Allocution de conclusion du ministre des Armées
Note préliminaire : pour conclure les Assises nationales de la recherche stratégique 2022, le ministre des Armées s’est adressé aux auditeurs dans une vidéo diffusée à la fin de la journée. Nous la retranscrivons ici.
Je suis heureux de pouvoir m’adresser à vous par cette vidéo et, en même temps, désolé et un peu triste de ne pas vous avoir accompagnés physiquement. Malheureusement je suis retenu à l’autre bout du pays.
Je remercie Alain Bauer pour cette initiative. On connaît son attachement aux questions de sécurité, aux questions de défense, donc merci d’avoir pris le temps d’une journée pour réfléchir à ce que nous connaissons aujourd’hui en matière d’actualités tristes, dangereuses, en Ukraine, et toutes les questions que cela pose, évidemment, pour notre modèle de sécurité et de défense français.
Au fond, on le voit, on a besoin de réinterroger une partie du modèle. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’une grande révolution puisque, malheureusement, les différentes revues stratégiques ou différentes documentations qui avaient pu être produites dans le passé montrent à quel point ce que nous connaissons aujourd’hui était possible.
On ne peut pas ne pas voir qu’il y a un avant et un après 24 février 2022 avec l’agression que mène la Russie en Ukraine.
Donc aujourd’hui j’ai vu le programme, les différentes thématiques, les différents groupes de travail et je pense que le niveau de réflexion est le bon et va nous permettre à nous autres, Français, parlementaires, membres de think-tank, chefs militaires, membres du gouvernement et évidemment le président de la République, de mettre à jour notre Revue nationale stratégique. C’est le document cadre pour la France mais aussi pour nos partenaires qui nous permettra de peut-être mieux nous projeter.
Quelques réflexions, non pas pour amasser ou faire la synthèse de vos débats, mais plutôt pour essayer d’ouvrir à ce que nous devons nous dire et ce à quoi nous devons réfléchir collectivement dans les semaines à venir.
On ne peut pas ne pas voir que cette guerre que mène la Russie en Ukraine se fait évidemment sous couvert de la voûte nucléaire russe. Cela nous amène à nous repencher et à nous reposer des questions sur les dissuasions. Nos concitoyens nous le demandent, nos opinions publiques nous le demandent. L’Otan est une alliance nucléaire. Nous sommes nous-mêmes dans une doctrine d’emploi propre dans laquelle le général de Gaulle avait donné une impulsion et chaque président de la République à chaque quinquennat revient évidemment sur les questions de la dissuasion. On le voit bien, cette question de la dissuasion est une clé. Une clé également sur le terrain budgétaire, puisqu’elle occupe une partie importante des moyens que la nation consent chaque année pour défendre son territoire.
La deuxième série de réflexions et vous l’avez largement traitée, je vous en remercie, concerne toutes les menaces qui sont en dessous de la voûte nucléaire. C’est vrai du cyber et de toutes les menaces dites « hybrides ». D’ailleurs, « hybride » est un mot aux multiples acceptions dans le champ géopolitique. Il convient donc de le décupler, ou en tout cas de le dérouler, tout cela en petits morceaux. La guerre informationnelle, le chantage à l’énergie, le chantage aux matières premières agricoles. On voit bien qu’il y a un champ de conflictualité, potentiellement de haute intensité, ou en tout cas d’une intensité nouvelle qui peut se faire malheureusement sous la voute nucléaire et sur lequel nous devons préparer notre système de sécurité. Une préparation qui s’applique au ministère des armées, mais également le ministère de l’Intérieur et le ministère des Affaires étrangères. L’attaque cyber sur un hôpital en Essonne est un exemple précis que cette préparation vaut, en fait, pour l’ensemble de l’appareil d’État et même des collectivités territoriales ou des entreprises. En tout cas, c’est la deuxième série de réflexions qui est un intrant très nouveau, que nous devons évidemment emmener jusqu’au bout dans le cadre de la prochaine Loi de programmation militaire (LPM).
La troisième des choses auxquelles on peut réfléchir collectivement c’est, bien sûr, la question de nos alliances avec l’Union européenne (UE), l’Otan et la manière dont on se projette sur un certain nombre de théâtres. Je pense évidemment à la question de la lutte contre le terrorisme en Afrique où, on le voit bien, depuis le mois de février 2022, nos opinions publiques peuvent être un peu myopes. On regarde ce qui se passe à l’est de l’Europe, c’est bien naturel, et on finit par en oublier que le grand continent voisin africain est toujours malheureusement confronté à des difficultés, des enjeux graves en matière de lutte contre le terrorisme.
Cela pose donc aussi cette question : comment s’y prendre demain pour lutter contre le terrorisme ? Un terrorisme qui lui-même évolue, parce qu’il devient hybride ou qu’il se trouve récupéré ou sous influence. On le sait et on le voit, notamment au Mali, avec des influences de la Société militaire privée (SMP) russe Wagner, par exemple. Cela constitue autant d’éléments qui à la fois trouvent une permanence dans l’histoire du pays, une permanence dans la manière dont on se prépare à ces différents risques. Au fond, des choix de continuité qui nous attendent ; en même temps, on le voit bien, quelques choix de rupture puisqu’il nous faut nous préparer à cela.
Donc merci pour la réflexion que vous avez menée aujourd’hui avec Alain Bauer et un certain nombre d’entre vous.
J’aurai l’occasion d’échanger, dans les jours ou semaines qui viendront, pour peaufiner cette Revue nationale stratégique et surtout commencer à réfléchir ensemble au contenu de ces lois de programmation militaire où, pour l’instant, les chefs militaires travaillent entre eux. Évidemment, je veille à cela mais nous souhaitons aussi le faire avec celles et ceux qui ont décidé de consacrer du temps, de l’énergie et des moyens intellectuels pour réfléchir à l’avenir du pays. Pour tout cela, merci beaucoup. ♦