Changer de politique
Changer de politique
En période électorale, ce titre anodin pourrait viser des éléments de programme relatifs à des revenus de remplacement ou à la réforme de l’enseignement primaire. Le sous-titre, « Une autre politique étrangère pour un monde différent ? », élargit le débat et ouvre des horizons beaucoup plus généraux et lointains, à la dimension du diplomate et de l’industriel de haut rang qui les explore.
À partir d’un constat sévère sur un pays, le nôtre, réfugié dans un passé (« même glorieux ! ») et ayant tendance à invoquer en toutes circonstances une « exception française » et aussi sur une Europe brouillonne, plongée dans la « confusion des idées et des objectifs » et « privilégiant le nombre sur l’homogénéité », le tout situé dans un univers anarchique et évoluant à grande vitesse après le relatif confort de la guerre froide, l’auteur se lance dans un tour du monde ambitieux. Son expérience autorise une telle démarche, par exemple à partir des souvenirs du « Quai » de l’époque de Mitterrand et des « Relations extérieures » appuyés sur quelques anecdotes et rencontres citées en bas de page et relayés par les données précises de la plus proche actualité.
Retenons au passage quelques éléments puisés dans ce parcours. Toujours animés par le même « idéalisme moralisateur », les États-Unis, ne pouvant plus prétendre à une « hégémonie sans partage », n’auraient-ils pas « vieilli » tandis que l’Otan, à la recherche d’un destin, s’achemine vers une sorte de « Sainte Alliance » ? La Russie est à reconstruire et il convient de l’aider à rejoindre le concert des nations en s’abstenant de « harceler » un régime Poutine dont le bilan semble après tout globalement positif. Objet de convoitise, l’Afrique connaît un « mélange hétérogène de tradition et de modernité » et le chapitre qui lui est consacré offre deux formules heureuses bien que légèrement sarcastiques : « Ne pas se satisfaire de l’extrapolation plus ou moins heureuse de comportements antérieurs » et « Cesser de paraître le copain de trop de coquins » ! Au Moyen-Orient où il convient de s’interroger sur les conséquences à terme des « Printemps arabes » et où l’islamisme est « un facteur important de trouble et de désordre », où enfin plane le risque de prolifération nucléaire, il n’est pourtant guère de solution globale, dans la mesure où chaque pays pose des problèmes spécifiques : Turquie post-kémaliste suspendue à l’adhésion européenne, Iran qui reste une grande nation et qu’il ne faut peut-être pas « couper du reste du monde », impasses palestiniennes, bourbier afghan… Longtemps à l’écart des grands mouvements mondiaux, les pays d’Amérique latine hésitent politiquement et économiquement entre la voie démocratique et la tentation dictatoriale. En Asie, dont il convient de parler au pluriel, la Chine, un monde en soi, n’est « ni conquérante, ni prosélyte » mais aspire à la reconnaissance mondiale de son nouveau statut, tandis que le Japon sort enfin définitivement de l’après-guerre, que l’Inde brille surtout en surface, que le Pakistan couve « une des plus graves menaces pour la paix dans le monde » et que la Corée du Nord joue avec le feu. Bien des facteurs, permanents ou nouveaux, interviennent dans ce monde en ébullition et en accentuent les périls. Cela va du partage de l’eau, de l’accès aux réservoirs d’énergie et des grandes migrations actuelles et futures, à l’envahissement informatique et à la conquête de l’Espace, le tout souligné par l’orchestration médiatique et l’agitation d’ONG disparates. On voit que rien n’échappe à l’analyse de Francis Gutmann qui ne joue pas pour autant les révolutionnaires. La notion d’État, « premier des pôles de stabilité » et siège de l’autorité est pour lui primordiale. Quant aux Nations unies, elles sont à ses yeux « instance de légitimité et source de droit », alors qu’il reste à régler les délicates questions de l’élargissement du Conseil de sécurité et des missions actualisées des institutions internationales. Les questions de défense ne sont pas à négliger et, au civil comme au militaire, l’énergie nucléaire « reste nécessaire ».
Si le discours se veut planétaire, les préoccupations et les recommandations de l’ambassadeur de France reviennent en toutes circonstances sur le cas de notre hexagone au sein d’un Occident qui « n’est plus un modèle ». Il faut tout d’abord réveiller les Français qui ont « perdu l’esprit d’entreprise » et « leur réapprendre le goût de se battre ». Sur le plan des procédés, il convient de cesser de nous référer à des postulats qui n’ont plus cours, d’éviter en politique étrangère les amalgames réducteurs et les généralisations hâtives, de poursuivre des buts raisonnables, précis et mesurés (comme le firent certains grands anciens) sans oublier ce qui reste de notre influence culturelle. Savoir anticiper, abandonner le penchant naturel de donneur de leçons et ne pas saupoudrer les efforts. Leçon de diplomatie, sévère, mais – nous a-t-il semblé – imprégnée d’un fond d’optimisme.