Fondements et perspectives de la politique coloniale anglaise (I)
Après la longue tournée en Afrique de M. Macmillan, dont le but était à la fois de vivifier par une prise de contact personnelle les liens du Commonwealth et de se rendre compte sur place des données exactes des problèmes posés à son pays par l’évolution de ce continent, de nombreux Français se sont interrogés. Ils se sont demandé pourquoi l’Angleterre, dont la politique coloniale avait été constamment inspirée au XIXe siècle par un esprit impérialiste, « raciste » et mercantile, a su opérer ce qu’on appelle maintenant, d’un mot inexact, une « décolonisation » progressive, lui permettant de partager équitablement, en association avec ses anciennes colonies, les justes fruits du travail accompli en commun ; alors que la France, humanitaire, sentimentale et généreuse, n’a pu éviter des guerres coloniales en retraite et une « décolonisation » désordonnée, se traduisant pour elle, soit par des charges très lourdes, soit par des sécessions brutales ayant détruit en partie son œuvre ?
Pour répondre à une semblable interrogation, la simple analyse de la politique coloniale anglaise ne suffit pas. Il faut comprendre, d’abord, la nature même de la colonisation et les lois de son évolution : car les désordres et les échecs constatés dans un même sens sur une longue période sont toujours le signe d’une ligne d’action fausse, d’une stratégie politique irréelle, ne tenant pas un compte assez précis des grands courants humains universels, des données et des forces de l’époque. Tout comme une réussite globale sur une longue période — en dépit d’accidents ou d’échecs isolés — marque une congruence de la stratégie avec les données réelles.
Nature de la colonisation.
Pour le sociologue observant la colonisation au cours des siècles, celle-ci apparaît comme un phénomène humain de tous les temps et de tous les climats : phénomène de tutelle des peuples au sein de la Société universelle, de même nature — mais d’un ordre différent dans le temps et dans l’espace — que la tutelle des individus au sein de ces peuples ; et dont la fonction est également plus large et plus complexe que celle de la tutelle des individus par la famille. Tantôt, en effet, comme dans le cas le plus général de Rome et de la Chine, la tutelle sert à mettre en mouvement des sociétés primitives encore égalitaires et communautaires, en créant des structures sociales « dualistes », ou à remettre en mouvement des sociétés figées : à élever, d’une façon générale, les peuples moins « évolués », c’est-à-dire moins avancés dans leur conscience du monde et dans la domination des forces de la nature (1), vers le niveau d’évolution du peuple tuteur. Tantôt — cas des Arabes et des Mongols, par exemple — la tutelle est exercée par des peuples moins évolués, mais vigoureux, et sert alors à revivifier des civilisations plus avancées sur le point de se décomposer, et à édifier de nouvelles synthèses plus hautes. Tantôt, enfin, elle sert à engendrer des sociétés nouvelles à partir de peuples débordant de vie ayant essaimé sur d’autres sols ; ou encore, à de simples fins de transition, de liaison, d’équilibre provisoire (2).
Il reste 94 % de l'article à lire
Plan de l'article