Posant le besoin d’adaptation de notre posture devant le constat d’une Afrique qui change, le président de la République Emmanuel Macron a acté la réorientation stratégique dans son discours du 27 février 2023. Le cap fixé, fondé sur une nouvelle approche partenariale, constitue une opportunité de sortir des cordes dans lesquelles nous nous sommes laissé acculer et de reprendre l’initiative. Encore faut-il faire preuve de lucidité dans le diagnostic stratégique afin d’appliquer le bon traitement et définir les conditions du « succès » via des principes clairs, d’objectifs réalistes ainsi que d’écueils à éviter qui prendront chair par l’intermédiaire de voies et moyens ancrés dans le réel.
Quelle stratégie pour la France en Afrique ?
« Trop tard ! ». C’est en ces termes que le général américain Douglas Mac Arthur définissait la cause principale des batailles perdues. La formule reste pertinente à l’échelle stratégique tant elle fait écho aux voix qui s’interrogent sur l’existence même d’une « politique de la France en Afrique » (1) au moment où le pays, placé sous une pression croissante, accumule les déconvenues au Mali et au Burkina Faso.
Alors que « l’Afrique émerge aujourd’hui à nouveau comme un nouvel espace de compétition stratégique (2) » et que la contestation de l’influence française semble se renforcer un peu plus chaque jour, est-il vraiment « trop tard » pour agir ? Est-on condamné à subir les manœuvres de challengers cherchant à nous pousser hors du ring ? Les forces en mouvement dans la jeunesse africaine signent-elles le dépassement irréversible du « point culminant » de notre posture stratégique ? À mesure que le coût politique de notre présence semble s’accroître, la question du maintien de notre engagement en Afrique et de ses modalités est clairement posée.
Pour autant, Clausewitz nous rappelle qu’il n’est jamais « trop tard » car « il n’y a qu’un seul succès : le succès final. Avant d’y arriver, rien n’est joué, rien n’est perdu (3) ». Fin connaisseur de l’Afrique, le général Clément-Bollée entend l’optimisme du théoricien prussien lorsqu’il exhorte à l’action : « la France est aujourd’hui en mauvaise posture. Pourtant ses intérêts y sont multiples. Ils commandent une réaction impérative, urgente et adaptée pour ne pas se faire débarquer du continent (4) ». Le message est clair : si les fins apparaissent sans ambiguïté (intérêts), restent à déterminer les voies à suivre et les moyens à consacrer pour y parvenir. En effet, le moment stratégique que nous vivons impose de forger une vision de long terme avant qu’il ne soit « trop tard ». À l’image de Djibouti qui « boxe dans la catégorie supérieure » grâce à l’optimisation de son rendement stratégique, il s’agit de faire des choix clairs et lisibles et de nous y tenir dans la durée, nous donner les moyens de ces choix et les faire comprendre et accepter par nos partenaires et alliés (5).
Posant le besoin d’adaptation de notre posture devant le constat d’une Afrique qui change, le président de la République a acté la réorientation stratégique dans son discours du 27 février 2023 (6). Le cap fixé, fondé sur une nouvelle approche partenariale, constitue une opportunité de sortir des cordes dans lesquelles nous nous sommes laissé acculer et de reprendre l’initiative.
Encore faut-il faire preuve de lucidité dans le diagnostic stratégique afin d’appliquer le bon traitement et définir les conditions du « succès » au travers de principes clairs, d’objectifs réalistes ainsi que d’écueils à éviter qui prendront chair au travers de voies et moyens ancrés dans le réel.
Un modèle d’évidence à bout de souffle
Une France davantage contestée
Le risque de la force
L’Occident, en général, et la France, en particulier, apparaissent en perte de vitesse face aux nouvelles stratégies de puissance. D’une part, la Russie accélère son implantation en Afrique en multipliant les initiatives dans les champs sécuritaire, économique, d’influence mais aussi diplomatique (7), saisissant chaque opportunité pour « pousser la France hors du ring » via son proxy Wagner, la Société militaire privée (SMP) d’Evgueni Prigojine. D’autre part, Pékin continue de tisser ses Routes de la soie par une « diplomatie de la dette » dont les ressorts économiques et d’influence sont mis en œuvre à notre détriment (8). Ankara, enfin, concurrence l’influence française en s’appuyant sur son activisme économique (vente d’armes) et culturel (langue, religion) en vue d’asseoir son dessein de puissance régionale (9). Dans ce contexte, les reculs de la France au Mali et au Burkina Faso sont perçus comme autant d’échecs affectant son image traditionnelle d’acteur de premier rang sur le continent africain (10). L’abstention de seize pays africains, dont certains considérés comme proches de la France, au vote à l’Assemblée générale des Nations unies intimant à la Russie de cesser son agression en Ukraine, atteste que les lignes traditionnelles sont en train de bouger.
La menace de la faiblesse
La situation au Sahel témoigne du difficile endiguement de la mouvance djihadiste en dépit des efforts réalisés dans le domaine sécuritaire. La coalition « qaïdiste » incarnée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) s’appuie désormais sur les griefs locaux pour développer des relais de croissance et de puissance. Forts de leur nouvelle assise locale, ces groupes poursuivent leur stratégie expansionniste en direction du golfe de Guinée en vue d’établir de nouveaux califats (11). L’augmentation du niveau de violence accélère le délitement d’États déjà structurellement fragiles et dont les effets en termes de déstabilisation dépasseront le niveau régional. L’Europe, déversoir naturel de migrations, est déjà en première ligne.
La perception de la montée du sentiment antifrançais
États-puissances et leaders africains en déficit de légitimité instrumentalisent de manière opportuniste les frustrations des populations locales, dont la sécurité ne cesse de se dégrader. Le sentiment de reflux qui en résulte est puissant et la France semble mise à mal par un rejet dont les fondements seraient profondément ancrés, d’autant que « fake news et légendes urbaines sur la présence française en Afrique » (12) sont amplifiées dans les cercles panafricains.
Comment en est-on arrivés là ?
Les stratégies de puissance de nos compétiteurs sont moins l’origine que l’accélérateur de notre perte de vitesse. Baisse de rendement stratégique et crise de défiance sont d’abord de notre fait et résultent de deux facteurs principaux.
Notre inconséquence stratégique
Une stratégie floue et ambiguë (fins), se désalignant progressivement des réalités africaines (voies) et dont les moyens en constante réduction ont progressivement obéré le rendement des actions entreprises.
• Fins : À compter des années 1960, l’offre stratégique qualifiée de « Pax Gallica (13) » permet à la France d’assurer la sécurisation de ses intérêts via un modèle sans ambiguïté : « Paris y soutient les régimes africains sans autre condition politique que la loyauté envers la France, c’est-à-dire la primauté en matière de partenariat économique, politique et sécuritaire ». À la fin de la guerre froide, ce modèle stratégique se grippe, car la conditionnalité politique (14) portée au Sommet de La Baule en 1990 puis mise en œuvre de manière différenciée, rend illisible notre action. Pour les partenaires africains, se pose désormais clairement la question de la fiabilité de la France.
• Moyens : La constante réduction des moyens engagés a considérablement diminué la capacité à produire des effets stratégiques. Depuis la fin des années 1960, le dispositif militaire a été divisé par 3 en termes d’effectifs et par 10 en termes de bases (15). « Plus grave sans doute » (16), on réduit à sa plus simple expression le dispositif de coopération civilo-militaire via la suppression du secrétariat d’État dédié et de ses 10 000 coopérants civils en charge des affaires d’appui à la gouvernance et au développement et l’on divise par 30 le nombre de coopérants militaires (17). Le levier d’action de l’aide publique au développement chute de 1 % du PIB à 0,55 % en cinquante ans. Les voix qui soulignent ce désengagement battent en brèche l’idée selon laquelle l’Afrique a été laissée aux militaires : « on mesure aujourd’hui les conséquences de la disparition du ministère de la Coopération quand [on] a privé la France d’un outil d’influence (18) ». Dit autrement, à l’image d’un moteur qui n’est plus alimenté en carburant et qui puise dans ses ultimes réserves, la stratégie française en sous-régime depuis de nombreuses années, menace de caler à tout moment.
• Voies : Cette absence de clarté dans les finalités ainsi que des moyens limités ont conduit à des réponses françaises inadaptées. Après le succès fulgurant de Serval (11 janvier 2013-1er août 2014), notre surexposition en première ligne lors de Barkhane nous a rendu comptables des résultats alors même que les conditions de succès étaient hors d’atteinte : objectifs trop ambitieux de stabilisation régionale et de reconstruction d’un État malien aux réalités complexes (19).
Notre incapacité à percevoir les changements structurels
La jeunesse africaine se pose désormais en nouvel acteur à prendre en compte dans l’équation stratégique (20). Connectée et mue par une « conscience politique en plein éveil », elle aspire à maîtriser son destin tout en demandant à ses partenaires d’aider l’Afrique à relever l’immense défi qui l’attend (21). Dans cette injonction contradictoire, la France a encore toute sa place dès lors qu’elle se mettra en capacité de répondre aux besoins exprimés.
Que va-t-il se passer si l’on ne fait rien ?
Des intérêts français menacés
Positionnée sur les marches sud de l’Europe, abritant des réserves de ressources naturelles considérables (30 % des minéraux essentiels à la transition écologique (22)), mue par un essor démographique qui a le potentiel de faire du continent le plus grand marché du monde avec plus d’un quart de la population mondiale dans seulement trente ans (23), l’Afrique représente également l’un des poids lourds dans les instances multilatérales à qui saura rallier ses États-membres (28 % des votes à l’ONU). Loin des idées reçues, le continent compte dans les affaires du monde. Mieux, dans un contexte de compétition stratégique il est même pour certains « propuls[é] au centre de l’ordre mondial (24) ». Les intérêts français doivent être relus au prisme de ces tendances qui façonneront le monde de demain. Ils se déclinent selon quatre axes :
• Intérêts politiques : L’Afrique est un déterminant majeur de la stature de puissance mondiale de la France. Un réseau diplomatique puissant (46 ambassades sur 54 États) ainsi que des liens culturels encore vivaces bien que la capacité d’influence de la Francophonie soit en perte de vitesse, confèrent encore à la France le statut « d’acteur clé, voire incontournable ». Levier de puissance, « certes moyenne mais globale », l’Afrique continue de permettre à la France de tenir son rang à l’international (25).
• Intérêts stratégiques : La question des accès au continent, et plus particulièrement à ses ressources et ses installations sensibles pour notre dissuasion, de même que la sécurisation des lignes de communication, notamment vers nos territoires ultramarins de l’Indo-Pacifique, pose l’Afrique au cœur de nos intérêts stratégiques.
• Intérêts économiques : Bien qu’aujourd’hui modestes et en repli (26), ils sont pourtant réels, car l’Afrique offre à ce jour une partie non négligeable du potentiel de développement dont la Nation a besoin pour recouvrer des leviers d’action et des marges de manœuvre stratégiques. À court et moyen termes, de nombreuses opportunités sont à saisir dans les domaines du numérique, de l’énergie, de l’agriculture ou encore des infrastructures à l’image de la construction en cours de « la plus grande zone industrielle de l’Afrique de l’Ouest » au Bénin pour laquelle les entreprises étrangères se bousculent (27). À plus long terme, les dynamiques démographiques et de croissance feront de l’Afrique un puissant relais de croissance à l’échelle de la planète. Cet horizon n’est certes pas visible aujourd’hui. Il conviendra pourtant d’être en position de force au moment du décollage. Cette position se prépare maintenant (28).
• Intérêts sécuritaires : D’une part, la question des ressortissants se pose avec acuité, à mesure que la dégradation du niveau sécuritaire s’accroît. Elle dépasse la seule communauté nationale puisque par accords de nombreux pays occidentaux comptent sur la France pour évacuer leurs concitoyens en cas de crise (29). D’autre part, l’intensification des flux migratoires à destination des « pays développés vieillissants » et liés à l’augmentation de l’insécurité au sens large (djihadisme, réchauffement climatique et explosion démographique), s’imposera comme un risque structurel pour les pays européens (30). Enfin, l’importance des diasporas africaines doit aussi être prise en compte dans l’équation sécuritaire.
Ces enjeux ne se limitent pas à la France, car ils sont partagés entre les pays africains et européens. La Boussole stratégique (31) adoptée en mars 2022 par l’Union européenne (UE) souligne « l’importance stratégique que revêt l’avenir de l’Afrique » du point de vue sécuritaire tout autant que dans sa capacité à représenter un relais de croissance. Dit autrement, la question des intérêts au sens large doit puissamment irriguer notre stratégie africaine.
Conséquences stratégiques en cas d’éviction de la France
Voir le monde tel qu’il est interroge sur l’intérêt de notre présence en Afrique. Une manière d’y voir plus clair consiste à s’intéresser aux conséquences qui résulteraient d’un retrait du continent.
• Accélérateur de déclassement et remise en cause du statut de puissance de la France : Dans la joute stratégique qui bat son plein, nos compétiteurs jouent habilement de leurs avantages comparatifs fondés sur l’absence de conditionnalité politique, pour mettre en œuvre leur stratégie de puissance. Enhardis par les revers géopolitiques accumulés dans le Sahel, signant les prémisses de notre déclassement international (32), nos adversaires vont persévérer dans le but de nous évincer du continent africain. Outre le fait, qu’une fois chassés il serait difficile de revenir (33), l’humiliation qui en résulterait serait surtout mortifère pour notre crédibilité inter-nationale. Notre déclassement serait acté par la preuve de notre incapacité à peser dans les affaires du monde.
• Déstabilisation du flanc sud de l’Europe : À la dangereuse poussée djihadiste vers le golfe de Guinée dont il est essentiel de prévenir la contagion (34), s’ajoute l’action déstabilisatrice de la Russie. Exactions et prédations de Wagner sont passées sous silence par des juntes africaines utilisant ces mercenaires comme leur garde prétorienne. Les violences russes et djihadistes qui s’additionnent (35) portent atteintes aux intérêts sécuritaires français et européens.
• Précipiter l’émergence d’un ordre international défavorable à nos intérêts : Dans la compétition stratégique, chaque succès enregistré par les challengers conforte les modèles alternatifs dont ils sont les promoteurs. Les indices étayant l’idée d’une « carte géopolitique en recomposition au détriment des Occidentaux » s’accumulent dangereusement (36) comme le souligne l’ancien diplomate Michel Duclos qui estime que « le combat entre les autocraties et les démocraties est à l’œuvre sur le continent africain » (37).
Si le tableau est sombre rien n’est pour autant perdu. Sauf à renoncer à notre ambition de puissance, nous devons faire face et relever le défi stratégique qui nous est posé. Il est gagnable, la France n’en sortira que plus forte.
Conditions du succès pour la nouvelle stratégie africaine de la France
Une vision de long terme fondée sur des principes clairs et pragmatiques
Premier principe : une stratégie centrée sur nos intérêts
Au gré de l’exacerbation de la compétition stratégique, l’idée du besoin de renouer avec la realpolitik fait son chemin dans l’opinion. Regardant avec lucidité le terrain perdu ces dernières années, nombreux sont ceux qui reconnaissent la nécessité de rééquilibrer le balancier entre valeurs et intérêts. La question de la conditionnalité politique est essentielle, car elle constitue la base sur laquelle s’appuient nos compétiteurs pour fonder leur avantage comparatif. Les grandes démocraties anglo-saxonnes l’ont bien compris et s’y sont adaptées avec pragmatisme pour défendre leurs intérêts de manière décomplexée. Dans leur National Security Strategy parue fin 2022, les États-Unis ont fait sauter ces verrous moraux qui limitaient leur liberté d’action en assumant désormais de coopérer avec des acteurs non démocratiques dès lors que cela renforce leur position face à la Chine (38). La position britannique suit la même ligne (39). Pour résoudre le dilemme intérêts/valeurs, la France doit prendre acte du changement d’ère stratégique et modifier en conséquence les priorités fixées à La Baule, car l’expérience a montré que le messianisme démocratique nous a contraints à jouer le jeu dangereux (et illisible) de la posture à géométrie variable. Réduire l’avantage comparatif de nos compétiteurs impose donc de ne plus placer nos valeurs comme précondition au dialogue avec nos partenaires africains mais comme un objectif à atteindre sur le long terme en privilégiant la souplesse – convaincre – à la contrainte (40). C’est d’ailleurs la ligne défendue par Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité (41). Des voix africaines adeptes du modèle démocratique, soutiennent également la nécessité de « mettre de côté pour un temps nos principes [afin de] débloquer les situations en voie de pourrissement (42) ».
Deuxième principe : assumer la compétition stratégique en sortant de notre logique défensive
En premier lieu, cela suppose d’accepter les zones de contact et donc de rejeter tout axiome de type « ce sera les Russes ou nous (43) » dont l’inefficacité n’est plus à démontrer. Faire face impose, en second lieu, de reprendre l’initiative en agissant dans les champs, physiques et immatériels en vue de poser des dilemmes stratégiques à nos adversaires (44). La prise de conscience de l’importance des actions dans les champs immatériels (influence, communication, cyber, espace…) ne doit pas nous tromper sur leurs limites : elles façonnent, elles appuient, elles démultiplient ou elles exploitent les effets dans les champs physiques sans pour autant s’y substituer. Certains ont raison de rappeler qu’il n’y a « pas d’influence sans présence (45) » et que le « hard power est une réalité (46) » qui compte toujours. C’est pourquoi la stratégie africaine de la France ne doit pas céder à la tentation du modèle britannique fondé sur le pari séduisant du presque tout immatériel dont les limites ont été mises à jour par le conflit ukrainien (47) et que l’Integrated Review Refresh (48) cherche à corriger, dans la précipitation, avec l’injection de 5 milliards de livres supplémentaires.
Troisième principe : une stratégie lisible et différenciée pour (re)devenir un partenaire de confiance
L’hétérogénéité des situations africaines commande de considérer la situation de chaque pays au cas par cas. Il s’agira parfois simplement de consolider notre position, comme à Djibouti par exemple, où la France est le premier des partenaires vers qui le pays se tourne lorsqu’il a besoin d’appui. Répondre à la demande garantit de maintenir ce positionnement privilégié alors que décliner pousse nos partenaires africains dans les bras de nos compétiteurs (49). Il s’agira dans d’autres cas, principalement en Afrique de l’Ouest où la discontinuité de notre politique a pu semer le doute, de chercher à redevenir un partenaire fiable et désirable en rassurant sur nos intentions et en apportant des preuves concrètes de notre engagement durable. Enfin, au-delà de la sphère traditionnelle d’influence de la France, il s’agira de bâtir cette relation de confiance avec de nouveaux partenaires en partant sur des bases saines.
Des objectifs réalistes et atteignables
Assis sur des principes solides, les objectifs stratégiques de la France devraient être de trois ordres.
Sécuriser puis développer les intérêts français
Pour cela, deux conditions doivent être réunies : d’une part, en apportant une réponse à la question de l’acceptabilité de notre présence aux yeux de nos partenaires africains et d’autre part, en luttant contre l’expansion agressive de la sphère d’influence de nos compétiteurs. Consciente de nos moyens limités, la stratégie développée pourrait chercher à déployer géographiquement ses moyens d’action de manière séquentielle.
• Tout d’abord pour « consolider » et « défendre » les zones et pays dans lesquels la France est présente, et où ses instruments de puissance (diplomatie, informationnel, militaire et économique) sont plus facilement mobilisables : Afrique de l’Ouest et golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Sénégal, Niger), Afrique centrale (Tchad, Gabon), Corne de l’Afrique (Djibouti) et Canal du Mozambique. Jouxtant cette sphère « historique » et parmi les pays s’affichant comme les plus prometteurs – Nigéria, Rwanda et Éthiopie – il s’agira aussi de commencer à mettre en place les leviers nécessaires au développement de nouveaux partenariats approfondis.
• Ensuite, pour développer et étendre ce réseau hors de la zone francophone historique : Afrique du Sud, Angola, Mozambique et Kenya (50) qui laissent augurer du meilleur rendement stratégique pour nos intérêts.
(Re)créer le désir de France via une stratégie de long terme combinant aspirations des partenaires africains et intérêts nationaux
Cela suppose de respecter quatre attitudes stratégiques.
• L’humilité tout d’abord, qui doit nous conduire à écouter pour comprendre, sans naïveté, le message qui nous est adressé et admettre la vérité de l’autre en l’intégrant dans notre approche.
• La patience et la persévérance ensuite, de ne plus faire à la place de nos partenaires mais de les accompagner dans l’exercice de leur souveraineté selon leurs méthodes, « leurs choix et leurs solutions (51) ».
• La cohérence et la constance, indispensables à la restauration d’une lisibilité fragilisée, s’expriment, d’une part, avec la promotion de nos valeurs démocratiques, en souplesse et selon des modalités plus indirectes car « la survie de la liberté au XXIe siècle […] passe par la réforme patiente des démocraties et l’endiguement des empires autoritaires (52) ». Il s’agit désormais de séduire et non plus d’imposer. D’autre part, le retour à la constance stratégique – assumer la ligne réaliste de la défense de nos intérêts en rompant enfin avec la pratique du deux poids deux mesures tant décriée – restaurerait la confiance de nos partenaires, désormais capables d’anticiper notre positionnement.
• L’engagement, enfin. Les Russes, les Chinois, les Turcs et même les Américains (53) l’ont bien compris : nos partenaires africains ont besoin de réalisations concrètes et ils en ont besoin maintenant. Sortir de l’incantation et produire des effets stratégiques exige donc d’investir de ressources importantes sur le temps long. Ce soutien massif ne doit pas faire peur, car l’intérêt de « l’autre » est aussi le nôtre.
Créer ou revigorer le désir de France doit être l’objectif prioritaire de notre stratégie. Il s’agit, en somme, de faire rêver à nouveau en « positiv[ant] notre rapport à l’Afrique en vue de construire un futur commun (54) » qui soit désirable pour les parties. La France dispose de tous les atouts pour y parvenir.
Réduire l’influence des compétiteurs
Face à la Russie, notre objectif devrait viser le refoulement de Wagner, objet médiatique souvent fantasmé (55) dont les vulnérabilités (logistique fragile et engagement massif en Ukraine) laissent penser en haut lieu que cet objectif est à notre portée (56). Sa récente désignation, par les États-Unis, comme organisation criminelle transnationale (57) offre de nouveaux leviers dans le domaine des sanctions économiques.
Face à la Chine, il conviendrait d’agir sur le plus long terme, en visant l’endiguement de son expansionnisme, notamment économique, partout où nos intérêts sont en jeu. La prise de conscience grandissante du piège de la dette au sein des pays africains constitue un levier d’action qu’il s’agit d’exploiter dans le domaine des perceptions afin de dégrader l’image de la Chine, contribuer à discréditer les bienfaits vantés de son offre stratégique et la priver des nouveaux accès qu’elle cherche à obtenir, via l’ouverture de nouvelles bases, notamment en Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, puisque dans le domaine économique, la France ne peut rivaliser seule, elle devra s’appuyer sur ses partenaires européens afin de saisir, mais aussi créer, des opportunités de co-développement qui réduisent l’emprise chinoise sur le continent africain. L’initiative franco-allemande de relancer la coopération européenne avec l’Éthiopie témoigne de la volonté de « ne pas [la] laisser seule face à la Chine à l’heure de la reconstruction (58) ».
Face à la Turquie, l’objectif stratégique devrait chercher à contrer l’influence turque via les leviers culturels et industriels : massification de l’enseignement de la langue française et offre industrielle de défense rustique bon marché sont les voies qu’il conviendrait d’emprunter à cet effet.
Se donner les moyens de nos ambitions : concentration des efforts et économie des moyens
Si notre ambition de puissance implique d’agir sur l’ensemble des zones où la France dispose d’intérêts, la réalité de nos moyens impose surtout de doser finement la répartition de nos efforts. Se pose alors la question du degré de priorité stratégique qu’il convient d’accorder à l’Afrique. Deux raisons militent pour concentrer nos efforts sur le continent africain.
L’Afrique promet le meilleur rendement stratégique
Tout calcul stratégique se fonde sur la notion fondamentale d’avantage comparatif pour estimer le rapport gain/coût et son aptitude à créer des effets de levier par rapport aux autres acteurs. À l’examen, l’Afrique promet le meilleur rendement pour atteindre nos ambitions géostratégiques pour diverses raisons. Du fait de son éloignement (16 000 km soit 36 jours de mers pour rallier Nouméa) et de l’inadéquation entre notre ambition et notre poids réel (59), la zone Indo-Pacifique doit passer en second plan (60). Dans le domaine sécuritaire, notre avantage comparatif est d’évidence limité du fait des rapports de force en présence (61). Face à une profondeur stratégique hors de portée, un positionnement en « 2e ligne » dans le Pacifique sud et dans l’océan Indien visant la défense de nos intérêts souverains contre les possibles infiltrations chinoises constitue un objectif limité raisonnable, car soutenable (62). Pour autant, dès lors que cette zone est la plus prometteuse sur le plan économique (50 % du PIB mondial à l’horizon 2040), la priorité donnée à l’Afrique ne doit pas empêcher d’investir ce champ opportunément même si la pénétration des marchés reste difficile (63).
En Europe, l’action de la France s’inscrit dans une double dynamique collective UE-Otan. Ici encore, la concurrence stratégique est rude entre le poids lourd américain, l’activisme britannique et les nouveaux prétendants allemands et polonais (64). Alors que notre avantage comparatif paraît limité dans cet environnement hautement concurrentiel et surpeuplé, la voix française exhortant à l’autonomie stratégique européenne s’est, par ailleurs, retrouvée fragilisée depuis le début de la guerre en Ukraine. Aussi, le choix de maîtriser le renforcement de notre posture sur le flanc est, paraît suffisant pour sécuriser nos intérêts, c’est-à-dire afficher notre solidarité tout en évitant l’écartèlement stratégique. À l’évidence, un renforcement de cette posture, même massif, ne produirait pas davantage de rendement stratégique. Ici aussi, l’économie des forces s’impose.
A contrario, par son histoire et son positionnement géographique, « l’Afrique fait partie de notre profondeur stratégique » (65), dans laquelle la France dispose d’atouts énoncés plus haut (diplomatie, héritage commun) nous conférant encore un avantage comparatif significatif. Émoussés au fil du temps, ces atouts devront néanmoins être revigorés afin d’inverser la dynamique actuelle de rendement décroissant notamment dans le domaine économique (66), puis développés en vue d’en démultiplier les effets sur le long terme.
La France a toute sa place
Paul Valéry, dans Mauvaises pensées et autres (1941), écrivait que « le grand triomphe de l’adversaire est de vous faire croire ce qu’il dit de vous ». Au moment où les afro-pessimistes sont tentés de jeter l’éponge, ce propos mérite réflexion lorsque l’on pense le sentiment anti-français car, si celui-ci a toujours existé et qu’il serait imprudent d’en mésestimer les manifestations actuelles, il serait aussi préjudiciable d’en surestimer la force et l’ancrage au sein des populations africaines. En clair, nous ne devons pas nous laisser intoxiquer par la propagande russe et le panafricanisme manipulé, car les effets de loupe dans les médias et sur les réseaux sociaux « déforment l’importance du phénomène et n’illustrent pas la réalité exacte du rejet au sein de la population » (67). Nous sommes donc sur une ligne de crête entre un désir de France encore bien réel et une source de frustration, « quelque chose de non résolu » qu’il nous faut prendre en compte, notamment dans la jeunesse africaine, afin de traiter le phénomène (68). Rien n’est joué, la balle est dans notre camp.
Une mise en œuvre concrète dont l’action est ancrée dans le réel
Du narratif à l’Histoire
Pour appuyer le déploiement de la nouvelle stratégie française, il est nécessaire de bâtir un nouveau narratif, clair et cohérent avec la ligne stratégique énoncée. Ciblant tout autant les dirigeants et la jeunesse africaine que la population française et sa diaspora, il fera porter son effort sur la valorisation de notre offre stratégique en « positiv[ant] notre rapport avec l’Afrique ». En creux, ce narratif mettra en évidence l’attractivité supérieure de l’offre française comparée à celles de nos compétiteurs. Trois critères de succès sont identifiés afin que ce récit infuse et s’impose dans les perceptions.
• Crédibiliser notre offre stratégique tout d’abord, en s’appuyant sur des réalisations concrètes. Au-delà de l’investissement en ressources sur lequel nous reviendrons, la France peut aider l’Afrique à émerger comme acteur et non plus comme « objet » de la scène internationale (69).
• Jouer la compétition stratégique ensuite, en opposant une approche gagnant-gagnant et d’égal à égal fondée sur le co-développement, à celle fondée sur la prédation et la mise sous tutelle mise en œuvre par nos compétiteurs. Cela suppose des partenariats décomplexés fondés sur des relations transactionnelles qui soient dénuées de conditionnalité politique à l’instar de ceux noués avec la Chine ou l’Iran, par exemple. En somme, il s’agit de mettre fin à l’iniquité de considération qui est incomprise et ressentie comme une source de vexation par nos partenaires africains.
• Enfin, rompre avec les discours repentants et déclinistes qui empoisonnent les esprits, polarisent les sociétés et empêchent de bâtir un avenir commun qui soit désirable (70). Regarder droit devant pour dresser la perspective d’un futur positif et l’incarner progressivement dans des réalisations visibles et concrètes pour que le narratif cesse d’être « une histoire » en devenant la suite de l’histoire.
Une stratégie globale
Gouvernance interministérielle
L’ampleur et la complexité de la tâche nécessitent de déployer des moyens interministériels importants par des actions coordonnées selon les principes de l’approche globale pour servir nos intérêts et ceux de nos partenaires africains. Le mode de gouvernance à l’échelon central doit être repensé, car il n’est pas taillé à cet effet au sein de l’équipe France (71). Si les principes demeurent – l’Élysée, via le Conseil de défense, restant le lieu de direction et de décision stratégique, et les ministères, les agents de sa mise en œuvre – il sera néanmoins nécessaire d’imaginer une organisation à la charnière de ces niveaux qui soit capable d’opérationnaliser un échelon interministériel de conception et de coordination – le chaînon manquant – dont la finalité viserait à définir les voies à suivre et les moyens à mettre en œuvre. Le modèle britannique « intégré » à l’efficacité reconnue, pourrait inspirer la mise sur pied d’une structure semi permanente dédiée, à l’image du Centre de coordination des crises cyber (C4) pour ce domaine. Les enseignements du volet politico-militaire de l’exercice Orion (72) constitueront un laboratoire de réflexion pertinent pour aider à définir le format, le périmètre et les modalités de fonctionnement de ce chaînon manquant.
Retrouver des leviers d’action
Donner les moyens d’agir à cette stratégie ambitieuse implique d’identifier les leviers d’action mobilisables. Au niveau national, il s’agit de prolonger la réforme de l’aide publique au développement commencée en 2017 afin de lui redonner de l’efficacité politique. C’est le choix assumé et opéré par le Royaume-Uni qui intègre désormais son agence d’aide au développement au sein du Foreign Office. Dans un contexte de tension des finances publiques, les ressources comptées de l’État doivent être utilisées avec l’exigence de produire des effets au service de nos intérêts. C’est à ce titre que les voix militant pour « repolitiser l’aide au développement » (73) méritent d’être entendues pour que la dizaine de milliards qu’engage chaque année l’Agence française de développement (AFD) serve pleinement notre stratégie africaine. Ce levier se trouverait démultiplié si la France se montrait aussi capable de mobiliser les ressources colossales que l’UE consacre chaque année en Afrique (74). Lorsque cela n’est pas possible, elle doit au moins parvenir à coopter les postes de chefs de mission afin d’en tirer profit en termes de rayonnement, à l’instar de l’Allemagne véritable virtuose en la matière (75).
Moins posé, moins exposé ?
Plus posé, moins exposé !
De manière contre-intuitive, l’expérience montre qu’il est préférable de privilégier le déploiement au repli sur soi afin d’éviter les coups. Réduire la zone de contact avec les éléments frictionnels procure une fausse assurance de protection. Il produit, en réalité, l’effet inverse car celui qui est aveugle et incapable de comprendre son environnement, ne peut anticiper les manœuvres adverses. Le choix du repli se traduit invariablement par l’accroissement du niveau de vulnérabilité à l’image de ces zones vertes bunkérisées qui ont toutes cheminé inéluctablement de l’isolement à la rupture et donc au rejet. Chercher à se couper du monde serait donc la dernière chose à faire. C’est d’ailleurs précisément, l’objectif que poursuit la manœuvre russe en Afrique lorsqu’elle agite le foulard du sentiment anti-français (76). S’il n’est pas illégitime de s’interroger sur la question de l’exposition, doit-elle pour autant occuper le centre du débat stratégique ? On peut en douter car, relevant davantage des risques que l’on consent à prendre pour atteindre le but stratégique fixé, elle ne constitue pas une fin en soi. Cette question ne doit pas nous pétrifier puisque l’exposition sert la finalité stratégique.
Réinvestir massivement les champs non militaires
Cela constitue la clé de la relance du rendement stratégique. La restauration d’un large dispositif de coopérants qualifiés dans les domaines fondamentaux pour l’Afrique (agriculture, accès à l’eau, énergie, santé, éducation et formation professionnelle) ; la relance de la francophonie en faisant des efforts sur l’enseignement de la langue, et le soutien de l’État aux entreprises nationales pour restaurer l’audace d’investir à l’image du groupe Duval qui ose « mettre le paquet sur l’Afrique [et] enregistre une croissance à deux chiffres » (77), sont autant de leviers pour opérationnaliser le co-développement « gagnant-gagnant », asseoir notre influence et développer notre économie. Ces mesures pourraient démultiplier leurs effets en mettant à contribution le Service national universel (SNU) selon une formule adaptée incluant la mise à disposition d’étudiants volontaires durant leurs années de césure en milieu ou fin de formation supérieure diplômante afin de générer transferts de compétence et rayonnement. Porteur de sens, l’engagement de la jeunesse française au profit du développement de l’Afrique constituerait, en outre, un facteur d’apaisement et de cohésion nationale. Le déploiement massif de moyens civils en Afrique, contribuerait, enfin, à réduire le sentiment de la surexposition militaire, par la dilution des forces qui en résulterait mécaniquement.
L’action militaire en appui : sécurisation de nos intérêts et acceptabilité de la présence française
Dans le domaine de la sécurité
L’action militaire directe ne devra être envisagée qu’en dernier recours et selon des modalités ponctuelles où les modes d’action « va et vient » seront préférés aux interminables et incertaines missions de stabilisation. Pour sécuriser nos intérêts, le prépositionnement de forces en Afrique répond à un triple impératif dont ne peuvent s’acquitter les unités stationnées en France : garantir la bonne exécution d’une opération d’évacuation de ressortissants en sécurisant d’emblée les points d’entrée du théâtre, intervenir rapidement sur un événement mineur avant qu’il ne se transforme en crise majeure, disposer d’une force minimale apte à décourager un adversaire de passer à l’acte, notamment dans le cadre des accords de défense. La question du volume déployé est cruciale, car d’elle dépend notre aptitude à maintenir ouverts les accès aéroportuaires nécessaires à l’acheminement de renforts procurant la masse critique pour réaliser les missions d’ampleur. Réduire davantage le dispositif actuel, « taillé à son strict minimum » (78), ferait peser un risque opérationnel et donc politique, trop important par rapport au gain escompté. Risque stratégique d’autant plus grand que le signal envoyé conforterait aussi la stratégie russe à poursuivre son objectif d’éviction de la France.
Dans le domaine de l’acceptabilité
Les armées ont aussi un rôle à jouer. D’une part, les bases, tant décriées dans les moments de doute mais toujours saluées dans les moments critiques (79), pourraient appuyer le déploiement de moyens civils en se reconfigurant en « plateformes de développement et de coopération », atténuant aussi au passage l’image colonialiste que leurs détracteurs dénoncent. D’autre part, agissant en deuxième rideau des partenaires africains, les forces prépositionnées pourraient accroître leur offre partenariale dans les domaines du renseignement, de l’appui aux opérations, de l’entraînement, de la formation ainsi que du soutien aux exportations. Enfin, exploitant l’ADN de « soldats bâtisseurs » caractérisant les armées françaises, les forces prépositionnées pourraient agir directement au profit des populations dans les domaines essentiels du génie civil. En appui des forces africaines, des actions civilo-militaires comme la réhabilitation de pistes, d’écoles, de bâtiments publics, de puits, etc., sont envisageables et souhaitables, au regard de l’impact positif qui en résulterait via la mise en œuvre de moyens du génie, mais aussi du SNU.
Intimité stratégique
Une démarche d’intimité stratégique devrait viser à raffermir les liens unissant la France à ses partenaires africains pour transformer le « je t’aime, moi non plus » en « moi aussi (80) ». Elle suppose :
• D’élargir tous azimuts l’offre de formation. Forger un ADN de pensée commun et une vision partagée des affaires du monde constitue un levier puissant d’influence sur le long terme. Obtenir le meilleur rendement impose, néanmoins, d’investir en massifiant notre offre de formation au profit des élites, civiles et militaires, mais aussi aux corps intermédiaires ainsi qu’au monde de l’apprentissage. L’attente africaine est très forte et c’est en métropole que nous formerons les meilleurs futurs ambassadeurs de la France. Aussi, l’assouplissement de notre politique des visas pour les étudiants africains est nécessaire, sans pour autant remettre en cause le principe du raffermissement général d’une politique d’immigration choisie.
• De nouer des liens durables de proximité : Des liens interpersonnels, d’abord, tissés sur le temps long, pour mieux comprendre l’autre et son environnement. Le déploiement d’un large dispositif de coopération civil au cœur des sociétés africaines ainsi que le passage aux séjours de longue durée pour les militaires constitueraient les voies de mise en œuvre. Toutefois, l’africanisation de nos bases pose question, notamment au regard du risque politique fort qui en résulterait (81). Des liens matériels, ensuite, qui prolongeraient naturellement la temporalité de la relation par des besoins concrets de maintenance et de renouvellement des équipements. Dans le domaine de la défense, par exemple, les armées pourraient œuvrer de concert avec les industriels, afin de concevoir des équipements rustiques et bon marché, dont nous aurions l’usage dans le cadre de la Défense opérationnelle du territoire (DOT) notamment, et qui soient à la portée financière de nos partenaires africains. En d’autres termes, le développement d’une « technologie Dacia » destinée aux partenariats militaires ainsi qu’à la DOT, en parallèle de la « technologie Porsche » pour la guerre haute intensité, constituerait une double opportunité : croissance importante de notre Base industrielle et technologique de défense (BITD) et concurrence aux offres russes et turques. La demande est, là aussi, forte en la matière (82).
Laboratoire d’une hybridité assumée
L’objectif stratégique n° 9 de la Revue nationale stratégique de 2022 (83) témoigne de la détermination politique à ne plus subir le contournement de la puissance en assumant désormais d’agir dans les champs hybrides. L’espace stratégique africain est le laboratoire tout indiqué pour mettre concrètement en application les actions relevant de ce champ.
Concrétiser la nouvelle fonction stratégique d’influence
La réplique tardive – et sans doute un peu timide – à la sortie du film américain Black Panther (84), témoigne de la jeunesse d’une fonction stratégique en chantier et dont l’édifice reste à bâtir. Cette question est d’autant plus délicate qu’une fois sur le ring, les démocraties, à l’inverse des régimes autoritaires peu scrupuleux, ne peuvent porter de coups illégaux – comprendre contraires au droit international – sous peine de perdre l’essence même de ce qui fonde leur force : la légitimité par la confiance et le respect du droit. Alors, comment mettre en œuvre une stratégie d’influence ?
Cette mise en œuvre passe par l’identification des effets et des cibles. Revigorer le désir de France signifie reprendre l’initiative en s’adressant d’abord à nos partenaires africains et tout particulièrement à leur jeunesse. Dans une manœuvre d’ensemble orientée à l’échelon central et mise en œuvre sous l’égide des ambassades, des messages adaptés aux réalités locales devraient être massivement assénés, de sorte qu’ils finissent par s’ancrer dans les esprits. Il s’agit de discréditer les compétiteurs stratégiques en pointant exactions et prédations, mais surtout de valoriser l’action positive de la France au service de nos partenaires. Tout reste à faire dans ce domaine, si l’on en juge l’occasion manquée de l’inauguration du TER de Dakar, financé par la France, mais largement passée sous les radars. Pire, il arrive parfois même que d’autres s’arrogent les honneurs à notre place, comme ce fut le cas de l’hôpital de Niamey financé en grande majorité par la France et pour lequel la Turquie a été mise à l’honneur le jour de l’inauguration (85). Enfin, s’agissant de nos adversaires et autres activistes panafricains ouvertement hostiles, l’entrave et le signalement stratégique comme l’exercice aéroporté Michel (86), devraient être plus systématiquement recherchés.
L’identification des leviers est indispensable. En parallèle des moyens nationaux et institutionnels, nécessaires mais peu efficaces car peu audibles, l’effort doit surtout porter sur l’usage le plus large d’acteurs relais privés et locaux, afin de saturer le paysage, et porter nos productions et récits par d’autres pour en maximiser les effets. Le recours décomplexé à des leviers amplificateurs comme ceux d’entrepreneurs africains du numérique dont le modèle économique repose sur le nombre de « clics » (87), est une piste à explorer pour atteindre le graal de la « viralité ». Les productions devraient porter des messages simples, finement calibrés sur des formats divers (bandes dessinées, dessins animés, affiches, vidéos…) et adaptés aux réalités locales afin de toucher le plus grand nombre. Dans le respect de nos valeurs, elles banniraient mensonge et désinformation, mais ne devraient pas hésiter à jouer sur l’ambiguïté pour instiller le doute, le trouble et la discorde chez l’adversaire. Enfin, l’offre française de formation « tous azimuts », vecteur d’influence par nature, mériterait aussi d’être déployée au profit des journalistes africains grâce à un volet médias.
Repousser Wagner : symbole du rendement stratégique retrouvé
Si l’action de la « galaxie Prigojine » ciblant la France appelle une réaction, cette dernière ne doit pas nous détourner de notre effort principal portant sur nos partenaires africains. Pour autant, refouler Wagner, c’est-à-dire casser sa dynamique d’expansion et fragiliser ses acquis, offrirait un succès visible à court et moyen termes. En démontrant les effets produits par notre nouvelle stratégie africaine, ce quick win permettrait de maintenir la mobilisation de l’effort national dans la durée. Dit autrement, en attendant de récolter les fruits de notre effet majeur, il s’agit de nourrir l’impatience de notre société en lui offrant rapidement des résultats concrets au travers de trois leviers : discrédit, ciblage et déstabilisation.
• Discréditer grâce à la guerre informationnelle pour réduire la liberté d’action de l’adversaire à l’aide d’embuscades réputationnelles de type Gossi (88) montées de manière proactive en poussant à la faute des miliciens de Wagner, persuadés d’agir en toute impunité.
• Cibler les chaînes d’approvisionnements logistiques ainsi que le modèle économique du groupe qui repose sur l’extraction de ressources précieuses afin de fragiliser sa capacité à opérer à l’aide de sanctions économiques et d’opérations spéciales ou clandestines.
• Enfin, déstabiliser la galaxie Prigojine en attisant les profondes inimitiés et rivalités opposant son leader à l’armée ainsi qu’aux hauts responsables du pouvoir russe, comme c’est le cas actuellement dans le cadre de la guerre d’Ukraine (89).
Conclusion
Quelle stratégie pour la France en Afrique ? Notre dilemme africain s’apparente à celui du Commonwealth pour le Royaume-Uni. Le récit de Global Britain s’interroge sur son avenir : « n’est-ce que le fantôme d’un empire disparu » ou bien l’avantage comparatif sur lequel s’appuyer pour exercer sa puissance (90) ? Continent de défi, mais aussi de toutes les promesses et dont les enjeux sont de taille pour l’Europe, l’Afrique s’affiche comme l’espace stratégique sur lequel la France doit agir en priorité afin de réaliser son ambition de puissance moyenne car c’est dans celui-ci que nous concentrons les meilleurs leviers d’action et la plus grande capacité à peser dans les affaires.
En 2017, le Président Macron déclarait à Ouagadougou « [qu’]il n’y a[vait] plus de politique africaine de la France » (91). La forte « volonté d’inversion copernicienne » affichée à cette occasion, traduisait l’intuition politique d’un modèle stratégique à bout de souffle. Six ans plus tard, prenant en compte le retour désinhibé de la compétition stratégique, le Président confirme le besoin de dresser une nouvelle stratégie française en Afrique qui défende nos intérêts avec pragmatisme et réalisme.
Le cap donné a toutes les chances de réussir, sous réserve de remettre du carburant dans le réservoir afin que le moteur retrouve du couple et reparte de plus belle. Car certaines réalités persistent, comme celle de la loi du rendement stratégique qui dépend tout autant des voies empruntées que des moyens consentis. Continuer d’ajuster uniquement le curseur des voies au travers d’approches « disruptives » et « innovantes » ne changera pas les choses. La « militarisation de la politique étrangère » est un choix politique qui a souvent montré ses limites, soutient l’historien Hew Strachan (92). Dans notre cas africain cette idée s’est vérifiée durant les vingt-cinq dernières années, puisque l’abandon progressif du champ d’action civil s’est traduit par la chute de notre rendement stratégique d’abord dans le champ économique puis, aujourd’hui, dans celui de l’influence et du champ sécuritaire.
Renverser la table consisterait donc moins à poursuivre le repli, cette fois dans le domaine militaire, que d’oser changer de garde pour boxer en gaucher, c’est-à-dire, en réinvestissant massivement dans le champ civil pour retrouver un rendement stratégique aligné avec nos ambitions. Les conséquences du désinvestissement dans des secteurs clés que l’on observe aujourd’hui en période de crise énergétique, par exemple dans la filière nucléaire française, nous rappellent qu’il n’existe pas de solution magique. Repasser de l’efficience à l’efficacité, retrouver des marges de manœuvre souveraines impose de réinvestir de façon durable et visible en rééquilibrant le cap donné par la boussole des valeurs/intérêts, car s’enfermer dans un jusqu’au-boutisme idéologique nous conduirait à de graves déconvenues stratégiques.
L’effort stratégique proposé se tourne en priorité vers les attentes de nos partenaires africains en vue de raviver la flamme du désir de France. Une nouvelle approche combinant engagement, lisibilité, constance et patience stratégique est nécessaire pour renouer la relation de confiance et construire un futur commun. En fond de tableau, une compétition stratégique pleinement assumée devrait être menée selon des modalités indirectes et avec un rapport décomplexé à l’hybridité. L’immense défi qui nous attend peut faire peur et la marche sembler trop haute à monter. Nous sommes convaincus que l’audace stratégique sera payante.
Serait-il donc « trop tard » ? Assurément non, sous réserve que le bon diagnostic soit posé pour y appliquer le bon remède. Il est temps d’agir ! ♦
(1) Gomart Christophe, « Il aurait fallu pouvoir partir dès 2013 », La Croix, 11 janvier 2023.
(2) Leboeuf Aline, « La compétition stratégique en Afrique, approches militaires américaines, chinoises et russes », Focus stratégique n° 91, Institut français des relations internationales (Ifri), août 2019 (https://www.ifri.org/).
(3) Clausewitz Carl, On War (traduit par Howard Michael et Paret Peter), Editions Princeton University Press, 1976, p. 528 et 582.
(4) Clément-Bollée Bruno, « Fini, l’Afrique dominée, place à l’Afrique souveraine et son message : l’Afrique aux Africains ! », Le Monde, 26 janvier 2023.
(5) Entretien de l’auteur avec un diplomate en poste ainsi qu’un haut responsable politique national.
(6) Macron Emmanuel, « Le Partenariat Afrique-France : discours du Président à la veille de son déplacement en Afrique centrale », 27 février 2023 (www.elysee.fr/).
(7) Koungou Léon, « Russie : la guerre de l’implantation en Afrique », RDN n° 856, janvier 2023.
(8) Entretien de l’auteur avec Selma Mihoubi, enseignante et docteure au sein de Sorbonne Université, autrice de la thèse « géopolitique des médias chinois en Afrique de l’Ouest ».
(9) Garcia Ilan, « S’allier pour durer : nouvel axiome de la stratégie française au Sahel », Cahier de la RDN « La crise des alliances », juillet 2022, p. 94-95 (www.defnat.com/).
(10) Gomart Thomas, « la France doit rompre avec son nombrilisme stratégique », La Croix, 6 février 2023 (www.la-croix.com/).
(11) Bansept Laurent et Tenenbaum Élie, « Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », Focus stratégique n° 109, Ifri, mai 2022, p. 36-40.
(12) Threard Yves, « Le Président du Congo au Figaro : “La paix en Libye freinerait le drame des migrants” », Le Figaro, 11 janvier 2023.
(13) Bat Jean-Pierre, « Le rôle de la France après les indépendances. Jacques Foccart et la Pax Gallica », Afrique contemporaine, vol. 235, n° 3, 2010, p. 43-52.
(14) Le soutien de la France est désormais conditionné par le ralliement des partenaires africains au modèle démocratique.
(15) 10 000 soldats français sont présents en Afrique en 1973 contre 3 100 aujourd’hui. 40 bases permanentes sont actives en 1964 contre 4 aujourd’hui.
(16) Goya Michel, Le temps des guépards, Tallandier, 2022.
(17) Ibidem, p. 29-30 et 170.
(18) Bensimon Cyril, « Afrique, l’heure des comptes avec Paris », Le Monde, 7 novembre 2022.
(19) Bansept Laurent et Tenenbaum Élie, op. cit., p. 26.
(20) Macron Emmanuel, « Discours à l’Université de Ouagadougou », 28 novembre 2017 (https://www.elysee.fr/).
(21) Mbembe Achille, « Les nouvelles relations Afrique-France : relever ensemble les défis de demain », Rapport, octobre 2021, p. 7-8.
(22) Wilén Nina, « L’Afrique dans le grand jeu mondial », Le Rubicon, 11 janvier 2023 (https://lerubicon.org/).
(23) En 2022, la croissance de l’Afrique tangente celle de l’Asie entre 4 et 5 % (FMI, world economic outlook database) (https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2023/04/11/world-economic-outlook-april-2023).
(24) Wilén Nina, op. cit.
(25) Bansept Laurent et Tenenbaum Elie, op. cit., p. 38.
(26) L’Afrique représente moins de 5 % du commerce extérieur français.
(27) Fabre Thierry, « La nouvelle bataille d’Afrique », Challenges, 2 février 2023.
(28) Gaymart Hervé, « Relancer la présence économique française en Afrique : l’urgence d’une ambition collective de long terme », Rapport au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et au ministre de l’Économie et des Finances, avril 2019 (https://www.economie.gouv.fr/).
(29) Entretien de l’auteur avec la cellule Afrique du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO/J5 Afrique). Près de 150 000 ressortissants nationaux et presque autant d’Européens sont présents en Afrique.
(30) National Intelligence Council, Le monde en 2040 vu par la CIA, un monde plus contesté, Équateurs, mai 2022, p. 53.
(31) Union européenne, Une Boussole stratégique en matière de sécurité et de défense, mars 2022, 72 pages (https://www.eeas.europa.eu/sites/default/files/documents/strategic_compass_fr_4.pdf).
(32) Pons Frédéric, « L’humiliation française au Sahel », Conflits n° 42, novembre 2022, p. 6.
(33) Wilén Nina, op. cit.
(34) Pellerin Mathieu, « Les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest : Nouvelle terre d’expansion des groupes djihadistes sahéliens ? », Notes de l’Ifri, février 2022, p. 25-26 (https://www.ifri.org/).
(35) Lasserre Isabelle, « La Russie livre-t-elle une guerre par procuration contre la France en Afrique ? », Le Figaro, 6 février 2023.
(36) Koungou Léon, op. cit.
(37) Lasserre Isabelle, op. cit.
(38) Sueur Olivier, « La stratégie de sécurité nationale 2022 des États-Unis : prendre acte de la fin d’un monde », RDN, n° 856, janvier 2023, p. 116 (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=23082&cidrevue=856).
(39) UK Prime Minister, « Global Britain in a Competitive Age: the Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy », mars 2021, p. 14 (https://assets.publishing.service.gov.uk/).
(40) Guiffard Jonathan, op. cit.
(41) Boussion Mathilde, « Josep Borrell : “Wagner en Afrique est devenue la garde prétorienne des dictatures militaires” », Le Monde, 30 janvier 2023.
(42) Ben Yahmed Marwane, « Mali, Guinée, Burkina : comment sortir de l’impasse », Jeune Afrique, 1er janvier 2023 (https://www.jeuneafrique.com/).
(43) Raffray Mériadec, « Pourquoi la France pourrait aussi quitter le Burkina Faso », Valeurs actuelles, 26 janvier 2023 (https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/monde/pourquoi-la-france-pourrait-aussi-quitter-le-burkina-faso).
(44) Burkhard Thierry, « Pas de stratégie sans influence, pas d’influence sans stratégie », RDN, n° 856, janvier 2023, p. 13-14 (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=23065).
(45) Tenenbaum Élie, op. cit.
(46) Cavoli Christopher, Supreme Allied Commander Europe, « Hard power is a reality », janvier 2023.
(47) « Avec son armée de “deuxième division”, le Royaume-Uni inquiète ses alliés », Courrier international, 20 février 2023.
(48) Government of the United Kingdom, Integrated Review Refresh 2023 Responding to a more contested and volatile world, 63 pages, mars 2023 (https://assets.publishing.service.gov.uk/).
(49) « En Afrique, la diplomatie française tâtonne », Le Point, 23 février 2023 (https://www.lepoint.fr/).
(50) Les zones et les pays cités résultent des entretiens menés par l’auteur avec des hauts responsables de la DGRIS et du Minarm.
(51) Clément-Bollée Bruno, op. cit.
(52) Baverez Nicolas, « Joe Biden: “America is great again” », Le Point, 18 février 2023 (https://www.lepoint.fr/).
(53) « Washington a lancé récemment une offensive de charme […] affichant 55 milliards d’aides nouvelles ». Fabre Thierry, op. cit.
(54) Entretien de l’auteur avec Bertrand Badie.
(55) Guiffard Jonathan, « Une solution providentielle surestimée : dissiper le mirage de l’offre sécuritaire russe en Afrique et ailleurs », Institut Montaigne, 11 janvier 2023.
(56) Entretien de l’auteur avec un très haut responsable des armées.
(57) Mihami Alicia, « Wagner classée comme organisation criminelle : quelles répercussions pour le groupe paramilitaire russe ? », TV5 Monde, 21 janvier 2023 (https://information.tv5monde.com/).
(58) Airault Pascal, « Éthiopie : la France et l’Allemagne cherchent à concurrencer la Chine », L’Opinion, 11 janvier 2023.
(59) Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, La stratégie française pour l’Indopacifique : des ambitions à la réalité (Rapport d’information n° 285), Sénat, 25 janvier 2023 (www.senat.fr/).
(60) En 3e priorité derrière la zone Afrique-méditerranée et Moyen-Orient. Entretien de l’auteur avec un haut responsable de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense.
(61) 400 000 soldats américains sont déployés dans la zone. De son côté, la marine chinoise, en pleine expansion (produit l’équivalent de la marine française tous les 3 ans), dépasse déjà quantitativement la marine américaine. En 2050, elle pèsera deux fois et demie de plus en tonnage.
(62) « C’est au pied de la falaise qu’on s’aperçoit qu’elle est sacrément haute ! Nous devons être conscient de nos limites et ne pas pécher par orgueil ». Entretien de l’auteur avec un haut responsable du ministère des Armées.
(63) Le déficit de la balance commerciale avec l’Inde a été multiplié par trois entre 2020 et 2023 (716 M à 3 Md €). Il s’est aussi fortement creusé avec la Chine passant de 32 à 40 Md sur la même période.
(64) Zalewski Frédéric, « Le réarmement massif de la Pologne : causes, conséquences, controverses », The Conversation, 6 octobre 2022 (https://theconversation.com/). Voir également, sur l’Allemagne : Agence France Presse (AFP), « Guerre en Ukraine : l’Allemagne annonce 2,7 milliards d’euros de livraisons d’armes à Kiev », L’Express, 13 mai 2023 (htttps://www.lexpress.fr/).
(65) Clémenceau François, « Sébastien Lecornu : “notre objectif est d’avoir 100 000 réservistes” », Journal du dimanche, 19 novembre 2022 (https://www.lejdd.fr/).
(66) Au gré du désinvestissement français en Afrique, notre part de marché a chuté de 30 % (1960) à 10,6 % (2002) puis 4,4 % (2021). À l’inverse, la politique d’investissement chinoise a vu sa part bondir de 3,8 à 18,8 % en vingt ans.
(67) Guiffard Jonathan, « Le sentiment anti-français en Afrique de l’Ouest, reflet de la confrontation autoritaire contre “l’Occident collectif” », Institut Montaigne, 4 janvier 2023 (https://www.institutmontaigne.org/).
(68) Entretien de l’auteur avec Bertrand Badie.
(69) Ollivier Jean-Yves et Mbabazi Amama, « L’Afrique, médiatrice de la paix entre l’Ukraine et la Russie ? », Le Figaro, 13 février 2023.
(70) Daoud Kamel, « Guerres, c’est en Afrique justement, qu’on est moins atteint », Le Point, 10 janvier 2023.
(71) Clémenceau François, op. cit.
(72) Opération d’envergure pour des armées résilientes, interopérables, orientées vers la haute intensité, et novatrices. Ministère des Armées, « Exercice Orion 23 » (https://www.defense.gouv.fr/).
(73) Saiget Marie et Grajales Jacobo, « Repolitiser l’étude de l’aide au développement », Culture et conflits n° 126, août 2022.
(74) L’UE est le premier partenaire commercial de l’Afrique loin devant la Chine et les États-Unis. Elle consacre chaque année 65 Md d’APD et 41 Md d’investissement directs à l’étranger.
(75) Entretien de l’auteur avec un haut responsable français servant comme conseiller au sein d’une mission UE d’assistance aux forces de sécurité nigériennes.
(76) Chesnot Christian, « “Nous sommes les démons de Macron” : des dessins animés discréditent l’armée française au Sahel et encensent le groupe Wagner sur les réseaux sociaux », France info, 24 janvier 2023 (https://www.francetvinfo.fr/).
(77) Fabre Thierry, op. cit.
(78) Tenenbaum Élie, op. cit.
(79) Remises en question dans les travaux des Livres blancs de 2008 et 2013, leur fermeture n’a pourtant jamais été actée devant la preuve de leur utilité au gré des crises successives au Tchad, en République centrafricaine (RCA) et encore dernièrement au Soudan. Dans ce moment de compétition stratégique, il est surprenant d’avoir vu ressurgir la question alors que les États-Unis ont décidé d’annuler la réduction de leurs avant-postes opérationnels et que la Russie et la Chine cherchent à multiplier leurs points d’appuis en Afrique.
(80) Konan Venance, « Afrique : même Macron, qui est jeune, a des réflexes paternalistes », Le Point, 28 février 2023.
(81) Le cas de figure où une armée nationale viendrait à perpétrer des exactions ou encore devenir l’instrument d’un génocide, placerait mécaniquement la France dans un rôle de complice, voire d’instigateur. Un tel scénario ne peut raisonnablement pas être écarté et s’additionne à la question de la sécurité des biens et des personnes françaises résidant dans les bases.
(82) « Le Sénégal souhaiterait acheter plus d’équipements militaires à la France », RFI, 22 février 2023 (https://www.rfi.fr/).
(83) Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), Revue nationale stratégique, 2022, 60 pages (https://www.sgdsn.gouv.fr/).
(84) Coupeau Maxime, « Nous ne sommes pas des mercenaires ni des pilleurs de l’Afrique », Valeurs Actuelles, 15 février 2023.
(85) Entretien de l’auteur avec un haut responsable du ministère des Armées.
(86) Exercice franco-ivoirien de projection d’une force conjointe d’Abidjan à Yamoussokro, renforcée par un échelon aéroporté en provenance directe de la métropole s’étant tenu en 2021.
(87) Audinet Maxime et Limonier Kévin, « Le dispositif d’influence informationnelle de la Russie en Afrique subsaharienne francophone : un écosystème flexible et composite », Questions de communication, n° 41, 2022, p. 139.
(88) Furtade Anaïs, « Charnier de Gossi au Mali : analyse d’une propagande anti-française », TV5 Monde, 22 avril 2022 (https://information.tv5monde.com/).
(89) « Guerre en Ukraine : “Choïgou, Guerassimov ! Où sont les p*** de munitions ?”, s’emporte le patron de Wagner », Le Figaro, 5 mai 2023 (https://www.lefigaro.fr/).
(90) Gaulme François, op. cit., p. 27-30.
(91) Macron Emmanuel, « Discours à l’Université de Ouagadougou », op. cit.
(92) Stratchan Hew, « The lost meaning of strategy », Survival, vol. 47, n° 3, 2005, p. 52.