtenue par une force écrasante et la capacité de soutenir des offensives à grande échelle. Au cours de la Grande Guerre, des belligérants se sont affrontés dans une série de batailles majeures, comme la Marne (1914), Verdun et la Somme (1916). Ces batailles ont vu le déploiement de centaines de milliers de soldats, appuyés par l’artillerie, dans le but de percer les lignes ennemies et de remporter une victoire décisive. Toutefois, cet emploi massif de forces a également causé des pertes très élevées (3). Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’utilisation en masse de forces armées s’est encore accentuée car le conflit s’étendait sur plusieurs continents et impliquait un nombre encore plus important de soldats et d’équipements. Des batailles majeures telles que Stalingrad (1942-1943) et la Normandie (1944) ont nécessité le déploiement de millions de soldats, de chars et d’avions, dans le but d’obtenir des avantages stratégiques et de sécuriser des objectifs clés. Cependant, l’emploi massif de forces a aussi causé de lourdes pertes militaires et civiles.
Dans son introduction à La masse dans les armées françaises : un défi pour la haute intensité, Élie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l’Ifri, observe que « si la masse est un facteur de supériorité opérationnelle constant de l’art de la guerre, sa composition a évolué au cours de l’histoire militaire, notamment dans la part dédiée à la quantité et à celle de la qualité matérielle. Il apparaît par exemple qu’entre 1870 et 1945, la quantité a bien souvent été plébiscitée au niveau stratégique pour dominer le « haut du spectre » : l’armée la plus puissante était alors celle aux effectifs les plus pléthoriques, avec le plus grand nombre de chars, d’avions, de porte-avions, etc. Même s’il existait toujours des différentiels de qualité entre les systèmes d’armes, ceux-ci ne permettaient que rarement de compenser la quantité de l’adversaire (4). »
Technologie militaire : de la poudre à canon aux missiles balistiques intercontinentaux
Depuis que la guerre existe, chaque adversaire cherche à prendre l’avantage sur l’autre, en offensive et en défensive. Cela a souvent pris la forme d’avancées techno-logiques. Des fusils aux fusées, des cartes au GPS, du radar à la furtivité, les armées innovent constamment pour développer de nouveaux équipements et de nouvelles manières de combattre afin d’imposer leur volonté à l’ennemi. C’est le dilemme « du glaive et du bouclier ». La masse et la technologie ont toutes deux joué un rôle clé pour obtenir une supériorité opérationnelle et stratégique, mais c’est sûrement l’utilisation des armes nucléaires à la fin de la Seconde Guerre mondiale – où deux armes nucléaires ont infligé plus de dégâts que des milliers de bombes conventionnelles – qui a montré de la manière la plus spectaculaire que la capacité technologique pouvait désormais triompher de la masse.
La doctrine d’emploi de l’arme nucléaire comme moyen dissuasif pour éviter un engagement massif de forces armées est une idée controversée qui est débattue par les stratèges militaires et les dirigeants politiques. Cette idée suggère que l’utilisation d’armes nucléaires peut être une alternative crédible à l’approche traditionnelle de la mobilisation massive des armées en période de conflit. Les partisans de cette idée soutiennent que leur utilisation peut apporter une fin décisive et rapide à un conflit, évitant ainsi la nécessité d’un engagement militaire prolongé et coûteux. Ils affirment également que la menace des armes nucléaires sert de moyen de dissuasion qui empêcherait les adversaires potentiels de s’engager dans des opérations trop agressives, et qu’elle permet donc de limiter la taille des forces conventionnelles. Il convient de noter que l’emploi des armes nucléaires est régi par le droit international, notamment par des principes de proportionnalité, de discrimination et de nécessité. Ces principes exigent que le recours à la force soit proportionnel à la menace et nécessaire pour atteindre un objectif militaire légitime, ainsi que soient discriminés les combattants et les non-combattants. Depuis la Seconde Guerre mondiale, aucun pays n’a, à nouveau, franchi le seuil nucléaire. Le développement de nouvelles technologies militaires conventionnelles s’est donc poursuivi et les forces conventionnelles ont continué d’être fortement engagées dans divers conflits, qualifiés de « sous le seuil ».
Ceci nous amène à la guerre du Golfe – opération Tempête du désert – qui s’est déroulée en 1990-1991 et qui s’est caractérisée par l’emploi à la fois de volume conséquent de forces militaires et de moyens de haute technologie. La guerre a opposé une coalition dirigée par les États-Unis à l’Irak, suite à l’invasion par ce dernier du Koweït. Les forces de la coalition ont déployé un grand nombre de troupes, dont plus de 500 000 soldats américains, ainsi que d’importantes forces aériennes et navales. Ces forces ont pu se positionner rapidement et se coordonner grâce à l’emploi de capacités avancées en matière de logistique, de communication et de renseignement. Tempête du désert a vu l’utilisation de technologies modernes, telles que les munitions à guidage de précision et les avions furtifs, qui ont permis de frapper des cibles avec une plus grande précision et avec moins de risques pour les forces de la coalition. L’utilisation de ces nouvelles technologies a même été mise en scène par des télévisions qui montraient des missiles guidés atteignant leurs cibles avec une précision extrême. Dans l’ensemble, la guerre du Golfe a été une opération militaire de haute technologie qui s’est largement appuyée sur « la masse » pour atteindre ses objectifs stratégiques. Le succès de cette approche « masse et technologie » a été la source de nombreuses analyses et réflexions dans les années qui ont suivi la guerre. En particulier, après la guerre du Golfe, les États-Unis ont poursuivi ce que l’on appelle la Révolution dans les affaires militaires (RMA) et les Opérations basées sur les effets (EBO), deux concepts connexes qui ont influencé la manière dont l’armée américaine planifie et mène aujourd’hui ses opérations.
La RMA est un concept qui a vu le jour dans les années 1990 et qui s’inscrit dans une période d’innovation technologique rapide et de transformation militaire au sein de l’armée américaine. Cette période a été caractérisée par le développement de nouvelles technologies, telles que les munitions à guidage de précision, les drones et les systèmes de guerre réseau-centrés, qui ont donné à l’armée américaine un avantage significatif d’efficacité au travers du recueil et de la diffusion du renseignement et de la précision des frappes. Les EBO sont un concept connexe qui a émergé à la fin des années 1990. Il s’agit de concevoir des opérations militaires à partir des effets à obtenir, plutôt que de simplement détruire les forces ennemies ou de s’emparer d’une zone. L’idée est d’utiliser une combinaison de moyens militaires et non-militaires pour créer l’effet désiré, qui peut être l’attrition progressive des capacités d’un ennemi, la dissuasion d’une agression ou l’influence sur le comportement d’une population. Les EBO reposent sur l’idée que l’atteinte des effets mesure l’efficacité d’une opération militaire, plus que le nombre de forces ennemies tuées ou l’étendue de la zone saisie. En se concentrant sur les effets, l’armée américaine peut utiliser ses capacités technologiques avancées et ses moyens de collecte d’informations pour atteindre des objectifs spécifiques avec plus de précision et d’efficacité. Ces concepts ont conduit au développement de nouvelles tactiques, techniques et procédures conçues pour obtenir des effets spécifiques sur le champ de bataille, plutôt que de simplement écraser l’ennemi avec une puissance de feu supérieure.
Reconsidérer la masse
« Au XIXe siècle, le développement du rail rendait possible de déployer et de soutenir des armées de masse. La réalité observée confirmait cette capacité. À la fin du XXe siècle, de nouvelles avancées technologiques rendaient possible de projeter de la puissance explosive à des distances et avec une précision inédite. Les armées de masse en deviendraient moins désirables (5). »
Au fil du temps, l’armée américaine a développé et affiné plusieurs principes de la guerre qui ont guidé ses opérations et ses processus décisionnels. En s’orientant vers le développement technologique, elle a progressivement abandonné le concept occidental traditionnel de « la masse » – défini par le nombre de soldats et d’armes déployés – au profit d’un concept holistique qui se concentre davantage sur les fins. S’appuyant sur les leçons tirées de la guerre du Golfe et sur l’expérience de l’application des EBO en Irak et en Afghanistan, l’armée américaine a ainsi redéfini la masse :
« (1) L’objectif de la masse est de concentrer les effets de la puissance de combat à l’endroit et au moment les plus avantageux pour produire des résultats décisifs.
(2) Pour atteindre la masse, les capacités nécessaires à une force interarmées sont intégrées et synchronisées là où elles auront un effet décisif dans un court laps de temps. La masse doit souvent être maintenue pour avoir l’effet désiré. Le regroupement des effets de la puissance de combat, plutôt que la concentration des forces, peut permettre à des forces numériquement inférieures de produire des résultats décisifs et de minimiser les pertes humaines et le gaspillage des ressources (6). »
Faisant écho à Sun Tzu, le principe de « masse » dans la doctrine américaine met l’accent désormais sur la concentration de la puissance de combat à un endroit et à un moment décisif, pour obtenir l’effet souhaité. Il s’agit de rassembler des volumes de forces, une puissance de feu et d’autres ressources pour submerger l’ennemi et remporter une victoire rapide et décisive. Le principe de masse est souvent utilisé en conjonction avec d’autres principes de la guerre, tels que la manœuvre et l’unité de commandement. La masse peut être obtenue de différentes façons, par exemple en concentrant un volume de force en un point précis, en attaquant avec une puissance de feu écrasante ou en utilisant la ruse et la surprise pour concentrer des forces sur une position ennemie vulnérable. L’objectif est d’obtenir un avantage sur l’ennemi, en étant capable d’appliquer rapidement et efficacement la masse sur un point critique.
Équilibrer la masse et la technologie
« Je n’oppose donc pas la haute technicité à la masse, ni la technicité d’une armée à la rusticité d’une autre ; il faut les deux ».
Général François Lecointre, Chef d’état-major des armées françaises, 2020 (7)
Traditionnellement, la masse apparaissait comme un facteur de supériorité opérationnelle des armées. Il était commun de penser qu’un grand volume de forces et d’armes pouvait submerger l’ennemi par son seul nombre et sa puissance de feu. Cette approche a bien fonctionné dans de nombreux conflits historiques, comme la Seconde Guerre mondiale. Cependant, la masse seule n’est pas toujours efficace dans la guerre moderne, où la précision et la rapidité sont de plus en plus importantes. La technologie est donc devenue un autre facteur crucial de supériorité opérationnelle des armées modernes. Les systèmes d’armes sophistiqués et les technologies de communication peuvent offrir des avantages considérables sur le champ de bataille. Ces technologies peuvent améliorer la précision et la portée des armes, fournir une meilleure connaissance de la situation et permettre des temps de réaction plus rapides. Leur utilisation permet également de réduire le besoin d’avoir un volume de forces conséquent sur le champ de bataille. Les technologies avancées, telles que les drones, les munitions à guidage de précision ou les capacités de cyberguerre, ont permis à des forces réduites d’infliger des dommages importants à des adversaires plus nombreux. Cela peut être particulièrement utile dans les situations où les ressources sont limitées ou lorsqu’une approche plus ciblée et plus précise s’avère nécessaire. Dans les modèles d’armées d’aujourd’hui, un équilibre entre la masse et la technologie devient essentiel.
Une autre façon d’envisager les compromis entre la masse et la technologie est de reformuler la question en termes de potentiel et de capacité. La capacité militaire désigne l’aptitude d’un pays à mener des opérations militaires et à atteindre ses objectifs. Cela intègre aussi des facteurs tels que la qualité du personnel militaire, l’efficacité de ses équipements et de sa technologie militaire, ainsi que la capacité à planifier et à exécuter des opérations militaires. Le potentiel militaire, quant à lui, fait référence au volume et aux ressources militaires globales d’un pays, y compris la taille de son armée, les quantités théorique et réelle d’équipements, son niveau technologique et son budget militaire. En d’autres termes, la capacité militaire mesure l’efficacité opérationnelle, tandis que le potentiel militaire mesure la potentialité opérationnelle. Pour illustrer cela, considérons deux pays dont les forces militaires sont conçues différemment. Le pays A dispose d’un budget militaire important et d’un volume de force conséquent, mais ses équipements et sa technologie militaires sont dépassés et son personnel est mal formé. Le pays B, quant à lui, dispose d’un budget militaire moindre et de moins de troupes, mais ses équipements et sa technologie militaires sont avancés et son personnel hautement qualifié. Dans ce scénario, le pays B peut avoir un potentiel militaire inférieur à celui du pays A, mais il a une capacité militaire supérieure en raison de ses équipements avancés et de son personnel bien formé.
L’utilisation des munitions à guidage de précision par l’armée américaine lors des opérations récentes (8) montre ce changement de paradigme :
Toutefois, il convient de noter que si la technologie peut donner à une armée un avantage au combat, elle n’est pas la solution miracle. En fin de compte, le succès militaire dépend toujours d’une série de facteurs, notamment la stratégie, le leadership, l’entraînement et la force morale. Une armée technologiquement avancée qui ne possède pas ces autres qualités peut être désavantagée par rapport à un adversaire plus cohésif et motivé, même si elle dispose d’un volume de forces plus important.
Haute technologie = coût élevé
« Pour les grandes armées, le cercle vicieux du paradoxe de l’équipement est bien connu, il s’inscrit dans une spirale décroissante depuis les années 1950 jusqu’à aujourd’hui :
– les armes coûtent cher, on en acquiert donc peu ;
– les armes sont peu nombreuses, on en exige donc des performances supérieures ;
– d’où des macro- et micro-innovations coûteuses ;
– et un nouveau renchérissement des armes, qui fait qu’on en acquiert encore moins… »
Edward Luttwak (9)
Plusieurs facteurs associés à une armée de haute technologie ont pour effet de limiter la taille des forces armées. Tout d’abord, les équipements militaires de haute technologie nécessitent souvent des investissements coûteux en Recherche et développement (R&D). Plus la technologie est avancée, plus l’investissement nécessaire pour la développer et la produire est important. Cela limite, par conséquent, le nombre total d’exemplaires qui peuvent être achetés à budget constant. Deuxièmement, les équipements militaires avancés nécessitent souvent une formation spécialisée et une expertise technique pour les faire fonctionner et les entretenir. Cela entraîne des coûts supplémentaires liés au recrutement, à la formation et au maintien à poste de personnel possédant les compétences et les qualifications rares pour manipuler ces systèmes. Troisièmement, de par leur complexité, les systèmes avancés nécessitent des ressources importantes pour être soutenus, comme des pièces de rechange souvent très coûteuses. Globalement, ces facteurs limitent, de facto, le volume des forces armées hautement technologique pouvant être soutenu à budget constant. Les gouvernements doivent ainsi peser les avantages et les inconvénients d’une force militaire réduite et très avancée par rapport à une force plus importante et moins avancée technologiquement.
En étudiant la guerre entre Israël et le Hezbollah au Liban en 2006, le lieutenant-colonel Michel Goya, rédacteur au Centre de doctrine d’emploi des forces (CDEC), a fait le constat suivant : « Une heure de vol d’un chasseur-bombardier moderne coûte plusieurs dizaines de milliers de dollars (50 000 pour un Rafale), et les projectiles qu’il emporte en représentent plusieurs dizaines de milliers. Dans la guerre de l’été 2006, les Israéliens ont réalisé plus de 10 000 missions de chasseurs-bombardiers, 9 000 missions d’autres types (drones, transport, etc.) et largué environ 10 000 bombes et 7 000 missiles. La campagne aérienne a donc coûté au total entre un et deux milliards de dollars. La facture aurait pu être encore plus lourde si le Hezbollah avait disposé d’un arsenal antiaérien efficace. Israël a perdu presque 10 millions de dollars par ennemi tué (10). »
Poussant cette idée à l’extrême, Norman Augustine, le président de Lockheed Martin, a fait la plaisanterie suivante dans les années 1970 : « En 2054, l’ensemble du budget de la défense permettra d’acheter un seul avion tactique. Cet avion devra être partagé par l’Air Force et la Navy 3½ jours chacun par semaine, à l’exception des années bissextiles, où il sera mis à la disposition des Marines pour la journée supplémentaire (11). »
Impact sur le modèle des armées françaises
« Toutes choses étant égales par ailleurs, la première conséquence de cette augmentation des coûts est la réduction des parcs disponibles. Le nombre de chars dans l’armée de Terre française passe ainsi de 2 150 en 1976 à 400 actuellement [2007] ».
Michel Goya (12)
Écrivant en 2013 dans Toujours plus chers ? Complexité des armements et inflations des coûts militaires, la chercheuse Sophie Lefeez a partagé les données comparatives de coûts d’équipement ci-dessous et noté que, malgré le maintien d’un niveau constant de dépenses militaires au cours de la dernière décennie, l’armée française a connu une baisse drastique de sa production d’équipements militaires. Ce déclin peut être attribué au coût élevé des équipements modernes, comprenant les dépenses liées à leur achat et à leur maintien en condition opérationnelle. Dans le but de réduire les coûts, des efforts ont été réalisés pour optimiser le domaine organisationnel. Cependant, cela n’a pas permis de résoudre entièrement le problème. En outre, la nature incertaine des scénarios de combat futurs impose aux acteurs militaires de créer des équipements de pointe, polyvalents et susceptibles de dépasser les exigences opérationnelles initiales. Il devient donc crucial de définir clairement les besoins des militaires et de les mettre en adéquation avec les avancées technologiques.
Comparaison intergénérationnelle à l’achat (13)
(coût unitaire en euros constants, selon les estimations de 2013)
Matériel précédent | Coût d'achat | Matériel nouveau | Coût d'achat |
Char AMX-30 | 1-2 M € | Char Leclerc | 16 M € |
Véhicule de combat AMX-10P | 1-2 M € | Véhicule blindé VBCI | 4,50 M € |
Porte-avions Charles-de-Gaulle | 3 Md € | Porte avions PA2 * | 3,2 Md € |
Hélicoptère HAP | 25,50 M € | Hélicoptère de combat Tigre | 75 M € |
Hélicoptère TTH | 24,70 M € | Hélicoptère de manœuvre NH90 | 50 M € |
Avion Mirage 2000 monoplace | 9,40 M € | Avion Rafale monoplace | 50 M € |
* Dans la Loi de programmation militaire (LPM) pour 2024-2030, une première somme de 5 Md € sera consacrée au Porte-avions de nouvelle génération (PANG).
En 2021, des chercheurs de l’armée française sont parvenus à des conclusions similaires dans La masse dans les armées françaises : un défi pour la haute intensité. Depuis 1990, les armées françaises ont amélioré leur niveau technologique au prix d’une réduction de leurs effectifs et de leurs ressources. Cela n’a pas affecté de manière significative leur capacité à obtenir des succès opérationnels (14). Cependant, avec la récente résurgence de la concurrence stratégique entre les grandes puissances et le risque de conflits de haute intensité, la validité du compromis entre quantité et qualité est désormais remise en question. Les implications d’une telle réduction capacitaire pour intervenir dans des conflits majeurs appellent un nouvel examen du modèle d’armée et des ressources nécessaires pour y faire face.
Évolution du nombre de plateformes en dotations dans les armées françaises
1991 | 2001 | 2021 | 2030 | |
Chars de bataille | 1 349 | 809 | 222 | 200 |
Avions de combat (Air + Marine) | 686 | 374 | 254 | 225 |
Grands bâtiments de surface | 41 | 35 | 19 | 19 |
Effectif militaire (et réservistes) | 453 000 (420 000) |
273 000 (420 000) |
203 000 (41 000) |
- |
Ces chercheurs concluent que « pour éviter que la prédiction de Norman Augustine ne se réalise, l’armée de Terre doit distinguer les équipements dont la sophistication justifie la rareté, et ceux dont le besoin de masse explique des spécifications moins ambitieuses. En termes d’artillerie, un mélange d’obus conventionnels destinés à la saturation, et d’obus de précision (guidage terminal GPS ou autre) pour neutraliser les cibles prioritaires dans les enclaves, est une voie prometteuse. À l’inverse, il faut assumer le choix de la rusticité sur certains segments, au profit de la masse (15). »
Les leçons de l’Ukraine : les drones et les « frappes en profondeur »
« Bien qu’elle soit souvent justifiée comme favorisant la qualité de la haute technologie par rapport à la quantité, la réduction de la “masse” opérationnelle reste préoccupante. Par exemple, la guerre en Ukraine suggère que les plateformes de combat restent vulnérables dans une guerre de haute intensité. La Russie elle-même pourrait en témoigner : selon les forces armées ukrainiennes, l’armée russe pourrait avoir perdu 1 500 chars, 3 600 véhicules blindés, 750 pièces d’artillerie et 210 avions entre le début de l’invasion et la fin du mois de juin [2022] (16). »
Le conflit en cours en Ukraine – le retour de la guerre en Europe – a bien sûr suscité de nombreuses réflexions et débats. De nombreux enseignements initiaux se sont polarisés sur les taux élevés de consommation d’armes et de munitions, sur les faibles taux de production industrielle et sur l’épuisement des stocks, ainsi que sur la nécessité de passer à une « économie de guerre » pour faire face à ces problèmes. Néanmoins, plutôt que de se contenter de dépenser plus pour fabriquer plus, il serait judicieux d’évaluer préalablement les systèmes d’armes qui ont été les plus efficaces, pour juger de leurs forces et de leurs faiblesses. L’évaluation des effets de ces systèmes d’armes dans les futurs engagements majeurs devrait être le point de référence initial pour savoir s’il convient de les développer et les produire.
Les drones sont des systèmes d’armes particuliers qui jouent un rôle majeur en Ukraine et qui font l’objet d’une grande attention. L’Ukraine les a utilisés pour exécuter divers types de missions dans la guerre combinée, comprenant l’identification de cibles pour l’artillerie et les avions, la conduite de frappes, l’amélioration de la connaissance du champ de bataille et l’engagement dans des opérations d’information. Par exemple, les forces ukrainiennes ont utilisé des drones pour repérer des unités d’infanterie russes et transmettre cette information à des centres de commandement, qui la diffusent ensuite à d’autres unités ukrainiennes utilisant des systèmes d’armes tels que des pièces d’artillerie. De plus, les drones ont été utilisés pour frapper différents types de cibles, y compris des actifs terrestres, aériens et maritimes tels que les chars de combat principaux, les systèmes de défense aérienne et les dépôts logistiques. Ils ont également été utilisés pour recueillir des renseignements et effectuer des reconnaissances afin de surveiller l’activité russe, ainsi que pour évaluer les dommages causés par les combats. Enfin, les drones ont été utilisés dans des opérations d’information pour filmer les frappes réussies et les partager sur des plateformes de médias sociaux telles que Twitter, Telegram et TikTok (17).
Il est important de ne pas considérer les drones comme la panacée, en particulier ceux qui sont peu coûteux et d’une portée relativement courte. Comme ils sont fréquemment abattus en vol, il faut en acheter davantage pour assurer la réalisation de la mission. Les chercheurs du groupe de réflexion britannique RUSI ont noté que « l’espérance de vie moyenne d’un quadricoptère restait d’environ trois vols, [celle] d’un drone à voilure fixe était d’environ six vols » et que « dans l’ensemble, seul un tiers environ des missions de drone peuvent être considérées comme réussies » (18). Et s’ils peuvent être utiles pour fournir des informations de ciblage afin d’améliorer l’efficacité des tirs d’artillerie, ils ne sont pas appropriés pour appuyer des missions de « frappe dans la profondeur ». Anthony Cordesman, analyste renommé du groupe de réflexion américain CSIS, réfléchit aux tactiques russes et à la réponse occidentale : « La Russie a fait un usage intensif de missiles de croisière conventionnels à longue portée, de missiles balistiques et de missiles lancés par des avions de chasse, ainsi que de missiles surface-air. Ces menaces produisent des effets à longue portée et souvent à l’échelle du théâtre. Elles peuvent être utilisées pour frapper en profondeur sur le territoire de l’Otan – même contre des États très éloignés de la frontière russe, tel le Royaume-Uni. Comme l’Ukraine l’a démontré, on ne peut pas y faire face en déployant des systèmes de défense aérienne à plus courte portée, des missiles antichars et des véhicules de combat sans pilote comme les drones (19). »
Une solution possible : le « High-Low Mix »
Compte tenu de ces enseignements, des principes de Sun Tzu et de l’évolution des doctrines occidentales vis-à-vis de l’équilibre entre la masse et la technologie, plusieurs options se dessinent, dont le « High-Low Mix ». L’armée américaine utilise depuis longtemps un mélange d’équipements de haute et de faible technologie dans ses opérations. Cette approche lui permet de tirer profit des forces de chaque type de technologie, tout en minimisant leurs faiblesses.
Les solutions de haute technologie, telles que les drones, les satellites et les systèmes d’information, fournissent aux militaires des capacités avancées dans des domaines tels que la surveillance, la communication et le ciblage de précision. Ces technologies permettent aux militaires de recueillir du renseignement en temps réel, de surveiller les mouvements de l’ennemi et de cibler des endroits spécifiques avec une précision extrême. Toutefois, l’armée américaine reconnaît également l’avantage de disposer de capacités de faible technologie, comme des systèmes de communication simples, des outils de navigation basiques et des équipements robustes qui peuvent résister dans des environnements difficiles. Les équipements peu technologiques sont souvent plus fiables et plus faciles à entretenir que les solutions de haute technologie, et ils peuvent être déployés dans des zones où les infrastructures de soutien sont limitées, voire inexistantes.
Par exemple, dans les premiers temps de la « guerre mondiale contre le terrorisme », les forces spéciales américaines en Afghanistan se sont largement appuyées sur des équipements de faible technicité, tels que des chevaux et des mules, pour se déplacer sur ces terrains accidentés et transporter leurs fardeaux. Ces animaux étaient capables de traverser des zones inaccessibles aux véhicules et ne nécessitaient pas un soutien logistique sophistiqué. De même, l’armée américaine a également fait appel à des technologies de communication simples, telles que des radios HF et des fusées de signalisation, dans des situations où les systèmes de transmission modernes n’étaient plus disponibles ou trop vulnérables aux brouillages ennemis.
Envisageant la possibilité d’un conflit de haute intensité avec un adversaire proche, comme la Russie ou la Chine, un rapport du groupe de réflexion RAND propose de concentrer ses efforts sur la collecte et l’analyse du renseignement, à l’instar de Sun Tzu. L’utilisation d’un grand nombre de capteurs à faible coût pour acquérir et partager une connaissance fine du dispositif ennemi facilitera ensuite l’utilisation d’armes coûteuses et de haute technologie (20).
Il existe un domaine dans lequel des équipements relativement peu coûteux pourraient être mis en œuvre pour améliorer l’efficacité du combat : le Commandement et le contrôle (C2) dans le cadre d’opérations en coalition. Il ne s’agit pas ici d’acquérir de nouveaux chars ou de nouveaux chasseurs, mais seulement de pouvoir travailler ensemble en utilisant plus efficacement ce que nous possédons. En établissant des procédés tactiques, des moyens techniques et des processus communs, les partenaires d’une coalition seront plus à même de se comprendre et de s’appuyer mutuellement. Notamment au travers d’architectures de communication interopérables, ils pourront partager les informations, les renseignements, les plans et les ordres, à tout moment pour gagner en cohérence.
En 2020, l’adjoint du chef d’état-major interarmées, le général Hyten a décrit ainsi ce nouveau concept de combat interarmées : « Lorsque nous parlons des alliés et des partenaires, nous disons toujours qu’ils sont notre plus grand avantage par rapport à nos compétiteurs, et ils le sont, car lorsque nous nous retrouvons dans une situation difficile, nous sommes contents d’avoir beaucoup d’amis qui nous accompagnent. C’est probablement là notre plus grand avantage dans le monde d’aujourd’hui et ce le sera encore longtemps. Mais pour travailler avec nos alliés, nous devons développer une interopérabilité interalliée. Nous voulons nous assurer que lorsque nos alliés nous accompagnent, que ce soit dans les airs, en mer ou sur terre, ils disposent de capacités qui leur permettent d’interopérer avec les unités tactiques avec lesquelles ils travaillent.
Donc, s’ils pilotent un chasseur, vous voulez vous assurer que les chasseurs peuvent communiquer, entre eux. S’ils sont au sol, vous voulez vous assurer que ce peloton peut parler à cet autre peloton et que vous n’avez pas besoin de créer de structure particulière, mais ce que nous prévoyons, c’est que le vrai défi de l’interopérabilité sera l’intégration de forces au-dessus du niveau tactique, au niveau opérationnel et voire stratégique.
Ainsi, lorsque nous, en tant que force interarmées et interalliée, donnons des ordres, l’ensemble de la force doit les comprendre, afin de pouvoir réagir rapidement. C’est en fait l’un des principes de base du fonctionnement d’une armée : un contrôle centralisé et une exécution décentralisée.
À bien des égards, il s’agit d’un retour aux sources de combat, mais d’un retour aux sources avec de nouvelles capacités technologiques qui modifient complètement le champ de bataille. Nos alliés doivent maintenant être capables de partager et de combattre au niveau opérationnel ensemble. Ainsi, cette relation partagée de commandement et de contrôle sera d’une importance vitale qu’il faudra construire à mesure que nous avançons (21). »
Les conflits futurs : profiter d’une masse de technologies
« Et il y aurait un nombre incomparablement plus élevé de systèmes sans pilote (certains pilotés à distance, d’autres fonctionnant selon des algorithmes) dans tous les domaines – pas seulement dans les airs, mais aussi en mer, sous la mer, au sol, dans l’Espace et dans le cyberespace, et fonctionnant en essaims, et non pas seulement individuellement » !
Général David Petraeus (22)
Dans une interview sur la façon dont il envisage la fin de la guerre en Ukraine, le général américain Petraeus, à la retraite et ancien directeur de la CIA (2011-2012), a extrapolé les leçons apprises pour la guerre de haute intensité de demain, en ajoutant : « Et chaque capacité de renseignement et de frappe sera intégrée et connectée par des systèmes avancés de commandement, de contrôle, de communication et d’informatique ». Il est intéressant de noter que c’est le général qui est souvent crédité d’avoir dirigé la transformation de l’armée américaine vers des opérations anti-insurrectionnelles de faible intensité au Moyen-Orient (2008-2010) qui fait cette prédiction.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de place pour la masse dans l’armée, parce que comme l’a si bien dit le général Cavoli, Commandant suprême allié en Europe (SACEUR, Otan), « si l’autre se présente avec un char…. vous feriez mieux d’avoir un char » (23). Il s’agit plutôt de réévaluer l’équilibre de ce qui est nécessaire en quantité et en qualité. Cette question semble être abordée dans la future Loi de programmation militaire (LPM) qui va consacrer 5 milliards d’euros pour doter les forces françaises de drones tactiques et de « plusieurs milliers » de munitions télé-opérées à horizon 2030 (24). Dans un rapport parlementaire (25), deux députés présentent dix propositions visant à reconstituer les stocks de l’armée, en notant « l’éternel débat entre la masse et la technologie. » Il existe un risque d’« asymétrie entre la cible et les moyens utilisés pour la traiter » lorsque des munitions intelligentes sont utilisées pour neutraliser un char, un avion ou un navire ainsi que de simples véhicules blindés ou des drones, et « cela n’est pas viable dans un contexte de haute intensité (26) ».
Aux États-Unis, la réflexion continue également d’évoluer, adossée notamment aux Wargames simulant un conflit avec la Chine. Une nouvelle commission spéciale de la Chambre des représentants sur la Chine a tenu une audition intitulée « L’avenir de la guerre : le Pentagone est-il prêt à dissuader et à vaincre les adversaires de l’Amérique ? », qui a proposé plusieurs domaines d’action, dont les suivants :
– acquérir une nouvelle génération de systèmes sans pilote, mais éviter les drones qui se contentent de reproduire les systèmes pilotés coûteux qu’ils remplacent ;
– élaborer de nouvelles doctrines pour tirer parti des attributs uniques de la robotique, permettant l’essaimage et les utilisations bon marché et à haut risque ;
– se préparer à l’utilisation d’essaims de drones par l’adversaire, en acquérant de nouveaux systèmes de contre-drones (27).
Conclusion
En fin de compte, 99 nouveaux chars ou avions de combat peuvent ne pas faire de différence dans la masse que nous pouvons opposer à un ennemi. Mais, pour le prix de quelques-unes de ces machines exquises, nous pouvons imaginer le développement d’une large gamme de petits drones et de capteurs à faible coût capables d’accomplir les mêmes tâches, permettant aux chefs de réagir rapidement et de produire des effets de masse là où il est nécessaire. Déployons 99 drones aériens pour larguer 99 capteurs terrestres en territoire ennemi. Lançons 99 drones armés pour cibler l’artillerie adverse et empêcher les frappes en profondeur, tout en nous protégeant à l’aide de 99 drones défensifs. Protégeons nos bastions maritimes avec 99 capteurs sans pilote et soyons prêts à envoyer des véhicules sous-marins sans pilote pour déployer 99 mines si nécessaire. Et par-dessus le tout, pour permettre une communication robuste et sécurisée avec tous ces capteurs et drones, avec un réseau de 99 luftballons à haute altitude. ♦
(1) Sun Tzu, The Art of War, Capstone Publishing, 2010, p. 40.
(2) Clausewitz (von) Carl, On War, Wordsworth Editions, 1997, p. 101.
(3) La bataille de Verdun (21 février-18 décembre 1916), par exemple, a causé plus de 300 000 morts et 400 000 blessés, Français et Allemands confondus.
(4) Briant Raphaël, Florant Jean-Baptiste et Pesqueur Michel, « La masse dans les armées françaises : un défi pour la haute intensité », Focus stratégique, n° 105, Ifri, juin 2021, p. 9 (https://www.ifri.org/).
(5) Onorato Massimiliano, Scheve Kenneth et Stasavage David, « Technology and the Era of the Mass Army », The Journal of Economic History, vol. 74, n° 2, juin 2014, p. 449.
(6) US Joint Chiefs of Staff, Joint Publication 3-0, « Joint Operations », 17 janvier 2017, p. A-2.
(7) Commission de la défense nationale et des forces armées, « Audition, à huis clos, du général François Lecointre, chef d’état-major des armées sur “l’analyse des conséquences stratégiques et militaires de la crise Covid, vision des perspectives qu’elle dessine” », 16 juillet 2020, Assemblée nationale (https://www.assemblee-nationale.fr/).
(8) Pettyjohn Stacie et Dennis Hannah, « The Rise of Precision Strike » in Precision and Posture: Defense Spending Trends and the FY23 Budget Request, Center for a New American Security (CNAS), novembre 2022, p. 4 (https://s3.us-east-1.amazonaws.com/).
(9) Luttwak Edward, « Les armements peuvent-ils devenir « abordables » ? », Politique étrangère, Hiver 2007, Institut français des relations internationales (Ifri), p. 777 (https://www.ifri.org/).
(10) Goya Michel, « Dix millions de dollars le milicien : La crise du modèle occidental de guerre limitée de haute technologie », Politique étrangère, Printemps 2007, Ifri, p. 196 (https://www.ifri.org/).
(11) Augustine Norman, Augustine’s Laws, 1984, p. 117.
(12) Goya Michel, « Dix millions de dollars le milicien », op. cit., p. 197.
(13) Lefeez Sophie, « Toujours plus chers ? Complexité des armements et inflation des coûts militaires », Focus stratégique, n° 42, février 2013, Ifri, p. 8 (https://www.ifri.org/).
(14) Shurkin Michael, France’s War in Mali: Lessons for an Expeditionary Army, RAND Corporation, 2014, 65 pages (https://www.rand.org/pubs/research_reports/RR770.html).
(15) Briant Raphaël, Florant Jean-Baptiste et Pesqueur Michel, op. cit., p. 77.
(16) Bergmann Max, Wall Colin, Monaghan Sean et Morcos Pierre, « Transforming European Defense », Center for Strategic & International Studies (CSIS), 18 août 2022, p. 3 (https://www.csis.org/).
(17) Jones Seth G., McCabe Riley et Palmer Alexander, « Ukrainian Innovation in a War of Attrition », CSIS, 27 février 2023, p. 8 (https://www.csis.org/analysis/ukrainian-innovation-war-attrition).
(18) Zabrodskyi Mykhaylo, Watling Jack, Danylyuk Oleksandr V. et Reynolds Nick, « Preliminary Lessons in Conventional Warfighting from Russia’s Invasion of Ukraine: February–July 2022 », RUSI, 30 novembre 2022, p. 2 (https://rusi.org/).
(19) Cordesman Anthony H. et Hwang Grace, « The Ukraine War: Preparing for the Longer-term Outcome », CSIS, 14 avril 2022, p. 10 (https://www.csis.org/analysis/ukraine-war-preparing-longer-term-outcome).
(20) Ochmanek David A., « Determining the Military Capabilities Most Needed to Counter China and Russia: A Strategy-Driven Approach », RAND, 2022, p. 7-8 (https://www.rand.org/pubs/perspectives/PEA1984-1.html).
(21) Cordesman Anthony H. et Hwang Grace, « The Biden Transition and U.S. Competition with China and Russia: The Crisis-Driven Need to Change U.S. Strategy », CSIS, 6 janvier 2021, p. 20 (https://www.csis.org/).
(22) Bergen Peter, « Gen. David Petraeus: How the war in Ukraine will end », CNN, 14 février 2023 (https://edition.cnn.com/2023/02/14/opinions/petraeus-how-ukraine-war-ends-bergen-ctpr/index.html).
(23) Cavoli Christopher, « SACEUR Cavoli–Remarks at Rikskonferensen, Sälen, Sweden », Otan, 9 janvier 2023 (https://shape.nato.int/saceur/saceur-cavoli-remarks-at-rikskonferensen—salen—sweden).
(24) Mallétroit Victor, « Les plans de Sébastien Lecornu pour rattraper le retard sur les drones tactiques », La Lettre A, 26 janvier 2023, p. 6-7.
(25) Commission de la défense nationale et des forces armées, Les stocks de munitions (Rapport d’information n° 865), 15 février 2013 (https://www.assemblee-nationale.fr/).
(26) Cabirol Michel, « Les dix propositions pour remettre à niveau les stocks des armées (rapport parlementaire) », La Tribune, 15 février 2023 (https://www.latribune.fr/).
(27) Singer Peter, « 20 Ways to Win the Future of War, and Not One Is a Balloon », Military.com, 24 février 2023 (https://www.military.com/daily-news/opinions/2023/02/24/20-ways-win-future-of-war-and-not-one-balloon.html).