La guerre irrégulière
La guerre irrégulière
Quelque vingt-cinq auteurs, universitaires plus que militaires mais bien connus dans le petit monde de la recherche stratégique, sont intervenus au cours d’un colloque organisé par Saint-Cyr avec une forte participation anglo-saxonne. Pendant très exactement quatre siècles, après les errances de la guerre de Trente ans, la plupart des conflits armés relatés par nos livres d’histoire se sont déroulés dans un système « westphalien », à savoir étatique, le gain final du vainqueur équilibrant en gros la perte du vaincu. À part les campagnes coloniales (Gallieni et Lyautey fournissent encore de précieuses références) et quelques exceptions comme la guérilla espagnole contre Napoléon, la « course » maritime ou la Vendée, le jus ad bellum et le jus in bello suivaient des règles supposant la réciprocité.
Tandis que la bombe d’Hiroshima rendait pratiquement impossible (Raymond Aron) la poursuite des affrontements traditionnels, tout en suscitant à titre de précaution des recherches et réalisations onéreuses, les armées classiques héritières de Verdun et de Koursk ont dû abandonner leur savoir-faire pour faire face à des guerres « irrégulières » (pour reprendre le titre de l’ouvrage). Elles ont eu grand mal à s’y adapter malgré leur évidente supériorité matérielle. Elles ont opéré dans un statut juridique flou et furent entraînées dans des confrontations et le plus souvent sans bénéficier du soutien politique, populaire et médiatique qui allait de soi auparavant. Selon une formule sarcastique mais bienvenue, il s’agit de « tout ce que les militaires n’aiment pas faire ! ».
Qui dit « guerre irrégulière » suppose l’existence de forces du même nom. Une façon de tourner la difficulté de l’asymétrie est alors, pour les réguliers, d’imiter les formes et méthodes de l’adversaire. En dépassant et généralisant le stade des « forces spéciales », on peut alors s’orienter vers des tactiques nouvelles. Un exemple frappant de cette inversion est fourni par la campagne (française) d’Indochine : le GCMA (groupement de commandos mixtes aéroportés) s’activait en haute région – sans doute un peu tard – à implanter des maquis importants menaçant les arrières et la logistique Viêt, au moment où en face, les bandes de guérilleros du début se transformaient à l’assaut de Dien Bien Phu en un corps de bataille articulé en grandes unités et appuyé par l’artillerie.
Une autre solution (élégante ?) est le recours aux sociétés privées (SMP) ; formule appliquée en grand en Irak : effectif compris « entre 160 000 et 180 000 personnes ! ». Encore faut-il, dans ce « transfert d’une fonction régalienne » exercer un contrôle suffisant et éviter par exemple des comportements susceptibles d’annihiler auprès des populations locales les effets des mesures de compréhension et de moralité recommandées par ailleurs dans les démarches de « contre-insurrection ».
Les frais de formation sont d’autant plus réduits que la plupart des membres ont fait auparavant carrière dans le milieu militaire et on peut supposer qu’ils en partagent « les mêmes valeurs ». À noter que la France a volontairement réduit ses possibilités dans ce domaine par la loi de 2003 sur le mercenariat. Il resterait aussi à délimiter clairement les zones d’action : les SMP chargées de fonctions auxiliaires (logistique, formation, gardes statiques…), la fonction « noble » de combat restant réservée aux formations officielles ou ces dernières se contentant de livrer le champ de bataille aux SMP ? La réponse semble évidente, la question mérite d’être posée.
L’ouvrage pose de réels problèmes sans pouvoir, naturellement, apporter des solutions uniques et évidentes. Il importe en tout cas que les leçons tirées des amères expériences vécues ne soient pas oubliées.