Maritime - L'activité maritime internationale - Trois marines du Commonwealth : Canada, Australie et Nouvelle-Zélande
L’activité maritime internationale
Durant le mois de mars des combats assez vifs ont continué de se livrer au Vietnam, dans les trois secteurs des abords de la zone démilitarisée, des Hauts-Plateaux et du Delta, mais sans qu’aucun des deux adversaires ait obtenu un avantage décisif : si les Américains ont maintenu ou rétabli leurs positions dans les grandes villes et les bases fortifiées du Nord (Khe-Sanh, Dong-Ha, etc.), ils restent désemparés contre le « pourrissement » croissant des campagnes. Au reste les Marines et les forces navales ou aéronavales n’ont joué, semble-t-il, qu’un rôle secondaire dans ces opérations, si ce n’est que les premiers, moins vigoureusement pressés à Khe-Sanh à la fin du mois, ont réussi à s’y donner un peu d’air, et que la River Patrol Force a éprouvé des difficultés sérieuses à assurer le ravitaillement en riz des populations urbaines par les cours d’eau dans le Delta.
Aussi, comme au moment de la présentation et de la discussion des budgets, est-ce dans les métropoles que l’activité maritime a présenté le plus d’intérêt.
En France elle s’est concentrée sur les préparatifs de la prochaine campagne d’expériences nucléaires en Polynésie. Déjà en janvier et février une demi-douzaine de TCD (transport de chalands de débarquement), BSL (bâtiment de soutien logistique), bâtiments-bases et ravitailleurs avaient appareillé pour le Pacifique ; 5 autres bâtiments isolés les ont suivis au mois de mars, dont le croiseur de commandement De Grasse, le TCD Ouragan et le BSL Rhin. Quant au groupe aéronaval de sécurité et de police de la zone de tir, composé du porte-avions Clemenceau (pavillon du contre-amiral Lévesque, 1 flottille d’Étendard IV, 1 de Breguet Alizé, 1 d’hélicoptères HSS1), des escorteurs d’escadre Forbin, Jauréguiberry, La Bourdonnais, et du pétrolier La Seine, il a quitté Toulon le 12 mars et ralliera la Polynésie par le Cap après avoir procédé à des exercices AA (antiaérien) dans les eaux de Madagascar.
Rappelons brièvement que deux exercices bilatéraux de routine se sont déroulés le même mois : l’un franco-américain baptisé Fair Game VI (escadre de la Méditerranée et 6e Flotte des États-Unis, exercices AA, ASM et de débarquement, dans les eaux de la Provence et de la Corse, entre le 1er et le 10 mars), – l’autre franco-allemand, baptisé Jaguar 1968, qui a rassemblée en Manche dans la seconde quinzaine de mars les dragueurs côtiers de Cherbourg et ceux de Cuxhaven.
Dans le domaine des progrès du matériel naval il convient de signaler deux événements importants :
• Le bâtiment réceptacle Henri Poincaré a été admis au service actif le 1er mars. Cette unité doit être affectée, on le sait, au centre de lancement de missiles des Landes, avec la mission d’étudier par télémesures le comportement des engins dans la haute atmosphère, de contrôler leur trajectoire, de déterminer leur point d’impact, etc ; elle fera partie du groupe naval d’essais de missiles constitué au mois de décembre 1966.
• On se souvient que les négociations franco-britanniques pour la construction en commun de l’avion Jaguar avaient abouti au mois de janvier dernier à la décision de commander dans une première étape 400 appareils, dont 200 pour la France : 50 correspondant à une version « navalisée » d’intervention embarquée, iront à notre marine et commenceraient à remplacer les Étendard à partir de 1971-1972. Un accord analogue, concernant la fabrication en commun de trois types d’hélicoptères, vient d’être signé le 2 avril : un nombre non encore précisé de WG-13 sera fourni, vers 1973, à notre aéronavale par la firme Westland pour la lutte ASM embarquée.
En Grande-Bretagne, seules deux additions au tonnage en service ou lancé de la Royal Navy ont été annoncées officiellement : le 4e et dernier des SSBN (sous-marins nucléaires lanceur d’engins), le Revenge, a été mis à l’eau le 15 mars. Des 4 unités auxquelles le gouvernement a décidé de limiter la composition de la force sous-marine de dissuasion, le Resolution a été « commissionné » le 2 octobre 1967, les 3 autres sont à présent en achèvement à flot. – D’autre part, la frégate Exmouth, vieille d’une dizaine d’années, mais refondue de 1966 à 1968 pour n’être plus propulsée que par des turbines à gaz (système COGOG : 1 turbine de 15 000 CV, et 2 de 4 000 CV pour la marche en croisière, couplées sur le même arbre), vient de commencer ses essais à la mer. Cet ensemble moteur de 23 000 CV n’est encore, à vrai dire, qu’expérimental.
Mais il convient d’accueillir avec circonspection certaines informations de presse selon lesquelles le gouvernement envisagerait, à l’instar des États-Unis, de remplacer les engins Polaris des SSBN par des engins du genre Poseidon à charges multiples, et aussi de prolonger, sans en indiquer le terme, la durée d’existence des porte-avions qui devaient être mis en réserve, sinon condamnés, à partir de 1972 : ces informations vont à l’encontre des déclarations réitérées de MM. Wilson et Healey (respectivement Premier ministre et Secrétaire d’État à la Défense), comme de la politique d’austérité financière du Royaume-Uni. Si elles se vérifiaient cependant, la seconde surtout, on aurait la preuve d’un retour à une saine stratégie : marins britanniques et étrangers ont insisté maintes fois sur les services qu’on pouvait attendre des porte-avions, à cause de leur puissance de feu et de leur mobilité, non seulement à l’Est de Suez, mais dans les eaux européennes comme force d’appoint des Striking Fleets américaines ; l’aviation embarquée représente d’ailleurs, dans l’état actuel des techniques occidentales, l’arme la plus efficace qu’on puisse opposer aux navires lanceurs d’engins aérodynamiques surface-surface à grande portée.
Aux États-Unis, également, la Navy s’est enrichie d’unités importantes au cours des derniers mois. Mentionnons, parmi les principales (après les SSN Haddock et Lapon, entrés en service au mois de décembre 1967), le porte-hélicoptères d’assaut New Orleans, 6e et avant-dernier de la série des Iwoshima, lancé le 3 février, – le navire de débarquement Newport, 1er d’une série de 20 bâtiments rapides (20 nœuds) et de fort tonnage (plus de 8 000 tonnes pleine charge), lancé aussi le 3 février, – enfin le transport de munitions Santa Barbara, lancé en janvier. Flotte amphibie (300 000 t environ en construction, commandées ou prévues) et flotte logistique continuent à faire l’objet des soins les plus assidus.
Mais, ces derniers temps, l’attention des milieux maritimes internationaux, émus par les catastrophes de la Minerve et du Dakar, s’est portée sur un type de navire fort particulier, à la mise au point duquel les États-Unis se sont attachés depuis la disparition du Tresher en 1963 ; un petit sous-marin capable de s’immerger à de grandes profondeurs, de se déplacer suffisamment sur le fond pour venir au contact des épaves repérées et de remonter leurs équipages en surface.
On connaît la part prise par les sous-marins nains Aluminaut et Ahin au repêchage de la bombe H coulée à Palomarès (Andalousie) à la suite de l’explosion en vol du B-52 qui la portait (17 janvier au 7 avril 1966). Continuant sur la lancée, la Navy a élaboré un programme aux termes duquel 6 petits engins baptisés Deep Submergence Rescue Vehicles (DSRV), pouvant opérer à 1 000/1 100 mètres de profondeur et ramener à la surface une vingtaine d’hommes par plongée, assez légers d’autre part pour être transportés par un avion-cargo (27 t), devront être construits de 1968 à 1970 par la firme Lockheed Missile and Space ; 2 bâtiments à double coque, du type catamaran, déplaçant 3 400 tpc, les ASR 21 et 22, viennent d’être commandés pour la mise en œuvre des DSRV, et 3 autres suivront d’ici 1970-1971.
Enfin, dans un ordre d’idées voisin (recherches, exploration et éventuellement sauvetage), Lockheed a construit en 1967 un sous-marin miniature, le Deep Quest, capable de plonger plus profondément encore que les DSRV : près de 1 900 m ont été atteints en effet lors des essais, et 2 350 le 28 février 1968 au large de la Californie ; on espère pousser jusqu’à 2 500 m en mars/avril.
Trois marines du Commonwealth : Canada, Australie et Nouvelle-Zélande
Par leur position géographique, par leur appartenance aux grandes organisations défensives internationales, par la contribution de leurs chercheurs et de leurs ingénieurs aux progrès de certaines techniques de pointe, le Canada d’une part, le groupe Australie–Nouvelle-Zélande de l’autre, sont appelés à jouer dans le monde un rôle dont la simple considération numérique de leur puissance militaire, de leur puissance navale en particulier, ne suffirait pas à rendre compte.
Collaborateur des États-Unis, depuis la création de l’Otan en 1949, dans les groupes stratégiques régionaux Canada–États-Unis et de l’océan Atlantique Nord, chargé depuis l’organisation de SACLANT en 1952 de la défense du secteur canadien de ce nouveau commandement, le Canada travaille aussi, en liaison souple avec les États-Unis et dans la mesure de ses moyens qui sont faibles (les deux tiers de ses forces navales ont, en effet, Halifax pour base, un tiers seulement Esquimalt en Colombie-Britannique), à surveiller les menaces qui pourraient surgir dans le Pacifique nord-oriental. Bien que les forces armées du Canada forment depuis 1966 un Corps unique, la Marine doit à la nature originale de ses missions essentielles (défense contre les attaques venant du large et lutte ASM dans l’Atlantique Nord) de conserver jusqu’à un certain point sa cohésion et sa personnalité.
Deux traits surtout la caractérisent.
C’est d’abord une marine jeune. À l’exception d’une dizaine de milliers de tonnes pleine charge datant de la guerre, d’origine anglaise ou américaine, non modernisée ou très partiellement modernisée, la flotte de combat en service ou en construction (environ 105 000 tpc) se compose essentiellement :
• Du porte-avions de 20 000 tonnes Bonaventure, ex-anglais lancé en 1915, mais achevé en 1957 seulement, rajeuni depuis à plusieurs reprises et destiné à la lutte ASM (avions Tracker et hélicoptères neufs SH-8 D Sea King, les uns et les autres de type américain).
• Des 4 escorteurs rapides ASM de 4 100 t, Iroquois, Huron, Athabascan et Algonquin, mis sur cale au début de cette année, aussi remarquables par leur ensemble moteur COGOG, sur lequel nous reviendrons, que par leur armement AA et ASM (le nouvel engin surface-air à courte portée Sea Sparrow et 2 hélicoptères Sea King associés aux sonars de coque et remorqué).
• De 20 escorteurs AA et ASM de 2 900 t entrés en service entre 1955 et 1964, mais, malgré la jeunesse relative des plus anciens eux-mêmes, déjà modernisés ou en passe de l’être : les 7 Saint-Laurent (1955-1957) et les 2 Nipigon (1964) ont reçu un ou deux hélicoptères associés à un sonar remorqué, – ce sera sans doute aussi le sort des 4 Mackenzie (1962-1963) –, l’engin ASM américain Asroc équipera les 7 Restigouche (1958-1959). Tous ces bâtiments se distinguent par leur protection antiatomique : passerelle fermée, pas de hublots, pont arrondi pour le rejet à la mer des eaux contaminées.
• Des 3 sous-marins classiques à hautes performances Ojibwa, Onondaga et Okanagan, construits en Grande-Bretagne sur le modèle de l’Oberon, mais adaptés au climat canadien (1965-1968).
• Enfin, d’un prototype de patrouilleur ASM à ailes portantes de construction nationale, encore sur cale, le Bras d’Or (200 tonnes, 2 turbines à gaz assurant une vitesse maxima de 60 nœuds, un sonar à immersion variable et 12 tubes lance-torpilles).
Relativement importante pour une petite marine, la flotte logistique comporte 1 BSL de 11 000 tpc, ex-anglais vieilli mais refondu il y a dix ans, et 3 ravitailleurs polyvalents de 22 000 t, de construction nationale, le premier entré en service en 1968, les deux autres sur cale.
Jeune dans son ensemble, la marine canadienne force aussi l’attention par le dynamisme de ses ingénieurs. Nous avons indiqué ses caractéristiques antiatomiques. Elle est aussi la première des marines occidentales à avoir audacieusement adopté la propulsion exclusive par turbines à gaz sur de grands bâtiments : les 4 Iroquois de 4 100 t auront, sur chacune de leurs 2 lignes d’arbre, une TG (turbine à gaz) de 25 000 CV pour la marche à grande vitesse et une TG de 3 700 CV pour la marche en croisière (l’Exmouth britannique, à bord duquel est aussi installé le système COGOG, n’est qu’un navire expérimental, et la marine néerlandaise, qui l’a également choisi pour ses futurs escorteurs, a pris du retard sur la canadienne). Il paraît enfin probable que le patrouilleur Bras d’Or à ailes portantes surclassera, ne serait-ce que par sa vitesse, ses rivaux de l’US Navy, le High Point, le Plainview et même le tout récent Tucumari, d’ailleurs beaucoup plus petit et vedette plutôt que patrouilleur.
Comme le Canada est cosignataire du Traité de l’Atlantique Nord, l’Australie et la Nouvelle-Zélande le sont de l’ANZUS et de l’Otase (Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est) : le premier de ces traités, conclu le 1er septembre 1951, sur la proposition des États-Unis, pour apaiser les craintes de leurs deux partenaires à l’égard d’une éventuelle renaissance de l’impérialisme nippon, a conservé ensuite, malgré le changement de l’adversaire possible, la valeur d’un pacte de sécurité mutuelle américano-australo-néo-zélandais, les gouvernements de Wellington et surtout de Canberra continuant de redouter l’Indonésie momentanément communisante, puis la Chine populaire et, généralement parlant, toute expansion subversive dans l’Asie du Sud-Est. C’est pour la même raison qu’ils ont adhéré le 8 septembre 1954, aux côtés des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, du Pakistan, de la Thaïlande et des Philippines, au pacte de l’Otase, destiné à préserver de cette subversion, autant que faire se pourrait, les États indépendants du Sud-Est asiatique. Mais les grandes puissances autres que les États-Unis (France, Grande-Bretagne) ayant retiré ou s’apprêtant à retirer leurs forces militaires de cette partie du monde, la disproportion des moyens entre le groupe australo-néo-zélandais et son allié américain est devenue si considérable que – à la différence du Canada, partenaire de quatorze Puissances dans l’Alliance atlantique – sa sécurité dépend à la lettre de l’écrasante supériorité de la 7e Flotte des États-Unis.
Un mot suffira sur la Royal New-Zealand Navy, dont la seule force de combat moderne consiste dans 4 frégates des types anglais Whitby, Rothesay et Leander, entrées en service entre 1958 et 1966 et déplaçant globalement un peu plus de 18 000 tpc.
La Royal Australian Navy supporte beaucoup mieux la comparaison avec la marine canadienne, du double point de vue de son tonnage et des capacités techniques de ses constructeurs.
Déduction faite d’une vingtaine de mille tonnes désuètes, le gros de la flotte de combat compte environ 85 000 t modernes ou modernisées, parmi lesquelles :
• 2 porte-avions ex-anglais datant de la guerre mais refondus, déplaçant chacun 20 000 tpc : le Melbourne, armé d’avions ASM et d’hélicoptères d’origine britannique, mais qui devrait embarquer peu à peu des avions d’assaut Shyhawk et des avions ASM Tracker américains, – le Sydney, transformé en transport de troupes rapide en 1962. L’étendue démesurée des côtes à préserver des conséquences d’un débarquement par surprise et le voisinage de l’Indonésie justifient amplement l’existence d’un tel bâtiment.
• 12 destroyers et escorteurs ASM, dont 8 entrés en service entre 1952 et 1959 commencent à prendre de l’âge. Sur les 9 autres, 8 (les Perth, Hobart et Brisbane, de 4 500 t) appartiennent au type américain Charles Adams et ont été construits aux États-Unis ; entrés en service entre 1965 et 1967, ils sont armés de l’engin surface-air Tartar et du fameux engin ASM Ikara, de fabrication nationale et analogue à notre Malafon. Les 6 derniers de 2 600 t (Parramatta, Yarra, Stuart et Derwent admis au service de 1961 à 1964, Torrens et Swan en construction) dérivent du type anglais Leander ; ils sont armés comme lui de l’engin surface-air Seacat, et ont déjà embarqué ou embarqueront successivement des Ikara associés aux sonars de coque et remorqué.
• Enfin 4 sous-marins du type anglais Oberon, comme les Canadiens.
La flotte logistique comprend un pétrolier ravitailleur d’escadre de la classe Tide, livré par la Grande-Bretagne en 1962, et un BSL entré en service en février dernier, l’un et l’autre de 15 000 t.
Toute analyse des caractéristiques et de la composition du tonnage australien entraîne deux observations :
• Si les constructeurs nationaux ne jouissent pas, comme les canadiens, d’une réputation quasi mondiale, les hautes qualités des escorteurs de la classe Par-ramatta sortis des chantiers du pays (Cockatoo, Williamstown) et l’excellence de l’engin Ikara, si apprécié par la marine britannique qu’elle l’a retenu pour l’armement du petit croiseur Bristol en construction, suffisent à démontrer les capacités des ingénieurs australiens dans les techniques avancées.
• Désorientée par les abandons successifs de la puissance anglaise à l’Est de Suez, l’Australie compte de plus en plus sur l’assistance américaine et travaille à la faciliter jusque sur la façade indo-océanique de son territoire : dès le début de 1964 elle avait accepté l’installation par les États-Unis d’une énorme station radio au Nord-West Cape (Western Australia), pour assurer les communications à grande distance avec les SSBN en plongée et les navires de surface en croisière dans l’océan Indien (l’inauguration en a eu lieu au mois de septembre 1967). En 1967, également, elle a décidé de créer une base navale à Cockburn Sound au Sud de Fremantle, simple escale de ravitaillement d’abord, puis complexe industriel avec arsenal et bassins : la marine américaine pourra l’utiliser.