Outre-mer - L'offensive diplomatique des États de l'Entente
Les États du Conseil de l’Entente, dont le rôle fut d’importance dans la création de l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM) ont pris l’initiative d’une importante offensive diplomatique au cours du mois d’avril 1965.
Du 9 au 11 avril, les présidents Diori Hamani du Niger, Maurice Yameogo de Haute-Volta [NDLR 2023 : futur Burkina Faso] et Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire se sont réunis à Abidjan. Le président Nicolas Grunitzky du Togo a assisté aux entretiens des chefs d’État. Le ministre des Affaires étrangères du Sénégal, Me Doudou Thiam leur a apporté un message d’amitié du Président Senghor. Le chef du gouvernement dahoméen, M. Justin Ahomadegbe, retenu par des questions de politique intérieure, n’avait pu se joindre à ses partenaires.
Le communiqué publié à l’issue des entretiens a annoncé l’accord des quatre chefs d’État pour « estimer que le moment est venu de s’atteler sans retard à une politique de paix en Afrique, condition indispensable du développement de ce continent ». Dans ce but, ils se proposent d’effectuer des démarches pressantes auprès des pays qui sont animés par l’idéal de paix et croient que les Africains doivent régler pacifiquement leurs propres affaires en observant les trois principes sacrés du respect des droits souverains de chaque État, de non-immixtion dans les affaires intérieures et de la tolérance absolue à l’égard des régimes différents. En outre, ils réaffirment leur fidélité à l’Organisation de l’unité africaine (OUA) afin de couper court aux critiques éventuelles de certains États.
Les présidents Diori Hamani et Grunitky ont insisté sur leur volonté de voir le problème congolais réglé par les Africains eux-mêmes.
L’attentat à la grenade dirigé contre le président Diori Hamani, le 13 avril au matin, à Niamey, lors de la prière de la fête musulmane de la Tabaski, a durci la position des chefs d’États de l’Entente. Cet attentat a fait 1 mort et 5 blessés. Le chef de l’État n’a pas hésité à incriminer le Ghana : « Cette opération s’inscrit dans la lutte déclenchée contre ceux qui ont décidé de mettre un terme à la folie et au crime pour que l’Afrique vive en paix. »
Les chefs d’État de la Haute-Volta et du Niger, le chef du Gouvernement dahoméen se sont retrouvés à Abidjan une nouvelle fois les 17 et 18 avril. Les deux premiers ont dénoncé l’attitude du Ghana et de son chef, le président N’Krumah, qu’ils tiennent pour responsable de l’attentat de Niamey. Ils ont décidé de trouver une solution pacifique au problème de la République démocratique du Congo et d’obtenir le respect du principe de la non-immixtion dans les affaires intérieures des États. Le vice-président de l’Assemblée nationale du Sénégal, M. Boubakar Gueye, leur a apporté l’appui entier du Sénégal.
Le Président Diori Hamani a annoncé la détermination des Chefs d’État du Conseil de l’Entente de ne pas se rendre à Accra, lors de la prochaine Conférence de l’OUA : « Ce qui ne veut pas dire, a-t-il déclaré, que nous ne sommes pas attachés à l’OUA. Car nous sommes prêts à nous rendre à toute convocation de l’OUA en quelque point que ce soit en Afrique, mais pas à Accra ».
Enfin, les chefs d’État du Conseil de l’Entente ont décidé l’envoi de missions auprès des États africains épris de paix.
Cinq missions ont été constituées pour visiter les capitales africaines et exposer la position des États du Conseil de l’Entente.
La mission des Présidents Diori Hamani et Yameogo accompagnés de M. Boubacar Gueye et du ministre de la Justice du Dahomey, M. Adande, s’est rendue au Cameroun (18 avril) et au Nigeria (21 avril). Dans ce dernier pays, si le Premier ministre fédéral, Sir Abubakar Tafewa Balewa, n’a pas hésité à faire état, dans une déclaration faite devant le Parlement fédéral, des activités subversives du Ghana et de la volonté de son pays d’obtenir de M. N’krumah le renvoi des dirigeants de la subversion dans chacun des pays qui les réclament, le Président Azikiwe a indiqué, le 26 avril, que le Nigeria s’abstiendra de se rendre à la Conférence de l’OUA, sauf s’il y est contraint, et que l’expulsion de l’OUA de tout État convaincu de pratiquer la subversion en Afrique est « délicate ».
La mission, conduite par M. Yace, président de l’Assemblée nationale ivoirienne s’est rendu au Sénégal (17-18 avril) et en Mauritanie (19 avril). À Dakar, le Président Senghor lui a réservé le meilleur accueil. À Nouakchott, la mission a été reçue par le Chef de l’État, Me Moktar Ould Daddah, président en exercice de l’OCAM. M. Yace s’est refusé à toute déclaration, indiquant seulement que les entretiens se sont déroulés dans d’excellentes conditions.
La mission dirigée par M. Begnon Kone, président de l’Assemblée nationale de Haute-Volta, a visité la Guinée et le Mali. Dans ces deux capitales, une attitude d’expectative est observée : aucune publicité n’a été donnée au séjour de la mission. Lors d’une conférence de presse, à Paris, le 23 avril 1965, M. Seydou Badian Kouyate, ministre malien du développement, a dénié toute représentativité au Premier ministre congolais, M. Tschombé, et affirmé que « lui venir en aide était nuire à l’Afrique ».
La mission, composée des ministres des affaires étrangères de Côte d’Ivoire, de Haute-Volta et du Niger, s’est rendue successivement au Tchad (17 avril), en République centrafricaine (18 avril), au Congo-Brazzaville (20 avril), au Gabon (22 avril), en République démocratique du Congo (25 avril) et au Rwanda (27 avril). À son arrivée à Paris, le 29 avril, M. Alliali s’est félicité de « l’accueil fraternel » reçu dans les capitales visitées. Néanmoins, il a ajouté : « Au Congo-Brazzaville, nous nous sommes entretenus pendant deux heures avec le Chef de l’État, M. Massamba-Debat, et avec le ministre des Affaires étrangères. Nous nous sommes expliqués et nous avons beaucoup appris » ; en effet, le séjour de la mission à Brazzaville a coïncidé avec des manifestations populaires « spontanées » hostiles à l’OCAM.
Enfin, une mission composée notamment du ministre d’État de la Côte d’Ivoire, M. Auguste Denise, et du ministre des Affaires étrangères du Togo, M. Georges Apedo-Amah, s’est rendue notamment en Sierra Leone, au Liberia, en Éthiopie (24-27 avril), à Madagascar (29-30 avril), au Tanganyika [NDLR 2023 : future Tanzanie], au Kenya. À Monrovia, il semble que le Président Tubman ait préconisé que la prochaine Conférence de l’OUA ait lieu à Alger ou au Caire. À Addis-Abéda, M. Denise a déclaré que « si la Conférence au sommet de l’OUA, prévue pour septembre, pouvait se tenir à Accra, ce serait une bonne chose, car cela prouverait une évolution radicale de la politique du Président N’Krumah » et a précisé que, pour prouver sa bonne volonté, ce dernier devrait ordonner le refoulement vers leurs pays respectifs des exilés politiques des pays voisins qui ont trouvé refuge au Ghana. À Tananarive, il a indiqué que les pays de l’Entente estimaient indispensable une adhésion rapide de la RD Congo-Léopoldville à l’OCAM et proposé une réunion extraordinaire de la Conférence des Chefs d’États de cette organisation pour prononcer son admission ; à l’issue d’un long entretien avec le Président de la République, M. Philibert Tsiranana, il a fait état de la complète identité de vue qui existe entre le gouvernement malgache et les pays de l’Entente.
Les Chefs d’États du Conseil de l’Entente se sont retrouvés à Ouagadougou au début du mois de mai. Le 3 mai, ils ont tenu une conférence de presse.
Les États de l’Entente ne se rendront pas à la prochaine rencontre afro-asiatique d’Alger, ni à Accra au mois de septembre pour la Conférence de l’OUA, et sont favorables à une réunion extraordinaire des ministres des affaires étrangères de l’OUA chargée notamment de proposer une autre capitale pour la Conférence de l’OUA et d’examiner à nouveau les possibilités d’une solution au problème congolais.
Le président Houphouët-Boigny a annoncé de prochains entretiens avec le Président malien Modibo Keita (5 mai) et une éventuelle rencontre avec le Président guinéen Sekou Touré. Il a manifesté son optimisme sur les résultats des démarches effectuées par les cinq missions pour le rétablissement de la paix au Congo et pour le triomphe d’une conception réaliste de l’Unité africaine : « Nous ne voulons pas que l’OUA devienne une sorte de petite ONU, avec deux tendances négatives dans leur action ».
Une Conférence des Chefs d’État de l’OCAM pourrait se prononcer sur une admission éventuelle de la RD Congo.
L’offensive diplomatique des États de l’Entente a obtenu des résultats certains. Elle a resserré les liens entre les pays de l’Afrique modérée, qu’ils soient francophones ou anglophones. Elle renforce l’isolement des pays qui, comme le Ghana, voire le Congo-Brazzaville, entendent pratiquer une politique révolutionnaire. Elle consolide la position du gouvernement légal de Tschombé à Léopoldville.
En ce qui concerne l’OCAM, elle peut amener la Mauritanie, d’une part, le Congo-Brazzaville, d’autre part, à préciser ou réviser leur attitude. Partagée entre les pays arabes progressistes et les pays africains modérés, la Mauritanie semble hostile à l’admission de la République démocratique du Congo au sein de l’OCAM. Au Congo-Brazzaville, l’évolution gouvernementale vers des structures révolutionnaires est de plus en plus difficile à concilier avec une appartenance à l’OCAM. ♦