Que faire du Japon ?
La guerre contre le Japon, trois mois après la fin de la guerre contre l’Allemagne, s’est terminée, comme elle, par la capitulation de l’ennemi. La victoire des Nations Unies sur l’Empire du Soleil Levant est aussi complète que sur le troisième Reich. En Extrême Orient comme en Europe, c’est tout un système militaire, économique et politique qui s’effondre sous les coups de la même coalition. Pourtant, si l’identité des défaites place le peuple allemand et le peuple japonais, tous deux désarmés, ruinés et désemparés devant des difficultés sensiblement identiques, on n’en est pas moins frappé des différences qui caractérisent leur position respective en face de ces problèmes.
Alors qu’en Allemagne les armées alliées ont dû, pas à pas, se frayer un chemin jusqu’au cœur du pays et réduire totalement, sans jamais relâcher leur effort, le territoire d’un ennemi qui ne s’est avoué vaincu que lorsque son désastre eût été consommé, le Japon, au contraire, a demandé grâce avant que les forces adverses n’eussent directement menacé son territoire métropolitain, avant même que l’Empire qu’il s’était constitué au début de ce siècle ne fût sérieusement entamé. Sans doute, la promptitude des Japonais à reconnaître leur défaite — promptitude qui a surpris plus d’un expert en psychologie nippone — s’explique-t-elle assez par l’effet moral que peuvent produire, sur un peuple hypersensible, la révélation des ravages de la bombe atomique, la nouvelle de l’entrée en guerre de l’Union soviétique et surtout, peut-être, l’exemple de la ruine où son fanatisme avait plongé l’Allemagne ; mais le caractère, en quelque sorte librement consenti, de cet aveu, ne sera pas sans influer sur l’attitude ultérieure du Gouvernement japonais, et de la population. D’autre part, tandis que la structure politique allemande était détruite de fond en comble, les Alliés tolèrent le maintien du système nippon de gouvernement et d’administration ; ici, encore, les conséquences de cette mesure, heureuses ou malheureuses, seront vraisemblablement d’importance. Aussi bien, contrastant avec l’état de stupeur d’une Allemagne, momentanément au moins, prostrée dans la défaite, la réaction japonaise à l’occupation alliée révèle-t-elle déjà, une fois de plus, l’extraordinaire faculté de ce peuple de s’adapter à l’événement. Dans de telles conditions, la politique alliée à l’égard du Japon, tout en jouissant du pouvoir le plus absolu, voit se poser des problèmes absolument neufs, pour la solution desquels la leçon des expériences pratiquées sur d’autres pays vaincus ne lui sert à peu près de rien. En outre, la défaite et l’occupation que le Japon connaît aujourd’hui n’ont pas de précédent au cours de sa longue histoire, ce qui interdit également aux Alliés toute référence au passé : il n’y a jamais eu encore de Versailles japonais. La situation comporte, certes, d’immenses possibilités pour une politique constructive, et les Américains les exploiteront d’autant mieux qu’ils sont pratiquement les seuls aujourd’hui à contrôler l’archipel nippon, et que les difficultés inhérentes à un partage d’autorité entre vainqueurs communs sont ainsi écartées. Mais il est aussi évident que les risques sont à la mesure de ces possibilités.
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