Otan - Échec à Genève - Prochaines rencontres - Retrait de France des bombardiers de l'USAF
Échec à Genève
Reprise comme prévu le 13 juillet 1959, mais sans avoir donné lieu, comme le demandaient notamment la Belgique et l’Italie, à une préalable session ministérielle de l’Otan, la Conférence de Genève s’est ajournée le 5 août 1959. Bien que le communiqué final mentionne que « les positions se sont rapprochées sur certains points », c’est en réalité un échec grave. En dépit de larges concessions aux vues soviétiques, les Occidentaux ne pouvaient admettre la proposition de Moscou de réunir sur une base paritaire le comité panallemand chargé de préparer la réunification. Il apparaît en fait, aujourd’hui comme hier, que le Kremlin est décidé à maintenir la division de l’Allemagne, et les Occidentaux ne peuvent souscrire à toute disposition qui, impliquant une reconnaissance de jure du gouvernement de Pankow, perpétuerait à leurs yeux la division de l’ancien Reich. La conférence n’aura servi qu’à éprouver l’esprit de résistance de l’Occident en s’efforçant de l’entraîner dans un engrenage progressif d’abandons.
Dès avant la fin de la conférence, l’impasse était certaine. Le communiqué conjoint publié à Varsovie fin juillet, lors du voyage de M. Khrouchtchev en Pologne, réaffirmait en effet l’immuabilité des vues du bloc de l’Est quant au règlement de la question allemande. Le Président du Conseil soviétique faisait connaître quelques jours après qu’il renonçait à un voyage projeté en Scandinavie qui devait le conduire successivement en Finlande, en Norvège, Suède et Danemark, en raison des dispositions défavorables manifestées par ces pays. C’est dans ce contexte international chargé qu’intervient la décision américaine rendue publique le 3 août 1959.
Prochaines rencontres
Le communiqué de Washington du 3 août fait connaître qu’une invitation a été adressée à M. Khrouchtchev de se rendre aux États-Unis le 15 septembre 1959, visite qui sera suivie avant l’automne par un voyage officiel en URSS du président Eisenhower. Toute l’activité diplomatique se reporte donc de Genève sur Washington et Moscou pour la préparation de cet échange de vues dont l’annonce, généralement bien accueillie par les opinions publiques, marque une évolution capitale de la politique américaine.
La diplomatie soviétique qui n’a rien cédé à Genève marque un point puisque la note de Moscou du 27 novembre 1958, en ouvrant la question de Berlin, n’avait d’autre objet que de hâter une rencontre à l’échelon le plus élevé, but constamment poursuivi par M. Khrouchtchev.
Il est naturel que cette décision provoque de vives inquiétudes en Europe occidentale où, évoquant Yalta, on est sensible au danger d’un accord à deux qui pourrait comporter une sorte de neutralisation de l’Europe encore libre. Ce serait mal connaître la personnalité du premier titulaire du SHAPE que de le voir se prêter à un pareil marché. Exploration et échange de vues et non véritables négociations, affirme-t-on à Washington. Il ne s’agit pas de « conférence au sommet », mais seulement de la rendre ultérieurement possible si les contacts de personnes acheminent comme on le souhaite vers une meilleure compréhension.
Le Président a tenu d’ailleurs à venir s’informer lui-même du point de vue de ses alliés occidentaux avant de recevoir le 15 septembre son hôte soviétique. Il ne sera pas le porte-parole de l’Otan, et pour le marquer clairement, aucune réunion ministérielle ou des chefs des gouvernements de l’Otan n’a été prévue, comme le demandaient certaines délégations. C’est par consultations successives et personnelles à l’échelon le plus élevé, à Bonn, puis Londres et Paris que le président Eisenhower recueillera ses informations. Au cours du séjour à Paris, du 2 au 4 septembre 1959, il est prévu que le secrétaire d’État, M. Herter, assistera à la réunion du Conseil de l’Otan. Là n’est pas sans doute l’essentiel de ce voyage en Europe : les contacts que prendra successivement le président Eisenhower avec le chancelier Adenauer, M. MacMillan et le général de Gaulle devront réduire au préalable bien des difficultés surgies entre alliés et dans leurs rapports avec les États-Unis pour arrêter les bases d’une politique vraiment commune vis-à-vis de l’Union Soviétique. À l’heure où ces lignes sont écrites, il n’est pas possible de prévoir quelles perspectives d’avenir le tête-à-tête russo-américain réserve à l’alliance atlantique où le renforcement d’une solidarité si ébranlée apparaît particulièrement nécessaire.
Retrait de France de bombardiers de l’USAF
Trois escadres de chasseurs-bombardiers de l’US Air Force, soit environ deux cents appareils du type North American F-100 Super-Sabre, jusqu’ici basées sur quatre terrains de l’Est de la France, sont en cours de redéploiement sur des aérodromes de Grande-Bretagne et d’Allemagne occidentale. Cette décision du général Norstad, SACEUR, communiquée au Conseil de l’Otan début juillet par le représentant permanent américain M. Randolph Burgess, fait suite au refus du gouvernement français d’autoriser aux conditions actuelles la constitution sur son sol de dépôts de munitions nucléaires. Le mouvement des divers escadrons, commencé vers le 20 août, sera réalisé par étapes pour s’achever dans le courant d’octobre. Dès lors, la 1re Division aérienne canadienne, dont la modernisation est prévue à l’aide de 75 appareils américains Lockheed F-104 Starfighter, sera la seule grande unité aérienne alliée basée sur le territoire français.
L’attitude « obstinée » du partenaire français dans cette affaire a fait l’objet de commentaires parfois sévères de la presse étrangère. Il convient de rappeler qu’au sein de l’Otan, chaque pays membre, restant souverain, est seul juge de l’opportunité d’accorder à un allié telle ou telle « facilité ». Les accords de l’espèce passés en 1954 entre Washington et Paris sur l’utilisation des bases aériennes réservaient cette souveraineté et il n’était pas question, à cette époque, de stocks atomiques : un manquement aux obligations de l’Alliance ne saurait donc être invoqué à l’encontre de l’attitude de la France. Basé strictement sur des impératifs d’efficacité militaire, ce mouvement, en dépit des complications qu’il occasionne au Commandement allié, « n’affecte pas la puissance ou l’intégrité de l’Alliance Atlantique » (1). Il a été patiemment préparé par le SHAPE et il ne faut y voir aucune mesure de rétorsion contre un mauvais vouloir français (2).
(1) Déclaration du général Palmer, Commandant adjoint des Forces américaines en Europe devant l’American Club à Paris le 9 juillet.
(2) Sur la position de la France dans l’Otan, on pourra consulter les termes d’une allocution prononcée par le Président Spaak le 9 juillet 1959 devant une commission parlementaire française. Non sans déplorer que la France ait, par ses abstentions ou ses votes négatifs, fait obstacle à certains projets militaires, le Secrétaire général a déclaré : « la vérité est que la position française a un fondement profondément juste. La France doit être associée à la stratégie mondiale, car pour ne parler que de l’axe Europe-Afrique, elle joue un rôle considérable ». D’accord sur la menace que fait peser sur les flancs de la zone Otan la pénétration communiste en Afrique et au Moyen-Orient. M. Spaak n’est cependant pas partisan d’une extension des responsabilités de l’Otan hors de sa zone actuelle, du fait des pays membres qui n’ont que des intérêts européens.