La République démocratique allemande, satellite avancé (V)
LORS des événements d’octobre 1956, les dirigeants d’Allemagne orientale avaient affecté une calme assurance. Ce n’était qu’une façade. Sans doute se souvenaient-ils que les émeutes de Berlin du 17 juin 1953, où pour la première fois s’était dissipée la fiction de l’identité organique entre la classe ouvrière et le parti communiste, avaient pu être rapidement réprimées. Avec l’aide des troupes soviétiques et quelques concessions opportunes, le calme et l’ordre socialiste avaient été promptement rétablis. L’avait-on oublié à Budapest et Varsovie ? Mais la révolte hongroise prenait des proportions qui émouvaient le monde entier et pouvait encourager en Allemagne même des récidives ; une sécession polonaise pouvait disloquer le Pacte de Varsovie, couper la voie normale des relations entre la République démocratique et l’U.R.S.S., placer Berlin sous la pression directe de l’Allemagne fédérale. Aussi, dès les premiers remous, pour faire face à d’éventuels mouvements, les « groupes ouvriers de combat » des entreprises avaient-ils été mis en état d’alerte et suivait-on de près l’évolution de la situation.
Le grand discours prononcé par Gomulka le 20 octobre avait été mal accueilli et le seul journal qui en avait donné des extraits avait été saisi. On attendra le 25 pour en autoriser la diffusion partielle, déjà assurée par la radio de l’Ouest. Le secrétaire général du « parti socialiste unifié » (Sozialistische Einheitspartei), le S.E.D., Walter Ulbricht, un « orthodoxe », est alors en mesure de fournir au pays des explications rassurantes. Des fautes ont été commises en Pologne, dit-il, et le niveau de vie des travailleurs en a été affecté. Mais dans la Deutsche Demokratische Republik, la D.D.R. (1), la situation matérielle de la masse est supérieure à celle des Polonais. Si des mouvements insurrectionnels se sont produits en Hongrie, c’est que le nouveau gouvernement avait péché par excès de tolérance, laissé les opposants développer leurs critiques, ce dont la réaction avait su profiter. Rien de tel ne s’était produit dans l’Allemagne de l’Est, qui continuerait à avancer sur la voie de la « démocratisation », mais sans envisager une libéralisation aboutissant fatalement au retour au capitalisme. Le gouvernement de la D.D.R. était résolu à briser toute tentative pour remettre en question l’ordre socialiste, les rapports établis avec l’U.R.S.S. et le pacte militaire.
Toutefois, bien que nulle velléité de manifestations violentes n’apparût pour faire écho à celles de Budapest, des mécontentements s’exprimaient. Les promesses faites en mars d’une réduction de la journée de travail de 48 à 45 heures et de la suppression des dernières cartes de rationnement n’avaient pas été tenues. La presse devait attribuer à des sabotages inspirés par l’étranger les déficiences de l’économie, et à la propagande capitaliste les fuites ininterrompues de citoyens de la D.D.R. vers l’Allemagne fédérale. Pour la première fois à la Chambre du Peuple, des députés avaient ouvertement critiqué, les 29 et 30 août, l’activité de certains ministres, et le représentant des syndicats avait souligné que certaines modernisations des méthodes de travail portaient le plus grand préjudice aux travailleurs, dont les conditions de logement étaient d’autre part nettement insuffisantes. À la rentrée d’automne, une agitation s’était produite dans les universités, à Berlin-Est notamment, où les étudiants protestaient contre l’obligation d’apprendre la langue russe.
Il reste 92 % de l'article à lire
Plan de l'article