Introduction aux Assises nationales de la recherche stratégique
L’an dernier, lorsque nous avions imaginé les Assises nationales de la recherche stratégique de 2022, nous sortions d’une crise sanitaire et avions connu une crise sociale. Nous nous étions projetés vers l’idée que nous traiterions donc de la crise totale. Nous sommes passés de la crise totale à la guerre totale, dans un mouvement qu’on pourrait qualifier de clausewitzien. Nous nous étions progressivement rendus compte que nous étions passés d’un dispositif de crises successives à un état de crise permanente. Cela couvre le concept flou de crise ou guerre hybride, dont on ne sait plus vraiment ce qu’il veut dire, comme si la guerre n’avait jamais été qu’un état monolithique. Les acteurs du terrain savent qu’une bonne stratégie change quotidiennement, voire encore plus rapidement, en fonction des événements.
Le thème permettait aussi d’appréhender la manière dont les européens avaient imaginé un espace, un intermède, une heureuse parenthèse, qui avait permis depuis la chute du mur de Berlin, de vivre trente années d’une relative paix, croyant qu’une bande de Bisounours heureux vivrait dans une globalisation consumériste, sans adversaires et sans vrais amis, mais plutôt avec des consommateurs et des fournisseurs.
Cette parenthèse s’est refermée, plus ou moins brutalement. Cela a été signalé plus ou moins clairement. Nous n’avons pas fait d’immenses efforts pour comprendre ce qui nous était dit, répété et crié.
Nous avions donc imaginé parler de la crise totale, et nous nous demandons si nous sommes face à une guerre totale, au retour de la guerre, thème définitif.
Une vision stratégique inattendue et inédite du chef d’état-major des Armées nous a incité à choisir ce thème. Bien sûr, nos équipes comptent aussi des militaires, mais nous avons hésité. Nous avions rapidement compris que l’armée avait anticipé un changement du paradigme de la guerre en passant sur la haute intensité, et nous avons ajouté la longue intensité. Cela nécessitait une révision générale de la posture d’un pays qui avait décidé, à la fin des années 1980, d’avoir une armée petite, véloce, réduite et uniquement de projection ; une armée échantillonaire et expéditionnaire. Dans cette conception, notre armée était faite pour des missions d’interposition ou de maintien de la paix, plutôt que pour la défense du territoire, la conduite de la guerre, longuement et durement.
Nous vivons ce moment de bascule où il faut réarmer, revitaliser, redimensionner, rappeler, développer, moderniser nos armes de haute technologie – un domaine dans lequel la France est toujours dominante et en avance –, mais aussi l’ensemble de ce qui permet le conventionnel, le durable, la défense opérationnelle du territoire. Bref, il est nécessaire de fournir un effort de « quoi qu’il en coûte » aussi pour les militaires, dont les moyens étaient auparavant réduits, considérés comme la variable d’ajustement des comptables qui, trop souvent, gouvernent au lieu de contrôler. Comme le sanitaire ou le sécuritaire.
Le choix de la souveraineté nationale ne se discute pas. Il s’exprime par le soutien de la population : les Ukrainiens en font une démonstration exceptionnelle. Du fait de cette guerre commencée il y a huit ans, avec l’annexion illégale de la Crimée en 2014, une nation défend un territoire. Le peuple est en arme, et cette armée déterminée est largement soutenue par les Occidentaux. Toutefois, les armes ne suffisent pas : il faut aussi des femmes, des hommes et une volonté. Le moment est probablement venu que nous nous reposions la question de notre volonté, de nos moyens, de nos équipements, de nos budgets, pour être en mesure de répondre à la nouvelle problématique de la haute et longue intensité.
Autrement dit, cette problématique est celle du probable retour de la guerre. Le meilleur moyen de l’éviter est de s’y préparer. ♦