L’Église de la Renaissance et de le Réforme. T. I : Une révolution religieuse : la Réforme protestante
C’est le drame de la Révolution protestante, cette grande crise religieuse de l’Europe chrétienne déchirée, que nous expose Daniel Rops dans ce nouveau volume de l’Histoire de l’Église du Christ.
Le drame n’est autre que celui de l’évolution profonde de la vie chrétienne médiévale.
Au lendemain du retour d’Avignon à Rome de la Papauté (1377), l’Église continuait à se présenter sous les dehors les plus imposants et le domaine géographique de la Chrétienté couvrait toute l’Europe nordique, occidentale, centrale, méditerranéenne. De plus semblait prochaine la victoire de la Croix dans l’immense continent mystérieux où missionnaires et commerçants occidentaux avaient pénétré depuis déjà plus d’un siècle. Toutefois, en cette fin du XIVe siècle les vents de l’histoire soufflaient partout en tempête et des forces nouvelles vont disloquer les assises mêmes du monde chrétien. Une triple crise alors le travaille, crise d’autorité, d’unité et surtout une crise morale et spirituelle : l’esprit humain se révolte contre la foi ; les chrétiens se rebellent contre l’autorité légitime du Saint-Siège apostolique ; leurs États brisent l’ancienne unité des baptisés.
Mais la civilisation médiévale, la Chrétienté, comme on disait alors, n’était pas tout le christianisme ; une autre forme de civilisation s’apprêtait à naître des limbes de l’histoire : l’Église saurait-elle en faire un monde chrétien ?
Pour faire face à l’avenir, pour opérer la synthèse entre les valeurs permanentes du christianisme et les composantes nouvelles de cette époque prestigieuse désignée communément sous le nom de Renaissance, l’Église n’aura pour la construire (1447-1521) que des papes trop amis des arts, de l’humanisme, de la vie facile, et dont la carence morale malgré leur intégrité doctrinale amènera l’Église du Christ à une crise terrible dont elle sortira affaiblie, douloureuse, amputée de quelques-uns de ses membres les plus chers.
C’est alors le drame de Luther avec ses ardeurs, sa foi, ses contradictions, ses intolérables violences. Luther était un mystique soulevé par des élans de foi qu’on ne peut qu’admirer, d’une nature fougueuse et emportée, à l’orgueil assez gros et presque cruel mais que contredisait le besoin profond de s’humilier devant Dieu. C’était un prêtre, un érudit, un dictateur, un philosophe et par ses meilleurs comme par ses pires côtés une des plus grandes incarnations de l’esprit allemand qui avait su donner à une masse informe et chaotique une âme collective.
Il devait en être autrement en France, où la réforme protestante, suscitée par un Français, selon des critères idéologiques profondément français, de logique et d’universalité ne pouvant prendre racine que hors du royaume aux fleurs de lys. Jean Calvin a été l’homme de la rupture définitive, qui, bien plus que Luther, avec une sorte de vigueur luciférienne, s’est appliqué à mettre entre l’Église qui lui avait donné le baptême et celle qu’il voulait « dresser » un mur infranchissable ou un abîme.
Certes, il faut reconnaître son zèle ardent de Dieu, sa passion des âmes à gagner, ce sérieux tragique avec lequel il envisagea toujours sa vocation et son sens indéfectible du devoir. Parfait lecteur de l’Évangile, Calvin en a méconnu les deux plus beaux préceptes : qu’il faut être le dernier au bout de la table et qu’il faut aimer ses ennemis.
Il lui a manqué ces deux vertus essentiellement chrétiennes : l’humilité et la bonté véritable. Mais le protestantisme doit à Calvin son ordre, sa foi commune, ses méthodes et aussi ce visage grave, respectable plus souvent qu’aimable qu’on lui connaît. Il lui doit d’être un type religieux nouveau.
Au lendemain de la mort de Calvin, la vague luthérienne avait balayé presque toute l’Allemagne, hormis la Rhénanie et la Bavière, celle des petites gens et celle des chevaliers gueux, celle aussi des intellectuels et des bourgeois commerçants ; elle s’était mise à l’assaut de la Livonie, de la Courlande, de la Bohême, de la Silésie, des royaumes du Danemark, de Suède et de Norvège. Si donc la Réforme avait gagné vers l’Est et le Nord, elle devait se briser vers l’Ouest et vers le Sud, surtout en Espagne où l’hérésie ne pénétra pas. En France, venu de Genève, le calvinisme, en dépit des réactions brutales du pouvoir, avait cependant réussi à s’y introduire ; soutenu par de puissants seigneurs gagnés à sa cause, il constituait un parti politique qui, s’opposant à celui des Guise, donna naissance aux guerres de religion qui pendant trente ans désolèrent notre pays.
Quant à l’Angleterre, lorsque les premiers appels de Luther atteignirent ses rivages, ils ne reçurent pas un bon accueil, et le peuple anglais qui entretenait dans le cadre de la vieille Église une vie religieuse active n’aurait jamais embrassé la Réforme si une initiative de son souverain ne l’avait d’abord coupé de la Papauté et confisqué à son profit l’autorité spirituelle.
Ainsi aux quatre coins de l’Europe, la rupture de l’Unité chrétienne entraîna-t-elle des réactions collectives dont la politique autant que la religion porte la responsabilité. Si les premiers succès de la Reforme avaient été d’abord l’adhésion des millions de chrétiens à une foi exaltante dans son dépouillement, la révolte de Luther avait déchaîné les convoitises temporelles : le sort de la Réforme n’était plus dans un débat d’âme, mais dans les jeux des gouvernements et des partis car « tout commence en mystique et tout finit en politique » (Péguy).
Telles sont, brièvement indiquées, les idées maîtresses d’une œuvre d’une rigoureuse impartialité, d’une stricte orthodoxie catholique : à lire et à méditer par tous ceux qu’attire encore aujourd’hui l’histoire des âmes. ♦