Union française - Les pouvoirs spéciaux - L'unité du Maghreb - Accord sur l'indépendance du Maroc - Le protocole d'indépendance de la Tunisie - La loi-cadre en Afrique noire - Les élections au Vietnam-Sud
Afrique du Nord
Algérie. — Le vote des pouvoirs spéciaux, la discussion au sein du gouvernement des problèmes de la reconversion tactique et de l’accroissement des effectifs, la déclaration de M. Pineau [ministre des Affaires étrangères] devant la presse anglo-américaine, le 2 mars 1956, et les réponses des Ambassadeurs de Grande-Bretagne et des États-Unis ont reporté l’attention, au cours du mois de mars, de l’Algérie à la métropole.
Les pouvoirs spéciaux ont été accordés au gouvernement à l’énorme majorité de 455 voix contre 76 ; ce vote massif couvre néanmoins une certaine divergence d’intentions, la droite de l’Assemblée voyant surtout dans ces pouvoirs la possibilité de rétablir l’ordre, alors que la gauche entend que le gouvernement mène de front une politique de pacification armée et une politique de progrès social et économique. M. Robert Lacoste [gouverneur général et ministre de l’Algérie] a d’ailleurs ainsi défini le but du gouvernement dans le domaine militaire : « ni reconquête, ni répression » ; et M. Guy Mollet [Président du Conseil des ministres] a saisi toutes les occasions de répéter dans ses discours que le rétablissement de l’ordre n’était qu’un préalable à l’organisation d’élections libres qui doivent dégager les interlocuteurs algériens valables.
Le gouvernement français a montré sa détermination de ne pas s’enliser dans les opérations militaires en prenant immédiatement, en vertu des pouvoirs spéciaux, une série de décrets intéressant la promotion des musulmans aux fonctions publiques, leur participation aux entreprises privées bénéficiant de l’aide des collectivités publiques, l’aménagement du droit foncier et du crédit agricole permettant une plus large accession à la propriété rurale, enfin la mise en valeur obligatoire des terres irrigables.
Sur le plan international, les reproches très directs adressés à nos alliés par M. Pineau, le 2 mars, dans la déclaration qu’il fit au déjeuner de la presse anglo-américaine, ont provoqué de la part de la Grande-Bretagne et des États-Unis des mises au point dont le gouvernement français a tout lieu de se féliciter. Sir Gladwyn Jebb, ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, a assuré la France du soutien de son pays, et, le 21 mars, M. Douglas Dillon, ambassadeur des États-Unis à Paris déclarait notamment : « La politique française en Afrique du Nord a l’appui total des États-Unis ». D’autre part, l’entrevue au Caire, le 15 mars, entre MM. Pineau et Nasser, si elle n’a pas abouti à des engagements formels de la part de l’Égypte, a grandement contribué à la compréhension par le gouvernement égyptien de la situation très particulière de l’Algérie dans la République française et dans l’ensemble de l’Afrique du Nord.
Le bilan de l’action gouvernementale a donc été nettement positif pendant le mois de mars. Cependant un nouveau sujet d’inquiétude est apparu à la suite de certaines déclarations du Sultan du Maroc, de M. Allal el Fassi et de M. Bourguiba. Avec un parallélisme qui ne peut être considéré comme accidentel, le Sultan du Maroc et les deux leaders nationalistes marocain et tunisien, ont insisté sur la nécessité pour la France de reconnaître le fait national algérien. On comprend évidemment l’intérêt que portent les nationalistes marocains et tunisiens à l’édification d’un Maghreb entièrement indépendant et purement musulman : M. Bourguiba n’a-t-il pas évoqué la possibilité future d’une fédération entre les trois pays d’Afrique du Nord ? Le Sultan du Maroc [Sidi Mohammed ben Youssef], de son côté, envisage sans doute avec faveur la formation d’un bloc arabe nord-africain qui lui permettrait de jouer un rôle de premier plan à l’intérieur de la ligue des Nations arabes. M. Guy Mollet n’a pas manqué de relever les paroles de M. Bourguiba, en affirmant une fois de plus que la présence en Algérie d’une minorité française, importante non seulement par le nombre mais aussi par le rôle qu’elle joue dans le développement économique et social du pays, rendait impossible toute idée de sécession. La situation mérite que le gouvernement français exerce à ce sujet toute la vigilance et la fermeté indispensables.
Maroc. — Les négociations franco-marocaines ont abouti le 2 mars à une déclaration commune, signée par MM. Pineau et Si Bekkaï [Président du Conseil de gouvernement du Maroc], qui proclame l’indépendance du Maroc et amorce de nouvelles négociations dans le but de définir les liens d’interdépendance entre les deux pays. Un protocole annexe proclame que le Sultan du Maroc dispose d’une armée nationale, et confie provisoirement à la France la défense des intérêts extérieurs du Maroc.
Le Sultan et les membres du gouvernement marocain ont été reçus à leur retour à Rabat dans un enthousiasme délirant. La même explosion de joie a eu lieu au Maroc espagnol ; en divers endroits de ce territoire le service d’ordre est intervenu pour disperser les manifestants et on déplore un certain nombre de morts et de blessés.
Le retour à l’ordre des régions rifaines, dont les tribus étaient entrées en dissidence, constituait un test de l’autorité nouvelle du Sultan à la suite de l’indépendance, et de l’audience de l’Istiqlal [Parti de l’indépendance]. Il semble que les résultats soient positifs : les bandes armées du Rif ont cessé leurs attaques et se regroupent actuellement avant de déposer les armes.
Tunisie. — Le 18 mars 1956 on annonçait que les négociations franco-tunisiennes étaient « interrompues ». S’appuyant en effet sur l’exemple de l’indépendance accordée au Maroc, les négociateurs tunisiens réclamaient une mesure semblable en faveur de leur pays, alors que la délégation française entendait se maintenir dans le cadre des accords franco-tunisiens. Finalement, à la suite d’un entretien entre MM. Pineau et Bourguiba, un accord se fit jour à la dernière minute, et, le 20 mars, un protocole, signé par MM. Pineau et Tahar Ben Ammar [Grand vizir de Tunis], reconnaissait l’indépendance de la Tunisie, constatait que le traité du Bardo [12 mai 1881] ne pouvait plus régir les rapports franco-tunisiens, et accordait au gouvernement tunisien le plein exercice des responsabilités extérieures et de celles concernant la sécurité et la défense.
Afrique noire
Le Parlement a voté par 477 voix contre 99, le 23 mars, le projet de loi-cadre présenté par le gouvernement qui permettra, par la procédure des décrets, l’institution du collège unique et du suffrage universel, la création de conseils du gouvernement et l’africanisation des cadres. Ainsi l’évolution de nos territoires d’outre-mer va s’accélérer, non pas sous la pression des événements, mais dans un cadre soigneusement étudié qui assurera une évolution harmonieuse et pacifique des populations.
Indochine
Vietnam. — Les élections à l’Assemblée constituante du Sud Vietnam, qui se sont déroulées le 4 mars 1956, ont, comme il fallait s’y attendre, assuré une confortable majorité au gouvernement Diem.
On confirme le ralliement au gouvernement Diem du général Trân van Soai, commandant des Hoa-Hao, et de 4 700 de ses hommes. Le corps expéditionnaire français termine actuellement son retrait du Vietnam : quinze mille hommes ont quitté le pays en mars 1956. ♦