Le drame de 1940
Le général Beaufre avertit ses lecteurs, dès la première ligne que l’ouvrage qu’il lui présente est un livre « de souvenirs et de réflexions ». C’est une excellente définition, car l’auteur, en racontant sa vie militaire jusqu’à l’armistice de 1940, accompagne son récit de commentaires qui sont autant de leçons. Celles-ci sont austères ; elles portent sur l’incroyable impréparation de nos cadres militaires dans les écoles, de notre armée dans ses manœuvres, de notre commandement dans ses états-majors et plus généralement de notre pays tout entier dans sa vie courante. À l’opposé, le tableau admiratif qui est fait du redressement allemand fait mieux saisir le contraste et comprendre les raisons profondes de la défaite pour les uns et de la victoire pour les autres.
Le témoignage personnel porte surtout sur la mission chargée en août 1939 de conclure un accord militaire avec l’URSS, à laquelle participa l’auteur, et sur la description de l’ambiance régnant au Grand quartier général (GQG) pendant que se déroulaient les combats de mai et juin 1940. Il confirme ce que le lecteur savait déjà, mais donne des détails et fournit des précisions généralement ignorées.
Cependant, la conclusion sur laquelle insiste le général Beaufre pourra surprendre. Il écrit en effet, après avoir souligné à plusieurs reprises combien des faits en apparence fortuits ou mineurs avaient eu de conséquences graves sur les événements : « La conclusion qui s’impose, c’est que le drame de 1940 n’était que l’aboutissement d’une longue évolution conduite par le destin ». Cette intervention du destin (le chapitre III du livre est intitulé « Fatum ») pourrait faire rebondir, à propos de la vie des peuples, la vieille querelle de la prédestination. On peut penser qu’elle est exacte ; on peut également soutenir qu’elle est erronée et en prendre pour preuve qu’après les événements – et l’auteur ne s’en fait pas faute – il est possible de déceler les raisons, nullement fatidiques, mais fort précises et concrètes, d’un effondrement semblable à celui de 1940. L’auteur ajoute : « Les grands hasards qui gouvernent les choses ont voulu que le seul homme, qui en France, se soit révélé ultérieurement à la taille de l’événement, n’intervienne que bien tard, quand presque tout était déjà perdu ». Cela est sans doute vrai. Mais il aurait fort bien pu en surgir un plus tôt, et le pays tout entier aurait pu se ressaisir à temps, devant les événements du monde, après l’euphorie trompeuse de la victoire de 1919. Les exemples que donne le général Beaufre de l’action concertée, harmonisée des Allemands de toutes catégories sociales, ainsi que de la volonté et de la logique qui animaient les négociateurs soviétiques devant lesquels se trouva la mission franco-anglaise d’août 1939, montrent précisément que, sans intervention d’un destin mythique, des hommes savaient, dans d’autres pays, mener leurs affaires et préparer leurs victoires.
La lecture de ce livre, écrit avec aisance, est fort agréable. Elle intéressera indiscutablement ceux qui ont vécu les événements racontés. Souhaitons qu’elle intéresse et passionne tout autant les plus jeunes, auxquels s’adresse tout particulièrement l’ouvrage. ♦