Aéronautique - Déclaration du général commandant le Strategic Air Command sur la position des États-Unis en matière de défense - Succès français au concours annuel de reconnaissance aérienne « Centre-Europe » - Le Strategic Air Command envisage le « desserrement vertical » de certains postes de commandement en cas d'alerte - Le Lockheed U-2 - Le moteur de fusée de Havilland « double spectre »
Déclaration du général commandant le Strategic Air Command sur la position des États-Unis en matière de défense
Le général Power, commandant le Strategic Air Command a, au début de cette année (1) fait un exposé sur la position des États-Unis en matière de défense. Bien que datant de plusieurs mois, les déclarations de cette haute autorité conservent leur caractère d’actualité. Aussi, nous avons estimé judicieux d’en donner ici le texte intégral.
« Le peuple américain doit prendre aujourd’hui les décisions les plus difficiles et les plus importantes de son histoire. Il doit décider par l’intermédiaire de ses représentants élus, quelle politique suivre pour sauvegarder la paix et quels instruments choisir pour assurer le succès de cette politique.
« Il a dû prendre des décisions similaires au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quand les États-Unis se retrouvèrent la plus puissante Nation du monde et gardiens d’une paix nouvellement conquise. C’est alors que les États-Unis établirent une politique sans précédent dans leur histoire, celle de décourager l’agression par la menace de représailles massives. Pour soutenir cette politique, ils créèrent un instrument militaire lui aussi sans précédent, et par son caractère et par son envergure, le Strategic Air Command. Cet ensemble de force politique et de supériorité militaire a sans aucun doute été le plus grand facteur qui ait jusqu’à présent empêché une troisième guerre mondiale.
« Mais l’URSS qui, il y a dix ans encore, semblait aussi loin de pouvoir disputer aux États-Unis leur “leadership” que la Chine d’aujourd’hui, est devenue presque du jour au lendemain une menace majeure non seulement pour notre suprématie mais aussi pour notre existence même.
« Les Soviets ont en effet maintenant les moyens d’entreprendre ce que ni Staline ni Lénine n’auraient jamais osé rêver : une attaque d’anéantissement contre les États-Unis.
« Devant cette situation trois questions se posent :
– notre politique nationale consistant à empêcher une agression par le “deterrent” est-elle encore réalisable et souhaitable ?
– si nous décidons qu’elle l’est, notre “condition” militaire actuelle et projetée, est-elle capable de la soutenir efficacement ?
– étant donné les progrès continuels de la technique militaire, atteindrons-nous un jour un point où une politique du “deterrent” ne sera plus possible ?
« La sécurité future des États-Unis exige absolument des réponses concluantes à ces questions, même si le grand nombre de variables et de facteurs imprévisibles qu’elles impliquent laisse une large place à l’hypothèse et aux préférences individuelles comme c’est le cas pour le choix des moyens d’empêcher une agression.
« Nous pouvons, en effet, poser en principe que tout le monde reconnaît la nécessité de sauvegarder la paix mondiale. Mais c’est là le seul point sur lequel tous s’accordent. Certains pourront être en effet prêts à acheter la paix, même la plus vile, à n’importe quel prix, même au prix de leur liberté et de leurs droits d’homme.
« Ma position, par contre, s’oppose à ce défaitisme. Je soutiens qu’il vaut mieux mourir que vivre sous le communisme. Il est évident que ces défaitistes et moi ne pouvons à la fois avoir raison. Je suis toutefois persuadé que la grande majorité des citoyens américains partage mes convictions.
« Comme le disait le président Eisenhower dans son message (sur l’État de l’Union) “on peut encore trouver une nouvelle manière d’aborder le problème du désarmement au sujet duquel les Soviets se sont déclarés prêts à négocier sérieusement. Mais ils n’ont pas précisé leurs plans d’inspection et de contrôle (s’ils en ont) qui sont la condition essentielle de toute mesure étendue de désarmement”.
« À cet égard, voici une déclaration assez importante faite en 1931, il y a près de 30 ans, à l’École Lénine de la Guerre politique par Dimitri Manuilsky, qui fut un membre important du comité central du parti communiste et par la suite le chef de la délégation d’Ukraine aux Nations unies. Voici, selon un ancien élève de cette école, ce que disait le camarade Manuilsky : “La guerre jusqu’au bout entre le communisme et le capitalisme est inévitable. Aujourd’hui bien sûr (c’est-à-dire en 1931) nous ne sommes pas assez forts pour attaquer. Notre temps viendra dans 20 à 30 ans. Pour gagner, il nous faudra l’élément surprise. Il faudra endormir la bourgeoisie. Aussi commencerons-nous par lancer le plus spectaculaire mouvement de paix de l’histoire. Nous ferons des ouvertures de paix alléchantes et des concessions inouïes. Les pays capitalistes, stupides et décadents, seront enchantés de coopérer à leur propre destruction. Ils sauteront sur cette nouvelle chance de devenir nos amis. Dès qu’ils ne seront plus sur leurs gardes, nous les écraserons sous nos coups.” N’oublions pas qu’en 40 ans les Soviets ont fait maintes déclarations de ce genre.
« En fin de compte, nous pouvons tenter de maintenir une paix honorable en nous assurant la suprématie par des forces militaires équilibrées et des accords de sécurité collective, comme nous l’avons fait depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Je ne prétends pas que ce moyen ou un autre nous permettra d’éviter la guerre à coup sûr. Mais je suis convaincu que c’est la façon la plus propice, et à la longue la moins coûteuse, d’empêcher une guerre nucléaire.
« On prétend que notre politique de dissuasion ne pourra pas empêcher de petites guerres tant que nous consacrerons la plupart de nos efforts et de nos ressources à tenter d’éviter une guerre nucléaire totale. Mais, à mon avis, le principe de décourager une agression par la supériorité militaire est assez large et assez souple pour pouvoir s’appliquer à n’importe quel conflit, quels qu’en soient le lieu, l’envergure et la nature.
« Notre position générale de dissuasion est un ensemble de plusieurs éléments qui constituent la supériorité militaire : ils comprennent nos forces ainsi que celles de nos alliés avec lesquels nous avons des accords de sécurité collective. Nos forces stratégiques de représailles représentent un élément fondamental de cette position dissuasive.
« Ces forces stratégiques de frappe ne sont pas le seul facteur propre à empêcher une agression, mais sans des forces de représailles absolument efficaces, capables d’infliger à un agresseur des dommages pour lui inacceptables, il n’y a pas de “deterrent” valable. Or, le SAC, qui constitue de loin le principal élément des moyens stratégiques de représailles du monde libre, reçoit actuellement moins de 20 % des dollars que les États-Unis affectent à leur défense et un pourcentage encore inférieur de leurs autres ressources.
« Puisqu’il est admis que la supériorité militaire constitue la condition préalable du succès d’une politique de dissuasion, il faut nous demander si nous pourrons conserver une marge suffisante de supériorité totale et pendant combien de temps. Je suis convaincu que pour le moment cette marge de supériorité est encore assez grande pour dissuader l’URSS – malgré ses progrès techniques spectaculaires – de risquer une guerre contre les États-Unis.
« D’après les indices dont nous disposons, les Soviets, s’ils décidaient de lancer aujourd’hui une attaque par surprise, devraient surtout compter sur leurs forces de bombardiers à grand rayon d’action. Évidemment ces forces n’ont ni le nombre, ni la qualité, ni les moyens de soutien mondial, ni l’organisation centralisée qui donnent aux forces du SAC leurs possibilités de frappe sans égales. En outre, les États-Unis ont un vaste système de défense aérienne contre les avions pilotés qui les avertiraient suffisamment de l’approche des bombardiers ennemis pour permettre de mettre en l’air les forces du SAC en état d’alerte avant qu’elles puissent être attaquées au sol.
« Les Soviets savent parfaitement qu’une importante partie des forces de frappe du SAC est jour et nuit en état d’alerte de 15 minutes et que même leurs moyens de défense les plus modernes ne pourraient pas empêcher ces forces d’infliger à leurs centres de commandement et à leurs installations militaires des dommages écrasants.
« Mais il est certain que, s’ils pouvaient acquérir un jour la supériorité militaire sur le monde libre, les dirigeants soviétiques en tireraient tout l’avantage politique possible. S’il était vraiment en leur pouvoir de nous menacer du fait d’une supériorité militaire suffisante qui nous rendrait incapables de nous défendre contre leurs armes, nous ne pourrions plus guère résister à leur progrès par subversion et chantage politique.
« Ils pourraient acquérir une supériorité militaire de cette envergure en accumulant un stock d’engins balistiques suffisant pour détruire nos forces de représailles avant qu’elles aient pu quitter le sol. Si surprenant que cela puisse paraître, cela n’exigerait pas un très grand nombre d’engins dans les circonstances actuelles. D’après les statistiques publiées, le nombre des installations d’où nous pouvons actuellement faire partir des avions ou des engins à charges nucléaires n’est que d’une centaine. Toutes ces installations représentent des objectifs à découvert, c’est-à-dire que même si les coups ne tombaient qu’à proximité du but elles subiraient des dommages écrasants.
« Selon les informations publiées sur les effets nucléaires, il faudrait à un agresseur en moyenne 3 engins, dans l’état actuel de la technique, pour détruire un objectif à découvert à 8 000 km de distance avec une probabilité de 95 %. Il suffirait donc aux Soviets de quelque 300 engins balistiques pour anéantir en 30 minutes pratiquement tous nos moyens nucléaires de frappe. Facteur aggravant, il suffirait que la moitié seulement de ces engins fussent des ICBM [missile balistique intercontinental]. Les autres pourraient être des IRBM [missile balistique à portée intermédiaire] bien moins coûteux et bien plus faciles à fabriquer.
« En raison de leur prodigieuse vitesse (21 000 km/h en moyenne) les engins balistiques offrent des avantages incomparables à un agresseur qui projetterait une attaque par surprise. Il va sans dire que, conscients de ces avantages, les Soviets ont accru leurs efforts pour augmenter le plus vite possible le nombre d’engins qu’ils possèdent déjà. M. Khrouchtchev lui-même a fait savoir que la Russie est maintenant lancée dans la “production de série” de ces engins et qu’elle a une usine qui fabrique à elle seule quelque 250 engins par an.
« Nous devons donc prévoir que les Soviets auront peut-être suffisamment d’ICBM et d’IRBM opérationnels pour une attaque générale d’engins avant que nous ayons en service des systèmes d’alerte capables de nous avertir d’une telle attaque, sûrement et assez à l’avance.
« Nous réalisons actuellement des systèmes de ce genre conçus pour nous alerter environ 15 minutes à l’avance, temps suffisant pour mettre en l’air presque toutes – sinon toutes – les forces du SAC en état d’alerte au sol. Mais tant que notre système avancé d’alerte contre engins balistiques (BMEWS) ne sera pas complètement opérationnel, les chances du monde libre de décourager une agression dépendront essentiellement des moyens qu’aura le SAC de survivre, à une attaque d’engins en l’absence d’alerte préalable totale ou partielle.
« L’opinion publique se rend maintenant mieux compte de la gravité du problème que constitue la protection de nos moyens de frappe dans une attaque nucléaire par surprise. Comprenons bien en effet que la force de notre “deterrent” est déterminée non par les forces que nous aurons avant une attaque de ce genre, mais seulement par celles que nous serons sûrs de pouvoir posséder encore après l’attaque. Du point de vue de la dissuasion, le facteur décisif est donc de savoir si nous pourrons continuer à convaincre les Soviets que, même dans les conditions les plus défavorables, les forces de frappe échappées de l’attaque seront suffisantes pour exercer des représailles instantanées et décisives.
« Heureusement, le problème technique complexe d’assurer aux forces du SAC en état d’alerte le moyen de survivre à une attaque d’engins est partiellement soluble grâce à une tactique militaire extrêmement simple qui consiste à maintenir en vol et non au sol les avions en état d’alerte. Cette tactique a été expérimentée à fond et s’est révélée tout à fait réalisable. Grâce à des préparatifs suffisants pour satisfaire aux besoins supplémentaires qu’elle implique, le SAC peut maintenir ses forces en état d’alerte en vol assez longtemps pour franchir un cap difficile, plus dangereux que celui de Pearl Harbour.
« En présentant nos forces stratégiques de frappe, j’ai, jusqu’à présent, surtout, fait allusion au bombardier piloté. C’est parce que, pour le moment et pour un certain temps encore, nous devrons compter essentiellement sur nos systèmes d’armes pilotés pour exécuter notre mission stratégique. Mais le SAC augmente rapidement ses moyens en engins et, le 9 septembre 1959, date à laquelle l’un de ses équipages de combat a lancé avec succès son premier Atlas opérationnel, représente pour lui un tournant historique. Comme le Président [Eisenhower] le soulignait dans son message sur l’État de l’Union, cet engin a confirmé son succès au cours de ses quinze derniers lancements, avec une erreur circulaire de moins de 8,5 km.
« Je ne doute pas que les progrès continuels en matière de conceptions et de techniques d’engins permettent d’augmenter encore la puissance de la charge militaire, la précision et la sûreté de l’engin et qu’en fin de compte nous ayons un jour assez d’engins, de qualité et de variété suffisantes, pour accomplir la plupart de nos missions stratégiques. Toutefois, dans l’intervalle, nous ne pouvons pas nous permettre de négliger, et encore moins de mettre au rebut, nos bombardiers pilotés qui ont fait leurs preuves, car le SAC doit toujours conserver un parc suffisant d’armes opérationnelles et prêtes au combat pour pouvoir assurer à n’importe quel moment une couverture efficace de son système d’objectifs.
« À mesure que les engins entreront dans l’arsenal du SAC, ils remplaceront les plus vieux bombardiers. Mais je précise bien que le remplacement ne pourra s’effectuer à raison d’un engin par bombardier parce que, contrairement à ce que l’on croit généralement, un engin n’est pas l’équivalent d’un bombardier en pouvoir de frappe. La précision de bombardement des bombardiers se mesure en mètres et celle des engins en kilomètres. La précision des engins s’améliorera bien sûr, mais, à des distances de 8 000 km et plus, même des progrès sensationnels dans la technique du guidage ne permettront pas d’atteindre le degré de précision obtenu avec les bombardiers du SAC. Une puissance supérieure de la charge militaire emportée peut, dans une certaine mesure, compenser une précision moins grande. Mais la puissance d’une charge militaire d’engins, bien que très supérieure à celle de la plus grosse bombe conventionnelle, n’est qu’une fraction de celle de la charge de bombes nucléaires du bombardier qui peut en outre porter plusieurs armes à grande puissance, ce qui lui permet l’attaque de différents objectifs.
« En comparant les engins et les bombardiers, il ne faut pas non plus oublier que les engins sont irrécupérables tandis que les bombardiers peuvent être “remis dans le circuit” et réutilisés pour d’autres missions qu’exigent les circonstances. On a objecté que les bombardiers pilotés sont si vulnérables qu’ils ne pourraient atteindre leurs objectifs qu’en nombre relativement faible et que rares – sinon nuls – seraient ceux sur lesquels on pourrait compter pour de nouvelles attaques. Mais la pratique et les techniques offensives ont profité des progrès scientifiques autant, sinon peut-être plus, que les techniques défensives. On présume souvent que les engins guidés sol-air actuels causeront aux bombardiers des pertes bien supérieures à celles subies au cours de nos opérations de bombardement de la Seconde Guerre mondiale. Mais si l’on avait tenté au début de cette guerre de prédire le pourcentage moyen de pertes de formations serrées de centaines de bombardiers se frayant leur route à travers des fortes concentrations de flak et de chasseurs, les évaluations auraient été très élevées. Et pourtant, sur un total de 580 000 sorties de bombardiers lourds effectuées pendant la Seconde Guerre mondiale, quelque 9 500 avions seulement ont été perdus en combat : le pourcentage des pertes a donc atteint moins de 1,8 %.
« Je ne dis pas que le pourcentage des pertes en bombardiers serait aussi faible dans une guerre nucléaire. Mais je ne crois pas non plus qu’il serait aussi élevé qu’on le prétend parfois. En essayant de l’estimer, on oublie souvent l’un des facteurs les plus importants, celui de la tactique. Je soutiens que c’est le commandement et sa tactique, plus que tout le reste, qui déterminent les pertes dans une action offensive. D’autres facteurs devraient contribuer à maintenir ce pourcentage dans des limites acceptables malgré l’amélioration constante de la défense antiaérienne. À mesure que ces défenses augmentent en complexité, elles dépendent sans cesse davantage de systèmes électroniques qui sont vulnérables aux contre-mesures. En outre, pensons que les pertes ne sont pas l’apanage des seules forces offensives et que la défense en subit aussi.
« Pendant toute la Seconde Guerre mondiale, les bombardiers n’ont pas attaqué en général les défenses antiaériennes ennemies parce qu’elles n’étaient pas censées en valoir la peine. Mais dans une guerre nucléaire, le système de défense aérienne de l’ennemi deviendrait un objectif prioritaire et serait attaqué avec la contre-mesure considérée jusqu’à présent comme la plus efficace, la bombe à hydrogène. Chaque bombe larguée avec succès anéantirait les défenses ennemies sur une vaste superficie et permettrait une pénétration sans cesse plus profonde des vagues successives de bombardiers. La pénétration des défenses ennemies sera encore facilitée par le Round Dog, engin air-sol supersonique à tête nucléaire à guidage extrêmement précis. En plus de sa charge nucléaire normale, le B-52G portera deux de ces engins, un sous chaque aile. Les essais effectués avec le Round Dog ont répondu à toutes les espérances et, il y a à peine un mois, le SAC a officiellement réceptionné le premier engin de série. Le Round Dog permettra d’attaquer les défenses de l’ennemi à des centaines de miles de distance et aidera ainsi le bombardier à pénétrer jusqu’à son objectif. Mais ce n’est pas le seul avantage du Round Dog. Son importance primordiale tient au fait qu’il augmentera la souplesse du bombardier piloté et permettra toutes sortes de tactiques nouvelles, telles que l’attaque au cours de la même mission d’objectifs supplémentaires situés dans des zones différentes.
« Je considère l’ensemble formé par le B-52 et le Hound Dog comme la première phase seulement du mariage du bombardier piloté et de l’engin. La seconde sera l’emploi du bombardier piloté comme plateforme volante, et pratiquement invulnérable, d’engins balistiques air-sol. Il est donc évident que le SAC doit continuer non seulement à recompléter ses systèmes d’armes pilotés, mais aussi à les moderniser.
« Le Hound Dog et, par la suite peut-être les engins balistiques air-sol, prolongeront de beaucoup la durée d’existence du B-52 actuel. Mais, il faudra un jour remplacer ce dernier par un bombardier plus moderne et j’espère que d’ici là nous pourrons mettre en service le spectaculaire B-70 dont la mise au point s’effectue actuellement.
« La modernisation des forces de bombardiers n’est pas un palliatif, car, dans l’avenir prévisible, il faudra toujours des systèmes d’armes pilotés : par exemple, pour accomplir les missions de reconnaissance qui entraîneront des décisions tenant compte de l’observation, ou encore pour attaquer des objectifs mobiles, concentrés et bien protégés. L’engin, en retour, sera affecté à la plupart des autres missions stratégiques, et en particulier au profit de celles exigeant une intervention rapide et l’invulnérabilité aux défenses aériennes. C’est pourquoi le SAC envisage des forces aérospatiales de bombardiers et d’engins qui se compléteront et se renforceront mutuellement.
« La protection de l’engin pose un problème assez différent de celle du bombardier ; elle devra donc être résolue par des techniques différentes. Étant donné qu’on ne peut rappeler un engin une fois qu’il est lancé, il serait trop risqué de le mettre à feu tant qu’il n’y aura pas de preuve incontestable d’agression. Nos ICBM devront donc probablement encaisser l’attaque initiale. Ce problème a été résolu pour nos derniers engins qui pourront être lancés de puits enterrés, ce qui leur assurera une bonne protection. Enterrer les bases d’engins est à la fois réalisable et extrêmement souhaitable. Une telle mesure complique en effet pour l’agresseur le problème de détruire, tous ou presque tous, nos engins avant que nous puissions les mettre à feu. J’ai dit précédemment qu’il faudrait en moyenne trois engins seulement pour avoir 95 % de chances de détruire un emplacement d’engins non enterré. Pour obtenir le même degré de probabilité contre un emplacement enterré, l’agresseur aurait à lancer un nombre considérable d’engins de conception plus élaborée.
« Les problèmes pour l’agresseur se compliqueront aussi à mesure que notre organisation opérationnelle comportera davantage d’engins placés dans des bases enterrées très dispersées. Le Minuteman, engin très simplifié et en cours de réalisation, est tout particulièrement conçu pour ce type de bases. En outre, nous prévoyons de monter un certain nombre d’engins Minuteman sur des wagons de chemin de fer et de les faire circuler sans un itinéraire fixe sur les quelque 150 000 km de voies ferrées américaines utilisables à cet effet. La mobilité est une tactique de défense très séduisante en raison de la probabilité extrêmement faible de détruire un objectif mobile avec un engin à longue portée. Le système d’alerte en vol du SAC exploite pleinement les avantages de cette mobilité en vue de laquelle a aussi été conçu le système d’armes Polaris. Les engins Minuteman mobiles et les bombardiers en alerte en vol auront en outre l’avantage d’échapper aux reconnaissances soviétiques et aux contre-mesures. Le lancement de petits engins balistiques de sous-marins en plongée représente une solution des plus intéressantes malgré les nombreux problèmes sans précédent et encore irrésolus qu’elle soulève. Nous espérons beaucoup de ce système, mais nous devons aussi nous rappeler qu’il a des limites comme tous les autres types de systèmes d’armes. On peut aussi supposer que les Soviets utiliseront beaucoup, sinon la plupart, des 500 sous-marins qu’on leur attribue à soutenir une attaque d’engins contre les États-Unis par des attaques simultanées contre nos unités navales nucléaires, sous-marines et de surface. Le Polaris doit être prêt à faire face à ce danger. Je crois fermement que les sous-marins porteurs de Polaris, lorsqu’ils seront opérationnels, augmenteront beaucoup nos moyens de représailles et j’espère que leurs systèmes d’objectifs et leurs programmes d’opérations seront intégrés de façon efficace.
« Quand le Polaris et les autres programmes en cours seront réalisés, aucune attaque, quelles que soient son envergure et sa méthode, ne réussira à détruire l’efficacité de nos moyens de représailles. Mais réciproquement, quelles que soient les possibilités de destruction de nos moyens de contre-attaque, les Soviets auront certainement d’ici là assuré à leurs forces de frappe un degré similaire de protection. Il s’ensuit que les deux adversaires auront le moyen de s’atteindre effroyablement dans leurs installations civiles et leur économie mais qu’aucun des deux ne sera capable d’empêcher l’autre de riposter. Nous serons alors parvenus à une situation que nous ne saurions mieux appeler qu’impasse nucléaire, étant donné qu’il nous sera impossible de pousser plus loin la stabilisation de l’équilibre militaire mondial. Il est important de comprendre que cette situation sera bien plus stable que celle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui et que l’on appelle généralement l’équilibre nucléaire.
« Le terme “équilibre nucléaire” a été la source de beaucoup de confusion parce qu’il implique que les moyens nucléaires des Soviets et les nôtres s’annulent et qu’en conséquence l’URSS n’osera donc pas nous attaquer. Mais il ne peut y avoir de véritable équilibre tant que les Soviets sont en situation de faire pencher la balance en leur faveur en prenant tout simplement l’initiative. Mais une fois que nous aurons atteint le point où une attaque par surprise ne pourra plus empêcher ni même minimiser les représailles, l’initiative ne donnera plus à l’agresseur qu’un avantage militaire temporaire, et relativement limité qui lui profitera trop peu et lui coûtera trop cher pour rendre l’agression rentable. Notre sécurité exige d’atteindre ce point le plus rapidement possible au lieu d’étaler les programmes de défense conçus pour nous y amener avant qu’il ne soit peut-être trop tard.
« Il ne faut pas en conclure que nous aurons atteint toutes les possibilités de destruction et de “réduction” de temps possibles. N’essayons pas – ce serait futile – d’imaginer les miracles scientifiques et les progrès technologiques de l’avenir et ce qu’ils nous apporteront pour les combats de demain, du fond des mers ou des plus lointains espaces. Mais il ne fait aucun doute que nous ne pourrons conserver un “deterrent” efficace qu’en faisant en sorte de ne jamais nous laisser distancer par aucun pays dans la course aux progrès techniques. »
Succès français au concours annuel de Reconnaissance aérienne « Centre-Europe »
Un exercice qui porte le nom de Royal Flush réunit chaque année des détachements de toutes les unités de Reconnaissance du théâtre d’opérations « Centre Europe ». Cet exercice a pour objet de placer les équipages et le personnel au sol dans des conditions aussi proches que possible de celles du temps de guerre et de comparer les résultats obtenus par les unités au cours d’un certain nombre de missions.
Du 16 au 20 mai, unités américaines, belges, britanniques, hollandaises et françaises se sont affrontées. Les deux équipes de la 33e Brigade de reconnaissance du 1er Commandement aérien tactique (Catac) ont permis à l’Armée de l’air française de s’adjuger deux premières places dans chacune des épreuves de reconnaissance tactique.
Le Strategic Air Command envisage le « desserrement vertical »
de certains postes de commandement en cas d’alerte
On sait les efforts faits par les États-Unis afin de soustraire leurs moyens de riposte aux effets d’une attaque surprise. Ainsi, une partie importante de la flotte de bombardement stratégique est maintenue en alerte au sol ou en vol, les effectifs placés dans l’une ou l’autre de ces deux positions étant fonction de la tension internationale et des délais de réaction que permettent les dispositifs de repérage et de diffusion de l’alerte. Mais la précision et le volume de la riposte peuvent être gravement affectés par la destruction de certains centres vitaux du commandement du Strategic Air Command (SAC). En conséquence, il est prévu que ces PC seront doublés par des PC « en vol » dont les avions seront soumis aux mêmes servitudes d’alerte que les autres appareils du SAC. Le général Thomas Power, commandant du SAC, a récemment déclaré que trois tankers KC-135 sont en cours d’aménagement et seront prêts à remplir leur mission à partir du mois de juillet 1960.
Le Lockheed U-2
L’incident spectaculaire russo-américain du 1er mai 1960 et ses suites n’ont pas manqué d’attirer l’attention sur un avion d’un type peu répandu, le Lockheed U-2. La presse ayant déjà formulé nombre d’hypothèses sur l’équipement de « reconnaissance » de cet appareil, il ne nous appartient pas d’entrer dans ce débat. Nous nous bornerons donc à une description technique sommaire de l’avion lui-même.
Conçu dès 1954 par la Société Lockheed pour répondre à un programme de recherches à très haute altitude, le U-2 est un monoplace monoréacteur caractérisé par sa voilure droite de grand allongement qui lui donne l’allure d’un planeur. Son envergure est de 28 mètres environ et le fuselage d’une quinzaine de mètres de longueur est équipé d’un train monotrace rétractable. Au sol, l’équilibre de l’avion est assuré par des balancines largables placées à l’extrémité de chaque aile.
Le réacteur monté sur le Lockheed U-2 serait le J57 ou le J75 du type de ceux qui équipent respectivement le Boeing 707 et le Convair F-106 Delta Dart. Enfin, l’autonomie de l’appareil serait supérieure à quatre heures.
L’aptitude de l’U-2 à évoluer à des altitudes dépassant largement 20 000 m ont, malgré des performances de vitesse limitées (0,75 de Mach), mis cet avion hors de portée des systèmes de détection et d’interception actuellement en service.
Les vols de l’U-2, les projets Samos et Midas qui ont déjà fait l’objet de développements dans des chroniques précédentes, montrent l’intérêt que portent les États-Unis au renseignement « aérospatial » destiné aussi bien à prévenir une attaque qu’à assurer la rapidité dans la riposte.
Le moteur-fusée De Havilland Double Spectre
La chronique parue en juin 1960 a fait état des projets britanniques concernant la fabrication d’engins air-sol Blue Steel destinés à équiper les bombardiers Avro Vulcan B.MK 2 et Handley Page Victor B.MK 2. On sait également que le Blue Steel sera propulsé par un moteur-fusée à propergol liquide Double Spectre fabriqué par la Société De Havilland. Des renseignements parus récemment permettent de donner quelques précisions sur les moteurs D1 utilisés lors des essais du Blue Steel. Le Double Spectre D1 comprend deux éléments D5 et D4, le premier donnant une poussée fixe, le second une poussée variable, chaque élément étant susceptible de fournir une poussée maxima de 3 630 kg. Lorsque l’engin quitte l’avion porteur, la fusée D5 est mise à feu, cette opération étant immédiatement suivie de la mise en fonctionnement de l’élément D4 à poussée fixe.
Rappelons que la fusée D5 a été conçue à l’origine pour être montée sur l’intercepteur Saunders-Roe P.177 à propulsion mixte, tandis que la D4 devait être utilisée comme fusée d’appoint destinée à faciliter le décollage des bombardiers Vulcan et Victor.
L’adoption de ce matériel, déjà éprouvé pour propulser les prototypes du Blue Steel, confirme l’urgence imposée par le ministère de l’Air britannique à la mise au point des engins air-sol. ♦
(1) Discours prononcé à New York le 18 janvier 1960.