Outre-mer - Organisation de l'unité africaine : Conseil des ministres et Conférence des chefs d'État - Togo : tentative de coup d'État - Burundi : coup d'État militaire
Organisation de l’unité africaine (OUA) : Conseil des ministres et conférence des chefs d’État
Du 1er au 9 novembre s’est tenu à Addis-Abeba un sommet africain dont on ne saurait dire qu’il fut une réussite. M. Hamani Diori, président de la République du Niger et président en exercice de l’Organisation commune africaine et malgache (Ocam), en avait demandé le report à 1967 en raison de l’existence actuellement en Afrique de plusieurs foyers d’agitation non négligeables. Il avait certainement raison, mais malheureusement n’a pas été suivi. En fait, M. Diallo Telli, Secrétaire général de l’OUA, a fort probablement annoncé un peu tôt que le quorum nécessaire pour permettre la réunion était atteint, c’est-à-dire 24 acceptations sur 86 pays membres. Notons en passant que le nombre des membres s’élève maintenant à 88, le Botswana et le Lesotho ayant été admis. Quoi qu’il en soit, du 1er au 7 s’est tenu le Conseil des ministres et, du 5 au 9, la Conférence des chefs d’État.
Le Conseil des ministres s’est ouvert dans un climat d’extrême tension. Le gouvernement du Ghana venait en effet de faire arrêter, à l’aéroport d’Accra, la délégation guinéenne qui se rendait à Addis-Abeba : 19 personnalités parmi lesquelles M. Lansana Beavogui, ministre guinéen des Affaires étrangères et M. Abdoullaye Diallo, ancien Ambassadeur de Guinée au Ghana. Un communiqué du gouvernement ghanéen précisait : « Ces personnalités ne seront libérées que si la Guinée libère les Ghanéens détenus illégalement dans ce pays. Le gouvernement ghanéen a été conduit à prendre de telles mesures pour obtenir réparation de la part d’un pays qui a montré un mépris total des coutumes internationales ». La nouvelle fit l’effet d’une bombe dans la capitale éthiopienne et le Négus envoya immédiatement à Accra son ministre de la Justice, M. Mammo Tadesse, en vue d’obtenir du gouvernement ghanéen que le ministre Beavogui et ses collaborateurs puissent poursuivre leur voyage. De son côté, le Conseil des ministres de l’OUA chargeait une mission spéciale composée de MM. Justin Bomboko, ministre des Affaires étrangères du Congo (Kinshasa), Joseph Murumbi (Kenya) et John Nelson (Sierra Leone) de se rendre au Ghana dans un but de médiation. La mission se heurta à un refus poli à Accra et recueillit à Conakry les déclarations de Ghanéens, de la suite du président déchu N’Krumah, qui se déclarèrent enchantés de leur séjour en Guinée. Cependant, le Conseil des ministres commençait ses travaux à Addis-Abeba. Le bilan est assez mince, mais caractérisé par une certaine modération. Une motion extrémiste sur Djibouti a été repoussée et un texte modéré prenant acte de la décision du gouvernement français d’organiser un référendum a été voté. Ce texte, qui a été ensuite repris à la Conférence des chefs d’État, se contente de demander, lors de la consultation, « liberté et impartialité ». Un projet de motion concernant les Comores a été rejeté. Sur l’affaire rhodésienne, le Conseil s’est contenté de réaffirmer sa position antérieure. On a enregistré à ce sujet les doléances des quelques pays qui, l’an dernier, avaient rompu les relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne, mais n’avaient pas été suivis par l’immense majorité des pays africains. Le problème posé par le conflit algéro-marocain a été renvoyé à une commission ad hoc qui a prôné la conciliation plutôt que l’arbitrage. Une certaine suspicion s’est manifestée parmi les Ministres à l’égard du « Comité des 11 » chargé d’aider les mouvements de Libération. Le caractère désordonné des efforts lui a été reproché et les crédits n’ont pas été renouvelés. Un grand nombre de problèmes enfin ont été laissés en suspens.
Le 5 novembre devait s’ouvrir la Conférence des chefs d’État. Dans un climat tendu, en raison de l’incident ghanéen non réglé, l’ouverture eut lieu après plusieurs reports. 14 chefs d’État seulement sur 88 (Algérie, Cameroun, Éthiopie, Ghana, Haute-Volta, Lesotho, Liberia, Mali, Mauritanie, République arabe unie, République centrafricaine, Soudan, Tanzanie et Zambie) ont assisté à ce sommet. Trois pays étaient représentés par des Chefs de gouvernement : Gambie, Sierra Leone et Somalie. Les autres, à l’exception évidemment de la Guinée, l’étaient au niveau ministériel. L’Empereur Haïlé Sélassié ouvrit la conférence par une allocution au cours de laquelle il exprima sa tristesse devant la tournure prise par le conflit Ghana-Guinée, évoqua les principaux problèmes africains actuels : l’Afrique du Sud, la Rhodésie, les colonies portugaises. En quelques mots il a rappelé « l’inquiétude que cause à l’Éthiopie la situation de Djibouti, auquel elle est attachée par de nombreux liens historiques et économiques ». Un « Comité des trois sages » composé de l’Empereur Haïlé Sélassié, des présidents Nasser et Tubman devait ensuite intervenir auprès du général Ankrah, président du Ghana, et obtenir enfin la libération de la délégation guinéenne. On aurait pu croire à ce moment que la réunion allait pouvoir se dérouler normalement. Mais M. Sékou Touré, président de la Guinée, refusa de se rendre à Addis-Abeba en raison de la présence du général Ankrab. M. Nasser envoya un avion spécial à Conakry, téléphona, il y eut des communiqués, des démentis, et M. Sékou Touré maintint finalement son refus. MM. Nasser et Boumedienne quittèrent alors Addis-Abeba, d’autres suivirent et une dizaine de Chefs d’État et de gouvernement seulement assistaient le 9 novembre à la brève séance publique terminant le sommet africain. Les résolutions adoptées n’ont fait d’une manière générale que reprendre les propositions du Conseil des Ministres.
L’OUA ne sort pas grandie de cette réunion. On a noté l’absence de la plupart des chefs d’État de l’Ocam et M. Arsène Usher Assouan, ministre des Affaires étrangères de Côte d’Ivoire, qui avait représenté son pays au Conseil des ministres et à la Conférence des présidents, a déclaré à son retour à Abidjan : « J’estime qu’après le spectacle que nous avons donné à Addis-Abeba, il aurait mieux valu que la conférence au sommet de l’OUA n’ait pas eu lieu… Il y avait beaucoup de litiges et de problèmes difficiles entre États et l’on aurait dû, au lieu de les étaler sur la place publique, rechercher des solutions par la voie discrète de ce qu’il est convenu d’appeler la diplomatie secrète ». Les commentateurs ont parlé de « mini-sommet », ils ont écrit : « L’OUA est mal partie » et n’ont pas manqué de faire le rapprochement avec la dernière conférence de l’Ocam à Tananarive où les chefs d’État francophones ont fait la preuve du sérieux et de la cohésion de leur groupement.
Togo : Tentative de coup d’État
Le Togo avait ouvert le 18 janvier 1963 le cycle des coups d’état militaires avec l’assassinat du président Sylvanus Olympio, chef du parti unique de l’Unité togolaise, mais le comité insurrectionnel avait alors fait appel à M. Nicolas Grunitzky, ancien dirigeant du Parti togolais du Progrès et Premier ministre du Togo de septembre 1956 à avril 1958. M. Grunitzky avait accepté le 16 janvier et depuis, le Togo ayant rompu l’isolement où l’avait maintenu le président Olympio, vivait des jours calmes en dépit des coups d’État militaires qui secouaient ses trois voisins, Dahomey [Bénin], Haute-Volta [Burkina Faso] et Ghana. On commençait à préparer au Togo les élections présidentielles de 1968 ; les responsables politiques y pensaient et certains prenaient leurs distances vis-à-vis du président Grunitzky. On parlait d’une éventuelle candidature de M. Meatchi, vice-président de la République. Pendant l’absence du Président, qui effectuait un séjour privé en France, un incident a opposé le ministre de l’Intérieur au vice-président M. Meatchi. Le dimanche 20 novembre M. Grunitzky de retour à Lomé, après s’être assuré du loyalisme des forces armées placées sous les ordres du lieutenant-colonel Eyadema, provoquait la démission collective du gouvernement, M. Meatchi excepté, en raison de son poste de vice-président de la République. Le lendemain, à 5 heures du matin, un groupe d’environ 25 civils armés, membres du parti de l’Unité togolaise de M. Sylvanus Olympio, prenait d’assaut le bâtiment de la radiodiffusion et quelques édifices publics et une voix anonyme annonçait sur les ondes que l’armée avait pris le pouvoir au Togo et relevé le président Grunitzky de ses fonctions : « La révolution vient de commencer… le peuple togolais reprend ses droits, il se lève pour le renouveau et crie son indignation contre les “commis voyageurs” qui placent leur argent à l’étranger ». Cependant plusieurs milliers de manifestants, des femmes et des enfants pour la plupart, portant des pancartes demandant la démission du président Grunitzky entouraient la résidence du chef de l’État gardée par la troupe. Celle-ci s’est contentée de canaliser la foule mais n’a pas cherché à la disperser. Dans le même temps elle réussissait à reprendre le bâtiment de la radiodiffusion. En fin de matinée les femmes et les enfants quittaient peu à peu les rangs des manifestants, le calme revenait, sans qu’aucune victime ait été à déplorer. Pour la première fois depuis que des coups d’État ont lieu en Afrique la manifestation de masse avait échoué. Le président Grunitzky, vers midi, prenait la parole à la radio en ces termes : « Mes chers compatriotes. Ce matin des fauteurs de troubles se sont introduits dans les locaux de la radiodiffusion et ont fait diffuser une bande préalablement enregistrée destinée à jeter le trouble dans les esprits et à appeler la population au désordre. Ces fauteurs de troubles vous ont abusés en prétendant que l’armée était solidaire avec eux. Je relève avec indignation cette insulte à l’armée, notre armée nationale qui reste dans le devoir. Des mesures énergiques ont été prises pour mettre fin au désordre. Je vous invite à rester calmes et à vaquer à vos occupations. »
Dans un nouveau message diffusé un peu plus tard, le président Grunitzky s’est adressé tout spécialement aux agents de l’État : « J’invite tous les fonctionnaires, a-t-il dit, de tous les départements, à reprendre leurs fonctions, et tout spécialement les techniciens des PTT pour rétablir rapidement les communications téléphoniques. »
De son côté, le lieutenant-colonel Eyadema, chef des forces armées du Togo, annonçait à la presse : « L’ordre sera maintenu et l’armée est fidèle derrière le gouvernement. » Le président Grunitzky a donc eu dans cette affaire le soutien effectif de l’armée, mais il aurait eu sans doute aussi celui de ses voisins du Conseil de l’Entente, encore que l’absence du président ivoirien Houphouët-Boigny (à Genève), du président nigérien Diori (au Moyen-Orient), du président béninois Soglo (en France), n’eut sans doute pas facilité les choses. Quoi qu’il en soit le coup d’État a avorté, les instigateurs sont en fuite ou arrêtés. Le principal responsable, Me Kutuklui, avocat, ancien Président en France des étudiants d’Afrique noire, Secrétaire général et membre du Comité exécutif du parti de l’Unité togolaise et qui avait participé à de nombreux congrès dans les pays de l’Est européen et à Pékin a réussi à prendre la fuite. Le président Grunitzky après avoir consulté le comité de coordination des partis de la majorité a constitué un nouveau gouvernement dans lequel ne figure aucun membre de l’Unité togolaise rallié ou non, mais où l’équilibre entre le Sud et le Nord est respecté. M. Meatchi qui, outre ses fonctions de vice-président, détenait le portefeuille des Finances l’échange contre celui de l’Intérieur.
M. Grunitzky, homme politique modéré, fort bien considéré en Afrique, en France et dans le monde, sort donc vainqueur de la crise. Mais il sera sans doute obligé de tenir un plus grand compte de l’avis des militaires et notamment du chef de l’armée, le Lieutenant-Colonel Eyadema. La tentative de coup d’État s’est soldée par un échec mais le rapport des forces est désormais modifié au Togo.
Burundi : Coup d’État militaire
Si le coup d’État a échoué au Togo, par contre il a réussi quelques jours plus tard au Burundi. Ce royaume est profondément divisé entre deux ethnies rivales, les Tutsi et les Hutu, et les massacres raciaux y sont hélas fréquents. En juillet dernier le roi (ou Mwami) avait été détrôné par son propre fils. Celui-ci était monté sur le trône sous le nom de Ntare V. Agé de 19 ans, il venait juste de terminer ses études en Europe lorsqu’il déposa son père avec l’aide du commandant en chef de l’armée, le capitaine Micomhero. En reconnaissance des services rendus il avait nommé celui-ci Premier ministre tout en procédant à la dissolution du Parlement. Mais les relations entre les deux hommes se sont rapidement détériorées et le 29 novembre M. Micomhero, profitant de l’absence du Mwami Ntare V a annoncé sur les antennes de la radiodiffusion nationale la déchéance du souverain et la proclamation de la République. M. Micomhero s’est attribué la présidence de la République, a dissous le gouvernement et l’a remplacé par un conseil révolutionnaire composé de militaires. Le souverain du Burundi a appris la nouvelle du coup d’État à Kinshasa où il s’était rendu avec trois de ses ministres sur l’invitation du général Mobutu pour la célébration du premier anniversaire du nouveau régime au Congo-Kinshasa. L’Ambassade du Burundi à Kinshasa s’est aussitôt ralliée au nouveau régime du Burundi, ainsi qu’un des ministres qui accompagnait Ntare V dans sa visite officielle au Congo. Le général Mobutu a estimé que le coup d’État était « un geste discourtois vis-à-vis du peuple congolais au moment où le roi du Burundi se trouve parmi nous ». Quant au capitaine Micomhero, il a déclaré que le souverain déposé pourrait revenir dans son pays mais qu’il y serait considéré comme un simple citoyen. ♦