Le Maintien en condition opérationnelle est un élément déterminant du succès des opérations aériennes. Ainsi, pour l’Armée de l’air, le plan de transformation des moyens et procédés mis en œuvre dans le cadre du MCO, qui dépend des synergies entre acteurs militaires et industriels, est d’une importance primordiale.
Modernisation du MCO aéronautique de l’Armée de l’air
En janvier 2018, la ministre des Armées a décidé la mise en place d’un plan de transformation destiné à améliorer la performance, l’efficacité et la gouvernance du Maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique. Pour l’Armée de l’air, le MCO aéronautique revêt une importance primordiale : il constitue un déterminant essentiel du succès en opération, un facteur clé de la préparation opérationnelle et, incidemment, un élément indispensable du moral du personnel. L’Armée de l’air est donc pleinement mobilisée, comme l’ensemble des acteurs étatiques et industriels du MCO aéronautique, pour que ce plan de transformation soit une réussite et qu’il apporte rapidement, à coûts maîtrisés, des résultats positifs. Au titre de sa contribution à cette réforme, l’Armée de l’air met en œuvre le projet NSO 4.0 qui vise à moderniser le Niveau de soutien opérationnel (NSO) relevant de son périmètre propre de responsabilités pour garantir la capacité de l’Armée de l’air à réaliser toutes ses missions, en tous lieux et en toutes circonstances.
Le MCO n’est pas une fin en soi, il doit donc avoir comme seul objectif la mise à disposition de matériels en état pour aller au combat. Pour l’Armée de l’air, le MCO contribue donc à la préparation opérationnelle des aviateurs – responsabilité qui incombe directement au Chef d’état-major de l’Armée de l’air (CEMAA) – ainsi qu’à l’exécution, sans faillir, de ses missions permanentes (dissuasion, Posture permanente de sûreté aérienne ou PPSA, alertes diverses), de ses engagements en opérations extérieures et de ses contributions aux actions à l’outremer et à l’étranger.
Le MCO consiste à assurer la maintenance des équipements et intègre les fonctions logistiques (approvisionnement, stockage, distribution des rechanges) et techniques (suivi et traitement des faits techniques). Les activités de maintenance se décomposent en différents niveaux techniques d’intervention (NTI 1, 2 et 3), et sont réalisées à deux niveaux de responsabilité : opérationnel (NSO opéré par les forces) et industriel (NSI étatique opéré par le SIAé (Service industriel aéronautique) et NSI privé opéré par les industriels privés).
La réussite du plan de transformation, qui doit amener à une augmentation de la performance du MCO aéronautique, repose sur de nombreux acteurs dont les responsabilités sont complémentaires :
• Les maîtrises d’ouvrages (EMA, DGA, EMAT, EMM, EMAA (1)) prescrivent le besoin (2), allouent les ressources financières et les ressources humaines (RH) en main-d’œuvre étatique. S’agissant de l’Armée de l’air, le CEMAA est responsable de la préparation opérationnelle des forces placées sous son autorité et du MCO des matériels mis en œuvre. Il exerce ses responsabilités grâce à l’EMAA et à la DRHAA (3). Dans ce cadre, le major général de l’Armée de l’air (MGAA) est Responsable du budget opérationnel de programme (RBOP) Air dont 74 % sont consacrés à l’Entretien programmé des matériels (EPM). L’Armée de l’air est également « autorité d’emploi » et « responsable du maintien de navigabilité ».
• La maîtrise d’ouvrage déléguée est confiée à la DMAé (Direction de la maintenance aéronautique) qui conçoit et propose au Chef d’état-major des armées (CÉMA) la stratégie du MCO, garantit la cohérence globale des actions de MCO. Elle négocie et pilote les contrats de soutien. Elle est chargée d’une partie de la fonction technique (OGMN (4), autorité des équipes techniques) et de la fonction logistique (gestionnaire de biens des matériels et coordonnateur de la logistique de bout en bout). Sur un plan budgétaire, elle est responsable devant le MGAA du pilotage de l’unité opérationnelle (RUO) MCO Aéro de l’Armée de l’air.
• L’autorité technique relève de la DGA qui est chargée de la maîtrise technique du matériel tout au long de sa vie. À ce titre, la DGA élabore, avec les Armées, la stratégie de soutien de chaque flotte nouvelle et en assure le soutien initial. Elle est également chargée, avec la DMAé, de la veille et du traitement des obsolescences.
• La maîtrise d’œuvre du NSO est confiée aux commandements organiques de chaque armée, qui s’appuient sur leurs unités techniques et exercent une partie des responsabilités d’OGMN et d’organisme d’entretien. Pour l’Armée de l’air, les principaux états-majors en charge du NSO sont le CFAS et le CFA (5).
• La maîtrise d’œuvre du NSI est confiée :
– Au SIAé, l’opérateur étatique qui permet au ministère des Armées de détenir des capacités d’expertise, de conception et d’intervention industrielles directes, en assurant notamment la maintenance industrielle pour laquelle une externalisation n’est pas possible ou pas souhaitable. À ce titre, le SIAé œuvre sur de nombreuses flottes, dont celles opérées par l’Armée de l’air, qu’elles soient anciennes (C-160 Transall, C-130H Hercules, Mirage 2000, Puma, Alphajet) ou récentes (A400M Atlas, Rafale), ainsi que sur des équipements (moteurs, ensembles électroniques et mécaniques, matériels de sécurité-sauvetage survie, radômes, radars sol…).
– À un tissu industriel du secteur privé constitué de constructeurs ou d’équipementiers aéronautiques majeurs et indispensables (Dassault, Airbus, Safran, Thales, MBDA…) ainsi que de maintenanciers de premier rang (Air France Industries, Sabena Technics, TAP Air Portugal…).
La performance globale du MCO dépend de la bonne coordination et des actions respectives de tous les acteurs. Elle se mesure au travers des résultats d’activité aérienne, de nombre de matériels mis à disposition des forces (la « ligne »), de disponibilité quotidienne mais aussi de maîtrise des coûts (voir schéma ci-dessous).
Dans une enveloppe financière maîtrisée, l’activité aérienne et la disponibilité constituent les paramètres les plus visibles de la performance du MCO. L’activité est effectuée avec des aéronefs équipés dans la configuration leur permettant la réalisation de leur mission (ex : nacelles de désignation laser, radar …). La disponibilité contribue, outre à la production d’activité, à l’exécution de toutes les formes de missions y compris notamment les tenues d’alerte ainsi que les montées en puissance de la dissuasion aéroportée. Le volume et la qualité de cette activité aérienne permettent de :
– mener des opérations aériennes de première importance : PPSA, lutte contre Daech au Levant ou contre le terrorisme au Sahel, frappes de rétorsion contre l’utilisation d’armes chimiques en Syrie (opération Hamilton (6)), police du ciel en Baltique, etc. ;
– tenir des contrats opérationnels exigeants en termes de volume, d’autonomie, de réactivité et de durée d’action : protection du territoire national, dissuasion nucléaire, connaissance et anticipation, prévention et gestion de crises, mise en œuvre de l’échelon national d’urgence, engagement majeur intervention ;
– garantir la préparation opérationnelle des équipages, afin qu’ils puissent réaliser les missions ci-dessus.
Dans ce cadre, l’équilibre entre NSO et NSI est essentiel à la performance du MCO. Ainsi, le maintien d’un NSO dimensionné en fonction des exigences opérationnelles, garantit la capacité de l’Armée de l’air à réaliser ses missions, en tous lieux, en toutes circonstances et à coûts maîtrisés. Placé au plus près des avions et pleinement tourné vers le soutien des besoins opérationnels, le NSO contribue directement, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, de façon décisive, à la réalisation des missions de l’Armée de l’air. Il est servi par du personnel militaire qui est un gage de réactivité, d’autonomie, de résilience et de coût maîtrisé quels que soient les circonstances et les théâtres d’engagement.
Pour garantir une telle capacité, l’Armée de l’air et son personnel militaire doivent donc continuer à maîtriser un certain nombre d’aptitudes et de savoir-faire essentiels, comme :
• La mise en œuvre et la maintenance des avions de chasse, de certains avions de transport, flottes spéciales ou hélicoptères, mais aussi de leurs équipements, de leurs armements et de certains matériels d’environnement aéronautique avec une profondeur qui varie selon l’emploi des flottes et les compétences à entretenir.
• La mise en œuvre et la maintenance des systèmes d’information et de communication aéronautiques, comprenant les radars de surveillance et d’approche ainsi que les systèmes de commandement et de conduite des opérations, mais aussi des matériels de défense sol/air, selon une approche similaire aux aéronefs.
• Une partie des activités logistiques, là encore sur un périmètre qui dépend des compétences qu’il est indispensable de détenir en propre. Dans tous les cas, là aussi, l’engagement en opération extérieure (Opex) nécessite de conserver des moyens militaires.
• Le soutien de systèmes d’information technico-logistiques ou embarqués.
• Un niveau d’expertise technique pour contribuer au maintien et suivi de navigabilité.
• Les fonctions techniques comprenant la gestion de flotte et l’ordonnancement des tâches en conservant les capacités d’arbitrage afférentes, arbitrage pour lequel le paramètre opérationnel doit impérativement demeurer primus inter pares. Cela suppose d’accepter de ne pas atteindre un « optimum » global pour se donner les moyens de réaliser une mission prioritaire. Conserver ces fonctions au sein de l’Armée de l’air est donc logique et essentiel.
La « productivité » de la main-d’œuvre militaire de l’Armée de l’air est très satisfaisante comme l’attestent les très bons niveaux de disponibilité en Opex (7). De même, hors Opex, la performance du NSO pour générer l’activité d’entraînement est supérieure à 70 %, c’est-à-dire que pour dix aéronefs mis à disposition des forces, environ 7 peuvent être alignés dans la journée pour contribuer à la réalisation d’une mission ou de préparation opérationnelles. Par ailleurs, tout militaire œuvrant au profit du NSO est aussi un combattant en plus d’être un technicien de haut niveau. Il partage donc son temps d’activité entre la « production pure » dédiée au MCO (80 %) et les sujétions du métier des armes (8) (20 %).
Depuis 2007, l’Armée de l’air a réduit de 27 % les effectifs Air affectés à la maintenance aéronautique en confiant davantage d’activités de MCO à des opérateurs privés. Le NSO a ainsi été optimisé et rationalisé selon la logique de différenciation suivante :
• Le périmètre du NSO englobe les activités de NTI1 et une partie du NTI2 jugée « stratégique » pour les flottes reconnues « système de combat » et dont l’usage est exclusivement militaire : Rafale, Mirage 2000, Alphajet, C-130H et J Super-Hercules, C-160, C-135, CASA CN235, A400M, Puma, AS550 Fennec, AWACS, A330 MRTT (Multi Role Tanker Transport)… Le NTI2 « stratégique » inclut, par exemple, l’entretien de moteurs, d’équipements de missions ou d’OAE (9) que les forces doivent pouvoir dépanner en Opex. Le maintien de ces compétences techniques impose, par exemple, que le NSO incorpore dans son périmètre certaines visites d’entretien préventif. Ce type de disposition permet d’approfondir la connaissance de l’avion et de bénéficier d’actions propices à la formation des mécaniciens. Par ailleurs, il suppose également la maîtrise des activités de réparations structurales, indispensables à la régénération de la disponibilité en opérations.
• Le périmètre du NSO se concentre sur les activités de NTI1 et quelques activités NTI2 pour les flottes qui présentent un emploi opérationnel très sensible, mais dont le parc est limité en nombre ou qui possèdent une grande proximité technique avec des flottes civiles : H225M Caracal, DHC6 Twin Otter et bientôt ALSR (10), Cuge (11), Reaper Block 5 et drone Male (Moyenne altitude, longue endurance) européen.
• Il n’y a aucun NSO (la totalité de maintenance a été confiée à des prestataires industriels civils) pour la plupart des flottes d’avion-école, d’avions de transport stratégiques et à usage gouvernemental : Grob G120, Embraer 121 Xingu, Pilatus PC-21, A310, A330, A340, TBM 700, Falcon, AS332 Super Puma, etc.
Le plan de transformation du MCO aéro lancé au sein du ministère a d’abord porté sur le NSI considéré comme une des causes de sous-performance à traiter en priorité (12). Sur la base du rapport de l’ingénieur général de classe exceptionnelle de l’armement (2S) Christian Chabbert, cette priorité s’est traduite par la recherche d’une optimisation de la stratégie contractuelle avec les objectifs suivants :
– limiter les interactions entre les différents acteurs (verticalisation) ;
– responsabiliser les industriels sur un périmètre plus important (globalisation) ;
– leur donner une plus grande visibilité (contrats de longue durée).
Cette optimisation de la stratégie contractuelle pourra se traduire dans certains cas par de nouveaux transferts d’activité du NSO vers le NSI. Il conviendra toutefois de mesurer, au cas par cas, tous les impacts de cette démarche sur l’efficacité opérationnelle (tenue des contrats opérationnels, capacité de projection, aptitude à durer…) mais aussi sur l’efficience globale (surcoûts versus gains RH).
Au titre de sa contribution au plan de transformation et poursuivant l’effort de rationalisation du NSO entrepris ces dernières années, l’Armée de l’air a initié le projet NSO 4.0 qui vise à identifier de nouvelles pistes d’optimisation, en cohérence avec l’actuel plan de transformation du MCO aéronautique. Associant tous les acteurs du MCO, les travaux ont été confiés aux deux maîtres d’œuvre du NSO dans l’Armée de l’air (CFA et CFAS) et portent sur les 3 grands domaines opérés par les forces :
1. les activités de production de la maintenance des aéronefs ;
2. l’entretien et la mise en œuvre des matériels d’environnement aéronautique ;
3. la manœuvre logistique.
Tenant compte des nombreuses recommandations issues de l’ensemble des audits, enquêtes et études particulières sur le MCO aéronautique, notamment celles issues du rapport de l’IGA Chabbert, le projet NSO 4.0 se décline selon quatre axes :
1. Un axe « Organisation » visant à consolider les organisations, notamment en décrivant précisément le contour du « socle NSO » en termes de RH, de moyens techniques et de savoir-faire à conserver.
2. Un axe « Ordonnancement », visant à améliorer la coordination de l’ensemble des acteurs du MCO sur les bases aériennes, en associant davantage les industriels tout en conservant, au sein des forces, la responsabilité des décisions qui doivent in fine rester guidées par le rythme et les exigences des opérations.
3. Un axe « Lean Management » afin de supprimer les tâches sans plus-value, optimiser le séquencement des opérations de maintenance, retrouver des marges pour la formation et rejoindre les standards des meilleurs industriels.
4. Un axe « Mesure de la performance » destiné à consolider les outils de mesure de la performance, à contrôler les résultats du projet et vérifier l’efficacité des actions.
Dans ce projet structurant, la conduite du changement revêt un aspect fondamental. Notamment, l’adhésion du personnel est un enjeu stratégique. Pour cela, les quatre domaines suivants seront plus particulièrement développés : la communication, la Gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC en lien avec le projet DRHAA 4.0), les partenariats (Éducation nationale, industries privées et acteurs étatiques du MCO) et l’innovation.
L’esprit d’innovation infusera avec le projet « NSO 4.0 », en utilisant les opportunités issues de la technologie, en repensant les processus et les organisations et en constituant un réseau « vivant » au sein des unités techniques. Ce réseau sera connecté aux actions lancées par la toute récente Agence pour l’innovation de Défense (AID) afin de faire fructifier les idées naissantes.
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Le MCO est un domaine majeur de la capacité des Armées à réaliser tant leur préparation que leurs engagements opérationnels. Son succès relève de l’implication motivée de l’ensemble des acteurs qui y contribue. Au regard de son coût, il convient de profiter de toutes les opportunités offertes par les innovations technologiques, les changements d’organisation et les optimisations possibles pour en maîtriser le prix, sans amoindrir la capacité des Armées à « Se Préparer, Agir et Durer » (13). ♦
(1) État-major des Armées, Direction générale de l’armement, État-major de l’Armée de terre/de la Marine/de l’Armée de l’air.
(2) Divers documents dont le Contrat d’objectifs et de performance (COP) définissent les besoins et priorités des armées.
(3) La Direction des ressources humaines de l’Armée de l’air est gestionnaire des RH opérant, au titre du MCO, au sein du soutien opérationnel ou auprès d’autres employeurs du ministère.
(4) Organisme de gestion du maintien de la navigabilité des aéronefs d’État.
(5) Commandement des Forces aériennes stratégiques, Commandement des forces aériennes.
(6) Voir l’article du lieutenant-colonel Moyal dans ce volume, p. 58-64.
(7) La disponibilité en Opex est supérieure à 80 % au global et elle est même supérieure à 90 % sur les flottes de combat.
(8) Formation du combattant, exercices, missions, permanence…
(9) Organes, accessoires et équipements.
(10) Avion léger de surveillance et reconnaissance.
(11) Charge utile de guerre électronique, futur système qui remplacera les Transall C-160 Gabriel.
(12) Pour l’Armée de l’air : C-130H, SA330 Puma, Mirage 2000, A400M et certains équipements comme les nacelles de désignation laser.
(13) Devise du Commandement des forces aériennes (CFA).