Au regard de l’accroissement du trafic aérien et de la multiplication des acteurs privés et publics dans le domaine aérospatial, la France doit renforcer les synergies entre les différentes entités nationales qui assurent le développement de ce secteur.
L’action de l’État dans l’air
Généralement réduite à la sécurité et à la sûreté aérienne, l’action de l’État dans l’air se singularise par les nombreux domaines avec lesquels elle interagit. Le développement des filières économiques et industrielles nationales, dans un contexte de transition écologique, ainsi que l’importance du secteur aérien pour ce qui concerne le tourisme, l’aménagement du territoire, les échanges internationaux et les approvisionnements, sont autant de domaines pour lesquels les plus hauts niveaux de sécurité et de sûreté sont requis. Dès lors que tous les acteurs concernés par le développement du secteur aérien coordonnent leurs politiques, l’action de l’État dans l’air contribue à favoriser la croissance nationale.
Défense et sécurité nationale
Garant de l’action gouvernementale dans le domaine de la défense et de la sécurité nationale, le Premier ministre est chargé de décliner la politique nationale en la matière. Pour ce faire, il dispose de l’administration et de la force armée et assume devant le Parlement, avec les ministres concernés, la responsabilité de cette politique. La stratégie de sécurité nationale est transverse aux grandes fonctions ministérielles traditionnelles telles que la défense, la politique étrangère et la sécurité intérieure.
La stratégie de sécurité nationale a pour objet d’identifier l’ensemble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l’intégrité du territoire, la préservation de ses intérêts vitaux et la permanence des institutions de la République. Elle détermine les réponses que les pouvoirs publics doivent y apporter. Le Premier ministre s’appuie sur le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui coordonne la préparation des mesures concourant à la stratégie de sécurité nationale et qui s’assure in fine de leur mise en œuvre.
Partant de l’analyse des menaces qui pourraient nuire aux intérêts nationaux, le SGDSN est chargé de concevoir la réponse de l’État. Son action se décline en mesures de sûreté qui s’inscrivent dans le temps long au titre de la prévention d’actes malveillants et dans des délais les plus courts possibles afin de réagir contre une agression.
Politique de sûreté aérienne
Dans le domaine aérien, le Premier ministre est assisté d’une Commission interministérielle de la sûreté aérienne (CISA) semestrielle. Placée sous l’autorité de son directeur de cabinet, la CISA réunit les représentants des ministères et des directions générales concernées ainsi que le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA). Elle est l’enceinte de décisions qui permettent de garantir la cohérence de la politique nationale en matière de sûreté et de défense aérienne. Sur la base des décisions prises en CISA, le Premier ministre confie au SGDSN la charge de veiller à la cohérence interministérielle des mesures à prendre afin d’améliorer constamment le niveau de protection des intérêts nationaux contre un acte malveillant. Vu sous le prisme de la menace, le milieu aérien se distingue par sa mondialisation, par la vulnérabilité intrinsèque des aéronefs, par le nombre élevé de passagers transportés, par la violence des accidents conduisant dans la plus grande partie des cas à des catastrophes provoquant de nombreuses victimes, par sa forte médiatisation, par les graves conséquences économiques qu’un incident provoque et enfin, par l’impact psychologique sur le public qui subit une attaque.
Ainsi, l’État s’est préparé à réagir immédiatement à toute agression visant le secteur aérien. Disposant d’un socle de mesures permanentes de sûreté et compte tenu de l’appréciation de la menace, le Premier ministre peut décider de l’activation du plan gouvernemental de réponse à une crise dans le secteur aérien dès lors que la situation l’exige. Piratair-Intrusair propose ainsi des mesures à appliquer à partir du moment où l’intégrité d’un aéronef et de ses passagers est menacée, qu’une installation aéroportuaire est visée ou qu’une intrusion dans l’espace aérien est constatée. L’acte malveillant peut être de toute nature : détournement d’avion, prise d’otages, attaque dans une infrastructure aéroportuaire, malveillance cybernétique sur les systèmes de navigation aérienne, etc.
Particularité du milieu aérien, le Premier ministre y assume une responsabilité opérationnelle. Il dispose à cet égard d’un lien direct avec le commandant du CDAOA, représenté par la Haute autorité de défense aérienne (HADA), afin de décider des mesures immédiates de sûreté aérienne pour lesquelles les avions de chasse et les hélicoptères de l’Armée de l’air sont les bras armés. Compte tenu de la rapidité du développement d’une crise dans le milieu aérien, c’est grâce à cette extrême réactivité que l’État peut assurer de manière permanente la protection de l’espace aérien national et des citoyens français.
Il peut également décider, sur proposition du SGDSN, d’activer la Cellule interministérielle de crise (CIC) afin de concentrer les efforts de tous les ministères et des opérateurs dans la résolution de la crise. La CIC réunit les experts ministériels et ceux des administrations centrales ainsi que le CDAOA, afin de maximiser l’efficacité des moyens et de proposer aux plus hautes autorités de l’État la meilleure réponse à l’agression que subit le secteur aérien. La CIC est en lien permanent avec le préfet territorialement compétent qui tient le rôle de directeur des opérations conformément aux responsabilités qui lui sont confiées.
Action des ministères et des administrations centrales
La Direction générale de l’aviation civile (DGAC), administration rattachée au ministère de la Transition écologique et solidaire, regroupe l’ensemble des services de l’État ayant pour fonctions de réglementer et de superviser la sécurité aérienne, le transport aérien et les activités de l’aviation civile en général. Sur le premier point, elle est notamment chargée du contrôle aérien, du soutien à la recherche et au développement dans le domaine de la construction aéronautique et de la certification des aéronefs. Dans le domaine de la sûreté, avec le concours des forces de sécurité intérieure et des moyens proposés par les opérateurs, elle s’assure du meilleur niveau de contrôle des passagers ainsi que du fret, partant du plus en amont possible jusqu’au moment de l’embarquement dans l’aéronef.
Principalement grâce à ses forces spécialisées que sont la Police aux frontières et la Gendarmerie des transports aériens (GTA) (1), le ministère de l’Intérieur assure dans les zones de responsabilité respective, la sûreté du transport aérien civil. Avec l’appui des services de renseignement, les forces de sécurité intérieure supervisent au quotidien la sûreté des passagers et du fret, à partir des postes d’inspection filtrage des aéroports jusqu’aux points de stationnement des aéronefs.
Dès lors que l’aéronef est en l’air, c’est l’Armée de l’air qui le prend en charge au titre de la mission de sûreté qui est confiée au CDAOA. Ce dernier doit, en tout temps et en tous lieux, surveiller l’espace aérien national et s’assurer que tous les vols qui s’y déroulent ne présentent pas de risques tant pour l’aéronef et ses passagers que pour des tiers au sol. Il déclenche au besoin les moyens d’interception de l’Armée de l’air afin de porter assistance à tout appareil en détresse, de lever le doute sur une situation d’incertitude ou de faire cesser toute situation menaçante. Il assure également la mission de recherche et sauvetage au profit des aéronefs en situation d’incertitude et de détresse sur le territoire national.
Le Centre national des opérations aériennes (CNOA) est l’organisme de l’Armée de l’air qui garantit en permanence, l’intégrité de l’espace aérien national. Il s’assure de la bonne allocation des moyens aériens militaires, qu’ils soient utiles à la détection des mobiles, à leur identification ou à leur interception en l’air. Il entretient des liens étroits avec l’aviation civile, la Police nationale, la Gendarmerie nationale, et à terme avec les Douanes, mais aussi avec toutes les autorités militaires étrangères jouxtant nos frontières ainsi que l’Otan. Ceci lui permet de coordonner et d’optimiser ses actions avec ses partenaires et de proposer in fine au Premier ministre, la meilleure réponse à une situation de crise qu’elles qu’en soient les circonstances.
Dans le domaine de la sécurité civile, la Direction générale de la sécurité civile de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l’Intérieur, met en œuvre des moyens aériens dédiés. Hélicoptères et avions peuvent être engagés dans les meilleurs délais en cas de crise dès lors qu’il pèse un risque sur la population. Plus particulièrement médiatisés en période estivale, les moyens aériens spécialisés dans la maîtrise des feux de forêt sont placés sous la responsabilité du préfet de département à partir du moment où ils sont engagés. Extrêmement réactif, le dispositif aérien de la DGSCGC pourrait utilement bénéficier d’une liberté d’action optimisée dès lors que le CNOA est en mesure de lui assurer l’exclusivité de sa zone de manœuvre.
La Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN) dispose d’aéronefs dans le cadre de la mission de sécurité publique qui lui est confiée qui peuvent également être mis à contribution lors de la résolution de crise de sécurité civile. Ceux-ci sont plus particulièrement adaptés dans le cadre de missions de secours et d’intervention en milieu spécialisé (mer et montagne).
La Direction générale des Douanes et des droits indirects (DGDDI) est aussi un acteur du domaine aérien. Étant chargée de la mission de contrôle des flux de marchandises, elle assume ses responsabilités sur le fret aérien et les bagages des passagers. En complémentarité de la Police aux frontières, elle assure le contrôle des personnes aux frontières de l’espace Schengen. Elle dispose d’un parc aérien, hélicoptères et avions, en complément de ses moyens terrestres et maritimes.
Dès lors que l’action de l’État dans l’air a des implications à l’étranger, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères est mis à contribution. Il sera saisi si les intérêts français sont menacés dans un pays tiers et l’appui des ambassades sera alors recherché. Il le sera également dès lors que des intérêts étrangers sont menacés en France, par exemple, lorsque le pavillon de la compagnie aérienne concernée est étranger ou lorsqu’il y a des passagers étrangers dans un aéronef français.
Perspectives
Contrairement aux milieux maritime et terrestre qui disposent d’autorités préfectorales dédiées, le domaine aérien ne jouit pas, hors activation de la CIC, d’un échelon de synthèse capable de fédérer l’ensemble des moyens aériens des ministères afin d’en optimiser l’emploi. Pour autant, le CDAOA dispose des capacités et des prérogatives qui lui permettent de mener à bien les mesures de sauvegarde dans les premiers instants d’une crise. Cette opportunité, probablement insuffisamment exploitée, demande une meilleure communication vers les autorités civiles territoriales. Cette volonté d’unifier les efforts s’exprime par ailleurs dans le domaine du développement de l’aviation civile nationale au travers de la réinstallation à l’été 2019 du Conseil supérieur de l’aviation civile (CSAC) annoncé par la ministre des Transports lors du discours de clôture des Assises du transport aérien en mars dernier (2).
Néanmoins, il n’existe pas d’enceinte dédiée qui traite de la totalité des thématiques du secteur aérien, que ce soit pour ce qui relève de la sécurité et la sûreté, mais aussi du développement de la filière aérienne française, de la promotion de l’industrie et de la transition écologique. Cet échelon de coordination de haut niveau pourrait contribuer à renforcer la stratégie nationale dans le secteur aérien. Il viendrait compléter utilement les travaux du Conseil pour la recherche aéronautique (CORAC) qui facilite déjà le développement de l’industrie aéronautique au regard des engagements en matière de transition écologique pris par la France.
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Le développement continu du secteur aérien nous encourage à mener cette réflexion. L’Association internationale du transport aérien (IATA) prévoit un doublement du volume de passagers transportés dans le monde d’ici 20 ans. En Europe, cette croissance verra une profonde adaptation des règles de circulation aérienne à travers le projet Ciel unique (CUE). Les filières drones et spatiales sont en pleine croissance au regard des services qu’elles pourront offrir dans un avenir proche : la généralisation de l’usage d’aéronefs sans pilote à bord de plus en plus performants en autonomie et en charge offerte et la multiplication des acteurs privés et étatiques accédant à l’espace, doivent inciter la France, nation pionnière en aéronautique, à renforcer les synergies entre les différents acteurs nationaux afin de répondre aux enjeux à venir et garantir le succès de son action dans l’air. ♦
(1) La GTA a pour particularité d’être placée pour emploi auprès de la DGAC.
(2) Borne Élisabeth, « Conclusion des Assises nationales du transport aérien – Présentation de la stratégie nationale du transport aérien », Paris, 8 mars 2019 (www.ecologique-solidaire.gouv.fr/).