L’épée de Damoclès. La guerre en style indirect
Cet « essai » tient à la fois de la méditation philosophique, de l’étude historique et du cours de stratégie. Ce sont des richesses qui se concilient fort bien, surtout lorsqu’elles sont contenues dans un style élégant et nerveux.
Résumer les pages de ce livre, à plus forte raison en faire un commentaire suffisant, c’est rechercher l’impossible dans les limites de cette courte analyse, où il faut se borner à présenter l’ouvrage. Celui-ci est écrit pour vanter les mérites passés et plus encore futurs du « style indirect », c’est-à-dire en quelque sorte de l’emploi des procédés de finesse en stratégie mondiale comme en tactique élémentaire. Les auteurs se disent convaincus que les bouleversements de la technique et de l’emploi des armements condamneront le « style direct », qui est le banal emploi de la force appliquée au lieu et au moment où elle peut écraser l’adversaire.
Il est bien difficile de convaincre en pareille matière. Il faudrait d’abord qu’il existe une différence formelle, absolue, indiscutable entre les deux grands « styles » de la stratégie ; et chacun sait que l’on passe insensiblement de l’un à l’autre. La meilleure stratégie est tout bonnement celle qui assure la victoire.
Mais cette remarque simple ne doit pas faire oublier la nécessité de la recherche scientifique, en matière militaire comme en tout autre. L’ouvrage du général Gambiez et du colonel Suire est en ce domaine beaucoup plus qu’un « essai » ; c’est une réussite. En effet, il offre au lecteur un approfondissement certain de la pensée militaire, en même temps qu’un élargissement ; basé sur une hypothèse, suivant les meilleurs principes du progrès, il appelle la discussion, donc l’enrichissement. Il n’est point de chapitre qui ne soulève l’étonnement, l’enthousiasme ou la réprobation, mais ne provoque ensuite la curiosité et la réflexion. Ce sont toutes conditions qui créent le ferment dont la pensée a besoin.
Pensée qu’il faut maintenir élevée et vivante, car elle exprime notre civilisation. Et, disent les auteurs, « là est l’héritage d’Athènes, là est notre responsabilité, le réduit des motivations de la défense, l’enjeu moral du combat. Car s’il n’est pas là, l’enjeu n’existe plus ; et nous non plus. Nous ne sommes que de vains cadavres en attente des hautes funérailles d’une bataille livrée sans but et sans espoir ».