Mars ou Jésus ? La conscience chrétienne juge la guerre
L’auteur a voulu répondre à deux questions, en se plaçant sur le terrain de la morale chrétienne et en s’inspirant plus particulièrement des enseignements du Pape Pie XII : y a-t-il encore des guerres justes ? Quelle doit être l’attitude du chrétien lorsque la guerre est déclenchée ? Son ouvrage comprend deux parties, répondant chacune à l’une des deux questions posées.
Après avoir admis la définition proposée par Gaston Bouthoul suivant laquelle la guerre est « une lutte armée et sanglante entre deux groupements organisés » et fait succinctement une analyse de l’aspect sociologique et juridique de la guerre, René Coste indique l’évolution de la pensée chrétienne. Celle-ci, dès Saint Augustin, fidèle au message de paix du Christ, cherche à instaurer la paix dans le monde et à bannir la guerre des relations internationales ; Saint Augustin stipule que le but légitime de la guerre est de rétablir la paix, que les moyens de violence ne peuvent être employés que lorsque tous les autres moyens ont été épuisés, et pense que la guerre s’inscrit dans le plan de Dieu. Saint Thomas d’Aquin juge qu’une guerre n’est juste que si elle est déclenchée par l’autorité du prince et lorsque l’intention de ceux qui la décident est de promouvoir le bien. Au XVIe siècle, Vitoria, théologien espagnol, apporte une notion importante : la guerre est une fonction de l’humanité, résultant de l’absence d’une organisation supranationale capable d’empêcher les heurts entre les États et d’apporter des solutions pacifiques à leurs conflits.
L’enseignement de Pie XII s’appuie sur ces autorités, mais élargit leur doctrine en même temps qu’il l’adapte aux conditions de notre temps. À partir de la définition de valeurs fondamentales : la personne humaine, l’État, l’humanité considérée dans son unité, le bien commun et le droit naturel, toutes valeurs qui vont se confondre dans la notion de Dieu, il établit que toute guerre est irrationnelle ; mais comme il n’existe aucun pouvoir supranational pour juger en toute certitude et par des moyens pacifiques des discussions entre collectivités humaines, l’État se substitue à ce pouvoir inexistant. La guerre ainsi devient licite lorsqu’elle est faite en cas de légitime défense c’est-à-dire lorsque les droits fondamentaux de la personne humaine, ou l’existence d’une collectivité, se trouvent menacés. Le pouvoir de décision ne peut appartenir qu’à un État dûment constitué et reconnu ; la cause doit être juste, c’est-à-dire qu’elle doit avoir pour objet de faire cesser une injustice grave, à condition que ce résultat ne puisse être atteint par d’autres voies que la guerre, et que la gravité des dommages à prévoir ne soit pas plus élevée que celle de l’injustice elle-même ; l’intention doit être droite ; enfin, la manière de faire la guerre doit rester dans la limite des moyens autorisés.
La guerre peut être offensive ou défensive : la doctrine de l’Église se refuse à prononcer une condamnation absolue contre la première, bien qu’elle soit généralement une guerre d’agression, celle-ci nettement condamnable. Mais la guerre préventive est illicite, sauf s’il s’agit de faire face à une attaque ou une agression imminente.
En résumé, la légitimité éventuelle et accidentelle de la guerre repose sur un fait : l’absence d’organisme supranational assez fort pour régler les litiges entre groupes humains, et sur une nécessité, celle devant laquelle peut se trouver un État de pallier la carence de l’organisation supranationale.
Examinant ensuite l’attitude du chrétien devant la guerre effectivement déclenchée, René Coste étudie successivement plusieurs problèmes :
Tout d’abord l’objection de conscience. Les théologiens et penseurs catholiques ne sont pas tous d’accord sur le détail d’une application de l’objection de conscience. La doctrine peut cependant s’exprimer ainsi : l’objection de conscience absolue, contre toute guerre quelle qu’elle soit, est condamnable ; l’objection de conscience limitée l’est également, contre telle ou telle forme de guerre, si un certain nombre de conditions sont remplies (ce sont celles qui légitiment la guerre et que nous avons énumérées plus haut) ; mais si ces conditions ne sont pas remplies, l’objection de conscience limitée est possible.
Puis, l’attitude du chrétien devant les débordements de la violence. Aucune vie humaine ne doit être sacrifiée inutilement ; seuls les actes de guerre justifiés par la légitime défense sont autorisés ; l’état militaire ne justifie pas les crimes ; la distinction entre combattants et non-combattants doit être maintenue, ainsi qu’entre objectifs militaires et non-militaires ; les prisonniers ne doivent pas être utilisés à des activités directement utiles au potentiel militaire ; les populations civiles ne doivent pas être déportées et maltraitées.
Ensuite l’auteur aborde le problème des armes nucléaires. Pie XII n’en a pas formellement condamné l’emploi, mais son enseignement est interprété cependant comme très restrictif. L’emploi des armes nucléaires n’est possible que s’il n’a pas de conséquences pour les non-combattants et les générations futures ; il n’est pas « permis », mais « toléré » et reste toujours regrettable.
Enfin, toujours dans le même esprit, l’attitude du chrétien devant la guerre révolutionnaire et devant les sanctions prises à la fin de la dernière guerre contre les dirigeants nazis.
Le lecteur trouvera dans cet ouvrage, que nous avons résumé en schématisant beaucoup de ses développements, donc en risquant de les dépourvoir de leurs nuances, la réponse des penseurs catholiques à de nombreuses questions qui troublent les consciences. À ce titre, ce livre mérite d’être lu attentivement. ♦