En mobilisant l’analyse d’auteurs de renom, on peut soupeser les risques d’une réforme qui éclipserait le guerrier et l’esprit de corps qu’il suscite, au profit de l’expert et de la performance fonctionnelle comme modèles d’adhésion. La solidarité organique dans l’action militaire résulte d’un choix assumé du bien commun collectif.
Sur l’esprit de corps
The sociology of esprit de corps
In calling upon renowned authors this author shows the risks of any reform that could overtake military personnel and the team spirit that is so essential to each of them in the search for expertise and functional performance. Solidarity and support within an organisation during military action results from a desire to act for the common good.
Esprit de corps. La formule est magnifique. La formule est magique. Magique dans la forme puisqu’elle a traversé les siècles pour s’imposer aujourd’hui comme une expression consacrée par l’usage. Son champ d’application dépasse désormais le simple cadre de la science militaire. L’expression, forgée par le colonel Ardant du Picq, est couramment utilisée dans le milieu sportif ou dans le monde de l’entreprise. Consécration suprême, elle est admise – en français dans le texte – dans le prestigieux Oxford dictionary qui la définit comme « feelings of pride, care and support for each other that are shared by the members of a group » (1) ; « from French », la formule est au cœur du style de commandement du corps des US Marines tel qu’inscrit dans le marbre de la doctrine (2).
Magique également, au sens propre, car elle décrit un indescriptible, un impalpable, un irrationnel : à y croire, le collectif serait capable de produire un supplément d’âme rendant le groupe plus fort que la somme de ses parties. Ce qui ressemble aujourd’hui à un lieu commun était loin de l’être dans les années qui précèdent la guerre de 1870. Le colonel Ardant du Picq fait à l’époque figure d’original qui comprend notamment que « ce qui doit croître avec la puissance des engins, c’est la force de l’organisation, la solidarité des combattants » (3). En comparant « combat antique » et « combat moderne », l’officier oppose la solidarité mécanique naturellement produite par les unités homogènes engagées en rangs serrés à une solidarité nouvelle que doivent impérativement développer avant l’épreuve du feu les combattants modernes, plus spécialisés donc plus dispersés sur le terrain. Cette solidarité fraternelle, voulue et partagée, est fondée sur la fierté d’appartenir à un groupe soudé par des valeurs communes ; chacun est reconnu pour la place spécifique qu’il occupe et sait pouvoir compter sans réserve sur les autres. L’esprit de corps, ciment à prise rapide, est un puissant démultiplicateur d’efficacité collective.
Solidarité mécanique et solidarité organique
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