Outre-mer - Dahomey : le récent coup d'État et ses origines - Gabon : le développement des activités pétrolières - L'avenir institutionnel de la Guinée équatoriale
Dahomey : le récent coup d’état et ses origines
Le Dahomey a connu le 17 décembre 1967 un nouveau coup d’état militaire sans effusion de sang, ni arrestations. Le général Soglo, qui avait pris le pouvoir deux ans plus tôt, a été destitué de sa charge de président de la République et son gouvernement a été dissous par décision d’une junte militaire dirigée par le commandant Kouandété, chef de cabinet du Chef d’état-major de l’armée (Céma), le lieutenant-colonel Alley. La dégradation continue de la situation économique et financière du Dahomey depuis son accession à l’indépendance, qui fut en grande partie à l’origine de la crise politique de 1965, est de nouveau la principale responsable des derniers événements.
En 1965, les hommes politiques au pouvoir n’étaient pas parvenus à surmonter leurs querelles pour s’entendre sur l’élaboration d’un plan d’action gouvernementale propre à assainir l’économie et les finances du pays et promouvoir un programme réaliste de développement. Devant cette impuissance des responsables civils, l’Armée, sous la conduite de son chef, le général Soglo, avait estimé de son devoir d’intervenir pour contraindre à la démission les dirigeants en place, suspendre la constitution et dissoudre l’assemblée nationale, les conseils généraux et les partis.
Installés au pouvoir, les militaires s’étaient donnés pour mission de refaire l’unité nationale, de préparer une nouvelle constitution et de réformer les structures du pays en fonction des impératifs économiques. En deux années, cette tâche n’a pu être menée à bien et le Dahomey s’est retrouvé en décembre dernier dans une situation toujours aussi critique en dépit des efforts de remise en ordre entrepris par le gouvernement du général Soglo.
Les cadres de l’Armée, qui n’avaient cessé de soutenir l’action de leur chef jusqu’à ces derniers mois, ont fini par se persuader que la responsabilité de cet échec lui était imputable personnellement et que son éviction pouvait seule permettre à l’Armée de remplir le contrat passé avec la nation à la fin de 1965. La seconde autorité militaire du pays, le lieutenant-colonel Alley, Céma, a finalement accepté le 21 décembre de cautionner l’initiative de ses subordonnés et de prendre la tête de l’État.
Le nouveau Président est généralement considéré comme l’officier le plus capable de prendre en main les destinées du pays dans les circonstances actuelles, mais la tâche qui l’attend est considérable, principalement dans le domaine économique et financier.
En effet, depuis août 1960, date de l’accession du Dahomey à l’indépendance politique, les difficultés économiques n’ont cessé de s’accentuer. Alors que les besoins de la consommation intérieure s’accroissaient du fait d’une augmentation importante de la population, la production agricole diminuait régulièrement, entraînant une baisse constante des excédents exportables. Dépourvu de ressources exploitables dans un territoire trop exigu, manquant de disponibilités financières suffisantes, le Dahomey ne s’est pas trouvé en mesure, même avec l’aide extérieure, de développer une infrastructure industrielle qui lui eût permis de compenser l’amenuisement de ses revenus d’origine agricole par ceux qu’aurait pu lui procurer la commercialisation de produits manufacturés. Les structures sociales assez particulières du pays, où une fonction publique pléthorique (1) absorbe 80 % des recettes budgétaires, ont contribué à compromettre l’équilibre financier, réduisant encore les possibilités d’investissements. Enfin, les capitaux privés étrangers se sont montrés fort réticents à s’engager sur un marché beaucoup trop étroit pour leur assurer une bonne rentabilité.
Actuellement, la conjoncture se présente comme suit. Dans le secteur agricole, les produits vivriers (manioc, maïs, ignames, sorgho, haricots, mil, etc.) suffisent à peine à la consommation intérieure. Seules les cultures industrielles laissent des surplus exportables. Parmi celles-ci, les plus rentables sont les produits de la palmeraie qui comptent pour près de 50 % dans les ventes à l’étranger (huile, amandes, tourteaux). La culture du coton s’est développée mais elle n’atteignait encore que 2 300 tonnes en 1966. Pour l’arachide, l’excédent exportable a diminué de façon sensible depuis 1958, passant de 15 600 t à 3 300 à peine en 1966, par suite d’un accroissement continu de l’autoconsommation. Les autres cultures industrielles (tabac, café, coprah) se sont peu développées et demeurent soumises aux aléas climatiques. Des efforts importants ont été entrepris avec le concours du FAC (Fonds d’aide et de coopération), du FED (Fonds européen de développement) et de la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) et les résultats devraient commencer à se manifester dès cette année pour l’arachide et le coton et d’ici cinq ou six ans pour les produits de la palmeraie lorsque 20 000 hectares supplémentaires entreront en production. Tous ces efforts risquent toutefois d’être annihilés si le taux de natalité ne diminue pas et si les agriculteurs dahoméens ne prennent pas conscience de la nécessité d’assurer par leur propre travail l’augmentation de la production, donc l’élévation de leur niveau de vie, objectif que l’aide étrangère, qui n’est que temporaire, ne saurait leur garantir. Le Produit national brut (PNB) par habitant est en effet aujourd’hui au Dahomey l’un des plus faibles du monde avec 16 000 francs CFA (2).
Dans le domaine industriel, l’infrastructure demeure très sommaire et, quand elle existe, souvent inadaptée. C’est le cas notamment des usines de traitement des produits nationaux en vue de l’exportation. Seules les huileries de palme et de palmistes ont un certain avenir dans la mesure où elles moderniseront leur équipement. Le complexe textile, comprenant une filature, un tissage et une fabrique de sacs utilisant la fibre du kénaf, paraît mal armé pour assurer une commercialisation régulière de sa production.
Les industries de biens de consommation à usage essentiellement local demeurent de dimensions modestes du fait de l’étroitesse du marché dahoméen (brasseries, limonaderies, savonneries, ateliers de montage d’automobiles ou de postes radio). D’autres réalisations sont envisagées (cimenterie, teinturerie de tissus, huilerie mixte arachide-coton, petite quincaillerie, ateliers de montages divers, usines de matière plastique, de peinture, etc.) mais la sélection de projets ne semble pas avoir été toujours opérée avec réalisme ou dans un souci de rentabilité.
Le commerce extérieur s’est ressenti de cette situation. Les exportations sont tombées en 1966 à leur niveau le plus bas depuis 1960 avec 2 570 millions CFA alors que les importations, bien qu’en régression, atteignaient encore 8 260 millions, soit un taux de couverture de 31 %.
En ce qui concerne les finances publiques, le déficit chronique du budget a pu être considérablement réduit grâce à de très sévères mesures d’austérité prises dès 1966 : réduction de 23 % de tous les traitements, compression des dépenses de l’État, augmentation des impôts directs frappant le secteur privé (3). Ces décisions ont eu pour conséquence d’une part de réduire les possibilités d’expansion et surtout de provoquer de très vifs mécontentements chez les petits salariés, durement touchés par les réductions de salaires alors que le coût de la vie augmentait régulièrement, et chez les fonctionnaires qui admettent difficilement les restrictions apportées à leur avancement et à leurs traitements. C’est ainsi que s’est développée au cours des derniers mois de 1967 une agitation sociale qui a abouti aux grèves de décembre que le gouvernement du général Soglo s’est refusé à briser par la force.
Jugeant que cette attitude révélait, de la part du général, un manque de détermination qui ruinait son autorité et celle de l’Armée, les jeunes officiers décidèrent de s’emparer du pouvoir afin d’éviter des troubles graves. Certes, d’autres facteurs ont joué. Au sein même de l’Armée, des griefs s’étaient accumulés au cours des derniers mois contre le général Soglo, prenant leur source dans les traditionnels antagonismes ethniques et l’opposition de la jeune génération à l’ancienne, de valeur contestée.
Il n’en demeure pas moins que la cause profonde de l’instabilité dahoméenne réside dans le marasme économique qui n’a cessé de s’aggraver depuis 1960 et qui a contribué à attiser les rivalités et les rancœurs de tous ordres. Le redressement d’une telle situation ne peut être attendu que de la conjugaison d’un effort persévérant de tous les Dahoméens réconciliés et d’une aide extérieure cohérente, programmée avec réalisme.
(1) Plus de 18 000 fonctionnaires émargent au seul budget de l’État.
(2) Un franc CFA vaut deux anciens francs, soit 0,02 F.
(3) Toutefois, sur un budget de 7 milliards CFA, le déficit s’est encore élevé à un milliard en 1967.
Gabon : le développement des activités pétrolières
La mise en service, le 10 novembre 1967, de la raffinerie de pétrole construite à Port-Gentil par la Société équatoriale de raffinage (SER) et de nouvelles perspectives d’accroissement de la production sur le site de Gamba, au Sud-Est de Port-Gentil, appellent l’attention sur le développement des activités pétrolières du Gabon, qui prennent une part grandissante dans l’économie du pays.
La construction de la raffinerie de Port-Gentil résulte d’une décision conjointe prise en février 1964 par les quatre États membres de l’Union douanière équatoriale – Congo-Brazzaville, Gabon, République centrafricaine et Tchad – et par le Cameroun (ce dernier étant aujourd’hui intégré dans l’Union) visant à couvrir les besoins des États en cause par l’édification d’une unité de traitement unique de capacité suffisante pour assurer sa rentabilité et qui utilise le brut gabonais. La formule ainsi retenue apporte une solution logique à l’approvisionnement du secteur géographique concerné. Elle constitue en outre un exemple de coopération entre États en matière de coordination des investissements industriels d’autant plus remarquable que des intérêts divergents étaient en cause, le Cameroun et le Congo-Brazzaville souhaitant également l’implantation de la raffinerie sur leur territoire.
Le capital de la Société est réparti à raison de 75 % pour les groupes français ERAP (Établissements de recherches et d’activités pétrolières) et CFP (Compagnie française des pétroles) et 5 % pour chacun des États-membres. Les investissements consentis avoisinent 4,5 milliards de francs CFA, soit 90 millions de francs. Les travaux ont été exécutés dans les délais prévus. La raffinerie utilisera par priorité et dans une très large proportion le brut extrait à Mandji, sur le site de Port-Gentil, à raison de 700 000 t environ annuellement. La production prévue de produits finis excède 500 000 t, dont un quart environ d’essence auto, 7,5 % de carburant pour réacteurs et 58 % de fuels lourds et légers. Le volume et l’éventail des produits, qui exclut les essences avions à haut indice d’octane, peuvent couvrir la plus grande partie des besoins actuels du marché de l’Union et répondre à leur augmentation telle qu’elle est envisagée. Les achats de produits finis opérés hors de la zone franc devraient diminuer d’autant.
Le niveau actuel de la production des champs gabonais permet d’alimenter très aisément la raffinerie et laisse disponible une quantité appréciable pour l’exportation en brut. Alors que le site de Mandji, exploité depuis une dizaine d’années, commence à s’épuiser, de nouveaux puits productifs viennent d’être mis en exploitation, au large de Port-Gentil d’abord (site d’Anguille), puis à Gamba, plus au Sud. La mise en place des oléoducs de raccordement et l’édification d’un terminal à Gamba permettent désormais de porter la production de 1,4 million de tonnes en 1966 à 3,7 millions prévues en 1967, 4 millions envisagées en 1968 et 5 en 1969. Pour l’ensemble des trois sites les réserves prouvées avoisineraient 180 millions de tonnes.
La principale compagnie exploitante reste la Société des pétroles d’Afrique équatoriale (SPAFE) où sont représentés le groupe français ERAP et la société Shell. Celle-ci poursuit ses prospections sur le site de Gamba où elle a récemment foré un nouveau puits productif. Les résultats obtenus ces dernières années conduisent d’autres sociétés à porter un intérêt accru aux gisements gabonais : des démarches sont actuellement entreprises par les groupes américains Gulf Oil et Continental Overseas Company en vue de l’implantation de filiales locales et d’une participation directe aux recherches. Ce développement de la concurrence pourrait conduire le gouvernement gabonais à édicter désormais des règles moins libérales en matière d’attribution des permis de recherche et d’exploitation.
Les produits pétroliers bruts et traités pourraient représenter dans les années à venir l’un des premiers postes d’exportation du commerce gabonais avec le bois et le manganèse, en attendant la mise en exploitation du minerai de fer de Belinga pour lequel la construction de débouchés, port en eau profonde à Owendo, près de Libreville, et voie ferrée d’Owendo à Belinga, est prévue. Les négociations relatives au financement de ces travaux entrent d’ailleurs actuellement dans une phase positive.
L’avenir institutionnel de la Guinée équatoriale
L’ouverture à Madrid, le 30 octobre 1967, de la conférence constitutionnelle de la Guinée équatoriale s’inscrit dans le cadre de l’actuelle politique espagnole de décolonisation et coïncide avec l’annonce officielle d’un accord avec le Maroc sur le territoire d’Ifni ; l’Espagne répond ainsi à des recommandations réitérées de l’ONU à propos de l’évolution des territoires encore colonisés. Les négociations engagées risquent d’être longues et peut-être ardues ; elles appellent en tout cas l’attention sur l’enclave continentale du Rio Muni et l’île de Fernando Po qui forment, ensemble, la Guinée équatoriale.
Ces deux provinces espagnoles d’outre-mer sont très modestes : 26 000 km2 et 200 000 habitants pour la première, 2 000 km2 et 70 000 habitants, en grande majorité travailleurs d’origine nigérienne émigrés pour la seconde. Elles sont au surplus profondément dissemblables : à la relative prospérité de l’île, fondée sur d’excellents rendements agricoles et certains espoirs en matière de découvertes pétrolières, s’oppose le dénuement du Rio Muni, parfois qualifié de « colonie dans la colonie », en raison de l’influence prépondérante de Fernando Po sur l’ensemble.
Certaines conséquences politiques de cette situation étaient apparues déjà lors de la tenue d’un référendum consécutif à la promulgation de la loi du 9 novembre 1963 conférant un régime d’autonomie à la Guinée, désormais dotée d’institutions propres, Conseil de gouvernement et Assemblée générale ; les populations du Rio Muni s’étaient en effet prononcées en faveur de ce statut alors que celles de Fernando Po l’avaient rejeté pour des motifs différents qui reflétaient en définitive le souhait des élites locales – certaines d’entre elles très bées aux milieux commerciaux espagnols – de ne pas attacher leur sort à celui des Guinéens continentaux.
Ces mêmes aspirations divergentes se retrouvent aujourd’hui chez les délégués autochtones à la conférence madrilène, qui y représentent le gouvernement local, les institutions professionnelles, les groupes ethniques et les formations politiques. Trois des cinq partis représentés disposent d’assises suffisantes et de doctrines assez caractérisées pour refléter valablement les aspirations locales : le MUNGE (Mouvement d’union nationale de la Guinée équatoriale), de tendance modérée, dont le Président, Bonifacio Ondo Edu, est également président du Conseil de Gouvernement ; le MONALIGE (Mouvement national pour la libération de la Guinée équatoriale), dont le principal dirigeant, Anastasio Ndong, est sorti d’un long exil pour se rallier à la formule de l’autonomie ; l’IPGE enfin (Idée populaire de Guinée équatoriale), plus radical, dont le chef, Clément Ateba, est vice-président du Conseil de Gouvernement ; ces deux dernières formations avaient constitué autrefois un Front Commun, le FRENAPO (Front national et populaire pour la libération de la Guinée), qui militait pour l’indépendance, au besoin par des méthodes violentes, mais ont notablement assoupli leur attitude depuis 1963 et poursuivent leurs objectifs dans la légalité. Les trois partis en cause souhaitent, avec des nuances, l’évolution des deux territoires vers l’indépendance, sans rupture de l’unité et dans la perspective du maintien d’une étroite coopération avec la métropole.
Il faut y ajouter toutefois deux groupes traditionalistes « ultras » : l’Union Bubi qui se propose de défendre les intérêts de la minorité ethnique de Fernando Po et l’Union Démocratique qui reflète les vues de certains intérêts privés puissants dans l’île. L’une et l’autre militent pour le maintien de liens très étroits avec l’Espagne et, dans le cas où l’indépendance interviendrait, pour la séparation des deux Provinces. Cette tendance est suffisamment agissante pour avoir obtenu de se faire entendre à Madrid où elle dispose d’appuis éminents au sein même du gouvernement. M. Castiella, ministre des Affaires étrangères, qui préside les travaux, a certes montré par ses déclarations son attachement sincère à l’évolution de la Guinée vers son propre destin politique dans l’unité, rejoignant ainsi les vues des grands partis. Il doit néanmoins tenir compte des pressions qui s’exercent en sens inverse et qui opposent à l’apparente logique de cette formule, propre à satisfaire la majorité en Espagne, en Guinée et à l’ONU, la nécessité de ne pas contrevenir aux intérêts des habitants de l’île et de ne pas entraver ses perspectives de développement. Pour Fernando Po en effet, l’obtention de l’indépendance assortie d’institutions unitaires pourrait signifier le partage des ressources avec la région la moins développée et, en tout état de cause, la perspective possible d’atteintes aux intérêts économiques qu’y possèdent certaines personnalités espagnoles et autochtones.
En définitive, la Conférence doit résoudre par conséquent un double problème : étudier d’abord les modifications possibles et souhaitables aux institutions afin d’acheminer la Guinée vers l’indépendance politique – que certains souhaitent voir intervenir le 1er juillet 1968 – concilier ensuite les thèses opposées, en d’autres termes définir sans doute un certain nombre de garanties aux minorités et aux grands intérêts économiques de Fernando Po, afin de permettre, dans l’hypothèse précédente, le maintien de l’unité. Celle-ci apparaît d’autant plus indispensable que la Guinée indépendante ne détiendrait déjà, même prise dans son ensemble, qu’un rang mineur ; chacun de ses composants, en cas d’évolution séparée ou de partition, serait soumis à des forces centrifuges et à des sollicitations rivales de la part de ses voisins telles que des conflits pourraient être redoutés et que l’avenir des deux territoires pourrait être très compromis.