La guerre de Vendée, qui ne se réduit pas au seul phénomène de la Chouanerie, illustre-t-elle ce que fut une « base révolutionnaire » qui s'ignora et finalement échoua faute d'avoir pris conscience de ses possibilités et d'avoir su trouver une stratégie adéquate ? L'auteur n'est pas loin de le penser. Son expérience de combattant de la guerre d'Indochine, mais aussi sa compréhension du pays vendéen, proche de sa retraite actuelle aux environs d'Angers, donnent à son étude, inspirée par la lecture du livre de Charles Tilly La Vendée. Révolution et contre-révolution (Éditions Fayard 1970), un relief particulier.
Étude sur la guerre de Vendée (I)
L’insurrection vendéenne éclate le 10 mars 1793 et se répand, en une douzaine de jours, comme un incendie de forêts, dans l’ensemble du quadrilatère dont les sommets sont marqués approximativement par Nantes, Angers, Parthenay et les Sables-d’Olonne. D’ouest en est, environ 140 kilomètres ; du nord au sud, 100, c’est-à-dire, au sud de la Loire, très exactement l’étendue du massif hercynien, couvert de bocage à l’est et au centre, de marais à l’ouest. Avant que le mouvement ait gagné toutes les communes, la Convention, alertée rapidement, décrète que tous les rebelles portant des armes ou des insignes distinctifs — ces croix et ces sacrés-cœurs brodés, amulettes et badges à la fois, qu’ils mettent volontiers sur leurs vêtements — seront fusillés sans jugement ; méthode expéditive, adoptée dans un mouvement de colère et de crainte, qui montre que les Conventionnels ne sont pas plus maîtres de leurs nerfs qu’ils ne sont conscients du caractère profond de l’insurrection ; elle conduira à une guerre sans merci, à des massacres, à une escalade de la terreur que les deux camps vont appliquer avec une égale passion, un manque égal de discernement, avant que la fatigue et le dégoût de tuer ne les incitent à des sentiments plus objectifs ; mais il aura fallu près de trois ans pour que ce résultat fût atteint ; et il ne le sera que de façon précaire.
L’épisode de la Vendée nous semble une lointaine histoire. Depuis qu’il s’est déroulé, nous avons connu tant de révolutions et participé, en acteurs ou en témoins, à tant de « guerres subversives » qu’il peut sembler inutile d’en parler à nouveau. Qu’a-t-il à nous apprendre que nous ne sachions déjà ? Les historiens, les romanciers, les érudits en ont exploré les multiples aspects, non sans y apporter d’ailleurs leurs propres passions et leurs jugements généralement subjectifs. Mais dans ses grandes lignes, la cause était entendue : la rébellion contre la République est née dans un pays arriéré, obstinément fermé aux idées nouvelles, désireux de conserver ses traditions royalistes et catholiques sous la conduite de ses nobles et de ses prêtres.
Louis Madelin, qui fut un historien apprécié après la première guerre mondiale et fit autorité, tout au moins dans certains milieux, écrit : « Les Bocages (vendéen, normand, manceau) constituaient dès longtemps dans l’Ouest des cantons placés fort en dehors des grands courants. Paysans sauvages, pas de bourgeoisie ; au-dessus du paysan, de petits gentilshommes campagnards, vivant presque de sa vie et, dans les « paroisses », des curés très aimés. Il n’est pas étonnant que, plus même que la révolution elle-même, la Constitution civile eût ici tout gâché. La Vendée n’attendait que l’occasion de se soulever contre le régime « satanique » » (1). Il est inutile de prolonger la citation. Ce tableau est une image d’Épinal grossièrement dessinée et coloriée ; il contient des erreurs flagrantes ; davantage encore d’omissions graves. Une telle façon d’écrire l’histoire est aujourd’hui inadmissible ; nous savons à quel point ces simplifications sont dangereuses ; leur outrance même leur enlève toute valeur véritable ; et nous avons appris que l’histoire est l’expression visible des modifications sociologiques généralement lentes, mais que peuvent brutalement activer et accélérer des conditions politiques, économiques et psychologiques ; comme aussi l’intervention personnelle d’un homme. On ne peut pas simplifier ce qui est complexe par nature, et l’Histoire est complexe. Mao Tsé-toung lui-même écrit : « Tout en reconnaissant que, dans le cours général du développement historique, le matériel détermine le spirituel, l’être social détermine la conscience sociale, nous reconnaissons et devons reconnaître l’action en retour du spirituel sur le matériel, de la conscience sociale sur l’être social, de la superstructure sur la base économique » ; ce qui n’est rien moins que simple.
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