La coopération européenne dans le secteur aérospatial civil a permis le développement de programmes ambitieux malgré des budgets bien inférieurs à leurs équivalents américains. A contrario, les programmes spatiaux militaires sont souvent restés jusqu’à maintenant nationaux.
La coopération spatiale en Europe : un très grand succès dans le domaine civil, encore peu développée dans le domaine militaire
La coopération européenne dans le domaine spatial a connu des balbutiements difficiles dans les années 1960-1970, marqués en particulier par la coexistence de deux organisations, le Conseil européen de recherches spatiales ou CERS (ESRO), consacré exclusivement à la recherche scientifique dans l’Espace et le Centre européen pour la construction de lanceurs d’engins spatiaux ou CECLES (ELDO), consacré au développement de la fusée Europa. Malheureusement, celle-ci n’a connu que des déboires au cours de son développement et a été abandonnée en 1972. Cet échec, attribué à une direction de programme trop faible, a eu une conséquence paradoxalement positive : la proposition par la France de développer la fusée Ariane autour d’une gestion de programme de nature beaucoup plus technique, dirigée par le Centre national d’études spatiales (Cnes) français par délégation de l’Agence spatiale européenne (ESA).
La création de l’ESA et les succès de la coopération intergouvernementale
Nouvelle organisation décidée en 1973 et effective en 1975, l’ESA reprenait les programmes scientifiques du CERS et surtout introduisait la notion de programmes facultatifs auxquels seuls les États-membres intéressés participent. Cette notion nouvelle a facilité en 1973 l’engagement des programmes Ariane, Spacelab (Allemagne fédérale) et Marots de satellite de télécommunications maritimes (Royaume-Uni). Les autres programmes de satellites d’applications tels que Meteosat (météorologie) et OTS/ECS (télécommunications de point à point) ont, eux aussi, bénéficié de la souplesse introduite dans la convention de l’ESA qui introduisait et encadrait de manière intelligente ces programmes facultatifs où la garantie de retour géographique des contrats industriels était le meilleur argument pour convaincre les États-membres d’y participer financièrement. Celle-ci doit s’analyser sur l’ensemble des programmes de l’Agence spatiale européenne, y compris le programme scientifique « obligatoire » auquel tous les États-membres contribuent au prorata de leur PIB.
Ce programme scientifique mérite un coup de projecteur particulier car il a permis à l’Europe de jouer un rôle de premier plan en astrophysique et dans l’exploration du système solaire, ne connaissant pratiquement aucun échec et plaçant la communauté scientifique européenne au même niveau que la communauté américaine malgré l’écart considérable des moyens financiers que consacrent la NASA et l’ESA à ces activités.
Cette organisation a bien fonctionné depuis sa création et a permis l’engagement de nouveaux programmes tels que, dans le domaine de l’observation de la Terre, les satellites radar ERS-1 et 2 en 1981 et 1984, lancés respectivement en 1991 et 1995, puis le très ambitieux ENVISAT, décidé en 1992 et lancé en 2002 qui fournit jusqu’en 2012 des données radar améliorées du même type qu’ERS ainsi que de nouvelles données sur la chimie de l’atmosphère en relation avec la déplétion de la couche d’ozone et les gaz à effet de serre. Elle a aussi permis la décision de développer les prototypes des satellites météo en orbite polaire METOP réclamés par les services météorologiques et divers programmes de validation de nouvelles technologies de télécommunication par satellites.
En octobre 1995, lors d’un difficile conseil de l’ESA au niveau ministériel tenu à Toulouse, la participation de l’Europe au programme de la Station spatiale internationale (ISS) a été décidée, une décision ressentie comme plus politique que technique mais à laquelle l’Allemagne tenait beaucoup. L’Europe s’engageait alors à fournir l’un des modules de la station (Colombus) – lancé en 2005 et opérationnel depuis –, ainsi que le Véhicule automatique de transfert (ATV), énorme cargo non habité de plus de vingt tonnes pour le ravitaillement régulier de la station. Cinq lancements ATV par Ariane 5 ont effectivement eu lieu de 2008 à 2014 et ont servi, entre autres, à régler en nature la part européenne des frais d’exploitation d’ISS.
Dans le domaine des lanceurs, le mécanisme de décision des programmes facultatifs de l’ESA a permis d’engager le développement des nouvelles versions des lanceurs Ariane, Ariane 4 en 1984, lancé pour la première fois en 1988 et exploité avec grand succès jusqu’en 2003, puis Ariane 5 en 1987, dont le premier lancement en 1996 a été un échec, heureusement vite réparé, suivi d’une impressionnante série de succès, plus de cent à la date d’avril 2019 ! Cet excellent résultat est peut-être à l’origine d’un certain endormissement de la vigilance européenne qui, au cours des années 2005-2010, n’a pas prêté une attention suffisante au réveil de la concurrence aux États-Unis avec l’entrée en lice de SpaceX et de ses lanceurs Falcon. Du coup, la préparation de la génération suivante a pris du retard et c’est seulement en 2014 que le Conseil ministériel de l’ESA a lancé le développement d’Ariane 6, avec cette fois-ci une organisation industrielle complètement rénovée autour de la nouvelle société ArianeGroup regroupant les équipes « missiles balistiques et lanceurs spatiaux » d’Airbus et celles de moteurs spatiaux de Safran. Ariane 6 se déclinera en deux versions 62 et 64 (2 ou 4 propulseurs d’appoints) depuis la base de lancement européenne en Guyane française (Centre spatial guyanais, CSG).
Une dimension peu connue mais remarquable de cet effort européen de coopération spatiale a été sa capacité à imaginer et à générer les organisations capables de prendre le relais de l’ESA pour l’exploitation des systèmes développés par celle-ci. C’est ainsi que Eutelsat (privatisée au début des années 2000) pour les télécommunications par satellites, l’organisation européenne intergouvernementale EUMETSAT pour les satellites de météorologie, la société Arianespace pour la commercialisation des services de lancements par Ariane, ont progressivement pris en charge l’exploitation des satellites ou des lanceurs développés dans le cadre de l’ESA. Le cas d’Arianespace est particulièrement intéressant puisqu’il s’agissait, lors de sa création en 1980, de la première société au monde chargée d’exploiter commercialement un lanceur de satellites. À cette époque, les lanceurs américains étaient mis en œuvre sous la responsabilité de la NASA pour les applications civiles, y compris le lancement de satellites non américains et du Département de la Défense (DoD) pour ses besoins propres.
Le succès de l’Agence spatiale européenne, organisation intergouvernementale tout à fait indépendante de l’Union européenne, à laquelle participent des États comme la Suisse et la Norvège, non-membres de l’UE – et à laquelle le Royaume-Uni a bien l’intention de continuer à participer après le Brexit – repose sur la confiance de ses États-membres dans la qualité de la gestion des programmes par les équipes techniques de l’Agence. En particulier, ils sont très attentifs, et parfois au détriment du bon déroulement du programme, au respect des engagements relatifs au retour géographique. La capacité de l’ESA à gérer au mieux ces contraintes tout en respectant globalement les objectifs de coût et de calendrier des programmes explique que de nombreux États européens ont souhaité rejoindre l’ESA au fil des années. De onze lors de sa création en 1975, elle est en effet passée à vingt-deux États-membres en 2018. Cette expansion n’est possible qu’au prix d’une attention très particulière donnée à la mise à hauteur progressive des industries des nouveaux États-membres, entraînant parfois la création de doublons inutiles de compétences critiques au sein de l’Europe. Cette tendance à l’éparpillement des équipes et des installations industrielles ne va pas dans le sens de la compétitivité de l’industrie spatiale européenne dans son ensemble. Il est malheureusement probable que ce soit le prix à payer pour une approche réellement « inclusive » du développement de l’Europe spatiale qui ne laisse pas sur le bord de la route les États ayant décidé tardivement d’investir dans ce secteur.
L’Union européenne s’intéresse à l’Espace
L’apparition progressive d’un intérêt de l’UE pour les questions spatiales n’est intervenue qu’au début des années 1990. Jusque-là, seule la Direction générale « Recherche » de la Commission européenne observait le développement des ambitions spatiales des États européens et estimait qu’elle n’avait pas à intervenir dans ce secteur puisque ceux-ci avaient pris l’initiative de créer une agence spécialisée, l’ESA, à cet effet.
Toutefois, le Centre commun de recherches de la Commission européenne était déjà très impliqué avec son Institut des applications spatiales basé dans son centre d’Ispra (Italie). Les équipes de cet institut étudiaient depuis plusieurs années les applications pratiques des données de télédétection depuis l’Espace. La plus remarquable était le programme MARS qui servait directement les besoins de la Politique agricole commune (PAC) en générant des statistiques de production agricole de tous les États-membres à partir de l’analyse des images fournies par les satellites, les Landsat américains puis les SPOT (France-Belgique-Suède) à partir de 1986. L’Institut travaillait aussi sur la surveillance par satellite de la forêt tropicale et des océans, le tout en coopération étroite avec de nombreux laboratoires et équipes de recherche disséminées dans toute l’Europe. Ces travaux étaient directement en rapport avec les études sur le changement global qui se développaient rapidement dans les années 1980 et 1990.
La Commission européenne était à la même époque très engagée, via ses Directions générales « Environnement » et « Relations extérieures », dans la préparation et la négociation des conférences internationales sur la réduction des Gaz à effet de serre (GES) qui devaient culminer par la signature du fameux Protocole de Kyoto en 1997. Ces négociations mettaient en évidence que si la volonté politique de l’Europe de réduire sa production de GES était réelle, elle ne savait pas très bien comment s’y prendre, ni comment mesurer sur une base globale et de manière indépendante le taux de production et d’absorption de ces gaz, et en particulier le dioxyde de carbone. Il devenait donc important que les négociateurs de l’UE soient correctement informés des progrès réalisés grâce à l’observation depuis l’Espace dans la mesure des paramètres clés du changement climatique.
Cette nécessaire connexion entre la recherche la plus avancée et le monde des régulateurs et des politiques est à l’origine du programme Copernicus de l’Union européenne, initialement connu sous le nom de GMES (Global Monitoring for Environment and Security) mis en place au début des années 2000 à la suite de la publication de l’Appel de Baveno en 1998 (1). Ce programme a reçu un financement très important de la part de l’UE, près de 8 milliards d’euros. Il comprend toute une série de satellites d’observation opérationnels développés sous l’égide de l’ESA et mis en orbite à partir de l’année 2014 : début 2019, sept Sentinelles sont en exploitation et d’autres sont en cours de préparation. C’est un très bel exemple de coopération efficace entre l’Union européenne qui finance la plus grande partie de ce programme et l’Agence spatiale européenne qui gère le développement des satellites, confié à l’industrie, les opérations en orbite et les moyens au sol nécessaires à la réception, au stockage et à la distribution d’un flot de données tout à fait considérable. Le budget prévu par la Commission européenne pour Copernicus (période 2021-2027) s’élève à 5,8 milliards d’euros.
Les satellites de positionnement/navigation Galileo, mieux connu du grand public parce qu’il rend des services assez proches de ceux du GPS américain, sont l’autre grand programme spatial de l’UE. Son origine est intéressante : il s’agissait alors pour l’Union européenne de réduire la dépendance de son économie vis-à-vis du GPS, qui devenait excessive du fait de son caractère monopolistique et de l’absence totale d’engagement du gouvernement américain sur la continuité et l’intégrité du signal civil du GPS, certes offert gratuitement au reste du monde mais sans aucune garantie. Pour des applications qui se multiplient à un rythme étonnant, bien au-delà des rêves les plus fous des initiateurs (militaires) du GPS, l’impact économique de ce système est considérable et pose d’autant plus la question de la dépendance par rapport à un système unique que son objectif premier est avant tout militaire, les utilisations civiles ne venant qu’au second plan.
La proposition initiale du programme Galileo par la Commission européenne, élaborée en 1999 par les services de la Direction générale « Transport et Énergie », était de faire appel à un partenariat public-privé pour le déploiement de la constellation des trente satellites, le coût de développement des quatre premiers prototypes et le tiers du coût du déploiement de la constellation restant cependant à la charge du budget de l’UE. L’ampleur des moyens financiers nécessaires pour ce déploiement et l’incertitude sur le retour sur investissement n’ont pas permis de confirmer cette approche qui a dû être abandonnée en 2007, l’Union européenne prenant alors à sa charge la totalité du coût du déploiement de Galileo (près de 11 Mds €). La Commission européenne a délégué à l’ESA la gestion technique du programme en phase de développement avec l’obligation de respecter les règles de gestion de l’UE, différentes de celles de l’ESA, qui excluent donc la notion de garantie de retour géographique. Le découpage des travaux industriels en six paquets principaux fait que l’ESA joue de facto le rôle de maître d’œuvre du développement et de la validation du système et qu’elle est seule à même d’en garantir les performances.
Aujourd’hui, après de multiples retards – un lancement Soyouz a mis deux satellites sur une mauvaise orbite – et quelques autres soucis techniques, en particulier au niveau des horloges atomiques embarquées, vingt-six satellites sont en exploitation (sur trente prévus) et douze sont en construction. Depuis fin 2016, une partie des services de Galileo sont déjà opérationnels, dont le service ouvert (« Open Service ») qui est gratuit. Les performances sont remarquables : précision de positionnement instantanée de l’ordre de 1,5 m, meilleure que celle du GPS (2,5 à 3 m pour les récepteurs bi-fréquences (2)) et bien meilleure que le GLONASS russe ou le chinois Beidou. Le service PRS (Public Regulated Service), réservé aux usages gouvernementaux des États-membres de l’UE, n’est pas encore tout à fait prêt, sa capacité opérationnelle initiale devrait intervenir début 2020. Il est aussi prévu d’introduire un service de très haute précision, gratuit, qui offrira un positionnement précis à 20 cm et un service de positionnement « certifié » – peut-être payant – d’ici quelques années. De surcroît, les satellites Galileo emportent des équipements de réception et retransmission des messages des balises de détresse maritimes et aéronautiques à 406 MHz, assurant ainsi la continuité du système international COSPAS-SARAST mis en place au début des années 1980 par le Canada, les États-Unis, la France et l’Union soviétique. Galileo permet une forte amélioration du service en réduisant le temps de détection de quelques heures à moins de 10 minutes et en faisant bénéficier de sa précision de localisation aux services de recherche et sauvetage.
Après de multiples rebondissements et de nombreux retards, le système Galileo européen est donc en passe d’atteindre le stade opérationnel et, d’ores et déjà, la GSA (3) et la Commission européenne étudient les évolutions de service souhaitables pour la seconde génération de satellites Galileo. Le budget prévu par la Commission européenne pour le programme Galileo au cours de la période 2021-2027 s’élève à 8,25 Mds €.
Une bonne mesure de la crédibilité qu’a obtenue aujourd’hui le système Galileo peut être trouvée dans le fait que la plupart des puces dites « GPS » présentes dans les téléphones portables vendus sur le marché sont en réalité des puces « GPS + Galileo » qui sont capables de traiter les signaux en provenance de ces deux constellations. La GSA estime qu’aujourd’hui plus de 700 millions de terminaux sont équipés dans le monde pour recevoir les signaux Galileo et que ce chiffre dépassera un milliard d’ici fin 2019.
Et la coopération européenne dans le domaine des systèmes spatiaux pour la défense ?
Dans le domaine des systèmes spatiaux servant les besoins de la défense, où l’ESA ne peut pas intervenir, sa convention constitutive le lui interdisant, les États-membres de l’UE ont eu tendance à définir leurs besoins et à développer leurs systèmes sur une base strictement nationale. Les Britanniques, avec leur système de télécommunication par satellite Skynet, ont été les premiers à déployer un système spécifique pour les besoins de leurs forces armées. Ils en sont aujourd’hui à la 6e génération (Skynet 6). La France a suivi avec ses satellites Syracuse (Syracuse III aujourd’hui). L’Italie avec les satellites Sicral et l’Allemagne avec les satellites SATCOMBW ont fait de même, ainsi que l’Espagne. Les tentatives de définition commune des besoins et des exigences de sécurisation des communications n’ont pas permis à ces Nations de converger vers un système partagé. Sur les plans économique et opérationnels, il n’est d’ailleurs pas certain qu’une telle solution soit adaptée aux besoins militaires, les zones géographiques d’intervention des forces étant très variées. De plus, les besoins de bande passante excèdent régulièrement la capacité mise en place. Ce phénomène de croissance très rapide des besoins des forces armées en capacité de télécommunication est en partie lié à l’utilisation croissante de drones sur les théâtres d’opérations dont il faut rapatrier les données d’observation et pouvoir communiquer avec eux en temps réel.
Dans ce paysage très « national » des télécommunications spatiales militaires, une exception toutefois est à noter. La France et l’Italie ont su se mettre d’accord sur un satellite commun de télécommunications à très haut débit : Athena-Fidus a été mis en orbite en 2015 et est exploité en capacité partagée par les forces armées des deux pays.
Au niveau de l’UE, la Commission européenne tente de mettre en place un système par satellites (GOVSATCOM) pour les télécommunications gouvernementales des États-membres qui souhaitent disposer de communications sécurisées sans pour autant être prêts à investir dans un système propre. L’avenir nous dira si cette tentative aboutit.
L’autre domaine privilégié de systèmes spatiaux servant la défense et la sécurité est celui de l’observation à des fins de reconnaissance et de renseignement. Les satellites en orbite basse fournissent un moyen précieux d’observation du fait de leur capacité à survoler n’importe quel point du globe et, sur le plan juridique, de l’extraterritorialité de l’espace extra-atmosphérique. La France a été la première en Europe à s’équiper de tels systèmes en décidant fin 1986, suite à la démonstration réussie du satellite SPOT-1 lancé en février de la même année, de mettre en place les satellites de reconnaissance optique Helios 1A et 1B, lancés respectivement en 1995 et 1999. L’Espagne et l’Italie avaient accepté de contribuer à ce programme respectivement à hauteur de 7 et 14 %. L’Allemagne était encore hésitante à se lancer dans ce type d’investissement et le ministère de la Défense allemand donnait la préférence à l’observation radar. Finalement, la décision est intervenue fin 1999 et sa constellation de cinq satellites radar SARLupe, confiée à la société OHB de Brême, a été mise en orbite en 2006-2008. Entre-temps, la France avait bien avancé dans la préparation de ses satellites de la génération suivante, Helios 2A et 2B mais l’Italie donnait la priorité à son programme national de satellites d’observation radar à vocation duale COSMO-SkyMed (lancés entre 2007 et 2010) et renonçait donc à participer à Helios 2. L’Espagne, au contraire, confirmait sa participation, quoiqu’à un niveau ramené à 2,5 %. La Belgique puis la Grèce décidaient, elles aussi, d’y contribuer mais toujours au niveau très modeste de 2,5 %.
Helios 2A a été lancé en 2004 et Helios 2B en 2009. Un accord d’accès réciproque à SARLupe et à Helios 2 (Accord de Schwerin) a été signé entre l’Allemagne et la France permettant à ces deux pays d’échanger une partie de la capacité de leur système. Un accord de coopération sous forme de partage de capacité entre les systèmes italien COSMO-SkyMed et français Helios 2 et Pléiades, nouveaux satellites à vocation duale en préparation sous l’égide du Cnes, a été signé en janvier 2001 lors du Sommet franco-italien de Turin. Les satellites Pléiades 1 et 2, mis en orbite en 2011 et 2012, bénéficient des technologies d’observation les plus avancées et sont beaucoup plus compacts, ce qui leur donne une très grande agilité. Ils préfigurent les satellites CSO du ministère des Armées qui prendront le relais des satellites Helios 2 : CSO-1 a d’ailleurs été lancé en décembre 2018.
CSO signifie Composante spatiale optique d’un système à dimension européenne baptisé MUSIS (Multinational Space-based Imaging System for Surveillance, Reconnaissance and Observation) qui a été imaginé entre les partenaires des programmes en cours, soit l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, la Belgique et la Grèce. Ceux-ci avaient demandé en 2009 à l’Agence européenne de défense (AED) de prendre en main ce concept dans le cadre des programmes de catégorie B de l’Agence. Malheureusement, cette tentative de coordination des satellites de reconnaissance au niveau européen n’a pas pu aboutir et devant l’absence de progrès, la France a décidé d’aller de l’avant en lançant dès 2015 la réalisation des satellites CSO. La France a proposé à l’Allemagne de participer à son financement via une participation financière substantielle à l’achat du troisième modèle de vol, lui donnant ainsi accès directement à cette constellation optique. L’Allemagne ne renonce pas pour autant à son intérêt pour les techniques d’observation radar et a lancé la réalisation des satellites SARah, successeurs des SARLupe. L’Italie a fait de même avec ses satellites COSMO-SkyMed Second Generation (CSG) et l’Espagne n’est pas en reste avec ses satellites nationaux d’observation radar Paz, lancé en 2018, et optique Ingenio qui devrait être lancé en 2019.
En résumé, nous devons constater dans ce domaine de l’observation à des fins de reconnaissance et de renseignement une grande dispersion des efforts européens. Celle-ci reflète une approche très « nationale » de ces activités, due probablement à une combinaison de culture traditionnelle de la gestion du renseignement, peu ouverte à la coopération au sens habituel, et de protection d’intérêts industriels nationaux.
L’Union européenne, jusqu’à une date récente, n’intervenait pas dans les affaires de défense et de politique étrangère. Elle a cependant, via son centre satellitaire basé à Torrejón de Ardoz (Espagne) joué un rôle important de sensibilisation et de formation à l’exploitation des images de satellites de reconnaissance. En réalité, ce centre était une création de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) en 1991, ses États-membres ayant été impressionnés par la capacité qu’avait démontrée, dès 1986, le satellite civil SPOT, tout juste mis en orbite, à collecter des images sur le site de la centrale nucléaire de Tchernobyl dont l’un des réacteurs avait explosé le 26 avril. Par la suite, deux rapports parlementaires (MM. Fourré et Malfati) de l’Assemblée de l’UEO avaient été publiés en 1988 soulignant l’intérêt pour l’Europe de se doter d’une telle capacité, mais sans effet immédiat. C’est avec la première guerre du Golfe, en 1991, que le Conseil de l’UEO s’est souvenu de cette recommandation et, dans des délais très courts, a décidé la création du Centre satellitaire, voté les budgets et lancé l’installation à Torrejón. Ce centre n’avait pas l’ambition de disposer de son propre satellite d’observation mais plutôt d’exploiter à des fins de renseignement pour le compte des États-membres les images fournies par les satellites civils tels que la série des SPOT et les satellites commerciaux américains qui fournissaient des images à haute résolution à partir de 1998. L’accès aux images collectées par les satellites militaires français, allemands et italiens, classifiées, faisait l’objet d’accords spécifiques assez contraignants qui ont longtemps limité l’accès du Centre à ces images.
Le Centre satellitaire a été inauguré en 1993 et a été autorisé à recevoir des images Helios 1 à partir de 1996. Il a été transféré à l’Union européenne le 1er janvier 2002. Il a depuis pris le nom de Centre satellitaire de l’Union européenne (EU SATCEN). Il faut noter que, du fait de sa mission ciblée sur les besoins de défense et de sécurité, il ne dépend pas de la Commission européenne mais du Conseil européen. Son fonctionnement relève donc, comme pour l’AED, d’une approche de type « intergouvernemental » par opposition à l’approche communautaire habituelle au sein de l’Union européenne.
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Cet exposé ne serait pas complet s’il omettait d’évoquer, même brièvement, les satellites de renseignement d’origine électromagnétique que, pour le moment, seule la France a expérimenté en orbite avec d’une part, les quatre microsatellites Essaim lancés avec Helios 2 fin 2004, et d’autre part, les quatre satellites ELISA (Electronic Intelligence SAtellites) lancés en même temps que Pléiades 1 en 2011. L’étape suivante est la mise en service de la constellation opérationnelle Ceres (Capacité de renseignement électromagnétique spatiale), prévue en 2020. Ces systèmes ne sont pas ouverts à la coopération. ♦
(1) Global Monitoring for Environmental Security: A manifesto for a new European Initiative, brochure publiée par le Joint Research Centre, Ispra, octobre 1998.
(2) Qui ne constituent qu’une faible part du marché des récepteurs GPS, la plupart étant mono-fréquence.
(3) European Global Navigation Satellite Systems Agency.