Gomulka et les tournants de la Pologne (IV)
Varsovie : le Palais Brühl
La brièveté de la tentative polonaise de démocratisation a moins ému l’Occident que la brutale mise au pas de la population hongroise. L’expérience est pourtant non moins riche d’enseignements. Elle porte au-delà de la Pologne elle-même. Sans qu’il fût besoin de l’intervention de blindés soviétiques, sans qu’il y eût de coups de feu ni même de sérieux troubles publics, l’homme sur lequel avaient reposé les espoirs de l’« octobre polonais » a repris le chemin de Moscou. Les illusions sont tombées. Un court et significatif moment a pris place dans l’histoire de Pologne.
L’affaire n’avait pourtant pas pris un mauvais départ. L’élection de Wladimir Gomulka au poste de Premier secrétaire du « Parti ouvrier polonais unifié », le 21 novembre 1956, n’avait été que la consécration officielle d’un processus de démocratisation déjà engagé dans les esprits. Avant que Boleslav Bierut, principal instrument du stalinisme en Pologne, ne mourût à Moscou le 12 mars 1956, lors du XXe congrès du parti communiste soviétique, il avait pu entendre la condamnation du culte de la personnalité et du dogmatisme stalinien, l’acceptation des thèses de la diversité des voies conduisant à l’édification socialiste. Sans doute son successeur, Edward Ochab, désigné le 21 mars contre son gré et redoutant ce qu’on allait exiger de lui, avait-il été choisi en présence de Khrouchtchev, venu à Varsovie assister aux obsèques. Mais dans nulle autre démocratie populaire les conclusions du XXe congrès n’avaient été aussi favorablement accueillies.
Vers le premier tournant
Depuis 1955 le mécontentement s’exprimait. Les intérêts du peuple, disait-on, ne devaient pas être sacrifiés aux préférences doctrinales d’un petit groupe de dirigeants. Allant au-delà des possibilités d’exécution, une planification outrancière avait créé un profond déséquilibre entre l’industrie et l’agriculture. Certes l’étatisation n’était-elle pas complètement chose nouvelle. L’État polonais d’avant-guerre intervenait déjà pour un cinquième dans la gestion des exploitations industrielles. Puis en confisquant les biens juifs et les capitaux originaires des pays ennemis du Reich, en plaçant les principales banques sous le contrôle de l’Ost Bank, filiale de la Dresdner Bank, les Allemands avaient rassemblé entre leurs mains quelque 230 000 entreprises industrielles et commerciales. En les dépossédant la défaite avait mis à la disposition de l’État polonais une grande part de celles-ci, et après la nationalisation de tous les établissements employant plus de 50 ouvriers, 85 % de la production industrielle se trouvaient soumis à sa gestion directe.
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