Conclusion
Je souhaite remercier les intervenants et l’Administratrice générale du Cnam, celles et ceux qui étaient présents ici, et d’autres, plus nombreux, qui étaient présents de loin, en visioconférence. Et saluer le ministre des Armées qui nous a envoyé un message faute de pouvoir être avec nous.
Il était important pour le Conservatoire national des arts et métiers, le pôle Sécurité & Défense – Renseignement, criminologie, cyber, crises et l’équipe de recherche éponyme de vous accueillir sous le parrainage du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) pour pouvoir aborder les questions stratégiques majeures qui surgissent.
Depuis 2008, nous abordons des questions compliquées, en général avec un tempo d’avance. Nous l’avons fait sur les questions de dissuasion, les crises sanitaires, les crises sociales, les menaces criminelles…
Nous le faisons sur le retour de la guerre, pas parce que cela nous réjouit, ni parce que nous espérons prévoir l’avenir, voir avant tout le monde les événements futurs, mais simplement parce qu’il nous paraît nécessaire dans un espace de formation et de recherche, d’être prêts.
D’être prêts avec nos étudiants, mais aussi avec nos partenaires : l’École de guerre (EdG), l’Académie du renseignement, la Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN), la communauté du renseignement, et celles et ceux qui ont vocation à nous rejoindre.
Nous savons, depuis très longtemps – et c’est d’ailleurs la première phrase du cours du Master – qu’en général, en matière criminelle, terroriste, stratégique ou militaire, ce qui est nouveau est souvent ce que nous avons oublié.
En 1952, dix ans avant ma naissance, il y a eu un débat en France sur la création d’une Communauté européenne de défense. Elle échoua en 1954. En même temps que s’affirmait alors l’idée d’une souveraineté nationale basée sur la dissuasion nucléaire indépendante (programme lancé par un décret secret signé par Pierre Mendès France), hors de l’Otan, mais dans l’Alliance, l’idée que les débats doctrinaux affaiblissaient la dissuasion s’affirmait sous l’égide de Michel Debré.
Depuis, et cela rappelle le processus de discussion en cours avec le Chef d’état-major des armées, le ministre des Armées, le directeur de l’enseignement militaire supérieur (DEMS), le général Durieux – un grand spécialiste de Clausewitz – ou le directeur de l’EdG, nous réfléchissons beaucoup à la mise en place d’un nouvel outil de recherche et de formation sur la polémologie. Il faut savoir qu’en la matière, nous ne produisons plus de stratèges depuis Gallois, Poirier et Aron. Il ne s’agit pas de trouver d’autres historiens de la stratégie, mais bien des penseurs de la doctrine à venir face à des ennemis qui ont changé de nature. Il va falloir affronter la guerre qui revient, avec une armée renouvelée et modernisée, prête à la haute intensité et aussi à la longue intensité.
La lecture des éditoriaux de Jean-Dominique Merchet constitue un indicateur régulier sur l’état de nos forces, en matière de cannibalisation des moyens pour faire fonctionner ce qui peut encore l’être, notamment au moment où l’on est en train de débattre avec difficulté du budget du ministère des Armées, car il y a des tropismes que Bercy n’oublie jamais, même en période de combat.
Comme le rappelle Jean-Dominique Merchet, nous allons d’annonces, de souhaits, de volontés, de postures vers des renoncements généraux avec des petites avancées ici et là, des brigades communes, des opérations mixtes. Comme il le rappelait lui-même : si nous ne savons pas encore si nous allons envoyer des chars Leclerc en Ukraine, il y a dix ans, ils y manœuvraient très bien.
Il y a donc toute une série d’éléments qui nous posent problème et ce problème essentiel c’est notre amnésie. Notre amnésie par rapport à des moments et des dates particulières.
À la chute du mur de Berlin, nous espérions une grande Eurasie du commerce, de la liberté et de la démocratie. Trois ans plus tard, le premier signal que la Russie n’acceptait pas ce qui était en train de se passer survient en Serbie, en 1999. Le Premier ministre Primakov, né à Kiev en Ukraine, Premier ministre de Boris Eltsine, signalait qu’il y avait une ligne rouge en Europe, que les Occidentaux auraient rompu la confiance et que le moment était venu de se rendre compte que ça n’allait pas bien se passer si on ne respectait pas les lignes rouges.
Elles s’appelaient Kaliningrad, Ukraine et Géorgie. Depuis cette période et de manière régulière et récurrente, et tout particulièrement en 2007 à Munich, les hommes de Moscou, Vladimir Poutine en premier, affirment leur position et se préparaient à un conflit. En 2008, il se rend au Sommet de Bucarest, mais l’Otan répond à la déclaration de Munich par : « Le moment n’est pas encore venu pour l’Ukraine et la Géorgie de demander leur entrée dans l’Alliance atlantique, mais ce sera étudié plus tard. »
La quasi-totalité des pays du Pacte de Varsovie ont rejoint l’Alliance atlantique et Moscou s’est renfermé sur un espace qui lui paraît comme vital, au sens des années 1940.
Y a-t-il aujourd’hui une interrogation sur la nature exacte de qui est l’agresseur ? Aucune. La Russie de Vladimir Poutine est l’agresseur et a agressé un pays qui ne le menaçait pas, dans des conditions qui sont inacceptables et qui ne respectent aucune des lois de la guerre moderne. Entre barbarie et rusticité traditionnelle de l’armée impériale ou de l’armée soviétique.
Sur le fond, la question que nous devons nous poser est celle de ce que nous devons et pouvons faire.
Le général Burkhard, chef d’état-major des armées, a réaffirmé la nécessité de remoderniser, refinancer, réarmer une armée qui a été longtemps sacrifiée. Le problème, encore irrésolu, est que les discussions qui ont lieu vont nécessiter des moyens, certes, mais aussi une doctrine, une stratégie, une formation.
Il a fallu attendre les attentats de 2015 et 2016 pour créer des formations d’analystes du renseignement pour toute la communauté et c’est une excellente chose.
La part que le système académique doit prendre dans la défense de la souveraineté nationale, la défense opérationnelle du territoire, l’analyse des phénomènes, l’assistance, la recherche, la formation est indispensable.
Ceci concerne autant les étudiants professionnels, dont certains d’entre eux viennent de l’École de guerre, d’autres sont des militaires d’active, certains en parcours doctoral, d’autres en parcours d’habilitation à diriger des recherches (HDR), cela nous semble absolument indispensable.
Nous devons y prendre notre part. Nous le discutons déjà avec le ministère des Armées et nous affirmons sans problème que c’est un des rôles d’un espace aussi formidable que celui du grand établissement qu’est le Conservatoire national des arts et métiers. En effet, son rôle essentiel c’est de faire tout ce que l’université ne voulait pas faire et tout ce que l’université ne veut toujours pas faire. Nous faisons le reste. En général nous le faisons plutôt bien, à tel point que, régulièrement, l’université, dix, vingt ou trente ans plus tard, nous explique que c’est désormais son rôle à elle d’entreprendre de telles formations. Ce n’est pas grave, nous formons tout au long de la vie, et nous allons continuer sur tous les secteurs du Pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces Crises (PSDR3C). Et continuer de même avec le centre de recherches dirigé par Philippe Baumard.
Ceci veut dire que, dans les mois et les années qui viennent, nous considérons comme absolument indispensable de se préparer à la guerre pour éviter d’avoir à la faire. Sans illusions, mais avec l’espoir que la détermination nationale pèsera.
Malheureusement, quand nous formons à la gestion de crise, et Rémy Février le racontait tout à l’heure, dans ses innombrables conférences, nous sommes face à des chefs d’entreprise qui considèrent que la meilleure manière de se préparer c’est d’expliquer qu’elle n’existe pas et que le simple fait de s’y préparer pourrait amener la crise à se produire, alors que ne rien faire permettrait d’y échapper.
Ce n’est pas tout à fait notre point de vue. Se préparer ne garantit pas que la crise ne survienne pas. Nous considérons plutôt que cela offre une perspective de survie non négligeable.
C’est donc le chemin que nous essayons de parcourir avec l’ensemble des formations et des dispositifs qui ont été mis en place.
J’en profite ici pour remercier tous mes collègues du Cnam venus de toutes les équipes, de toutes les structures et qui participent sur l’ensemble des formations à ce travail.
C’est un des charmes de travailler dans cet établissement où l’espace académique est libre et ouvert, et permet toutes ces passerelles.
Je voudrais enfin remercier les équipes qui ont préparé les Assises avant de laisser le ministre conclure par son message.
Julie, Alexandra, Jérôme. Les collègues qui ont animé les séances, Rémy, Clotilde, Elyamine, Philippe, Patrick, le général Césari, Julia, les intervenantes et intervenants, vous tous qui avez pu être présents. Nous espérons vous accueillir, bien évidemment sous un même format, l’an prochain et j’espère ici aussi pour les XIIIe assises, puisque nous continuons notre partenariat avec le Secrétariat général de la défense et la sécurité nationale.
Nous n’avons pas encore trouvé le thème. Peut-être « Après-guerre », en espérant éviter « Entre-deux-guerres ». ♦