Otan - Crise de l'Otan - Affrontement au Moyen-Orient - Europe centrale - Le départ du général Gruenther
Crise de l’Otan
L’organisation atlantique connaît la crise [NDLR 2023 : Suez] la plus sérieuse de son histoire. Trop exclusivement conçue comme une alliance militaire destinée à faire face à une agression ouverte du bloc de l’Est sur le continent européen, elle s’avère impuissante à harmoniser les politiques des États-membres pour enrayer la poussée soviétique dans une région extérieure à l’Europe mais vitale pour elle.
Les divergences d’intérêts se sont affirmées avec éclat durant la crise du Proche-Orient qui continue à peser lourdement sur les destinées de l’Otan.
C’est dans cette situation internationale confuse que vont se réunir les plus hautes instances du Pacte, la session ministérielle du Conseil étant prévue à Paris du 11 au 14 décembre 1956.
Affrontement au Moyen-Orient
L’action militaire déclenchée en Égypte par les forces franco-britanniques a été prématurément interrompue, ainsi que la campagne israélienne dès le 6 novembre 1956 par un cessez-le-feu imposé sous la double pression d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies appuyée par le gouvernement de Washington et d’une brutale mise en demeure soviétique adressée à Londres, Paris et Tel-Aviv.
Une force internationale de l’ONU dont la création a été hâtivement décidée se substitue aux contingents français et britanniques dont le retrait progressif a été accepté par les deux gouvernements qui ont été l’objet d’une véritable condamnation morale aux Nations unies.
Bien que les buts poursuivis n’aient pas été atteints, la courte campagne des forces israéliennes qui ont capturé en quelques jours dans la péninsule du Sinaï un matériel de guerre correspondant en gros à l’armement de deux divisions d’infanterie a mis en évidence l’ampleur de l’aide soviétique en armements à l’armée égyptienne et la totale incapacité de celle-ci à les mettre en œuvre.
Le gouvernement de Washington, dans son souci d’éviter une nouvelle Corée et d’empêcher à tout prix une intervention armée, s’est trouvé amené à prendre des positions radicalement opposées aux intérêts de ses alliés occidentaux : comment concilier le maintien de l’alliance atlantique avec le soutien obstiné du monde arabe ?
L’obstruction du canal de Suez dont le déblaiement demandera de longs mois et les sabotages commis en territoire syrien sur le pipeline venant d’Irak portent une atteinte sérieuse au ravitaillement en pétrole de l’Europe occidentale. C’est un élément de faiblesse pour l’Otan, s’ajoutant à la crise des relations entre alliés occidentaux.
Toute éventualité d’intervention armée soviétique au Moyen-Orient n’est pas écartée et la Syrie où s’exerce en fait la dictature pro-soviétique du colonel Sarraj, apparaît de plus en plus comme un satellite de l’Union soviétique, tête de pont possible pour les visées de Moscou.
La solidarité des pays arabes, il est vrai, n’a pas joué au-delà des manifestations verbales, mais le risque d’un embrasement du Moyen-Orient n’est pas exclu devant la cristallisation en cours des deux blocs antagonistes : Égypte-Syrie-Arabie séoudite d’une part, ouvertement soutenues par Moscou, et pays du pacte de Bagdad : Turquie, Iran, Irak, favorables aux Occidentaux.
Europe centrale
La politique occidentale n’est pas la seule à être entachée de contradictions. L’écrasement brutal de la révolte hongroise par les forces soviétiques a eu dans le monde entier un retentissement considérable. L’impuissance de l’ONU à obtenir fût-ce l’envoi d’observateurs a largement discrédité l’organisation internationale. Il semble que l’on assiste à un durcissement soviétique vis-à-vis des satellites qui peut donner à réfléchir aux dirigeants sinon aux masses des pays « neutralistes » qui échappent encore à l’emprise de Moscou.
Le départ du général Gruenther
Après avoir passé officiellement au général Norstad le commandement suprême allié en Europe qu’il exerçait depuis plus de trois années, le général Alfred M. Gruenther a quitté définitivement la France le 21 novembre. Désormais retiré de la vie militaire après 38 années de service, il exercera la présidence de la Croix-Rouge américaine. Son expérience incomparable des questions européennes, ses liens avec le Président Eisenhower, la maîtrise avec laquelle il a animé le SHAPE auquel il s’était voué depuis ses origines, feront de lui, à Washington, le meilleur des ambassadeurs de l’Alliance atlantique. Ses adieux au Conseil de l’Otan et au SHAPE où il laisse d’unanimes regrets ont donné lieu à d’émouvantes manifestations de sympathie. Le gouvernement français a tenu à lui conférer la plus haute distinction qui puisse être accordée à un commandant en chef : au cours d’une prise d’armes dans la cour des Invalides, le 19 novembre, le Président du Conseil, M. Guy Mollet, lui a remis la médaille militaire, en présence des plus hautes personnalités politiques et militaires françaises et étrangères.
Le nouveau commandant suprême allié, le général Lauris Norstad, âgé de 49 ans, est en Europe depuis 1951. Commandant alors les forces aériennes alliées du Centre-Europe, à la création de ce poste, il était, depuis juillet 1953, adjoint au général Gruenther pour l’aviation. Ses premières paroles comme commandant suprême ont été pour affirmer qu’un changement de personne n’impliquait aucun changement de doctrine ni de stratégie et pour proclamer sa foi dans « cette alliance consacrée à la paix et à la prévention de la guerre, unique dans l’histoire… instrument vital pour la paix du monde libre ». ♦