Réflexions sur la guerre à l’ère nucléaire
À en croire les esprits les mieux avertis, le fait nucléaire constitue pour l’armement et pour le problème même de la guerre un bouleversement révolutionnaire. Cette affirmation, si pertinente, si lourde de conséquences, est déjà un lieu commun, probablement très au-dessous de la vérité.
Le fait nucléaire ne se limite pas à ouvrir une porte sur un monde nouveau et prodigieux, qui, dans ce qu’il laisse entrevoir des opérations militaires, reste pratiquement inconnu ou accessible à la seule imagination. Il plonge les experts militaires dans un abîme de perplexités. Les capacités de destruction entrevues sont, en effet, sans commune mesure avec celles des autres armements. Maître d’en user, nul ne sait s’il sera maître de les doser, de les appliquer à bon escient ou d’en arrêter le développement effrayant. Les mêmes hommes, les mêmes gouvernements sont désormais dans la situation de l’explorateur qui, sur un frêle esquif, va quitter une terre ferme, ingrate peut-être, mais mesurable, pour un océan en furie — insondable —. Ils ont la responsabilité de continuer à faire face aux multiples formes des conflits d’hier et d’aujourd’hui, tout en préparant des aventures monstrueuses. Ils ne peuvent se dégager des uns, ni méconnaître les autres. Quelle forme donner à leur système militaire ?
L’embarras est si grand que les principales Puissances ont pratiquement conservé leur système conventionnel, et lui ont superposé des moyens de feu nucléaire, à la manière d’une super-artillerie. De la faculté d’engager l’une comme l’autre des Armées ainsi équipées, nul ne s’est ému outre mesure, officiellement du moins ; nul en tout cas, n’a renoncé à imaginer et à maîtriser le combat qui résulterait d’un pareil affrontement ; nul n’a mis en avant, ostensiblement du moins, l’abîme qui sépare nos conceptions (des opérations militaires) des événements qui se produiraient dès l’ouverture des feux nucléaires, et pourraient rendre la parade pire que le geste. À moins que…
Il reste 87 % de l'article à lire