Politique, stratégie et technique
La guerre n’est pas une affaire technique mais un acte politique. Quel but politique justifierait dans ce monde un suicide mutuel ? Les raisonnements stratégiques doivent avant tout tenir compte des dangers que les événements mondiaux peuvent engendrer. Dans sa politique militaire, le Pacte de l’Atlantique a commis l’erreur grave, peut-être irréparable, de trop se laisser influencer par les progrès techniques des armements. Il a créé un système ne répondant pas à l’évolution politique probable. Autrement dit — pour bien souligner cette observation capitale — les plans militaires réalistes doivent inscrire les éléments techniques dans le cadre politique et non l’inverse ; sinon l’on risque de s’équiper en vue d’un conflit ou d’un genre de guerre qui ne se produira pas, de négliger les menaces vraiment dangereuses et de ne pouvoir les parer avec les moyens et les organisations existants.
L’idée qu’une puissance pouvait baser sa politique militaire sur les armes nucléaires — en vue, bien entendu, « d’assurer la paix avec des bombes A ou H » — avait indiscutablement un sens dans les années qui suivirent la fin de la dernière guerre. Avant la première explosion atomique soviétique (août 1949), l’espoir de pouvoir contraindre, même une grande puissance, à capituler en quelques heures ou quelques jours, sans s’exposer soi-même à un danger similaire, pouvait sans doute se concevoir. Le tableau s’est transformé d’un seul coup, à partir du moment où les Américains ont perdu le monopole de leur secret, événement qui devait fatalement se produire tôt ou tard. Depuis, peu importe de savoir lequel des deux camps possède le plus de bombes dans ses dépôts. Un seul fait compte : tous les deux disposent de cette arme.
Déjà à Hiroshima et à Nagasaki, la force destructrice mise en œuvre était manifestement disproportionnée avec l’effet militaire. Aussi est-il sans importance qu’un des deux adversaires dispose de bombes d’une puissance supérieure à celle des bombes de l’autre. Le fait qu’elles puissent être transportées sur leur but par des fusées intercontinentales téléguidées ou par des avions à réaction ne paraît pas en avoir davantage. Dans les deux cas, une défense efficace est impossible. Cinq « petites » bombes atomiques soviétiques, du type de Hiroshima, lâchées au-dessus de Hambourg, Paris ou Londres, par des avions stationnés en Pologne, ne causeraient pas moins de dégâts qu’une « gigantesque fusée atomique », lancée d’Alaska ou de Californie sur Moscou. Il ne peut donc être question d’une sorte « d’équilibre ou de supériorité atomique », dans le sens physique ; mais seulement dans le sens politique, d’une neutralisation mutuelle dans le domaine atomique.
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