Chroniques touarègues
Chroniques touarègues
Ces chroniques évoquent un peuple. Elles en font revivre les personnalités les plus marquantes (célèbres ou anonymes), les traditions séculaires, les explorateurs, les aventuriers, les religieux, les artistes, les militaires qui ont arpenté le Sahara et le Sahel. Leurs actes anecdotiques ou majeurs ont contribué à la constitution d’une histoire extraordinaire s’apparentant à une chanson de geste, à une saga et « malheureusement parfois, à une tragédie poignante tant le dénouement en est inéluctable ».
Cet ouvrage fouillé se présente sous une forme pédagogique : les sujets sont développés et classés par ordre alphabétique. Dans le chapitre consacré à l’origine de ces populations mystérieuses, l’auteur soutient le scénario suivant : un peuple berbère est parti vers l’Est depuis l’Afrique du Nord et le Sahara pour conquérir la Libye et la riche vallée du Nil. Après s’être heurtés aux Égyptiens, « ces grands nomades » ont reçu l’apport de groupes errants venus de la mer, notamment de Philistins dont parle la Bible et plus tard de peuplades balkaniques, pour ensuite se fixer dans la région du Fezzan autour de Garama et, de là, repartir occuper les étendues désertiques de l’Ouest, fuyant la domination des Arabes voulant à leur tour s’installer dans la vallée du Nil. Les Touaregs (1) restent avant tout des éleveurs nomades qui vivent de l’entretien de troupeaux de chameaux et de chèvres. Les observateurs retiennent surtout la présence permanente du chameau dont les Touaregs connaissent tous les détails du comportement et surtout les énormes possibilités. Le mythique mammifère ruminant constitue la véritable richesse de ces peuples du désert qui entretiennent un véritable lien charnel avec cet « animal noble » : « Pour le Touareg, le chameau est sa vie, grâce à lui, il peut se déplacer à son gré dans le désert, faire ses échanges commerciaux, demeurer des mois dans une région sans puits si le pâturage est bon. Le chameau est sa joie, il lui permet de prouver ses qualités d’homme, il est aussi l’objet de ses craintes lorsqu’il est malade ou a disparu après avoir brisé son entrave et qu’il faut le suivre à la trace pendant des jours pour le rechercher ». Jusque dans un passé récent, « le chameau était l’échelle de valeur de la société touarègue où le numéraire était rare. C’était le cadeau approprié pour une naissance ou un mariage ».
Michel Bourgin consacre également une partie captivante aux légendes qui entourent l’imaginaire des Touaregs. Ces récits à caractère merveilleux, sublimés par l’invention poétique, sont favorisés par la « majesté et la magie des paysages du désert », ainsi que par les longs moments de solitude qui incitent aux rêveries et développent le goût du surnaturel. Les narrations prenantes mettent en scène un héros, confronté à de mauvais génies hantant des sommets ou des cavernes inaccessibles, qui reçoit l’aide de bonnes fées vivant habituellement sous la forme de gazelle ou de petit oiseau. Les légendes abondent dans la culture touarègue. La plupart exaltent, pour mieux les transmettre, des valeurs fondamentales comme le courage, la loyauté et l’amour.
L’histoire des Touaregs est intimement liée à l’aventure coloniale française et à l’âge d’or des explorations des géographes, des scientifiques et des idéalistes. Les plus chanceux revinrent de leur folle entreprise dans la plus vaste zone désertique du monde pour récolter la célébrité. Ce fut le cas de René Caillié (1799-1838), le premier Européen revenu vivant de « Tombouctou la Mystérieuse » en 1828 et d’Henri Duveyrier (1840-1892) qui séjourna plus d’une année chez les Touaregs des Ajjer (1860-1861) dans un massif montagneux au nord du Hoggar. Ce périple alimenta la trame de son livre, Les Touaregs du Nord, écrit avec le docteur Warnier (1864), un ouvrage qualifié par l’auteur de « chef-d’œuvre qui est fondamental pour la connaissance du Sahara et surtout de celle des Touaregs ». Le destin de Charles de Foucauld (1858-1916), qui a consacré douze années de sa vie aux Touaregs dont il fut l’ami, fait aussi l’objet d’une longue réflexion. L’explorateur et missionnaire, qui a donné son nom à une promotion de Saint-Cyr (1941-1942), a laissé à la postérité des témoignages écrits sur la civilisation de ces vagabonds des sables qu’il a intimement côtoyés, ainsi qu’une grammaire et un dictionnaire Touareg-Français. Dans ce registre de la présence française au Sahara, Michel Bourgin relate également le parcours d’un autre saint-cyrien, Henry Laperrine (1860-1920), qui pacifia les territoires des oasis et créa les légendaires compagnies sahariennes. Dans cet historique passionnant figure aussi le programme du « Transsaharien », né dans les esprits après la défaite de 1870, à une époque où la France cherchait « une action susceptible de fédérer ses énergies tout en retrouvant de l’audience dans le concert européen ». Mais le projet de ce long ruban d’acier devant relier la Méditerranée au Niger disparaîtra avec la fin de la colonisation.
Le document du général (2S) Bourgin, ancien président de la Société de géographie de Tours et actuellement membre de la Société de géographie de Paris, présente un intérêt évident, d’ordre essentiellement culturel, en ce sens qu’il plonge le lecteur dans les tréfonds de la civilisation touarègue. Cette étude est d’autant plus fascinante qu’elle s’appuie sur quelque quatre-vingts ouvrages de référence cités en bibliographie et qu’elle remet au goût du jour des débats qui touchent à l’histoire saisissante de l’action (souvent mal comprise) de la France au Sahara.
(1) Le terme Touaregs est en fait le pluriel de Targui (targuie au féminin et targuies au féminin pluriel). Dans un but de simplification et pour faciliter la compréhension du lecteur, l’auteur a adopté, pour les noms arabes ou tamachek (le langage touareg), les orthographes les plus couramment utilisées dans les ouvrages traitant du Sahara.