Outre-mer - La guerre civile au Nigeria - Apaisement du différend entre la Guinée et la Côte d'Ivoire - L'aide française aux États africains et malgache en 1968 - L'industrialisation des États africains et malgache vue par la CEE
La guerre civile au Nigeria
La crise politique qui, ouverte plus d’un an auparavant par le coup d’État militaire du 15 janvier 1966, avait abouti le 30 mai 1967 à la sécession de la région orientale sous le nom de République du Biafra, a débouché le 6 juillet sur un conflit armé mettant aux prises les deux groupes les plus résolument opposés : les Ibos de l’Est et les Haoussas du Nord.
Ainsi se sont traduites en violences les dissensions politiques que les militaires au pouvoir n’avaient pu ni aplanir ni surmonter. Ceux-ci, bien au contraire, avaient fractionné l’Armée fédérale sur des bases régionales et, pour certains d’entre eux, assumé les thèses particularistes les plus intransigeantes, créant ainsi les conditions d’une rupture puis d’un affrontement auxquels tout prédisposait déjà la Fédération : profonds dissentiments ethniques et religieux, structures sociales différentes, séquelles de la colonisation, évolution économique. Les dirigeants du Nord, défenseurs les plus résolus du principe fédéral, étaient seuls capables d’affronter militairement les sécessionnistes Ibos et d’user contre eux de la force ainsi qu’ils le préconisaient dès l’origine. Le gouvernement fédéral, aussi peu en mesure de dégager d’autres solutions que de s’opposer à une telle intervention, l’a finalement admise.
C’est ainsi que quatre à cinq bataillons et des éléments d’appui nordistes, regroupés à la frontière Nord du Biafra, ont franchi celle-ci le 6 juillet afin de s’emparer de sa capitale, Enugu, distante d’une soixantaine de kilomètres, considérée comme un gage majeur. Les plans des Fédéraux, basés sur la supériorité numérique de leurs forces terrestres et la possession exclusive de moyens navals, visaient d’autre part à isoler les Ibos en les refoulant vers leur zone d’habitat avec l’appui des minorités qui peuplent les franges méridionale et orientale du Biafra. Cette manœuvre a été contrariée par la capacité de résistance et de riposte des forces biafraises qui, par la souplesse de leurs méthodes défensives, ont pu freiner l’adversaire au Nord et l’empêcher de déboucher au Sud de l’île de Bonny, conquise le 25 juillet, tandis qu’une opération de diversion permettait aux Biafrais de saisir temporairement le Centre-Ouest contigu et même d’en déborder vers le Nord et l’Ouest. Cette initiative n’a pas provoqué le basculement attendu de la région ouest en faveur du Biafra : les unités nordistes ont partout fait face et celui-ci est demeuré totalement isolé.
Sa cause n’a pas recueilli davantage d’appuis extérieurs. La neutralité initialement observée par les grandes puissances et les États africains s’est assouplie au profit de l’autorité fédérale quand celle-ci, pressée de renforcer son potentiel militaire en raison de la vigoureuse contre-offensive biafraise, s’est adressée à la Tchécoslovaquie et à l’Union soviétique, qui lui ont cédé une vingtaine d’appareils d’entraînement et de chasse et mis sur pied une aviation jusque-là embryonnaire. Au prix d’un effort financier substantiel, les Fédéraux ont pu se pourvoir sans restriction auprès de fournisseurs privés européens d’une gamme très complète de matériels qui ont permis de lever de nouveaux bataillons et d’équiper des unités d’appui terrestres et aériennes. Le déséquilibre initial était donc nettement aggravé, au profit surtout des Nordistes, le Biafra pour sa part se procurant toujours plus difficilement par des voies détournées les approvisionnements nécessaires.
Ainsi surclassées, les forces du Biafra abandonnaient Benin-City, capitale du Centre-Ouest le 20 septembre et toute résistance cohérente cessait à l’Ouest du Niger 15 jours plus tard. Des éléments fédéraux progressaient vers le Sud le long de la frontière camerounaise et d’autres atteignaient début octobre Abakaliki, à 60 kilomètres à l’Est d’Enugu, tandis que Calabar, port situé à l’extrême sud-est du Biafra, était occupé le 20 octobre par des éléments débarqués. La capitale du Biafra elle-même était atteinte le 4 octobre, mais d’âpres combats s’y déroulaient encore trois semaines plus tard. Après plus de trois mois d’opérations, les troupes fédérales avaient ainsi réalisé en grande partie leurs plans initiaux, avec cependant des pertes sévères.
Ces revers mettent en cause l’existence et la notion même d’un État du Biafra indépendant. Aussi le gouvernement fédéral pouvait-il considérer que l’objectif politique initial était près d’être atteint. Pour les adversaires en présence, la portée de la lutte est tout autre : les musulmans du Nord trouvent dans leurs succès la justification de leurs thèses et restent décidés à écraser militairement les Ibos et à les châtier de façon telle que leur puissance et leur influence soient durablement atteintes, comme en attestent les excès et la répression dans les zones reconquises ; les Ibos christianisés sont conscients de lutter pour leur survie et peuvent au besoin mener une longue et meurtrière guérilla dans la profondeur de leur zone. Par-delà les mobiles politiques qui ont provoqué le recours aux armes, s’expriment une fois encore ces haines raciales et religieuses qui sous-tendent la plupart des conflits africains, expliquent ici l’acharnement mutuel et rendent précaires les accommodements politiques.
Dans ces conditions, le général Gowon, chef du gouvernement, et les personnalités non directement liées aux belligérants, celles de l’Ouest et du Centre-Ouest notamment qui constituent le troisième pôle d’équilibre, ne disposent que de moyens insuffisants pour tenir leur rôle d’arbitre, promouvoir et faire respecter une solution fondée sur l’intérêt commun et la raison. L’Organisation de l’unité africaine (OUA) elle-même, qui s’est saisie du problème, ne peut que malaisément agir dans le même sens.
En tout état de cause, le préjudice ainsi porté à la cohésion du Nigeria pèsera lourdement non seulement sur l’avenir politique de l’État mais aussi sur sa situation économique et son équilibre financier.
Apaisement du différend entre la Guinée et la Côte d’Ivoire
L’arrestation à Abidjan, le 27 juin 1967, du ministre des Affaires étrangères de Guinée et du délégué de ce pays à l’ONU par les autorités ivoiriennes, en représailles de la détention de plusieurs ressortissants de la Côte d’Ivoire à Conakry, avait provoqué une vive tension entre les deux pays. La décision du président Sékou Touré de relâcher ses prisonniers le 21 septembre, suivie, quatre jours plus tard, d’une mesure analogue du président Houphouët-Boigny en faveur des détenus guinéens semble avoir mis un terme à une crise ouverte depuis près de deux ans.
En effet, c’est en novembre 1965 que M. Kamano, directeur de la Caisse ivoirienne de compensation des prestations familiales est arrêté en Guinée sous le prétexte d’être venu fomenter un complot à l’instigation du président Houphouët-Boigny et « avec la complicité de deux ministres français, MM. Jacquinot et Triboulet ». Cette accusation rocambolesque ne devait d’ailleurs être suivie d’aucune procédure régulière de mise en jugement. Au début de 1966, le renversement du président ghanéen N’Krumah et l’asile qu’il reçoit en Guinée sont à l’origine d’une nouvelle aggravation des rapports entre Conakry et Abidjan par suite des menaces proférées par Sekou Touré d’utiliser le territoire ivoirien comme voie de transit pour réinstaller N’Krumah au pouvoir, à Accra, manu militari. Des incidents de frontière se multiplient. Puis, en février 1967, le chalutier ivoirien Kerisper, engagé par suite d’une erreur de navigation dans les eaux territoriales guinéennes, est arraisonné et son équipage incarcéré à Conakry sous l’inculpation de tentative d’enlèvement de l’ex-président N’Krumah. 2 Français et 20 Africains sont ainsi détenus sans que, pour eux non plus, aucune suite judiciaire ne soit donnée à leur aventure. Par l’entremise des autorités du Liberia, le président Houphouët-Boigny tente vainement pendant plusieurs mois d’obtenir un règlement amiable de cette affaire et la libération des prisonniers. Les bruits les plus alarmants sur le traitement qui leur est infligé parviennent à Abidjan, bruits auxquels on est tenté d’accorder d’autant plus de vraisemblance que les autorités guinéennes semblent hésiter à traduire en justice, donc à montrer en public, les soi-disant « comploteurs ». Ayant épuisé toutes les ressources de la diplomatie et toutes les possibilités d’arrangement, le président Houphouët-Boigny se décide à recourir à des mesures de rétorsion – non orthodoxes – qui semblent seules capables de faire entendre raison à Conakry. L’occasion est fournie le 27 juin 1967 lors de l’escale imprévue à Abidjan de M. Beavogui, ministre guinéen des Affaires étrangères et de M. Achkar Marof, chef de la délégation permanente de la Guinée à l’ONU, rejoignant leur pays. Ces deux personnalités sont invitées à quitter l’avion de ligne qui les transportait et placées en résidence étroitement surveillée mais très confortable dans une villa de la banlieue de la capitale. Les autorités ivoiriennes font alors savoir à Conakry que la restitution de ces « otages » de marque ne dépend que de la libération des détenus ivoiriens. Les rapports entre la Guinée et la Côte d’Ivoire traversent dès lors une nouvelle phase aiguë. Après les accusations de « piraterie », les protestations véhémentes et des menaces à peine voilées, le chef de l’État guinéen pose comme préalable à la remise en liberté des Guinéens que le président Houphouët-Boigny reconnaisse sa propre culpabilité dans l’affaire du « complot de 1955 ». Une telle condition ne pouvait guère servir de base à un règlement de l’affaire.
Sekou Touré tente dès lors de mobiliser contre le Président ivoirien les instances de l’ONU et celles de l’OUA, en arguant de la qualité particulière de diplomates de ses ressortissants internés, qui les couvre d’une immunité d’autant moins susceptible d’être levée qu’ils n’ont commis aucune faute ou délit. Mais la position du président Houphouët-Boigny demeure inébranlable car il juge que la détention des Guinéens n’est ni plus ni moins arbitraire que celle des Ivoiriens.
C’est alors que le chef de l’État guinéen peut mesurer la faiblesse de son crédit international. Personne ne prend très au sérieux ses récriminations. L’OUA se bornera à recommander que les efforts de médiation du président Tubman soient poursuivis. Sekou Touré finit par se convaincre que, s’il veut récupérer son ministre des Affaires étrangères, il lui faudra refaire, seul, en sens inverse, tout le chemin qui l’a conduit à l’impasse où il a abouti. Aussi, après avoir obtenu le 20 septembre que l’affaire soit inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée générale de l’ONU, mesure qui lui apporte une satisfaction morale et « sauve la face », il décide, avec l’accord du bureau politique du Parti démocratique de Guinée, de libérer tous les détenus ivoiriens dès le lendemain.
Le gouvernement ivoirien attendra l’arrivée en lieu sûr de ses ressortissants pour ordonner lui-même la remise en liberté des diplomates guinéens.
Ainsi se termine un nouvel épisode du conflit politique qui n’a cessé d’empoisonner les rapports entre Conakry et Abidjan depuis deux ans. L’heureuse conclusion de cette affaire est de nature à créer un climat favorable à une normalisation des relations de la Guinée avec les États modérés de l’Afrique de l’Ouest et à mettre un terme à son isolement diplomatique. Les ouvertures faites récemment par Sekou Touré en direction des puissances occidentales, jusqu’ici vilipendées (France, Grande-Bretagne) peuvent, semble-t-il, apporter la confirmation du désir du leader guinéen d’orienter la politique de son pays dans un sens plus positif.
L’aide française aux États africains et malgache en 1958
L’effort financier de la France en faveur des pays africains et malgache, inscrit au budget de 1968, s’élève à 1 300 millions de francs, en très légère augmentation sur les crédits de 1967 (1 286 M). Sept départements ministériels participent à cette assistance directe, indépendamment des contributions versées aux organismes d’aide multilatérale (Fonds européen de développement, Agence internationale pour le développement, organismes spécialisés de l’ONU).
La part du Secrétariat d’État aux Affaires étrangères, chargé de la coopération, est évidemment la plus importante. Elle représente plus de 85 % de l’ensemble avec 1 116 M de francs. Sur ce total 983 M sont affectés à l’aide civile (personnel d’assistance technique, bourses et stages, organismes de recherche, crédits d’équipement, aides et concours divers) et 133 M pour l’aide militaire (personnel d’assistance technique, stages, matériel).
Le ministère de l’Éducation nationale intervient pour 94 M de francs dont 53,5 M pour le personnel d’enseignement supérieur détaché dans les universités africaines et malgache, 31,5 M de participation au fonctionnement de ces universités. 7 M de francs sont affectés aux bourses d’étudiants et aux stages de techniciens, le reste (environ 2 M) aux subventions à certains organismes spécialisés et à des crédits d’équipement.
Les crédits inscrits au budget des autres départements comprennent :
– pour le ministère des Transports (aviation civile) : 75 M destinés essentiellement à l’ASECNA (Agence de sécurité de la navigation aérienne) ;
– pour le ministère de l’Équipement : 8 M, dont 7 pour le personnel et le fonctionnement de l’Institut géographique national et 1 M environ pour l’entretien des phares et balises ;
– pour le ministère de l’Intérieur : près de 5 M affectés au Service de la coopération technique internationale de police (SCTIP) ;
– pour le ministère des Postes et Télécommunications : plus de 2 millions ;
– enfin au titre des services généraux du Premier ministre : 250 000 francs pour la prise en charge des personnels de l’Inspection des affaires d’outremer, chargés de mission dans les États.
Les contributions versées aux organisations internationales d’aide à l’étranger, dont les États africains et malgache sont partiellement bénéficiaires, s’élèvent pour 1968 à 242 M de francs environ (section des charges communes du ministère de l’Économie et des Finances).
Le personnel français d’assistance technique prévu pour 1968 comprendra 13 000 agents dont plus de la moitié d’enseignants.
Comme l’a souligné M. Yvon Bourges, secrétaire d’État aux Affaires étrangères chargé de la coopération, la caractéristique de l’aide française aux États africains et malgache est sa stabilité. Ce concours garanti, continu et calculé sur une base sensiblement constante permet aux gouvernements bénéficiaires de mieux déterminer leur propre politique. L’aide à l’Afrique noire représentera en 1968 un peu plus de la moitié de l’effort global consenti par la France en faveur des pays en voie de développement (2 351 M de francs).
L’industrialisation des États africains et malgache vue par la CEE
La Communauté économique européenne (CEE) vient de faire procéder par une commission d’experts indépendants à une étude d’ensemble des possibilités d’industrialisation des États africains et malgache associés (EAMA) qui a donné lieu à l’établissement d’un catalogue de projets susceptibles d’être réalisés avec son aide.
Le programme proposé par ces experts reflète les orientations de la politique industrielle qu’ils ont jugé la mieux adaptée aux besoins et aux possibilités des EAMA.
La première préoccupation des experts a été de définir des objectifs économiques répondant aux critères d’efficacité et de rentabilité. Ont donc été éliminés d’entrée de jeu les projets à caractère spectaculaire le plus souvent inspirés par des considérations purement politiques ou démagogiques : pas d’aciéries, pas d’industrie lourde, pas de constructions aéronautiques, mais des réalisations essentiellement utilitaires. Les experts ont choisi de faire porter l’effort d’industrialisation sur la production de biens de consommation pouvant se substituer aux importations. Dans ce but, ils ont défini une gamme d’objectifs industriels allant des réalisations permettant l’amélioration des conditions de récolte ou d’extraction des matières premières locales jusqu’à la fabrication des produits finis les plus élaborés.
Un autre souci des experts a été la détermination des lieux géographiques d’implantation des réalisations nécessaires. Pour ce faire, trois sortes de considérations menant souvent à des conclusions contradictoires ont dû être conciliées.
1. La première est fondée sur le fait bien connu qu’une entreprise industrielle n’est économiquement viable que si elle a des dimensions suffisantes et que si elle peut écouler la totalité de sa capacité de production. En Afrique, l’exiguïté des marchés nationaux, résultant à la fois de la faible densité de la population et du niveau très bas de son revenu, conduit à chercher leur regroupement, donc à concevoir des unités de production régionales ou multinationales. Ainsi s’impose la nécessité d’une coopération économique inter-États, si l’on veut éviter le gaspillage, les doubles emplois industriels et les surenchères nationales comme cela est trop souvent le cas lorsque chaque pays veut « son industrie ». C’est le même état d’esprit, aux conséquences ruineuses, qui a été souvent à l’origine du désir des gouvernements africains d’avoir chacun leur grand port, leur aérodrome international, leur université, leur raffinerie de pétrole, voire leur compagnie d’aviation.
2. Mais la superficie en général démesurée des États et la nature du relief qui rendent les communications difficiles et coûteuses sont des facteurs qui restreignent les possibilités de concentration industrielle.
3. Enfin, par la force des choses, les États côtiers et parmi eux cinq surtout : Sénégal, Côte d’Ivoire, Cameroun, Gabon et Congo/Kinshasa se trouvent disposer déjà d’un équipement industriel et énergétique privilégié par rapport aux États de l’intérieur, privés d’un accès maritime, pour lesquels le retard dans le développement est le plus marqué. C’est donc chez eux qu’un effort particulier d’industrialisation devrait être fait et les experts ont été amenés à recommander que les États côtiers laissent aux continentaux la priorité pour les fabrications basées sur des approvisionnements locaux, donc non tributaires d’importations onéreuses.
L’adaptation des objectifs économiques aux nécessités d’une certaine répartition géographique afin que tous les EAMA bénéficient à titre collectif mais aussi à titre individuel de l’industrialisation a finalement conduit la commission d’experts à sélectionner un ensemble de 109 projets.
La réalisation d’un assez grand nombre d’entre eux (une trentaine) demeure cependant incertaine, quelques conditions préalables n’étant pas encore remplies mais pouvant l’être dans un certain délai (approvisionnement en matières premières locales non encore garanti, écoulement des produits insuffisamment assuré). En outre, certains projets sont interdépendants, la réalisation de l’un ne pouvant débuter qu’en fonction des résultats d’une autre entreprise.
Tous les projets ont été conçus dans une optique multinationale sauf en ce qui concerne Madagascar et la Somalie, qui se prêtent difficilement à une approche régionale. Les seize autres États associés ont ainsi été répartis en trois zones, compte tenu de leurs affinités et des liens économiques déjà existants :
– la zone de l’Afrique de l’Ouest (8 États) ;
– la zone de l’Union douanière et économique de l’Afrique Centrale (UDEAC) ;
– la zone des trois pays de colonisation belge (Congo/Kinshasa, Ruanda, Burundi).
Nous nous arrêterons plus spécialement sur les projets – au nombre de 74 – intéressant les 14 États issus de l’Union française (Afrique de l’Ouest, UDEAC, Madagascar).
Dans la zone de l’Afrique de l’Ouest, trois sous-zones ont été distinguées : Sénégal, Mali, Mauritanie ; Côte d’Ivoire, Haute-Volta ; Dahomey, Togo, Niger. Dans chacune, un État continental est associé à un ou deux États côtiers. Dans ce groupe, comme en général dans toute l’Afrique, seuls les États côtiers ont en effet connu jusqu’ici un développement industriel appréciable. La Côte d’Ivoire et le Sénégal interviennent respectivement pour 40 % et 26 % dans la production commercialisée de la zone et les activités industrielles sont surtout concentrées autour d’Abidjan et de Dakar. Les propositions faites à la CEE par les experts portent sur 31 réalisations dont 10 demeurent incertaines. L’ensemble des projets représente un investissement global de l’ordre de 30 milliards de francs CFA (le franc CFA vaut 2 anciens francs, soit 0,02 nouveau franc). Ils entraîneraient la création de 9 500 emplois et un supplément de valeur ajoutée pour l’économie de la zone de plus de 4 Mds CFA, tout en procurant une économie de devises de l’ordre de 600 M. Les localisations envisagées aboutissent encore le plus souvent aux pôles principaux de Dakar et Abidjan et, dans une proportion beaucoup plus faible, autour de Cotonou, Bamako ou Niamey.
L’UUDEAC, qui groupe le Cameroun, le Gabon, le Congo/Brazzaville, la République centrafricaine et le Tchad, constitue un ensemble relativement cohérent et assez favorable à une organisation multinationale de l’équipement industriel. Les échanges sont entièrement libres de toutes taxes et de tous contingentements à l’intérieur de ce marché unique, protégé en outre de l’extérieur par un tarif douanier commun. Les cinq partenaires ont d’ailleurs prévu de mener une politique communautaire d’industrialisation, mais leurs besoins globaux demeurent réduits et permettent difficilement d’assurer la rentabilité d’un effort d’équipement industriel. Une grande disparité existe entre le revenu monétaire moyen par habitant dans les différents pays du groupe : 107 000 francs CFA au Gabon, 10 000 au Tchad. Le Cameroun intervient à lui seul pour 46 % dans le produit intérieur brut de l’Union et plus de 40 % des importations totales de celle-ci se font par Douala. La sélection des projets d’industrialisation intéressant la zone parmi 80 propositions étudiées n’en a retenu que 24 dont 5 demeurent incertaines. Les 19 réalisations effectivement envisagées exigeront 15 Mds de francs CFA d’investissements et procureront 2 500 emplois en personnel local. Leur répartition géographique intéresse le Cameroun (8 projets), le Gabon (8), le Congo (8), le Tchad (8), la RCA (2).
Pour Madagascar, 19 projets sont retenus mais 5 sont aléatoires. De 18 à 16 Mds de francs malgaches (le FMG est l’équivalent du franc CFA) d’investissements seront nécessaires et 2 700 emplois seront offerts.
La plupart des 74 projets intéressant les États de tradition française porte sur des industries de transformation des produits locaux de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche (conserveries, tanneries, sucreries, savonneries, malteries, fabriques de margarine, de pâte à papier, d’articles à base de fibres locales, etc., 30 projets) et sur des usines de traitement ou de façonnage de produits minéraux locaux ou d’éléments importés (engrais, détergents, ciment, céramiques, verres creux, boulons, fers à béton, outils agricoles, petite quincaillerie, câbles, piles électriques, accumulateurs, etc., 40 projets). Cependant, en négligeant momentanément les productions intéressant la grande exportation, notamment vers les pays développés, et la grosse industrie, la Commission n’entend porter aucun jugement restrictif sur la vocation industrielle et commerciale des EAMA. Dans un premier stade, il lui a paru plus judicieux de multiplier les investissements de substitution qui permettront la valorisation des ressources locales, la diversification économique et le développement des marchés intérieurs.