La guerre totale
Rémy Février
Je remercie le général Benoît Durieux, directeur de l’IHEDN et de l’enseignement militaire supérieur (DEMS). Je remercie également le général Dominique Trinquand, ancien chef de mission militaire française à l’ONU, entre autres, ainsi qu’Emmanuel Meyer, directeur des études de la prospective au commandement de l’Armée de terre. Merci beaucoup à vous d’être là.
Benoît Durieux
Le sujet de la guerre totale revient sur le devant de la scène : il s’agit d’un fait d’actualité, mais pas seulement, car l’agression russe en Ukraine n’a fait que catalyser un phénomène plus large, reflet de notre difficulté à penser la guerre après un siècle qui a vu la France, et plus largement l’Europe, en rejeter l’idée même. Après des années de paix en Europe, d’anciennes questions reviennent, lancinantes. La guerre est-elle principalement une confrontation militaire ou est-elle, plus largement, un affrontement entre des nations qui mettent à son service toutes les composantes de leur puissance ? Poser cette question, c’est poser celle de la guerre totale.
La guerre totale est un concept en réalité mal défini qui, dans le vocabulaire courant, fait référence à trois dimensions du développement d’un conflit. Un objectif illimité, d’abord, que l’on pourrait caractériser par la volonté de destruction non seulement militaire, mais aussi politique de l’adversaire : doivent disparaître non pas seulement ses forces armées, mais aussi son existence en tant qu’État souverain ou en tant qu’entité politique autonome. Assez logiquement, il s’agit ensuite de mobiliser toute la société au service de ce but comme de cibler toutes les composantes de la puissance ennemie pour l’empêcher d’atteindre ses objectifs. Enfin, la guerre totale entraîne une violence extrême, sans notion de régulation.
En réalité, par ces idées communément admises, la guerre totale est un concept qui entretient avec l’idée de guerre une relation pleine de paradoxes. Elle reste par ailleurs une ligne de fuite plus qu’une réalité tangible. L’idée conserve une pertinence pour souligner l’accroissement de risques majeurs pour nos sociétés en guerre.
Avant de parler de guerre totale, il faut parler de la guerre : la guerre réelle, qui a été un mode transitoire et violent de règlement des désaccords politiques, a historiquement été le résultat d’une dialectique entre la tendance de la montée de la violence aux extrêmes et les tentatives pour la réguler. Cette tentative de régulation a reposé sur une quadruple séparation : celle entre l’objectif militaire, permettant d’affaiblir les forces armées ennemies, et l’objectif politique, qui visait à infléchir la volonté du gouvernement adverse ; la séparation entre le temps de guerre et le temps de paix ; la séparation entre le champ de bataille et les zones qui n’en font pas partie ; dans la société enfin, celle entre les combattants et les non-combattants. Bien sûr, ces séparations ont été très loin d’être toujours respectées, mais elles ont aussi constitué un repère implicite, repris par exemple dans les théories de la guerre juste. L’idée était que la guerre étant un phénomène difficile à contrôler, il fallait le contenir. Au regard de cette analyse, la guerre totale est un concept politique qui consiste à s’affranchir de ces quatre séparations et à l’assumer, dans la confrontation avec un ennemi assimilé au mal.
La guerre totale assume ainsi quatre transgressions. S’affranchir d’abord de la séparation entre objectif politique et objectif militaire en les fusionnant : on cible militairement un objectif politique, par exemple le siège du gouvernement. La forme la plus pure de cette fusion est bien l’annihilation de l’entité adverse. S’affranchir de la borne temporelle, ensuite, par l’absence assumée de toute fin au conflit tant que l’ennemi n’est pas éradiqué, ce qui va souvent de pair avec un objectif illimité. S’affranchir des bornes géographiques, encore, en n’épargnant aucune partie de l’espace. S’affranchir, enfin, de la distinction entre non-combattants et combattants : on mobilise toute la société et on agresse les non-combattants et plus largement tous les citoyens adverses, rendus responsables du soutien à une résistance à laquelle est refusée toute légitimité. Ainsi, la guerre totale ignore ces caractères constitutifs de la guerre classique et l’assume, pour obtenir des résultats plus rapides et plus complets.
Contrairement à une idée naturelle, la guerre totale est plus idéaliste que la guerre classique. Il faut d’abord reconnaître que la guerre totale est historiquement rare. On pense à des guerres de l’Antiquité, par exemple lorsqu’Athènes décida de détruire la cité mélienne ou que Rome mit fin à l’existence de Carthage. On pense sans doute aussi à la Seconde Guerre mondiale, même si ce conflit s’analyse comme un système de guerres limitées dans le temps et l’espace sur les différents théâtres d’opérations, seul son dernier volet revêtant pleinement les attributs d’une guerre totale. La guerre en Ukraine présente certaines caractéristiques de la guerre totale, par l’implication et le ciblage d’une part croissante de la population et un objectif proche d’être illimité. Elle présente toutefois des éléments de la guerre limitée : elle a eu un début dans le temps et a été en fait déclarée par le Président russe ; elle observe pour l’instant une limitation spatiale, le conflit étant, pour l’essentiel, demeuré fixé par les deux belligérants sur le territoire ukrainien. Par ailleurs, aucune guerre n’est entièrement totale jusqu’à son achèvement. On observe plus généralement une ascension aux extrêmes, qui semble ne jamais atteindre de plafond. Ainsi, la guerre totale est une dynamique, une extension sans fin dans les objectifs, les pans de la société ciblés et l’intensité de la violence utilisée plus qu’un état de fait qui pourrait durer. Pour une raison simple : le belligérant est toujours tenu de conserver des réserves, un potentiel de combat pour la suite du conflit et il limite donc nécessairement son effort dans le présent. Il faut également, et sans doute pour cette dernière raison, observer que la guerre totale n’est pas symétrique. Généralement le parti agressé ou le plus faible va ressentir l’agression dont il est l’objet comme totale alors même que l’agresseur n’aura engagé qu’une partie de ses ressources.
L’Ukraine ressent que la guerre qui la touche est totale car elle peut, à bon droit, suspecter que l’objectif est de la priver d’existence politique, que toute sa population est ciblée, que tout son territoire est concerné et que la fin n’est pas en vue. En revanche, la Russie n’a pas engagé toutes ses ressources, n’a pas recours aux armes nucléaires, qui témoigneraient de l’intensité extrême de la violence employée, et ne peut accuser l’Ukraine de vouloir porter atteinte à son existence. Enfin, si la guerre totale est non seulement rare, mais en réalité jamais réalisée puisqu’elle peut toujours être rendue davantage « totale », elle s’inscrit en revanche pleinement dans le registre du discours. Ce peut-être un slogan mobilisateur pour le gouvernement qui souhaite tendre les énergies ou plus sûrement une accusation portée contre l’ennemi compte tenu de la dimension péjorative du concept. Ce peut être aussi une menace contre l’adversaire. La Russie a utilisé ces trois registres. En parlant d’opération militaire spéciale, Vladimir Poutine a cherché à relativiser la portée du conflit qu’il déclenchait : ce n’est pas une guerre totale, si ce n’est même pas une guerre. Il accuse, a contrario, l’Ukraine – et plus largement le camp occidental – de mener contre la Russie une guerre de civilisation, donc totale. Il mobilise graduellement une part croissante de la nation russe. Enfin, lui ou ses fidèles menacent régulièrement l’Ukraine de la renvoyer à l’âge de pierre. Si la guerre totale est un discours, elle demeure comme le phénomène auquel elle renvoie une dynamique du discours plus qu’un aspect objectivable de la réalité.
Pourtant, le développement qui précède ne doit pas conduire à penser que la guerre totale, parce qu’elle est plutôt une tendance qu’une réalité, désigne une illusion. On observe, en effet, quatre facteurs qui augmentent la probabilité de voir la dynamique de la guerre totale trouver son carburant. En premier lieu, c’est paradoxalement l’oubli de la guerre dans les sociétés développées qui la rend plus facilement imaginable. Un dirigeant comme Vladimir Poutine n’a sans doute pas à l’esprit les mêmes références qu’un Nikita Khrouchtchev qui avait combattu durant la Seconde Guerre mondiale. L’augmentation des dépenses militaires traduit, ou accroît, la propension plus grande des dirigeants à employer la force armée de « haute intensité ».
En deuxième lieu, cette haute intensité est favorisée par la technologie, qui pose en de nouveaux termes la question de la guerre totale, car elle fragilise les séparations qui servent à réguler la guerre : les moyens de cyberattaques comme les moyens de frappes à distance par des missiles balistiques ou hypersoniques s’affranchissent largement de toute idée d’espace de bataille. Leur mise en œuvre implique aussi bien des civils que des militaires et les moyens industriels, financiers ou scientifiques qui sont nécessaires à leur élaboration engagent toute la société. Ces nouveaux moyens visent plutôt des cibles civiles, politiques ou économiques que militaires. Ils se caractérisent par des puissances de destruction qui, en dépit de leur précision, représentent un début de montée aux extrêmes.
En troisième lieu, le recours de plus en plus fréquent au concept de guerre hybride, censé emporter une continuité entre paix et guerre, et tenir compte de la globalité des enjeux, porte en lui le risque d’habituer les esprits à l’hypothèse d’une riposte militaire à des actes non militaires, et donc à une dynamique de guerre totale qui envahit tout l’espace social.
En quatrième et dernier lieu, le risque de guerre totale le plus grand n’est pas entre États mais au sein des États eux-mêmes, car les exemples les plus probants de guerre totale sont les guerres civiles, sans bornes ni temporelles ni spatiales ni sociales, avec des objectifs illimités. Or, les conflits interétatiques restent, aux marches de l’Europe, les plus nombreux. C’est probablement le risque le plus élevé de développement de guerres totales.
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En conclusion, réfléchir à la guerre totale, c’est nécessairement réfléchir à un concept qui prétend effacer toutes les limites pour mettre en valeur les continuités. Il est toujours tentant – et souvent plus facile –, de mettre en exergue les continuités dans les phénomènes sociaux. Il y a souvent des éléments de continuité, car l’espace, le temps et les sociétés humaines présentent des continuités. Néanmoins, penser l’action, c’est précisément fixer des seuils et des éléments de discontinuité. La frontière, la durée des mandats politiques, les différences linguistiques et culturelles sont des éléments de discontinuité. Dans le domaine de la guerre, il est sain de se rappeler la tendance du phénomène à « s’échapper de son lit » suivant la formule de Clausewitz et donc l’intérêt de la cantonner par les séparations qui l’ont historiquement caractérisée. La guerre ne peut trouver son sens, le retour à la paix, que si elle est limitée dans le temps, l’espace et le champ social. La dynamique d’extension de la guerre peut être tentante à court terme, mais elle inverse la formule de Clausewitz en mettant la politique au service de la guerre. Pour cette raison, elle ne concourt pas à une paix de long terme et doit donc être évitée.
Emmanuel Meyer
(Ces propos n’engagent que leur auteur et ne constituent en rien une quelconque position officielle).
La guerre totale est un phénomène plus complexe à définir qu’il n’y paraît. Il s’agit d’un phénomène historiquement récent que l’on peut aisément dater. Si toute guerre connaît une montée aux extrêmes et si les guerres de la période révolutionnaire en ont changé la physionomie, l’idée d’une guerre totale apparaît en 1916-1917 au moment où l’Empire allemand, qui commence à étouffer sous l’effet du blocus allié, mobilise toutes ses ressources pour desserrer l’étau, puis emporter la décision militaire. Les maréchaux Hindenburg et Ludendorff imposent à l’empereur et à son gouvernement de confier la direction politico-militaire de l’ensemble des opérations au Grand Quartier général. S’ensuit une inversion des normes, puisque le politique, normalement dirigeant, bascule sous la coupe du stratège, normalement subordonné à la direction politique, sauf à revenir au modèle grec antique. En découle une sujétion de l’ensemble des activités économiques, sociales et politiques à la chose militaire.
C’est là la caractéristique première de la guerre totale, l’inversion des normes qu’est la subordination de l’activité politique à un volet réduit de la stratégie, celui des opérations.
Le caractère total n’est pas directement lié au niveau de violence ou à l’hybridité du conflit. Toute guerre est en effet hybride : il n’est qu’à considérer les théoriciens du XVIIIe siècle qui distinguaient « grandes » et « petites » guerres, la bataille rangée et la guérilla, comme deux choses différentes mais complémentaires et imbriquées. En ce sens, l’irruption de la propagande et ses avatars modernes, ou encore la lutte dans le cyberespace ou l’espace extra-atmosphérique, le contre-terrorisme « étendent le domaine de la lutte » sans fondamentalement le changer.
Le caractère total de la guerre n’est pas plus lié au niveau de violence appliqué, même si la guerre dite totale admet des pics, des phases extrêmes (pour revenir à l’analyse de Clausewitz) plus nombreuses, étendues et destructrices : détruire par bombardement un atelier d’assemblage d’engins explosifs dans l’Hindu Kush ou un complexe de construction mécanique dans la Ruhr relève de finalités et méthodes identiques, seule change l’échelle. Il se fait en revanche un lien évident avec la loi des grands nombres, qu’il s’agisse des masses engagées dans et en soutien des forces opérationnelles, ou encore des destructions causées, ce qu’illustre clairement l’exemple des Première et Seconde Guerres mondiales. La guerre totale engage non seulement l’État, au premier chef par son appareil militaire, mais aussi la nation dans un conflit dans lequel se joue leur existence, leur survie.
Une différence majeure s’établit donc avec les opérations de stabilisation, de contre-insurrection ou de contre-terrorisme. Elle a trait au corollaire qui se fait entre la destruction et l’issue politique : au moins dans le modèle occidental, la guerre totale vise la destruction de la volonté et des forces de l’adversaire pour le dominer. C’est une leçon que l’on peut tirer de la bataille de Diên Biên Phu : quand le corps expéditionnaire de l’Union française cherche la destruction du corps de bataille du vietminh à des fins de pacification, Hô et Giap visent à infliger une défaite telle au corps de bataille allié qu’elle amène Paris à négocier en position de faiblesse. Il s’agit donc d’une guerre qui joue sur tous les volets pour exploiter forces de l’assaillant et faiblesses du défenseur.
La guerre totale suppose donc de pouvoir porter et encaisser des coups, une capacité de résistance et de régénération. Ceci vaut pour l’appareil militaire, mais aussi pour le tissu industriel qui constitue l’un des principaux acteurs de la régénération avec la démographie : on fait aussi la guerre de sa natalité. Cela vaut enfin pour la société dont la cohérence et la cohésion, l’adhésion aux valeurs nationales, concourent directement à la résilience. Le Royaume-Uni en a fait la démonstration en 1940-1941 ; l’Ukraine l’illustre aujourd’hui.
En d’autres termes, les principaux enjeux tournent autour de la puissance militaire (conjuguée en volume et réactivité des forces), du substrat industriel (pensé en termes de production et d’innovation), de solidité des alliances (au regard des impératifs de légitimité et de solidarité), enfin de résistance de la communauté nationale (dans sa capacité à résister aux pertes et à soutenir l’effort national). C’est probablement l’une des raisons de l’échec russe, d’avoir sous-estimé le soutien des Ukrainiens à leur indépendance, à leur État national.
La résistance ou, pour reprendre l’anglicisme en vigueur, la résilience de la communauté nationale pensée comme un ensemble et non un agrégat de « petites communautés d’intérêt », constitue une exigence fondamentale lorsque la guerre totale se profile. Elle s’exerce en effet dans un continuum « avant-arrière », théâtre des opérations – territoire national (débordant la seule métropole) évident, qu’il soit politique, sécuritaire, militaire ou économique. Nos adversaires les plus probables savent et sauront en jouer, eux dont les concepts stratégiques s’étendent sur toute la largeur et dans toute la profondeur du spectre opérationnel. C’est ce que théorise et décrit la doctrine russe dite « Gerasimov » ou encore l’ouvrage La guerre hors limites des colonels Qiao et Wang.
Or, notre modèle est fragile, d’abord du fait du caractère ténu de notre appareil militaire : le premier engagement sera celui du centre de gravité physique. Comme nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un groupe aéronaval ou un corps d’armée aéroterrestre, il devra être décisif, comme le souligne le chef d’état-major des Armées, lors de ses diverses allocutions. Il l’est, ensuite, du fait des Nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC), qui ont bouleversé le monde de l’information, le rendant à la fois immédiat, sensible et subjectif, avec des conséquences directes sur le moral des forces et des populations. Il l’est, enfin, par la mondialisation qui a structurellement transformé l’économie. L’intégration mondiale crée une dépendance aux flux et à des acteurs externes fragilisant le substrat économico-industriel, rendant l’autarcie illusoire. Contrôler les voies et les interfaces d’approvisionnement dans des espaces contestés redevient impératif, autant que le contrôle des processus de fabrication.
Or, devant nous se trouvent des adversaires déterminés à exploiter ces failles dans un affrontement total pour, si ce n’est conquérir la suprématie, au moins faire valoir et nous imposer leur conception du monde : c’est ce que démontre d’évidente façon l’agression russe contre l’Ukraine du 24 février 2022.
Dominique Trinquand
J’aborderai un sujet particulier de la guerre totale sous le prisme de la relation au citoyen. En guise d’introduction, je vais reprendre les mots de Thucydide : « La force de la cité ne réside ni dans les remparts ni dans les vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens. » L’aspect que je souhaite approfondir dans cette guerre totale en est, justement, le cœur, le centre de gravité, que représente le citoyen puisque la guerre est politique et la politique, c’est la cité qui est faite de citoyens. Aujourd’hui, ce qu’il y a d’important dans la guerre totale c’est la défense des citoyens et la capacité de toucher les citoyens de celui qui est notre adversaire. Dans la défense de nos citoyens, une autre citation, de Bernanos, cette fois : « Pourvu que le derrière tienne. » L’important dans la guerre est de s’assurer que la population et les citoyens, qui sont ceux qui sont visés par la guerre, puissent tenir.
C’est ce que l’on appelle la résistance dans l’acte de combat, ou la résilience dans la capacité morale et intellectuelle de tenir. Cela doit passer par le décryptage, l’explication et la pédagogie qui permettent de sentir la réalité des choses qui se passent et la réalité des dangers qui touchent les citoyens. Prenons l’exemple de la menace nucléaire. La dissuasion et la menace nucléaires, utilisées en particulier par Vladimir Poutine et son entourage, ont pour objectif de nous toucher et susciter les peurs. Cela fait partie de la dissuasion que de faire peur. Toucher et protéger nos citoyens c’est d’abord les informer en leur permettant de décrypter les événements et le langage de l’adversaire.
La formation fait partie de ce décryptage. Avant la suspension du service militaire, on formait les soldats. Pour le remplacer, voyons ce que propose le SNU, qui ne cherche pas à former des soldats, mais à compléter la formation des citoyens, c’est-à-dire des jeunes de seize ans qui passent une période ensemble. Dans la formation, ils apprennent qu’ils appartiennent à une même communauté, qu’ils ont plus de choses en commun que de choses qui les séparent. Cela permet également de les informer sur beaucoup d’éléments, le cyber, comment évoluer dans un monde toujours plus numérique, par exemple, l’idée étant, éventuellement, de les informer sur la manière de participer à la défense de notre pays. Certains peuvent s’engager comme soldats, policiers, pompiers, à la Croix-Rouge, dans une ONG… il y a des tas de façons de défendre son territoire et sa nation.
Les Ukrainiens nous donnent un exemple, ce ne sont pas que des mercenaires armés par les Occidentaux qui combattent, mais bien des citoyens. Il y a quelque chose qui ne trompe pas, quand vous regardez les récents événements : durant la guerre en Syrie, les migrants étaient majoritairement des hommes, tandis que les femmes restaient en Syrie pour un grand nombre. En Ukraine, ce sont les femmes et les enfants qui viennent, les hommes restent pour combattre. Voilà un exemple de résilience et de formation civique qui date du grand virage de 2014, date à partir de laquelle nombre d’Ukrainiens ne se sentaient plus russes.
Inversement : comment toucher l’adversaire ?
Il y a quelques jours, en Russie, des femmes face à des policiers leur disaient que ni l’Ukraine ni l’Otan n’avaient attaqué la Russie, mais que c’est bien la Russie qui a envahi l’Ukraine et qu’elles ne veulent pas envoyer leur fils combattre pour cela. Ces femmes ont donc été touchées par un contre-récit, cela est donc possible. Il faut que des réseaux soient organisés pour toucher la société civile russe, et l’on peut le faire, par exemple, via la messagerie cryptée, qui devient un véritable réseau social, Telegram.
Dans cette guerre totale où le cœur du sujet sont les citoyens, il faut, d’une part participer à l’éducation et à la formation des citoyens par l’éducation qui leur est donnée généralement et par le décryptage qu’on peut apporter sur les plateaux télévisés, et puis par des systèmes tels que le SNU ou d’autres systèmes qui permettent de former les citoyens.
Il faut, d’autre part, arriver à monter des réseaux qui soient des canaux d’informations, et pour cela il faut cibler la jeunesse russe qui a fui pour venir s’installer ailleurs et qui peut être utile pour toucher les réseaux russes et leur expliquer ce qui se passe réellement. ♦