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Mauritanie : les perspectives de développement économique
S’il est un pays du continent africain où les obstacles au progrès économique paraissaient les plus sérieux, il y a encore peu de temps, c’est bien la Mauritanie. Deux fois plus étendue que la France, elle comporte une vaste zone désertique et la qualité de son sol est, dans l’ensemble, assez médiocre. Elle possède une façade maritime de 600 km, mais sa côte est peu hospitalière. On comprend, dès lors, la faiblesse numérique de sa population qui ne compte guère plus de 1100 000 habitants, dont les 4/5 sont nomades et dont les modes de vie restés profondément traditionnels, voire archaïques, paraissaient hier encore à l’opposé des conditions que requiert une économie moderne. Les seules productions donnant lieu à exportation étaient la gomme arabique et l’élevage. Les autres ressources du pays (mil, dattes, pêche) ne permettaient même pas la satisfaction minimum des besoins de la consommation intérieure.
Or, les prospections systématiques entreprises dès l’ère coloniale ont révélé l’existence d’importantes et riches ressources minières et, dès la fin du dernier conflit mondial, l’intérêt de leur mise en exploitation retient l’attention de plusieurs sociétés étrangères. Depuis l’accession à l’indépendance en 1960, les responsables mauritaniens se sont employés résolument à organiser sur des bases rationnelles l’ensemble du potentiel économique du pays, non seulement dans le domaine minier mais aussi dans le secteur rural et celui de la pêche maritime. Pour mener à bien une telle entreprise, les seuls moyens nationaux ne pouvaient évidemment suffire et c’est pourquoi il a dû être fait appel à de nombreux concours étrangers.
Parallèlement, un effort était entrepris afin de fixer une grande partie de la population nomade, de façon à faire participer aux maximums le potentiel humain du pays à l’œuvre de développement.
Mise en valeur du potentiel minier. – La grande chance de la Mauritanie a été la découverte de minerais de fer et de cuivre dont l’intérêt réside à la fois dans leur importance et leur qualité.
Les gisements de fer de la région de Fort-Gouraud recèlent une réserve supérieure à 200 millions de tonnes d’un minerai que sa teneur en métal (64,5 %) classe parmi les meilleurs du monde. L’exploitation en a été prise en charge dès 1952 par la société Miferma (Mines de frets de la Mauritanie) dont le capital (18 milliards de francs CFA) est aujourd’hui réparti entre un groupe français majoritaire, un groupe étranger (anglais, allemand et italien) et l’État mauritanien. La BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et l’État français lui ont, en outre, consenti des prêts, respectivement de 66 millions de dollars et de 50 millions de francs. En progression constante depuis 1968, date de mise en service du chemin de fer d’évacuation vers Port-Étienne (675 km), la production doit dépasser cette année 6 millions de tonnes pour tendre, en 1968, vers un plafond de 7,5. Pour l’année 1966, la seule fiscalité directe appliquée à la production a procuré au budget mauritanien 1,5 milliard de francs CFA, soit 25 % des recettes nécessaires à son équilibre. À partir de 1968, la part de bénéfices revenant à l’État mauritanien sera portée de 9 à 50 %. La société emploie environ 2 000 agents et ouvriers qui font vivre de 7 000 à 8 000 personnes logées dans des cités résidentielles. L’appontement minéralier construit à Port-Étienne, équipé des installations les plus modernes, permet l’accostage des navires jusqu’à 100 000 t et l’évacuation des 80 000 t de minerai que, chaque jour, deux trains apportent de Fort-Gouraud. Les exportations ne posent aucun problème de marché en raison de l’accroissement constant de la demande mondiale de minerai riche. Les principales parties prenantes sont actuellement le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas, l’Allemagne fédérale (RFA) et l’Italie. Un projet de construction d’une usine sidérurgique à proximité de Port-Étienne est en cours d’étude. Si une solution est trouvée au problème de l’énergie nécessaire, en l’occurrence utilisation du gaz naturel, la réalisation d’une usine capable de produire un million de tonnes d’acier, de fonte et de produits finis par an demandera un investissement de l’ordre de 20 Mds de francs CFA.
En ce qui concerne l’exploitation des gisements cuprifères situés dans la région d’Akjoujt, quinze années de négociations et d’études, menées successivement par des groupes français, américains, canadiens et anglais, ont été nécessaires pour examiner les multiples aspects économiques, financiers et techniques de l’opération. Finalement, le gouvernement mauritanien a pris la décision, le 28 novembre 1966, de confier à la société britannique Charter Consolitaded l’exploitation du gisement, évalué à plus de 27 millions de tonnes de minerai. La Charter et ses associés, notamment américains (Anglo American Corporation), détiendront 51 % du capital de la société d’économie mixte en cours de constitution, la Somima (Société des mines de Mauritanie). La Mauritanie y participera pour 25 % et un groupe français pour les 21 % restants. Les investissements nécessaires sont évalués à 17 Mds de francs CFA et les travaux préparatoires à la mise en exploitation du gisement et à la réalisation de l’infrastructure correspondante doivent durer trois ans. Menée à ciel ouvert, l’extraction serait étalée sur une durée probable d’une vingtaine d’années et conduirait à la production moyenne de 25 000 t de concentrés de cuivre par an.
L’évacuation de cette production devant se faire par Nouakchott, les activités de la Somima doivent permettre, en outre, d’établir un certain équilibre politico-économique à l’intérieur du pays en faisant de la région Akjoujt-Nouakchott le contrepoids de la zone d’activité de la Miferma de Fort-Gouraud à Port-Étienne.
En effet, la modernisation de l’axe routier Akjoujt-Nouakchott et l’aménagement du wharf dont la capacité annuelle de trafic va être portée de 50 000 à 125 000 t peuvent susciter de nouvelles initiatives notamment pour l’exploitation du gisement de gypse de la région de Coppolani (réserves estimées à 17 millions de tonnes), avec la création d’une industrie du plâtre et d’une cimenterie. De même, les besoins en acide sulfurique et en sel pour le traitement des minerais oxydés sont de nature à éveiller l’intérêt sur les gisements de soufre existant dans la région et à ranimer la production traditionnelle des salines du Trarza (près de Rosso). Sur le plan financier, les revenus globaux escomptés de l’exploitation du cuivre peuvent être chiffrés à 15 Mds de francs CFA. Enfin, la création prévue de 500 emplois nouveaux pour des Mauritaniens, dont la formation professionnelle sera assurée par la Somima, aura des effets bénéfiques sur la situation sociale.
Dans l’exploration des ressources du sous-sol mauritanien, la prospection pétrolière est la seule entreprise qui n’ait pas encore répondu aux espoirs. Toutefois, en dépit des résultats négatifs enregistrés depuis 1961, le gouvernement mauritanien continue à inciter les compagnies étrangères à entreprendre de nouvelles investigations. Deux sociétés américaines pourraient ainsi se voir incessamment attribuer un permis de recherche sur une vaste zone côtière et maritime étirée entre Nouakchott et le Rio de Oro.
Il restait en outre à résoudre le problème de l’eau pour couvrir les besoins des nouvelles industries et des agglomérations qui se développent dans leur environnement. Après l’achèvement des travaux d’alimentation en eau de Port-Étienne à partir de Boulanouar, une nouvelle réalisation est en cours à Nouakchott où se construit une usine de déminéralisation de l’eau de mer.
Développement du secteur rural. – En accordant une priorité quasi absolue à l’exploitation minière, le premier plan quadriennal, malgré ses résultats positifs, n’a guère profité à la masse de la population composée à 90 % de cultivateurs et d’éleveurs. Aussi le gouvernement a-t-il maintenant comme préoccupation de développer les ressources du secteur rural, d’abord pour accroître les revenus des producteurs, mais aussi pour assurer la subsistance du pays sans être obligé de recourir à l’étranger. Des importations de mil, aliment de base, sont en effet nécessaires, en provenance du Mali pour environ 20 000 t par an, la production nationale n’atteignant que 100 000 t. La culture de céréales de remplacement est déjà amorcée. Une expérience d’aménagement agricole portant sur 3 500 hectares est en cours dans la plaine de Boghe pour y substituer à la culture du mil celle du riz, dont on escompte un meilleur rendement, ainsi que celle du coton. Dans la région de Rosso, des techniciens chinois, d’abord fournis par Taïwan et maintenant par Pékin (depuis la rupture des relations diplomatiques avec la Chine nationaliste en 1965), dirigent l’expérience rizicole. D’autre part, le gouvernement tchadien attend de l’aménagement de la vallée du fleuve Sénégal, en coopération avec les autres États riverains, une extension des terres cultivables. En ce qui concerne la production de dattes, dont la moitié provient de la palmeraie de l’Adrar (région d’Atar) avec 10 000 t (500 000 francs CFA) et dont la majeure partie est absorbée par la consommation locale, un plan de rénovation et d’extension a été arrêté avec le concours du FAC. Les résultats escomptés de cet effort permettront d’obtenir un excédent appréciable de production qui pourra être spécialement conditionné pour la vente à l’étranger.
Toujours dans le secteur rural, la Mauritanie possède une richesse ancestrale qui, plus que l’exportation de la gomme arabique (4 000 t commercialisées par an) est susceptible d’être exploitée plus rationnellement et de provoquer à court terme un accroissement intéressant du commerce extérieur ; il s’agit de l’élevage, qui représente déjà plus de 70 % des ressources du monde rural. Actuellement, le cheptel mauritanien est estimé à 2 millions de bovins, 5 millions d’ovins et caprins, 500 000 camelins et 150 000 équins ou asins. Cet élevage est pratiqué depuis toujours, à la fois pour les besoins de la consommation locale et pour l’exportation du bétail sur pied. Aujourd’hui, le gouvernement a décidé de mettre en application les méthodes modernes pour tirer le meilleur parti de ce capital. Il a arrêté divers projets auxquels il s’emploie à associer une fraction aussi large que possible de la population : création de parcs à vaccination et d’abattoirs organisés, construction de conserveries, d’entrepôts frigorifiques et de tanneries, adductions d’eau et d’électricité. Une chaîne du froid se constitue progressivement entre les lieux d’abattage et les centres de traitement et d’expédition. À la réalisation de tout cet ensemble, coopèrent à des titres divers la Banque mauritanienne de développement, le FAC et plusieurs autres concours étrangers comme celui de la Yougoslavie pour l’abattoir de Kiffa.
Création d’une industrie de la pêche. – Un autre domaine qui recèle d’importantes possibilités de développement est celui de la pêche maritime industrielle. Alors que la pêche fluviale et lacustre produit de l’ordre de 15 000 t de poisson par an et la pêche artisanale dans le banc d’Arquin environ 1 000 t, les ressources de la pêche maritime industrielle, estimées entre 100 000 et 800 000 t, échappent à la Mauritanie. La pêche de haute mer au large de ses côtes, qui passent pour les plus poissonneuses du monde, est pratiquée par des flottilles spécialisées de diverses nationalités. Quant à la pêche côtière, elle est surtout le fait des Canariens qui viennent vendre à Port-Étienne, bon an mal an, entre 15 000 et 20 000 t de poissons frais. Le gouvernement mauritanien ne pouvait laisser les choses en l’état, alors qu’il avait le privilège d’être le mieux placé pour exploiter cette richesse. Mais un important effort d’équipement était nécessaire. C’est pourquoi la décision a été prise de construire à Port-Étienne un port de pêche et un frigorifique moderne. À ces réalisations, le Fonds européen de développement a affecté un crédit de 1,1 Mds de francs CFA. La flottille initiale de pêche a été constituée dans l’immédiat par une vingtaine de bateaux espagnols sous immatriculation mauritanienne. Une commande de 6 chalutiers congélateurs a été passée à une société de Saint-Malo pour la suite. En outre, de nombreuses réalisations parallèles sont en cours avec l’aide de la France et de l’Espagne : usine de poissons salés-séchés d’une capacité de 6 000 t, usine de farine de poisson pouvant traiter 100 t de frais par jour, conserverie d’une capacité de 3 000 t. Des mesures spéciales étaient également nécessaires pour assurer la protection de la jeune industrie mauritanienne de la pêche. C’est pourquoi la limite théorique des eaux territoriales a été portée de 6 à 12 miles à partir d’une ligne de base définie de telle sorte que, dans la pratique, cette limite se trouve souvent reportée à près de 40 miles de distance de la côte. Le gouvernement projette enfin d’assurer une stricte surveillance des zones de pêche avec un certain nombre de patrouilleurs dont serait dotée la Marine nationale.
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Vigoureusement soutenue par les concours financiers et techniques en majorité français et européens et, dans une moindre mesure, anglais, américains et canadiens, l’économie mauritanienne a donc pris un essor spectaculaire au cours des cinq dernières années. Parallèlement, l’infrastructure du pays se développe (ports, routes, aérodromes, adductions d’eau, etc.).
La mise en valeur entreprise apporte déjà de substantielles recettes au budget de l’État et provoque une élévation régulière du niveau de vie d’une importante fraction de la population. La balance commerciale du pays est devenue largement excédentaire, la dette publique n’excède pas 260 millions de francs CFA alors que les réserves de devises atteignent plus de 8 Mds.
Le nouveau plan quadriennal préparé pour la période 1968-1971 doit tendre à diversifier encore davantage les sources de revenus par un effort particulier en faveur des cultures vivrières et industrielles, de l’élevage et de la pêche. Il doit en résulter un meilleur équilibre entre les différentes régions du pays et une stabilisation des populations.
Sur sa lancée actuelle et avec la continuité d’une aide étrangère qui paraît assurée, l’économie de la République Islamique de Mauritanie semble « bien partie ».
Le Cameroun et la crise au Nigeria
À l’heure où le conflit interne au Nigeria préoccupe les grandes puissances, les États africains et plus directement ses voisins, le Cameroun, contigu aux deux anciennes Régions fédérales du Nord et de l’Est – celle-ci formant la République dissidente de Biafra – craint d’en subir les répercussions et, en tout cas, d’y être impliqué contre son gré. Attachés en effet à poursuivre l’œuvre d’édification nationale entreprise, le président Ahidjo et son gouvernement sont attentifs aux facteurs propres à remettre en cause les résultats acquis, qui apparaissent substantiels eu égard aux conditions locales, mais doivent être consolidés encore pour éviter tout incident de parcours.
Ces répercussions peuvent apparaître au triple plan politique, économique et militaire. À la lumière des faits récents dans ces domaines, le bilan de l’action gouvernementale, l’analyse de la situation actuelle, celle des rapports entre le Cameroun et le Nigeria contribueront à définir la valeur des menaces et à éclairer les démarches camerounaises.
Comme le Nigeria, le Cameroun a une structure fédérale. Celle-ci résulte de l’adjonction au Cameroun d’ancienne administration française, indépendant depuis 1960, de la partie méridionale du Cameroun sous tutelle britannique, réalisée en 1961. En dépit des multiples problèmes nés de la dualité linguistique et administrative et de l’inégalité du développement, l’intégration souhaitée par les dirigeants des deux États fédérés progresse constamment. Elle s’est traduite le 1er septembre dernier par la fusion au sein d’un seul parti, l’Union nationale camerounaise (UNC) des anciennes formations des deux Cameroun, par une réforme administrative au Cameroun occidental et par l’extension à celui-ci de certaines dispositions législatives du Cameroun oriental. Aussi les Camerounais de l’Ouest comparent-ils aujourd’hui avec faveur cette évolution à la confusion qui s’instaure à leur frontière. Cette unification n’est cependant pas achevée. Les autorités fédérales sont donc tenues à une certaine prudence propre à éviter les divergences d’opinion, en particulier dans leur attitude à l’égard des parties en cause au Nigeria.
Comme celui-ci également, le Cameroun compte des fractions musulmanes au Nord et christianisées au Sud. M. Ahidjo a su se concilier les unes et les autres par une politique clairvoyante et réaliste, illustrée par une visite au Vatican et son pèlerinage à La Mecque. Le pays englobe d’autre part des groupes structurés et cohérents, au premier rang les Bamilékés. La rébellion fomentée par l’Union des populations du Cameroun (UPC) avait précisément pris naissance en pays bamiléké où se manifestent encore quelques irréductibles groupés autour d’Ernest Ouandie, dernier survivant parmi ses chefs historiques. L’action persévérante de l’Armée, la fermeté et la vigilance du pouvoir ont démantelé l’appareil rebelle dont les restes ne constituent plus un danger majeur. Quelques émigrés ont tenté, jusqu’ici sans succès, de relancer l’insurrection à partir du Congo voisin. Divisés et sans attaches à l’intérieur, séparés de surcroît des chefs des maquis par des divergences persistantes, ils représentent au plus une menace potentielle. L’idéologie révolutionnaire qui est la leur n’est guère attrayante d’ailleurs au moment où le pays semble engagé sur une voie constructive.
Les bilans économiques sont en effet en constante amélioration. La variété de ses ressources, l’industrialisation amorcée, le développement des communications attesté par la mise en service, prévue en 1968, du premier tronçon de la voie ferrée de desserte du Nord, constituent pour le Cameroun des atouts d’avenir. Pour le moment toutefois, le Nord du pays est encore mal desservi et demeure tributaire des voies nigériennes, notamment la Bénoué qui assure l’approvisionnement en hydrocarbures raffinés et l’évacuation de la production cotonnière. Ce trafic risque d’être perturbé par la prolongation de la crise au Nigeria.
Le Cameroun doit en partie ces succès à une politique étrangère fondée sur un large éclectisme. Membre des organisations africaines et, depuis l’an dernier, de l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale, il entretient des relations suivies avec les pays occidentaux comme avec les pays socialistes, avec les États arabes comme avec Israël. Cette attitude reflète le souhait de M. Ahidjo de transposer au plan international les principes qui régissent à l’intérieur les rapports entre tendances différentes et sa volonté de les faire prévaloir. C’est ainsi qu’il a entretenu dans le passé des rapports fructueux avec les dirigeants du Nigeria, qui ont permis d’alléger les séquelles du partage du Cameroun sous administration britannique, et qu’il conserve aujourd’hui encore des contacts étroits avec les autorités du Nord et celles de Lagos.
Le gouvernement camerounais s’est gardé de toute démarche propre à envenimer la crise. Il continue à ne reconnaître que le gouvernement fédéral comme seule autorité légale et a suspendu, à sa demande, les effets de la convention mutuelle sur la libre circulation entre les deux pays. Il n’a pas répondu, en revanche, à certaines sollicitations des parties en présence, soit pour s’entremettre, soit pour faciliter des opérations militaires contre la Région dissidente. Le maintien d’une telle attitude suppose néanmoins que les autorités camerounaises soient en mesure de faire respecter en toutes circonstances l’intégrité du territoire, au prix, le cas échéant, d’une conversion du dispositif militaire, orienté jusqu’à présent vers les tâches de maintien de l’ordre intérieur.
Dans les circonstances présentes, le Cameroun dispose d’atouts qui pourraient éventuellement lui permettre de jouer un rôle dans la résolution de la crise, mais ne peut négliger les considérations d’ordre interne qui conservent leur valeur.
Haute-Volta : plein succès d’une opération de pluie artificielle
L’année 1966 a été marquée en Haute-Volta (NDLR : l’actuel Burkina Faso) par une sécheresse exceptionnelle qui a entraîné, en particulier pour la capitale Ouagadougou, une baisse alarmante des réserves d’eau. Cette situation, aggravée par un important surcroît de la consommation urbaine (augmentation du nombre des abonnés, arrosages plus fréquents nécessités par la sécheresse, tarissement des puits familiaux, etc.) conduisait la Direction de l’hydraulique à demander à la municipalité de Ouagadougou de prendre, le 15 mars 1967, de sévères restrictions pour la distribution de l’eau. Ce palliatif ne semblait cependant pas suffisant pour faire durer les réserves jusqu’à la saison dos pluies. À la mi-avril, sur les retenues des trois barrages qui permettent l’alimentation de la ville, l’une est à sec, l’autre réduite au tiers de sa surface et la troisième commence à laisser à découvert de larges plages.
Les autorités voltaïques décident alors de tenter une expérience de pluie artificielle en usant des moyens dont elles disposent : ensemencement des nuages par du chlorure de sodium avec le DC-3 de l’escadrille nationale. Un essai, tenté dans ces conditions, confirme l’efficacité du procédé mais la faiblesse des moyens ne permet pas d’augurer une solution à l’échelle des besoins à satisfaire. Informé de ces difficultés, l’ambassadeur de France saisit le gouvernement français afin qu’une opération de plus grande envergure d’ensemencement des nuages soit organisée avec des moyens accrus et pendant une durée suffisante. Cette requête est aussitôt accueillie et, grâce à une coordination très rapide des efforts des ministères français des Affaires étrangères, des Armées et du Secrétariat d’État à la Coopération, l’opération peut commencer le 9 mai. Un appareil militaire Nord-2501, envoyé spécialement de France et doté d’équipements particuliers pour le déversement du chlorure de sodium et d’appareils à oxygène nécessaires aux vols à haute altitude, est mis en place à Ouagadougou. Après deux essais concluants, cet appareil effectue un total de onze missions jusqu’au 26 mai. Un autre Nord-2501 le relaie ensuite et poursuit l’opération jusqu’au 6 juin. Les deux appareils ont volé pendant 26 heures, dont 4 de nuit.
Les résultats obtenus ont été particulièrement satisfaisants.
Dès le 3 juin, la municipalité de Ouagadougou pouvait annoncer la fin des restrictions à la distribution d’eau. Les réserves actuelles correspondent à 6 mois de consommation prévisible par la population de la capitale, avant même que n’intervienne la grande saison des pluies. Le volume d’eau reçu par l’ensemble des trois réservoirs alimentant Ouagadougou pendant la durée de l’expérience s’est élevé à plus de 1 million de m3, soit 650 000 m3 de plus que la moyenne calculée sur les dix dernières années. Il dépasse de 200 000 m3 celui qui a été enregistré au cours de la meilleure de ces dix années. Seule la région traitée a connu des hauteurs d’eau et un nombre de jours de pluie supérieurs à la moyenne. Depuis que l’opération a cessé, la pluviosité est retombée à un taux correspondant aux normes de la saison : dans la quinzaine qui a suivi, la capitale a connu trois jours de pluie avec une moyenne à peine supérieure à 4 mm d’eau. Toutes ces remarques méritent d’être soulignées afin d’éliminer tout scepticisme sur la très grande réussite de l’opération, qui ne doit rien à un heureux concours de circonstances.
Les raisons du succès résident essentiellement dans l’étroite collaboration des responsables et techniciens locaux de la Direction des Services de l’hydraulique et du Service météorologique de l’ASECNA (Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar) avec le personnel de l’Armée de l’air française dans la phase préparatoire de l’opération, coordonnée par les services de l’Ambassade de France. À partir des enseignements tirés de nombreuses expériences antérieures souvent décevantes réalisées sous d’autres deux, cette « équipe » a su arrêter un plan d’action judicieux bien adapté aux données très particulières du problème à résoudre.
Il ne s’agissait pas seulement de provoquer la transformation d’ensembles nuageux en système pluvieux, mais surtout d’obtenir la chute de l’eau sur une surface limitée bien déterminée. En effet, tout déclenchement anarchique n’aurait sans doute bénéficié qu’à certains habitants favorisés par la chance. Il importait peu de reconstituer des réserves familiales mais avant tout de remplir les retenues des barrages. Ne devaient donc être traitées que les formations nuageuses se présentant dans des conditions déterminées en fonction de leur altitude, de leur direction et de leur vitesse de progression pour que les chutes de pluie soient appliquées sur les bassins-versants des réservoirs. Tout l’art de l’opération résidait dans le choix des « objectifs de bombardement » sur la carte constamment mouvante de la météorologie dans la région de Ouagadougou.
Pendant plus d’un mois, ce fut affaire de préparation, d’observations permanentes avant, pendant et après chaque mission, d’organisation des liaisons, de déclenchement d’alerte et de maintien en disponibilité constante des moyens d’intervention. Ce fut en définitive un remarquable travail d’équipe, conçu et réalisé comme une véritable opération militaire.