Militaire - Évolution des forces stratégiques nucléaires américaines - L'engagement américain au Vietnam - L'Allemagne fédérale et la non-prolifération des armes nucléaires - Vers l'intégration des trois armées en Grande-Bretagne - Évolution de la situation à Chypre
Évolution des forces stratégiques nucléaires américaines
La Revue de Défense Nationale a publié, dans son numéro de juin 1966, un tableau des forces stratégiques nucléaires américaines et soviétiques. L’année 1966 a été marquée par un net effort des Américains pour, à la fois, accroître et améliorer ces forces.
Les États-Unis disposent aujourd’hui de :
– 994 missiles ICBM (au lieu de 904 il y a un an) qui se décomposent ainsi :
• 54 Titan II (portée : 11 000 km / charge : 10 mégatonnes).
• 800 Minuteman I (portée : 10 000 km / charge : 1 mégatonne).
• 140 Minuteman II (portée : 14 000 km / charge : 1 mégatonne).
– 670 bombardiers stratégiques :
• 80 B-58 : charge 13 mégatonnes.
• 590 B-52 : dont 255 (modèles G et H) peuvent transporter : 6 armes nucléaires et 2 missiles air-sol de 1 mégatonne chacun, au total 24 mégatonnes environ.
– 89 sous-marins nucléaires : au total 624 missiles Polaris dont :
• 18 sous-marins équipés de 208 Polaris A2 (portée : 2 800 km / charge : 0,6 mégatonne).
• 26 sous-marins équipés de 416 Polaris A3 (portée : 4 500 km / charge : 1 mégatonne).
À l’exception de 3 escadrons de bombardiers B-52 (1 escadron à 15 appareils à Porto-Rico et 2 à 25 appareils chacun à l’île de Guam), l’ensemble des moyens nucléaires stratégiques américains est installé sur le territoire national.
Les sous-marins nucléaires disposent de cinq bases :
– Charleston aux États-Unis (côte de l’Atlantique),
– Melville aux États-Unis (côte de l’Atlantique),
– Île de Guam dans le Pacifique,
– Rota en Espagne,
– Holy Loch en Écosse.
Il semble que les États-Unis ont atteint quantitativement les moyens suffisants vu l’état actuel des armements adverses et qu’en 1967 ils limiteront leurs efforts à des améliorations qualitatives pour notamment parer aux effets des antimissiles soviétiques :
– mise en service accélérée des Minuteman II pour remplacer les Titan II et les Minuteman I ;
– fabrication en série des Minuteman III dont les performances sont supérieures à celles du Minuteman II ;
– remplacement des Polaris par des Poseidon : charge militaire double de celle du Polaris A3. Mais la charge atomique n’est pas augmentée pour autant car la tête comporte des aides à la pénétration, c’est-à-dire des contre-mesures électroniques, des leurres et des charges multiples manœuvrables sur programme, afin de rendre aléatoire la défense antimissiles par saturation et interdétermination par l’ennemi des objectifs visés. Portée : celle des Polaris A3 : 4 600 km environ.
Toutefois, 2 sous-marins nucléaires doivent être mis en service en 1967, ce qui portera leur nombre à 41 et celui des Polaris à 656.
M. McNamara a laissé entendre qu’un dixième seulement des missiles stratégiques nucléaires suffirait encore en 1972 à détruire le tiers de la population de l’URSS et 50 % de sa capacité industrielle ; qu’une proportion plus réduite encore permettrait de raser 50 villes chinoises et de détruire 50 % de la capacité industrielle de la Chine.
Le problème des bombardiers reste en discussion. Tout en reconnaissant que ce système de vecteur complique la tâche du défenseur en lui imposant de maintenir deux systèmes différents d’interception, M. McNamara estime que le bombardier est beaucoup plus vulnérable et revient beaucoup plus cher que le missile pour un même résultat.
Va-t-on assister à une stabilisation du volume des forces stratégiques nucléaires américaines ? Sans doute, mais dans la mesure où les moyens adverses ne se modifieront pas sensiblement et où la dissuasion américaine continuera à être efficace face à la défense antimissile soviétique.
L’engagement américain au Vietnam
Avec l’arrivée de la 9e Division d’infanterie (DI) au Vietnam, les réserves stratégiques terrestres aux États-Unis sont réduites à 7 divisions (2 DB., 2 DAP, 1 division mécanisée, 2 divisions du Marine Corps), 4 brigades d’infanterie et une brigade blindée sur un total de 21 divisions, 10 brigades d’infanterie et 5 brigades blindées.
La plupart des unités stationnées aux États-Unis servent de centres d’instruction et de réserves au profit des grandes unités envoyées au Sud-Vietnam. Seules, les 2 DAP (divisions aéroportées) sont susceptibles, par leurs effectifs et leur valeur opérationnelle, d’une intervention immédiate.
Globalement, les effectifs américains au Vietnam sont évalués à 405 500 hommes et, si on y ajoute les personnels de la 7e Flotte et ceux stationnés en Thaïlande et à Guam, à 485 000 hommes environ.
Le président Johnson, dans son message sur l’état de l’Union, a déclaré que la fin de la guerre n’était pas encore en vue et M. McNamara, le 15 janvier dernier, que l’accroissement de ces effectifs serait, en 1967, inférieur à celui de 1966 qui a été de l’ordre de 200 000 hommes.
Si l’effectif de 400 000 hommes au Sud-Vietnam doit être largement dépassé, les États-Unis devront vraisemblablement prendre des mesures d’ordre politique importantes : par exemple, rappeler des réservistes, prélever du personnel sur les forces américaines en Europe, sacrifier davantage encore la valeur opérationnelle des réserves stratégiques stationnées aux États-Unis.
Quant au coût de la guerre, il est sans cesse en augmentation et le président Johnson a dû proposer une majoration de 6 % des impôts sur le revenu des particuliers et sur les bénéfices des sociétés. Cette mesure sera sans doute complétée par des réductions de dépenses sévères pour éviter l’inflation qui menace l’économie américaine.
L’Allemagne fédérale et la non-prolifération des armes nucléaires
Le projet d’accord entre Moscou et Washington sur la non-prolifération des armes nucléaires inquiète le gouvernement allemand. En effet, un tel traité :
– mettrait les puissances non nucléaires devant un fait accompli ;
– ferait perdre tout espoir à l’Allemagne fédérale d’accéder aux armements atomiques ;
– consacrerait le monopole nucléaire des deux Grands ;
– entérinerait la division de l’Allemagne.
Bonn estime que son acceptation serait de sa part une concession à l’URSS ; mais qu’un refus provoquerait les craintes de ses alliés et les accusations de ses adversaires. Le gouvernement fédéral a donc estimé devoir préciser sa position :
– faciliter la non-prolifération des armes nucléaires, mais sous réserve que soit assurée la sécurité des nations non nucléaires ;
– sauvegarder le droit des États à organiser leur sécurité collective selon la Charte des Nations unies ;
– liberté pour une Europe unie de créer ses forces atomiques.
Ainsi, sans vouloir s’opposer à un éventuel accord, l’Allemagne fédérale pose ses conditions. Elle ne désespère pas, en matière nucléaire, d’obtenir satisfaction par le biais de la coopération. Le nouveau Chancelier réserve donc l’avenir ; il veut avant tout éviter l’isolement de son pays. Une certaine unanimité s’est faite en Allemagne sur cette politique.
Vers l’intégration des trois armées en Grande-Bretagne
De nouvelles mesures viennent d’être prises qui tendent à intégrer davantage les trois armées : terre, air, mer.
Les trois postes de ministre pour l’armée de terre, la marine et la RAF sont supprimés.
Le secrétaire d’État à la Défense, M. Healey, est assisté désormais de deux ministres d’État :
– l’un est chargé de l’administration,
– l’autre de l’équipement (recherche et développement, achat de matériels).
Ces deux ministres d’État seront assistés de conseillers.
Quant aux chefs d’état-major des trois armées, leurs attributions et leur autorité se trouvent encore réduites du fait de la suppression de leurs ministres, remplacés par des ministres avec des attributions fonctionnelles.
Dans le cadre du ministère unifié de la Défense, mis sur pied en avril 1964, un nouveau pas a ainsi été effectué vers l’intégration des trois armées.
Évolution de la situation à Chypre
Alors que les conversations gréco-turques au sujet de l’île étaient sur le point de reprendre à Paris au niveau des ministres des Affaires étrangères, la livraison d’armes tchécoslovaques au gouvernement de Chypre a aggravé la situation et provoqué de vigoureuses réactions.
Commandées à l’insu du gouvernement grec, ces armes sont, selon le gouvernement chypriote, destinées à équiper la police dont les effectifs doivent passer de 2 000 à 2 300 hommes. Mgr Makarios semble vouloir créer une force chypriote indépendante des forces grecques et de la Garde nationale placée sous commandement d’officiers grecs.
Le Secrétaire général de l’ONU, M. Thant, a déploré cette mesure de renforcement de la police chypriote.
Le gouvernement grec, de son côté, a demandé à Mgr Makarios de stocker ces armes sous contrôle des forces grecques dans l’île.
Ankara, bien entendu, a protesté auprès des puissances alliées intéressées et désire que ces armes soient placées sous le contrôle des forces de l’ONU. Il a en outre demandé à la Tchécoslovaquie d’interrompre ses livraisons.
La Turquie a obtenu en grande partie satisfaction : Prague a renoncé à toute nouvelle livraison d’armes et Mgr Makarios a accepté que les armes livrées soient entreposées sous la garde des forces grecques mais non pas de la force d’intervention des Nations unies à Chypre.
Ces concessions ont permis de reprendre les négociations commencées le 25 juin dernier à l’échelon des ambassadeurs. Après les décisions prises par le Conseil de la Couronne, qui s’est réuni le 7 février dernier, ces négociations pourront se poursuivre au niveau des ministres des Affaires étrangères de Grèce et de Turquie comme il en avait d’ailleurs été convenu peu de temps avant la chute du gouvernement de M. Stephanopoulos.
Pendant ce temps, l’ONU décidait de maintenir son contingent à Chypre sous le commandement du général finlandais Armas Martola. ♦