Les sanctions économiques à l’encontre de la Russie sont l’un des principaux volets du soutien occidental à l’Ukraine. Cependant, le décalage entre les attentes des élites occidentales et les résultats des sanctions interroge sur leur degré de connaissance de la Russie et sur leur capacité à prendre en compte les nouveaux équilibres internationaux. La résilience de l’économie russe peut s’expliquer notamment par la politique d’autonomisation économique mise en œuvre par le Kremlin et par le refus des puissances émergentes de participer aux sanctions. Il convient néanmoins de s’interroger sur la durabilité de la résilience russe face aux problèmes structurels internes, aux conséquences à moyen terme des sanctions ainsi qu’au poids des dépenses militaires.
Résilience de l’économie russe face aux sanctions : éléments d’explication
Les sanctions économiques massives à l’encontre de Moscou, adoptées de concert à Washington et à Bruxelles, sont l’un des principaux volets du soutien occidental à l’Ukraine. Elles ont touché directement et indirectement pratiquement tous les secteurs de l’économie russe : gel des avoirs de la banque centrale de Russie et de nombreux hommes d’affaires russes, sanctions à l’encontre des secteurs bancaire et financier du pays, interdiction d’exporter des technologies sensibles vers la Russie, embargo sur le pétrole et le charbon russes… Au total, les sanctions occidentales à l’encontre de Moscou sont passées du nombre de 2 695 avant l’invasion à 17 582 en septembre 2023. Par comparaison, l’Iran fait l’objet de 4 645 sanctions.
Dès le premier train de sanctions, les responsables occidentaux comptaient sur « l’effondrement de l’économie russe » pour mettre fin au conflit : l’armée russe, bientôt dépourvue d’armements faute de composants électroniques et privée de financements par manque de pétrodollars, serait défaite en Ukraine et l’ordre international dominé par l’Occident singulièrement revigoré. Pourtant, près de deux ans et une dizaine de trains de sanctions plus tard, non seulement l’armée russe poursuit son offensive en Ukraine, mais l’économie russe a retrouvé le chemin de la croissance. En 2023, le PIB russe a augmenté d’environ 3,5 %, un niveau supérieur à la moyenne mondiale et qui a permis d’effacer la récession, somme toute limitée, de 2022 (-2,1 %).
Le décalage entre les attentes des élites occidentales et les résultats des sanctions interroge sur leur connaissance de la situation réelle de l’économie russe tout autant que sur leur capacité à prendre en compte les nouveaux équilibres internationaux. En effet, la résilience inattendue de l’économie russe peut s’expliquer à la fois par la politique d’autonomisation économique et financière mise en œuvre par le Kremlin depuis 2014, l’efficacité de la gestion de crise adoptée par les autorités russes depuis début 2022 ainsi que par la neutralisation d’une grande partie des sanctions par le refus des puissances émergentes d’y participer. Il convient néanmoins de s’interroger sur la durabilité de ce dynamisme inattendu de l’économie russe face à la persistance de problèmes structurels internes (contraintes démographiques, tendances monopolistiques…), aux conséquences à moyen terme des sanctions ainsi qu’au poids des dépenses militaires.
La politique de résilience économique du Kremlin
En 2014, les premières sanctions ont mis en évidence la dépendance russe vis-à-vis du système financier occidental ainsi que des importations dans de nombreux secteurs vitaux de l’économie. Face à ce qui est considéré comme une menace pour la souveraineté du pays, le gouvernement russe a mis en place un programme d’autonomisation du système financier et d’investissements dans les secteurs jugés stratégiques (agroalimentaire, défense, aéronautique, nouvelles technologies de l’information…) selon une logique dite de « substitution des importations ». Cette politique de souveraineté économique et de réindustrialisation, dont les résultats contrastés selon les secteurs doivent être envisagés à l’aune de ses effets à moyen et long termes, a incontestablement joué un rôle important dans la résilience de l’économie russe face aux sanctions. Si l’on en croit une étude de la Haute école d’Économie de Moscou, la part des importations dans la production industrielle russe serait passée de 49 % en 1999 à 39 % en 2018. D’après l’économiste russe Iouri Simatchev, ce niveau de dépendance de l’industrie russe serait équivalent à celui observé aux États-Unis ou en Inde mais deux fois inférieur à l’Europe centrale et 1,3 fois inférieur à l’Allemagne (1). Les résultats de cette politique volontariste ont été particulièrement probants dans l’agroalimentaire. Ainsi, selon les données de Rosstat, la part des importations dans la consommation totale de viande en Russie est passée de 46 % en 2005 à 6 % en 2020. Les performances du secteur agricole ont permis à la Russie de devenir exportatrice nette de produits agricoles en 2020, pour la première fois dans son histoire récente : entre 2013 et 2020, les exportations agroalimentaires russes ont été multipliées par trois tandis que les importations ont été divisées par deux.
Cette politique de souveraineté économique a également connu des développements importants dans le secteur bancaire et financier ce qui s’est avéré crucial pour assurer la stabilité macroéconomique du pays face aux sanctions.
L’autonomisation du secteur financier russe
En 2014, Washington a interdit les transactions avec la banque russe Rossiya en représailles à l’annexion de la Crimée. Visa et Mastercard ont réagi en cessant d’assurer le fonctionnement des cartes émises par cette banque. Devant la menace d’une généralisation de cette mesure à l’ensemble du secteur bancaire russe, les autorités russes ont lancé en 2015 le Système national des cartes de paiement (NSPK) qui garantit le fonctionnement de l’ensemble des cartes délivrées par des banques russes sur le territoire national. Dans le même temps, la Banque centrale russe (BCR) a créé le système de paiement par carte Mir. En 2018, le gouvernement russe a décidé de verser les salaires des fonctionnaires et des allocations sociales uniquement sur les comptes bancaires associés à des cartes Mir afin de les imposer à des banques russes réticentes à promouvoir ce nouveau moyen de paiement. Fin 2021, 87 % des Russes étaient déjà en possession de cartes Mir même si la majorité continuait d’utiliser des cartes occidentales.
Ces mesures ont prouvé leur efficacité en mars 2022 lorsque les sanctions obligent Visa et Mastercard à « débrancher » l’ensemble des cartes émises en Russie. Le système national russe a pris immédiatement le relais, permettant aux cartes occidentales délivrées par les banques russes de continuer à fonctionner sans interruption dans le pays. Cette sanction, susceptible de créer une crise socio-économique de grande ampleur en privant la population du pays de cartes de crédit, est donc passée pratiquement inaperçue en Russie.
Le deuxième risque financier majeur est la menace de déconnexion du système de paiement interbancaire SWIFT qui joue un rôle central dans les échanges internationaux. En 2014, le Parlement européen adopte une résolution appelant à déconnecter la Russie de SWIFT à l’image de ce qui a été réalisé à l’encontre de l’Iran. La Banque centrale russe réagit en créant le Système de messagerie financière russe (SPFS) qui se veut l’équivalent national du SWIFT afin de permettre aux banques russes de continuer à opérer des transactions de manière indépendante. L’utilisation par les banques russes du SPFS a augmenté progressivement grâce à l’amélioration de ses capacités techniques devenues comparables au SWIFT mais avec des tarifs plus compétitifs. C’est la raison pour laquelle l’exclusion de SWIFT de dix grandes banques russes en 2022 n’a pas constitué « l’arme nucléaire financière » décrite par le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire au début du conflit ukrainien. Les banques russes ont simplement fait transiter la grande majorité de leurs opérations par le SPFS. À partir d’octobre 2023, la BCR a même décidé d’obliger les banques du pays à passer par le système russe pour les opérations internes afin de protéger au maximum le secteur bancaire des sanctions en rendant les opérations en Russie largement « invisibles » pour les régulateurs occidentaux. L’adaptation du secteur bancaire russe aux sanctions internationales est illustrée par le retour des bénéfices en 2023. Malgré 36 banques sous sanction dont 27 sous sanctions bloquantes américaines (SDN list), le secteur bancaire russe a enregistré des profits records en 2023 à hauteur de 33 milliards de dollars.
Cependant, si le système financier russe fonctionne désormais grâce à un écosystème national autonome, les connexions internationales ont été sérieusement affaiblies. Les Russes ne peuvent plus utiliser leurs cartes bancaires à l’étranger tandis que la majorité des grandes banques russes n’a plus accès à SWIFT. Pour les particuliers, les autorités russes tentent d’internationaliser les cartes Mir : elles sont acceptées dans une dizaine de pays, avant tout au sein de la Communauté des États indépendants (CEI) (2) et dans des pays partenaires (Vietnam, Cuba, Venezuela). Néanmoins, la liste reste restreinte d’autant que Washington menace de sanctions secondaires les pays qui l’autorisent ce qui a contraint les banques turques à mettre fin à leur utilisation. Une autre solution est l’utilisation de cartes chinoises UnionPay mais la compagnie UnionPay international a restreint l’émission de ses cartes en Russie de peur de tomber sous le coup de sanctions américaines. Aussi, la solution la plus communément utilisée par les Russes de la classe moyenne est d’ouvrir un compte bancaire dans un pays voisin (Asie centrale, Caucase) afin de pouvoir utiliser une carte occidentale lors des voyages à l’étranger. Néanmoins, l’absence de solution globale implique un obstacle supplémentaire aux voyages à l’étranger pour la grande majorité des Russes. L’un des effets paradoxaux de cette situation est de contribuer au développement du tourisme intérieur.
Il semble que l’internationalisation du SPFS soit plus importante puisque quelque 130 organisations étrangères y sont connectées dans une quinzaine de pays. La BCR poursuit l’internationalisation du système tout en gardant secrète la liste des banques étrangères connectées afin d’éviter les sanctions secondaires américaines. Dans tous les cas, les acteurs économiques peuvent toujours passer par les banques russes de taille moyenne qui restent connectées à SWIFT.
Accumulation de réserves financières et dédollarisation
Dès son arrivée au Kremlin, l’une des priorités de Vladimir Poutine a été de rembourser l’importante dette héritée de l’Union soviétique et des emprunts effectués auprès des institutions occidentales dans les années 1990. Ayant repris le contrôle du secteur pétrolier, le Kremlin a remboursé la quasi-totalité de la dette au milieu des années 2000, réalisant un effort de désendettement contrastant fortement avec la politique menée par la majorité des pays occidentaux ces deux dernières décennies. Début 2022, la Russie est l’un des États les moins endettés de la planète avec une dette publique d’environ 15 % du PIB (93 % du PIB pour les pays de la zone Euro, 110 % pour la France). Ce faible endettement a été permis par une politique de rigueur budgétaire associée à une accumulation de réserves financières. De fait, les dépenses publiques sont longtemps restées à des niveaux modérés, ne présentant que 35 % du PIB en 2019 contre 45 % du PIB en moyenne au sein de l’Union européenne.
Par ailleurs, les autorités russes avaient entrepris de diversifier les quelque 600 milliards de dollars de réserves financières. En 2018, la Banque centrale se sépare de la quasi-totalité de ses bons du Trésor américain dont le montant est passé de 100 milliards à moins de 10 milliards de dollars. Dans le même temps, la Banque centrale russe convertissait 44 milliards de dollars en yuan ce qui représentait près du quart des réserves mondiales dans cette monnaie. Enfin, la Banque centrale russe a mené une politique volontariste d’augmentation de ses réserves en or en achetant une grande part de la production nationale qui se situe au troisième rang mondial. De plus, la BCR a pris des mesures afin d’accélérer la dédollarisation du secteur bancaire russe : entre 2014 et 2022, la part du dollar dans les dépôts bancaires est passée de 45 % à 20 % pour les entreprises et de 25 % à 10 % pour les particuliers (3).
La dédollarisation a également touché le Fonds national de bien-être (FNB) dont les actifs représentaient un total de 185 milliards de dollars en 2021. En juillet 2021, le ministère des Finances a liquidé l’ensemble des actifs du FNB libellés en dollars. La nouvelle répartition a fait la part belle à l’euro (40 % du total), au yuan (30 %) ainsi qu’à l’or (20 %).
La diversification de ses réserves financières a permis à la Russie d’éviter le gel de l’ensemble de ses avoirs par les Occidentaux et leurs alliés en 2022. Néanmoins, si les autorités monétaires russes semblaient avoir anticipé ce risque de la part de Washington, le choix de convertir une partie importante des réserves en euro montre qu’elles n’envisageaient pas une telle dégradation des relations avec l’Union européenne. Il est possible qu’il y ait eu une erreur d’appréciation sur la réaction des Européens mais le plus probable est que les autorités monétaires et financières n’aient pas été mises au courant de la décision d’envahir l’Ukraine. Néanmoins, la diversification entreprise avant la guerre a permis d’éviter le gel de la moitié des réserves financières détenues par le gouvernement et la banque centrale russes. La BCR contrôle encore l’équivalent de 300 milliards de dollars (en or et en yuan) ce qui correspond aux réserves totales de la Bundesbank.
Ainsi, les autorités russes peuvent augmenter les dépenses budgétaires en combinant une hausse modérée de la pression fiscale, le recours à des emprunts sur le marché intérieur et l’utilisation d’une partie des réserves financières.
Gestion de crise et néokeynésianisme militaire
Outre les acquis de la politique de souveraineté économique menée depuis une dizaine d’années, l’un des facteurs explicatifs de la résilience de l’économie russe renvoie à la capacité des autorités russes à mener une gestion de crise efficace. Dans un rapport pour le Zentrum für Osteuropa und internationale Studien (ZOiS, Berlin), l’économiste Alexandra Prokopenko souligne que les élites russes ont acquis un véritable savoir-faire qui découle des nombreuses crises auxquelles a dû faire face la Russie depuis deux décennies : « Le besoin permanent de relever les défis qui découlent de facteurs exogènes, souvent sans rapport avec les questions monétaires et fiscales, les a maintenus en position d’être constamment prêts à faire face à des crises inattendues. (4) »
L’enjeu énergétique
À partir de 2022, l’un des principaux défis engendrés par les sanctions occidentales réside dans la capacité du Kremlin à maintenir les revenus tirés des exportations d’hydrocarbures qui représentent près de la moitié des exportations et environ un tiers des rentrées fiscales. L’invasion russe a débuté en pleine reprise économique post-Covid dans un contexte mondial favorable aux pays exportateurs de pétrole, ce qui explique en partie la difficulté pour les pays occidentaux de s’attaquer aux exportations de pétrole russes, malgré des mesures drastiques et sans précédent. Les États-Unis et le Canada ont mis en place un embargo sur le pétrole russe dès mars 2022. Cette mesure en grande partie symbolique pour ces deux grands producteurs de pétrole était avant tout destinée à faire pression sur l’UE, très dépendante des importations en provenance du voisin russe. L’embargo européen sur le pétrole russe est, quant à lui, entré en vigueur en décembre 2022 avec quelques exceptions (importations par oléoducs autorisées). Cependant, constatant que les exportateurs russes sont rapidement parvenus à réorienter leurs livraisons de pétrole et de produits pétroliers vers les pays émergents (Inde, Chine, Brésil, Moyen-Orient…), les Occidentaux (G7 et UE) sont allés plus loin, en fixant un plafond à 60 dollars le baril appliqué aux exportations de pétrole russe par voie maritime vers les pays tiers. Cette mesure sans précédent, qui a pour ambition de dicter à la Russie ainsi qu’à ses clients les conditions de vente du pétrole russe, a été rendue possible par la position dominante des sociétés occidentales dans le fret pétrolier et l’assurance des cargaisons. Dans un premier temps, les pétroliers russes ont été contraints d’accepter de vendre à des prix largement inférieurs aux prix du marché, ce qui a eu effectivement un impact négatif sur les revenus de l’État russe au premier semestre 2023. Ce résultat a été facilité par une baisse générale des cours pétroliers mondiaux pendant cette période. Cependant, Moscou a mis en place un ensemble de mesures qui ont permis de réduire progressivement la décote sur le pétrole russe puis de vendre à des tarifs nettement supérieurs au plafond occidental, rendu pratiquement inopérant neuf mois après son introduction. La Russie a tout d’abord réagi en augmentant au maximum ses exportations afin de fidéliser de nouveaux clients parmi les pays émergents et maintenir ses parts de marché à l’échelle mondiale. Simultanément, Moscou a entrepris d’acquérir une flotte de tankers d’occasion afin de réduire sa dépendance vis-à-vis des transporteurs occidentaux. Dans un second temps, le Kremlin s’est entendu avec l’Arabie saoudite pour réduire l’offre de pétrole sur le marché mondial afin de faire remonter les cours.
En septembre 2023, le cours du pétrole russe dépassait largement le plafond occidental, puisqu’il s’établissait à plus de 82 dollars le baril (5). Un tarif inférieur de seulement 13 dollars le baril par rapport au cours du Brent, alors que la décote de l’Urals représentait en moyenne 26 dollars en 2022 avant la mise en place du plafond par les Occidentaux (6). Début décembre 2023, l’agence Bloomberg constate qu’avec 11 milliards de dollars par mois, les revenus pétroliers de Moscou sont revenus à leur niveau d’avant-guerre (7). Sur l’ensemble de l’année 2023, les revenus de l’État russe générés par les exportations d’hydrocarbures sont équivalents à ceux de l’année 2021 tandis que les revenus non-énergétiques ont progressé grâce au retour de la croissance économique ce qui a permis de contenir le déficit public à hauteur de 1,9 % du PIB malgré la croissance des dépenses budgétaires liées à la guerre en Ukraine.
Le keynésianisme militaire
Cette approche budgétaire prudente confirme la volonté du Kremlin de tenter de maintenir l’effort de guerre dans des limites raisonnables pour l’économie russe. Certes, le gouvernement russe a annoncé une hausse des dépenses militaires de 70 % en 2024 pour atteindre l’équivalent de 106 milliards d’euros. Si cette forte augmentation semble indiquer à première vue l’entrée de la Russie dans une véritable économie de guerre, son ampleur reste toutefois à relativiser. Ainsi, ces dépenses correspondent à 6 % du PIB russe ce qui est, certes, important mais ne peut être assimilé à une économie de guerre : en 2022, l’Arabie saoudite a consacré plus de 7 % de son PIB aux dépenses militaires, tandis qu’Israël y consacrait 5,5 % en 2013. Dans un rapport du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), Julian Cooper affirme : « En réalité, la guerre est menée non pas avec les ressources d’une guerre à grande échelle, mais bien dans le cadre d’une opération militaire plus limitée. L’utilisation de l’expression “opération militaire spéciale” peut donc être comprise du point de vue des ressources financières de la Russie : il s’agit d’une opération menée en termes monétaires à un coût que l’économie russe peut se permettre, malgré de sévères sanctions. (8) » On remarquera, cependant, que les dépenses fédérales qualifiées de « secrètes » ont fortement augmenté depuis le début de la guerre. Il est vrai qu’une partie de cette hausse est liée à la volonté d’échapper aux sanctions, y compris dans les relations avec les partenaires étrangers ; néanmoins, il est fort probable qu’une partie importante de ces dépenses soient liées à la guerre en Ukraine, ce qui impliquerait un poids plus important de l’effort de guerre sur les dépenses budgétaires qu’officiellement admis.
Dans le même temps, la hausse des dépenses liées à la guerre en Ukraine a un effet d’entraînement sur le reste de l’économie dans ce qui s’apparente à une forme de keynésianisme militaire avec deux effets principaux : d’une part, la Russie produisant la grande majorité de ses armements, la hausse des dépenses contribue à faire tourner l’industrie nationale, ce qui a un effet d’entraînement sur de nombreux secteurs de l’économie. Cette croissance industrielle implique une augmentation des besoins en main-d’œuvre qui permet une augmentation importante des salaires des ouvriers qualifiés et des cadres de l’industrie. Elle profite tout particulièrement aux régions industrialisées de l’Oural et de Sibérie. L’autre effet majeur est induit par les salaires, primes et autres avantages sociaux accordés aux soldats engagés en Ukraine. En effet, le recrutement dans l’armée concerne avant tout les couches sociales défavorisées, les régions les plus pauvres ainsi que le milieu rural, soit un ensemble de populations et de territoires qui bénéficient habituellement peu de la création de richesse et des mesures sociales qui profitent en général davantage aux populations des grands centres urbains. Cet afflux de liquidités dans des milieux et des territoires vivant habituellement dans des formes de survie semi autarcique stimule la consommation des ménages et la construction. L’historien d’opposition Sergueï Tchernychev décrit – pour la dénoncer – cette réalité de la Russie profonde dont une partie profite de l’engagement des hommes sur le front pour améliorer son niveau de vie : les militaires « qui ont une famille reviennent et partent en vacances à la mer, achètent des appartements, changent de voiture » (9).
Cependant, la forte croissance économique russe ne saurait se limiter au seul facteur militaire. Elle s’accompagne d’une consommation des ménages particulièrement dynamique qui est permise par la baisse du chômage à des niveaux historiquement bas (moins de 3 % de la population active). Les revenus réels ont progressé de 4,8 % en 2023 ce qui a permis une poursuite de la baisse du taux de pauvreté à l’un des niveaux les plus faibles observés depuis la chute de l’URSS. Plusieurs secteurs de l’économie en profitent, à l’instar de la construction qui connaît une forte croissance depuis plusieurs années. En 2023, environ deux millions de crédits hypothécaires ont été accordés, soit une hausse de 60 % par rapport à 2022 pour atteindre un niveau équivalent à l’année record de 2021 (10). Dans le même temps, le secteur automobile, qui avait été touché de plein fouet par les sanctions, les difficultés logistiques et le retrait des constructeurs internationaux, a connu en 2023 une croissance de la production de 15 % et des ventes de plus de 60 %. Le principal constructeur automobile national qui fabrique les Lada a vu ses ventes augmenter de 85 %, mais la production russe totale n’a augmenté que de 15 %. Ce décalage entre la hausse de la demande et de la production est compensé par des importations massives depuis la Chine. Néanmoins, la montée en puissance des usines Lada et la remise en route progressive des usines d’assemblage qui ont été cédées par les constructeurs internationaux à des investisseurs locaux devraient contribuer à la poursuite de la hausse de la production en 2024. En novembre 2023, l’agence Bloomberg constate : « La croissance économique de la Russie (5,5 % au troisième trimestre) et l’augmentation de la demande des consommateurs, stimulées par d’importantes dépenses publiques, ont permis à des entreprises aussi diverses que les banques, les constructeurs automobiles et les compagnies aériennes de trouver des moyens de faire face et, dans certains cas, de prospérer, malgré les restrictions américaines et européennes. (11) »
Les erreurs d’appréciation des élites occidentales
Les performances de l’économie russe ont surpris jusqu’aux autorités nationales elles-mêmes, qui avaient travaillé sur des scénarios nettement moins favorables que l’évolution observée in fine. Néanmoins, l’ampleur du décalage entre les attentes des élites occidentales et les performances de l’économie russe est tel que l’on peut se poser la question du poids des représentations négatives qui ont conduit à la sous-estimation de la taille réelle de l’économie russe, des capacités industrielles du pays ou encore des processus de modernisation à l’œuvre.
L’une des représentations les plus courantes est de considérer que l’économie russe pèse très peu à l’échelle internationale et ne serait donc pas en mesure de faire face aux sanctions occidentales. Clément Beaune, alors secrétaire d’État en charge des affaires européennes, résumait ce sentiment en février 2022 en déclarant : « La Russie, c’est le PIB de l’Espagne. » Or, selon les chiffres de la Banque mondiale de 2022, l’économie russe se situait au 8e rang mondial au titre du PIB nominal (15e place pour l’Espagne) et elle faisait même figure de cinquième économie mondiale en parité de pouvoir d’achat (PIB/PPA), juste devant l’Allemagne. La sous-estimation de la taille réelle de l’économie russe semble confortée par un certain nombre d’indicateurs avancés : ainsi, la production électrique russe, un bon indicateur de la puissance industrielle d’un pays, se situe au quatrième rang mondial derrière la Chine, les États-Unis et l’Inde. Par ailleurs, contrairement à un pays comme l’Espagne, la Russie, malgré les faiblesses incontestables de son économie marquée par le poids de la rente, est un acteur de premier plan dans de nombreux secteurs stratégiques de l’économie mondiale : la Russie est l’un des trois principaux producteurs et exportateurs d’hydrocarbures, l’un des principaux exportateurs de métaux non-ferreux et de céréales (premier exportateur de blé) mais aussi le premier exportateur de centrales nucléaires, le deuxième exportateur d’armements ou encore l’une des trois principales puissances spatiales. En 2023, la Russie a effectué 19 lancements dans l’espace contre seulement trois pour l’Europe dans son ensemble. Le pays est aussi le seul avec la Chine à disposer d’un écosystème national dans le domaine des nouvelles technologies de l’information grâce aux « GAFAM russes », tels que Yandex (un équivalent de Google) et VKontakte (un équivalent de Facebook).
Une autre perception courante est de considérer que les élites russes sont largement incompétentes du fait d’un système politique fondé sur la corruption et la loyauté à Vladimir Poutine. Si ces dimensions ne sont évidemment pas absentes de la réalité russe, elles ne s’y résument pas. Depuis une dizaine d’années, le Kremlin a procédé à un vaste renouvellement des élites politiques avec la montée en puissance de technocrates ayant fait leurs preuves dans leurs administrations respectives. Ce mouvement a touché à la fois les exécutifs régionaux, l’administration centrale et le gouvernement fédéral. Ainsi, le Premier ministre Mikhaïl Michoustine a d’abord fait ses preuves en procédant à la réforme et à la digitalisation de l’administration fiscale. Sergueï Kirienko a transformé Rosatom en un géant de l’énergie nucléaire de dimension mondiale avant de devenir chef adjoint de la puissante administration présidentielle. Au sein du bloc économique du gouvernement se côtoient des technocrates, des néo-keynésiens et des libéraux systémiques. Ces derniers sont représentés par le ministre des Finances Anton Silouanov et la directrice de la banque centrale Elvira Nabiullina. Celle-ci a longtemps été appréciée en Occident au point d’être désignée « banquière centrale de l’année » par le mensuel économique Euromoney en 2015 (12) et par le journal The Banker en 2017 (13). En 2018, Christine Lagarde, alors à la tête du FMI, louait Nabiullina comme une femme qui peut faire « chanter les banques centrales » en référence à leur passion commune pour l’opéra (14). Nombreux sont d’ailleurs ceux qui lui attribuent un rôle majeur dans la réussite de la stabilisation de l’économie russe en 2022. Dans un article, par ailleurs très critique sur les perspectives de l’économie russe publié dans Foreign Affairs, Alexandra Prokopenko affirme que « l’économie russe est dirigée par des technocrates compétents et Poutine écoute leur opinion » (15).
Sanctions : l’isolement de l’Occident
L’autre facteur majeur des désillusions des élites occidentales est le refus de la grande majorité des pays émergents d’appliquer les sanctions décidées à Washington et Bruxelles, ce qui a conduit à la mise en place de vastes circuits de contournement avec la complicité de pays voisins de la Russie qui servent d’intermédiaires. Dans un rapport du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), Charlotte Emlinger et Kevin Lefebvre relevaient que si « les exportations françaises à destination de la Russie ont diminué de 52 % entre 2021 et 2022, celles vers le Kazakhstan, l’Arménie et le Kirghizistan ont augmenté de 85 %, 62 % et 44 % respectivement » (16). Une situation similaire est à l’œuvre en Allemagne et dans la majorité des pays européens. Les importations européennes sont aussi concernées : le pétrole russe est présent sur le marché européen sous forme de produits raffinés dans des pays tiers, ou bien au moyen de mélanges ou de simples transbordements. Dans le domaine gazier, les importations par gazoduc ont certes fortement baissé (tout en se poursuivant par l’Ukraine et la Turquie) mais les importations de GNL russe ont augmenté. De même, la croissance des exportations de gaz en provenance d’Azerbaïdjan est en fait permise par la hausse des importations de ce pays depuis la Russie.
Ces schémas de contournement des sanctions peuvent être envisagés comme un manque de cohérence et de fermeté des autorités européennes et perçus sous le prisme des avantages qui en sont tirés par le Kremlin. Néanmoins, ils disent également autre chose : d’une part, l’imbrication des économies russe et européenne est plus importante qu’envisagée par les fonctionnaires de la Commission européenne ; d’autre part, ces schémas permettent aussi d’amortir l’impact des sanctions pour les économies des pays européens. Dans certains cas, il s’agit moins de l’effort de guerre russe que du maintien de parts de marché face aux concurrents chinois. Ainsi, la très forte croissance des exportations d’automobiles et de pièces détachées allemandes vers l’Asie centrale permet, certes, aux élites russes de continuer à circuler en Mercedes, mais elle n’a pas d’impact sur l’issue du conflit en Ukraine. Fin 2023, les exportations européennes vers le Sud-Caucase et l’Asie centrale sont au plus haut, indiquant qu’une partie non négligeable des relations économiques russo-européennes a été rétablie par leur intermédiaire. Or, compte tenu de l’entrée en récession de l’économie européenne, et tout particulièrement de l’industrie allemande, il va être d’autant plus difficile aux autorités européennes et nationales de combattre ces schémas sous peine de fragiliser un peu plus l’économie européenne.
Par ailleurs, la politique de sanction à l’égard de la Russie semble largement envisagée sous le prisme exclusif du bras de fer géopolitique et géoéconomique russo-occidental sans se préoccuper suffisamment des conséquences négatives sur les relations avec le reste du monde. Or, la politique de sanctions, tout particulièrement le gel des avoirs russes, sans parler des débats autour de leur confiscation pure et simple, ont un impact réputationnel très négatif pour l’Occident. Plusieurs puissances émergentes, à l’instar de l’Arabie saoudite, en ont déjà tiré les conséquences en diversifiant leurs propres réserves monétaires aux dépens du dollar tout en mettant en place des mécanismes d’échanges commerciaux dans des monnaies alternatives – principalement en yuan. De nouvelles places financières émergent, remettant en cause la centralité de l’Occident dans ce domaine. Les Émirats arabes unis (EAU) se sont imposés comme hub financier permettant aux acteurs économiques russes de réorganiser leurs opérations internationales. À bien des égards, les sanctions internationales à l’encontre de la Russie accélèrent la vocation d’interface financière et logistique des monarchies du Golfe. L’importance croissante des relations économiques et financières avec le monde musulman a incité les autorités russes à accélérer les plans d’introduction de la finance islamique en Russie. Une première phase de test a été lancée dans un certain nombre de républiques russes à majorité musulmane en 2023 avant une possible généralisation à l’ensemble de la Fédération en cas de succès. Dans le domaine pétrolier, l’alliance russo-saoudienne dans le cadre de l’OPEP+ a, non seulement, résisté à la guerre en Ukraine, mais elle s’est même renforcée au grand dam des Occidentaux. En effet, l’Arabie saoudite a décidé de soutenir une politique de restriction de l’offre particulièrement favorable à la Russie : elle a neutralisé en bonne partie l’embargo occidental sur le pétrole russe en permettant à Moscou de continuer d’engranger des revenus confortables tout en laissant le temps à l’industrie pétrolière russe de réorienter ses exportations vers les marchés émergents.
Certes, les États-Unis sont souvent décrits comme les grands gagnants de ce conflit. Dans le domaine économique, les exportateurs américains de gaz naturel liquéfié (GNL) ont enregistré des bénéfices records sur le marché européen, tandis que le complexe militaro-industriel américain engrange des commandes massives d’armements. Néanmoins, à une échelle plus vaste et à plus long terme les retombées pour les États-Unis pourraient être nettement plus négatives comme le constate Chas W. Freeman, ancien diplomate américain membre de l’Atlantic Council : « Pour affaiblir la Russie, les États-Unis bloquent activement le commerce avec des pays qui n’ont rien à voir avec l’Ukraine […]. Ce recours à la pression politique et économique pour contraindre d’autres pays à se conformer à ses politiques anti-russe et anti-chinoise s’est clairement retourné contre Washington. […] Loin d’isoler la Russie ou la Chine, la diplomatie coercitive américaine a aidé Moscou et Pékin à renforcer leurs relations en Afrique, en Asie et en Amérique latine, réduisant ainsi l’influence américaine au profit de la leur. (17) » L’élargissement des BRICS est l’illustration la plus flagrante de ces évolutions qui, loin d’être freinées par les sanctions occidentales à l’encontre de la Russie, ont plutôt contribué à les accélérer.
Les sanctions ne semblent plus envisagées en Occident comme un instrument permettant de créer un rapport de force dans le cadre de la recherche d’une issue négociée, mais de plus en plus comme une sorte de fin en soi, un substitut à la diplomatie. Les trains de sanctions se succèdent sans qu’une véritable réflexion sur leur utilité et sur les intérêts bien compris des pays européens ne soit envisagée. Le paradoxe est que si leur coût pour l’industrie européenne est largement admis et que leur échec à mettre fin au conflit est désormais patent, tout se passe comme si la politique de durcissement continu des sanctions avait désormais sa logique propre, déconnectée en quelque sorte du conflit ukrainien.
Les risques d’une économie russe isolée et en surchauffe
Cependant, si la résilience de l’économie russe est indéniable et que les effets des sanctions sont en partie contre-productifs pour les Occidentaux, il n’en demeure pas moins que l’économie russe fait face à d’importants défis. En moins de deux ans, les taux d’intérêt et le rouble ont connu des variations de grande amplitude qui illustrent à la fois les turbulences liées aux sanctions financières occidentales tout autant que les difficultés de la BCR à s’adapter à la politique économique du gouvernement. En effet, si la baisse des taux menée en 2022, beaucoup plus rapide que celle qui avait prévalu en 2015-2016, a sans doute permis d’éviter une récession profonde et contribué à la relance de l’économie russe, la BCR a, semble-t-il, tardé à les remonter alors que l’économie donnait des signes de surchauffe dès le printemps 2023. Toutefois, la difficulté pour la BCR est que le gouvernement a mis en place une politique économique faite d’une hausse des dépenses budgétaires pour soutenir l’effort de guerre et de subventions afin de stimuler la consommation. Les effets de cette politique viennent contrecarrer les efforts de la banque centrale pour réduire l’inflation et stabiliser le rouble.
Par ailleurs, l’économie russe fait désormais face à un important déficit de main-d’œuvre. Celui-ci existait déjà avant le conflit dans plusieurs secteurs de l’économie du fait de la crise démographique russe, raison pour laquelle le pays fait appel massivement à l’immigration en provenance de l’ex-URSS. Néanmoins, la guerre en Ukraine a de multiples conséquences qui rendent la situation plus complexe à gérer : plusieurs centaines de milliers de Russes sont mobilisés, tandis qu’un nombre équivalent a fui le pays pour échapper à la mobilisation. Une partie non négligeable de ces derniers appartiennent aux couches éduquées du pays. Dans le même temps, les besoins en main-d’œuvre ont en partie changé : désormais, la demande est la plus forte dans le secteur industriel pour les cadres et surtout les ouvriers qualifiés, des emplois que ne peuvent remplir les migrants d’Asie centrale qui ont rarement les qualifications nécessaires. Il en résulte une inflation salariale au sein du complexe militaro-industriel qui entre partiellement en concurrence avec l’industrie civile pour recruter ce qui risque d’accroître la pression sur les salaires dans l’ensemble du secteur productif. L’Académie des sciences de Russie a calculé que le déficit de main-d’œuvre avoisinerait les 5 millions de personnes ce qui représente environ 6 % de la population active (18). Pour Elvira Nabiullina, le déficit de main-d’œuvre est la principale menace pesant sur l’économie russe (19). Cependant, les solutions à apporter à cette situation font débat, puisque le ministre de l’Économie Anton Silouanov a jugé, de son côté, que le plein emploi était une bonne chose pour l’économie russe. De même, Boris Titov, conseiller du Kremlin en charge de la défense des entreprises, a critiqué la hausse des taux initiée par la directrice de la banque centrale en affirmant qu’il s’agit « d’un sérieux frein pour l’économie qui ne permet pas de combattre l’inflation » et que pour atténuer la pression inflationniste, il faudrait « augmenter la production et non la réduire du fait de taux directeurs trop élevés ». Ces débats sur les priorités de la politique économique, s’ils ne sont pas nouveaux, illustrent en partie les difficultés auxquelles doivent faire face les autorités russes pour stabiliser une économie russe sur laquelle pèse fortement une guerre en Ukraine dont l’issue ne cesse de s’éloigner.
Conclusion
Les performances inattendues de l’économie russe sont attribuables à plusieurs facteurs : la politique de souveraineté économique et financière menée depuis 2014, la capacité des autorités russes à fonctionner en mode gestion de crise, la forte augmentation des dépenses de l’État pour alimenter l’effort de guerre, la substitution de certains produits sanctionnés par la production nationale ainsi que la réorientation réussie du commerce extérieur russe vers l’Asie et le Sud global. Ainsi, la croissance économique russe de 2023 ne saurait s’expliquer seulement par les cours du pétrole (plutôt moroses) ni par les dépenses militaires (facteur majeur mais dont le poids dans le PIB est insuffisant pour servir de facteur explicatif unique). À cet égard, la capacité de la Russie à faire tourner ses usines d’armement à plein régime est également inattendue alors que d’aucuns décrivaient une industrie russe décrépie et incapable de fonctionner du fait des sanctions. Reste à savoir si ces succès économiques russes sont durables alors que les régulateurs américains et européens ont entrepris de durcir l’application des sanctions tandis que l’économie mondiale ralentie fortement ce qui implique une pression à la baisse sur les cours du pétrole. Surtout, les limites internes sont liées au déficit chronique de main-d’œuvre qui alimente l’inflation et nécessiterait une augmentation de la productivité, aux risques liés à la militarisation de l’économie ainsi qu’au poids des monopoles qui étouffent la concurrence dans un contexte d’économie semi-autarcique. ♦
(1) Pertseva Evgenia, « Les nôtres parmi les étrangers : au cours des 19 dernières années, les importations vers la Fédération de Russie ont considérablement diminué » [en russe], Izvestia, 15 février 2023, (https://iz.ru/).
(2) Biélorussie, Russie, Arménie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan. Il s’agit d’anciennes républiques soviétiques. La Géorgie (1993-2009), l’Ukraine (1991-2018) et la Moldavie (1991-2023) ne sont plus membres de la CEI.
(3) Prokopenko Alexandra, « Permanent Crisis Mode: Why Russia’s Economy Has Been so Resilient against Sanctions », ZOiS Report, 4/2023, p. 11.
(4) Ibidem, p. 3.
(5) « Les autorités réduiront la réduction de l’Urals par rapport au Brent pour le calcul des impôts – Cela contribuera-t-il à augmenter les recettes budgétaires pétrolières et gazières ? » [en russe], RBC, 25 septembre 2023 (www.rbc.ru/).
(6) « “Indicateur de réussite des sanctions” : que signifie la décote du pétrole russe de l’Urals par rapport au Brent ? » [en russe], Forbes, 24 avril 2023 (www.forbes.ru/).
(7) « How Russia Punched an $11 Billion Hole in the West’s Oil Sanctions », Bloomberg, 6 décembre 2023 (www.bloomberg.com/).
(8) Cooper Julian, « Russia’s Military Expenditure During Its War Against Ukraine », SIPRI, n° 2023/07, juin 2023, p. 18.
(9) Tchernychev Sergueï, « Le peuple russe vit peut-être le meilleur moment de sa vie », Le Monde, 2 décembre 2023.
(10) « Les émissions de prêts hypothécaires en Russie ont atteint 7 000 milliards de roubles en 2023 » [en russe], RBC, 19 décembre 2023 (https://realty.rbc.ru/news/65815d1c9a7947f37358c90e).
(11) « Russia’s Key Economic Sectors Shrug Off Sanctions », Bloomberg, 13 novembre 2023 (www.bloomberg.com/).
(12) Verma Sid, « Central Bank Governor of the Year 2015: Nabiullina displays crisis-fighting skills », Euromoney, 16 septembre 2015 (www.euromoney.com/).
(13) « Central Banker of the Year 2017 », The Banker, 3 janvier 2017 (www.thebanker.com/).
(14) « Elvira Nabiullina, Putin’s banker », Politico (www.politico.eu/).
(15) Prokopenko Alexandra, « Putin’s Unsustainable Spending Spree », Foreign Affairs, 8 janvier 2024 (https://www.foreignaffairs.com/russianfederation/putins-unsustainable-spending-spree).
(16) Emlinger Charlotte et Lefebvre Kevin, « Commerce avec la Russie : des sanctions qui font plus de peur que de mal à nos exportations », Lettre du CPEI, novembre 2023 (http://www.cepii.fr/PDF_PUB/lettre/2023/let442.pdf).
(17) Freeman Chas W., « The propaganda that damned Ukraine », UnHerd, 4 janvier 2024 (https://unherd.com/).
(18) « La Banque centrale a besoin de 2 à 3 mois pour s’assurer que l’inflation ralentisse avant de réduire le taux » [en russe], The Moscow Times, 24 décembre 2023 (www.moscowtimes.io/).
(19) « Nabiullina a nommé le principal problème de l’économie russe » [en russe], 9 novembre 2023 (www.rbc.ru/).