Le cinquantenaire de la bataille de Verdun, qui vient d’être récemment célébré, a de nouveau attiré les regards du monde entier sur la petite ville meusienne ; à cette occasion, l’idée a pris corps d’en faire le sanctuaire mondial de la paix et de la fraternité universelle. Il n’est évidemment pas question de discuter un projet, qui trouve sa pleine justification dans le passé glorieux hors de pair de la cité ; cependant, il semble opportun de se demander si, déjà capitale du souvenir, elle ne mériterait pas de se voir confier, au sein de l’Europe, un rôle plus concret et plus orienté vers l’avenir, celui de capitale de la Communauté européenne.
Correspondance - Verdun, capitale de l’Europe ?
Si la primauté de Verdun ne peut être en effet contestée comme haut lieu de rendez-vous des « hommes de bonne volonté » décidés à rechercher ensemble toutes les occasions d’affirmer la fraternité humaine et à faire communier toutes les nations dans le même idéal de paix, la vieille place forte de Vauban mériterait une destinée plus positive qui, non seulement récompenserait son passé, mais serait légitimée de par sa position géographique exceptionnelle au sein de l’Europe occidentale.
Les polémiques auxquelles a donné lieu, jusqu’à ce jour, le choix de la future capitale de l’Europe sont aussi loin d’être calmées que la question d’être résolue, quant au fond ; si les arguments avancés par les membres de la Communauté européenne en faveur de telle ou telle ville ont tous une certaine valeur, les uns comme les autres perdent considérablement de leur portée réelle, affaiblis qu’ils sont par l’intérêt, et un chauvinisme désuet.
C’est pourquoi il semblerait souhaitable de reconsidérer ce problème sur des bases nouvelles, en excluant d’emblée tout prétexte à des rivalités stériles. La proposition de faire de Verdun la capitale de l’Europe, pour peu que l’on veuille bien y réfléchir, devient alors parfaitement pertinente et devrait rencontrer l’assentiment de tous nos partenaires européens et singulièrement l’Allemagne.
Est-il en effet nécessaire de rappeler cette obsession qu’était devenue, pour le haut-commandement allemand de la Première Guerre mondiale la prise de Verdun, puisque dès 1914, de nombreux plans d’opérations faisaient de la forteresse meusienne l’objectif principal des actions envisagées ?
Mais, bien que la position stratégique de Verdun le justifiât pleinement, le Kaiser allemand obéissait sans doute à d’autres mobiles en voulant s’en emparer « coûte que coûte » ; il ne faisait, en effet, que la replacer dans un contexte historique ; il lui redonnait consciemment ou inconsciemment le rôle de « pivot » que Charlemagne lui avait fixé au sein de son Empire ; et si c’est le traité de Verdun, signé en 843, qui a démembré cet Empire, il a par contre jeté les bases de la future communauté européenne en créant la Lotharingie, dont la frontière avec la France passait précisément par Verdun et qui, s’étendant de l’Adriatique à la mer du Nord, concrétisait la première tentative de l’histoire de réaliser une sorte d’équilibre européen.
Ajoutons que pour les alliés de 1914-1918, aucune ville ne pourra jamais mieux symboliser leur fraternité d’armes qu’un choix fondé sur un critère dont la valeur l’emporte de loin sur toute considération d’ordre politique ou économique.
Certes, des objections ne manqueront pas d’être soulevées ; on avancera probablement l’argument que Bruxelles ou Strasbourg, par exemple, sont des petites métropoles, bien situées, quoique la première soit assez excentrée par rapport à l’ensemble européen, et bien desservies par toutes sortes de voies de communication ; en outre, Strasbourg est baignée par le Rhin, fleuve à vocation internationale. À cet égard, il suffira de consulter la carte pour constater que Verdun est à l’épicentre des capitales européennes, et traversée par la Meuse, fleuve européen ; quant à l’importance relativement faible de la cité actuelle sur les plans administratif, économique et politique, il y a lieu de remarquer que l’urbanisme de l’avenir se traduit par la décentralisation et que, d’autre part certaines capitales comme Washington, Canberra, Ottawa ont été construites volontairement à grande distance des centres industriels. En outre, Verdun qui pourra être relié par des trains rapides à toutes les grandes villes européennes, dispose également d’un aérodrome (Étain-Rouvres) pouvant recevoir, sur sa piste de 2 400 m, les plus gros avions commerciaux actuellement en service.
Carte de Verdun et distance avec les capitales européennes à l’Échelle : 1/400 000e
Ainsi, nulle considération d’ordre « résidentiel » et « fonctionnel » ne peut sérieusement s’opposer à cette promotion de la petite ville meusienne dont la destinée a toujours été de s’étioler dès que les menaces de guerre s’atténuent, pour reprendre vie dans le cas contraire ; alors la garnison se renforce, enfle démesurément au point même que l’importance des effectifs militaires a dépassé souvent celle de la population civile.
D’autre part, Verdun, écrasée par le complexe voisin Nancy-Metz, n’a jamais bénéficié du moindre essor industriel ; et si, pour des raisons stratégiques, elle était devenue, pendant la Première Guerre mondiale, un nœud ferroviaire très actif, dès 1931, la construction de la ligne Lérouville-Metz l’éliminait définitivement de l’axe Paris-Lorraine-Alsace.
En définitive, elle dut se résoudre, outre son rôle traditionnel de ville de garnison des « marches de l’Est », à celui de petite sous-préfecture touristique et agricole, malgré quelques tentatives, vite avortées, d’industrialisation.
Verdun, par sa position privilégiée, satisfait donc bien, en définitive, à toutes les exigences « physiques » d’une capitale moderne pour peu que l’on veuille y consentir l’effort d’aménagement nécessaire. De plus, si l’on admet que le rayonnement universel de la Communauté européenne donne à cette dernière une mission de paix à l’échelle planétaire, Verdun a bien des titres à une promotion, amplement méritée par son glorieux passé et ses possibilités d’avenir. ♦