Politique et diplomatie - La crise cubaine
L’affaire cubaine — bien qu’on n’en connaisse pas encore tous les dessous ; les connaîtra-t-on jamais ? — mérite d’être étudiée avec le plus grand soin. Cette crise, en effet, peut utilement servir d’exemple de l’évolution d’un conflit diplomatique — et, au sens large du terme, stratégique — entre les deux plus grandes puissances, lorsque leurs relations s’expriment en quelque sorte à l’état pur dans une épreuve de force. La crise cubaine, telle qu’elle s’est développée progressivement, à partir de juillet dernier jusqu’à son déclenchement brutal du mois d’octobre, diffère en effet de toutes celles qui l’ont précédée. Sans doute, partout dans le monde, l’affrontement entre l’U.R.S.S. et les États-Unis est-il une réalité. Il traduit l’existence d’un système international bipolaire, malgré une évolution de plus en plus marquée vers le polycentrisme. Mais cet affrontement ne s’est jamais produit d’une manière aussi directe depuis que s’est réalisé entre les deux Grands un équilibre relatif des moyens de destruction massive. Ainsi la décision américaine de débarquer des troupes au Liban — alors que la révolution irakienne de juillet 1958 pouvait être interprétée comme le prélude d’un bouleversement intéressant l’ensemble du Proche-Orient — se produisait sur un terrain où l’Union Soviétique n’était pas officiellement en place, Moscou n’ayant fait que mettre en garde les Occidentaux contre une intervention dirigée contre l’Irak. La guerre de Corée déclenchée en 1950 par l’offensive des forces nord-coréennes, ne mettait pas non plus directement aux prises les États-Unis et l’U.R.S.S. ; d’abord parce que les États-Unis n’intervinrent militairement aux côtés du gouvernement de Séoul que sous le couvert de l’O.N.U. ; ensuite parce que les Chinois seuls intervinrent par l’envoi d’armes et de « volontaires » aux côtés des Coréens du Nord ; enfin parce qu’il est impossible de dire avec certitude si l’action nord-coréenne d’engager les hostilités en deçà du 38e parallèle avait été préparée et approuvée par Moscou.
Quoi qu’il en soit d’ailleurs, l’Union soviétique en 1950 ne disposait pas encore d’armes nucléaires susceptibles de contre-balancer les bombes A américaines. C’est seulement à partir de 1958, année où fut signé l’armistice coréen, que l’U.R.S.S. commença de disposer de ces bombes. À plus forte raison l’affrontement soviéto-américain, lors du blocus de Berlin de 1948-1949, se situait dans un contexte tout à fait différent de celui de 1962. L’épreuve de force sur Berlin se déroula en effet dans un contexte militaire sous-nucléaire : l’U.R.S.S. ne disposait pas d’armes utilisant l’explosif atomique et les États-Unis ne disposaient que des bombes A à forte puissance du type de celles qui avaient été lancées sur le Japon à la fin de la guerre. D’autre part, le conflit sur Berlin de 1948-1949 était demeuré « sous-militaire » : les Occidentaux n’ayant jamais tenté de rompre par la force les entraves mises par l’U.R.S.S. aux communications terrestres et les Soviétiques n’ayant jamais tenté d’interrompre par la force le pont aérien qui permit à Berlin de survivre dans la liberté.
En outre, dans toutes les situations de crise que je viens d’évoquer les protagonistes ne se limitaient pas aux deux plus grandes puissances. Au contraire dans la crise cubaine on peut dire sans trop de simplification que deux joueurs se sont affrontés face à face : les États-Unis ont joué seuls, ont agi sans la caution de l’O.N.U. qu’ils recherchent habituellement ; et s’ils ont obtenu l’appui quasi total de l’O.E.A., c’est néanmoins à Washington que les décisions et les initiatives étaient prises. Quant aux alliés des États-Unis, ils ont été informés, plus que consultés, tous étant conscients d’ailleurs de l’importance que l’enjeu revêtait pour le peuple américain et approuvant la fermeté et l’adresse du Président Kennedy. Quant à l’Union Soviétique, face à l’initiative américaine du 22 octobre, elle a dû elle aussi jouer seule.
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