Outre-mer - L'accession à l'indépendance de l'île Maurice - L'organisation des États riverains du fleuve Sénégal - Gabon : l'exploitation du minerai de fer à Mékambo
L’accession de l’Île Maurice à l’indépendance
Le 12 mars 1968, l’Île Maurice, colonie de la Couronne britannique, a acquis la souveraineté internationale, devenant ainsi le 40e État indépendant d’Afrique. Découverte par les Portugais, occupée ensuite par les Hollandais, l’île était devenue française en 1715 sous le nom d’île de France. Conquise par les Britanniques en 1810, en même temps que sa voisine l’île Bourbon, elle fut reconnue possession britannique par le Congrès de Vienne tandis que l’île Bourbon (aujourd’hui de La Réunion) était rétrocédée à la France. Initialement intégrée au groupe des Seychelles, l’île Maurice en fut séparée administrativement à partir de 1903 et dotée d’un statut de colonie de la Couronne. En 1961, une première conférence constitutionnelle, réunie à Londres, amorça l’évolution politique du territoire suivant un processus comparable à celui qui avait conduit à l’émancipation des possessions françaises du continent africain et aboutit en 1964 à l’octroi de l’autonomie interne. L’année suivante, l’île fut le théâtre de troubles provoqués par l’affrontement des partis locaux, en désaccord sur l’avenir de la colonie, et le gouvernement britannique décida la réunion d’une seconde conférence constitutionnelle. Le principe de l’indépendance du territoire y était admis et une procédure assez complexe définie pour sa réalisation. C’est ainsi qu’une étape décisive était franchie le 7 août 1967 avec l’élection au suffrage universel de la première assemblée législative mauricienne à laquelle il appartenait de demander à la métropole la complète indépendance de l’île pour que celle-ci fût acquise au terme d’une période de six mois.
La composition de l’assemblée, où le « parti de l’indépendance » avait obtenu la majorité absolue, ne laissait aucun doute sur la volonté de la majorité des Mauriciens de prendre en charge les destinées de leur pays. L’un des premiers actes de l’assemblée fut donc de voter une résolution favorable à l’indépendance complète dans les délais prévus par les décisions de Londres de 1965. Il demeure qu’une forte opposition dans le pays et à l’assemblée (27 députés sur 70) estime prématurée cette mutation radicale. Les préférences du Parti mauricien social-démocrate (PMSD) de M. Gaëtan Duval allaient en effet à un statut de large autonomie avec maintien d’une association étroite avec la Grande-Bretagne qui aurait conservé la responsabilité de la défense et des relations extérieures. Dans les semaines qui ont précédé la proclamation officielle de l’indépendance, des troubles graves ont été suscités par les éléments créoles, principale clientèle de M. Duval, contre les membres de la communauté musulmane qui se sont ralliés au Parti de l’indépendance après avoir reçu des assurances des chefs de ce Parti en majorité indiens. Des renforts de troupes britanniques ont dû être dépêchés dans l’île pour y rétablir l’ordre avant le 12 mars. Si les cérémonies officielles se sont déroulées ce jour-là sans incidents sérieux, le PMSD ayant donné de simples consignes de non-participation, la tension demeure et la présence des forces britanniques semble seule empêcher des troubles graves dans l’immédiat.
La situation ethnique, politique et économique de l’île prédispose mal de l’avenir du jeune État. Aujourd’hui, la population mauricienne compte 51 % d’Indiens, 16 % de musulmans et 29 % de Créoles et d’Européens, 3 % de Chinois et quelques Africains. Du fait du taux de croissance démographique particulièrement élevé des éléments d’origine indo-asiatique, le déséquilibre actuel entre les ethnies ne cesse de s’accentuer au bénéfice de ceux-ci et fournit la justification du renforcement progressif de leur domination politique.
Cependant, les difficultés les plus graves que le gouvernement de Sir Ramgoolam va devoir maîtriser sont d’ordre économique. Elles résultent d’abord de l’accroissement accéléré du nombre des habitants, qui au rythme actuel, risque de dépasser 2 millions à la fin du siècle (800 000 aujourd’hui). Or, dès maintenant, se pose le double problème de la subsistance et surtout de l’emploi de cette population dont la moitié est âgée de moins de 20 ans et où l’on compte déjà près de 30 000 chômeurs (soit plus de 15 % de la population active). Le second facteur défavorable tient au fait que, dans cette île où la densité est l’une des plus forte du monde (425 au km2), l’économie est demeurée essentiellement agricole et, qui plus est, fondée sur la monoculture de la canne à sucre. L’écoulement de cette production (650 000 tonnes en 1967) s’avère de plus en plus difficile. Grâce aux accords particuliers conclus à l’intérieur du Commonwealth et aux tarifs préférentiels consentis par la Grande-Bretagne, les 8/5e de la récolte sont commercialisés à des prix satisfaisants mais il n’en est pas de même pour le reliquat.
Les efforts des nouveaux responsables des destinées de l’île portent donc en priorité sur la recherche de toutes les possibilités de diversifier l’économie, notamment par le développement du secteur industriel, et sur l’étude des mesures propres à enrayer la poussée démographique. L’industrialisation du pays requiert d’importants investissements, qui ne peuvent provenir que de l’étranger, et un effort considérable pour la formation professionnelle des Mauriciens. Dans l’immédiat, une répartition plus équitable des ressources agricoles motive le projet de réforme agraire mis au point par le gouvernement. Les terres productrices de canne à sucre (la moitié de la superficie de l’île) sont en effet possédées par un petit nombre de propriétaires fonciers qui recueillent une part excessive des bénéfices de leur exploitation. Mais un tel projet ne peut aboutir que dans un climat de concorde nationale et les récents affrontements raciaux risquent d’en retarder la réalisation.
Les cérémonies de l’indépendance ont fourni au Premier ministre l’occasion d’affirmer son optimisme quant à l’avenir économique de l’île. Il a notamment déclaré que « l’économie de l’île était viable et qu’il n’aurait pas recours aux nationalisations ». Devenant membre du Commonwealth à part entière, le jeune État pourra tirer profit de cette association de peuples et particulièrement des rapports d’égal à égal désormais établis avec la Grande-Bretagne « bastion de la démocratie ». Le Premier ministre compte aussi beaucoup sur une coopération plus étroite avec la France et il s’est montré très sensible à l’honneur fait à l’Île Maurice par le gouvernement français qui avait délégué l’un de ses membres aux fêtes du 12 mars.
L’Organisation des États riverains du fleuve Sénégal
Ainsi qu’ils l’avaient décidé lors de leur réunion en novembre dernier à Bamako, les chefs d’État de la Guinée, du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal, se sont retrouvés le 24 mars à Labé (Guinée) pour consacrer la substitution de l’ancien comité inter-États des riverains du fleuve Sénégal en une organisation mieux structurée, aux objectifs plus vastes. Le comité inter-États avait été créé en 1963 pour étudier un plan d’aménagement en commun de la vallée du fleuve et pour en déterminer les conditions de réalisation. Le nouveau groupement dont les statuts ont été adoptés le 24 mars, sous la dénomination d’Organisation des États riverains du fleuve Sénégal (OERFS), vise à organiser la coopération entre les quatre pays membres dans les domaines économique, social, culturel et même politique. Comme l’a souligné le président du Sénégal, M. Senghor, principal promoteur du projet, il s’agit de « construire par étapes une organisation modèle, puis une confédération modèle et, pourquoi pas, une fédération modèle ».
La conférence de Labé a décidé la création des organismes suivants qui assureront le fonctionnement de l’OERFS :
– la conférence annuelle des Chefs d’État ayant seule pouvoir de décision ;
– le Conseil des Ministres (bisannuel), organisme de conception, d’exécution et de contrôle des décisions des Chefs d’État, responsable devant eux ;
– le Conseil interparlementaire, composé de 20 députés (5 par État-membre) dont le rôle est consultatif ;
– le Secrétariat exécutif dont le siège est à Dakar et qui coiffe trois secrétariats permanents affectés : l’un à l’aménagement du bassin du fleuve, le second à la planification et au développement, le troisième aux Affaires éducatrices, culturelles et sociales.
Pour l’étude des autres problèmes auxquels les États membres estimeraient utile de rechercher une solution en commun, des commissions interministérielles spécialisées seront créées en tant que de besoin. Les chefs d’État semblent ainsi ne vouloir exclure a priori aucun domaine du champ de leur coopération.
Dans diverses déclarations, ils ont notamment mis l’accent sur deux objectifs essentiels de leur association :
– d’une part, leur permettre de mieux vaincre « le fléau dont leurs pays sont les victimes : le sous-développement », par une sorte de mise en commun de leurs potentiels respectifs ;
– d’autre part, contribuer à l’édification de l’unité africaine par la constitution de proche en proche de sous-groupes puis de groupes régionaux plus étendus.
L’organisation couvre en effet une superficie de 2 676 686 km2 où vivent aujourd’hui 12 668 000 habitants. Elle dispose d’importantes ressources d’origine minière (fer et cuivre en Mauritanie, bauxite, fer et diamants en Guinée, phosphates au Sénégal) et agricole (agrumes, café, cacao, fruits tropicaux en Guinée, arachides au Sénégal, élevage au Mali). Le groupe s’ouvre en outre sur une vaste façade maritime disposant d’un équipement portuaire suffisant pour répondre aux besoins des quatre États. Sans être complémentaires, les économies de chacun d’eux doivent retirer un grand bénéfice d’une harmonisation et d’une coordination de leurs plans de développement et spécialement de l’aménagement en commun du bassin du fleuve qui les unit.
Dans leur recherche de la réalisation progressive de l’unité africaine, on sait que les quatre chefs d’État, lors de leur rencontre de Bamako, avaient chargé le président mauritanien, Moktar Ould Daddah, d’une mission de persuasion auprès des dirigeants des dix autres pays de l’Afrique de l’Ouest en vue de la constitution d’un vaste groupement économique régional. Le communiqué publié à l’issue de la conférence de Labé exprime l’espoir que la réunion au Sommet des 14 États prévue à Monrovia (Liberia) aboutira effectivement à la création de ce nouvel ensemble.
Cependant, si les excellentes dispositions manifestées par les dirigeants de la Guinée, du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal à la conférence de Labé permettent de penser que l’OERFS peut effectivement prend corps, il est plus difficile d’envisager autrement que sur la carte la constitution à une échéance prévisible d’une organisation régionale cohérente des 14 États de l’Afrique de l’Ouest. En effet, ils auraient, au préalable, à surmonter de très sérieux obstacles, qui tiennent principalement à leur appartenance à des zones monétaires et à des systèmes économiques fort différents, sans parler des oppositions de doctrine politique, des problèmes linguistiques et aussi des influences extérieures qui s’exercent dans des sens divergents sur les différents États de la région.
Gabon : L’exploitation du minerai de fer de Mékambo
Le gisement ferrifère de Mékambo, situé au Nord-Est du Gabon, près de la frontière congolaise et à 450 kilomètres à l’Est de Libreville, avait été décelé dès la fin du XIXe siècle. Les prospections menées depuis 1938 ont conduit à la création du Syndicat de Mékambo en 1955 auquel a succédé, en 1959, la Somifer (Société des mines de fer de Mékambo) à laquelle a été accordée, en 1963, une zone d’exploitation et qui a fait procéder aux études complètes et à l’élaboration d’un avant-projet remis en 1965. Ces études ont confirmé la valeur de ce gisement dont les réserves globales sont estimées à près d’un milliard de tonnes d’ématite à 59/64 % de teneur moyenne et qui offre de larges commodités d’exploitation en carrière, au moins pour le site retenu en priorité, celui de Belinga. Le problème majeur demeure toutefois l’évacuation de ce minerai, puisqu’aucune voie de desserte de cette région n’existe actuellement et que le Gabon ne dispose pas, pour le moment, de port en eau profonde. La rentabilité de l’exploitation est donc subordonnée à la réalisation d’une voie ferrée qui aboutira au port en construction d’Owendo, à proximité de Libreville. L’état d’avancement des études de ces projets complémentaires est tel, aujourd’hui, que l’on peut envisager comme probable la phase de réalisation, encore que les problèmes de financement ne soient pas entièrement résolus.
En matière d’exploitation, les études effectuées pour le compte de la Somifer, fondées d’une part sur l’évolution prévisible du marché dans les prochaines décennies, d’autre part sur le coût des installations et le prix de revient du produit, ont conclu à la rentabilité de l’exploitation dans l’hypothèse d’une production initiale de 5 millions de tonnes annuelles, à partir de 1975-1976, portée à 7 à 8 M de tonnes en 1980, puis à 15 M de tonnes ultérieurement. Ainsi pourraient être amortis les investissements à consentir par la Société, évalués à 700 MF pour les équipements miniers, l’acquisition du matériel roulant, les installations terminales et le port minéralier d’Owendo. L’ampleur même de ces investissements explique les difficultés pour réunir les moyens de financement. Le capital actuel de la Somifer est réparti, à parts égales, entre la Bethleem Steel et divers actionnaires européens. Or, la Société américaine tendrait à réduire sa participation à 33 % ou même 25 %, laissant à ses partenaires européens une charge accrue en matière de recherche de capitaux. Le gouvernement gabonais, désireux de voir aboutir promptement le projet, souhaiterait que les actionnaires français, publics et privés, qui détiennent 34 % des parts, s’engagent plus résolument, le complément demeurant assuré par les groupes financiers d’autres pays du Marché commun. Si ces difficultés sont résolues en temps voulu, les travaux pourraient débuter dans un délai d’une à deux années.
Pour ce qui concerne la voie ferrée, les études définitives sont désormais achevées. Le tracé, long de 560 kilomètres et comportant d’assez nombreux ouvrages d’art, est établi pour un débit possible de 12 M de tonnes, pouvant être porté à 20 M. La voie est à l’écartement européen (1,435 mètre) et capable de supporter des convois de 15 000 t, soit une capacité utile de 12 000 t, à la descente. La construction de cette voie et la création d’une société d’exploitation sont à la charge de l’État gabonais, propriétaire du réseau, le matériel roulant pour l’évacuation du minerai étant en revanche acquis et géré par la Somifer. Les études ont été financées par des organismes publics internationaux. Le coût des travaux proprement dits est évalué à 750 MF. Les négociations se poursuivent entre le gouvernement gabonais et les organismes publics et privés qui pourraient contribuer à leur financement. Deux années apparaissent nécessaires pour l’aboutissement de ces pourparlers mais les appels d’offres pourraient d’ores et déjà être lancés et des travaux pourraient débuter vers 1969-1970.
La construction du port minéralier à Owendo, à réaliser par la Somifer, a fait également l’objet d’études approfondies. Le quai de chargement de 800 m capable d’accueillir des minéraliers de 60 000 t, un poste d’attente, les installations de stockage et de traitement du produit seront contigus au port commercial d’Owendo, entré pour sa part dans la phase de réalisation grâce aux concours financiers obtenus par le Gabon, dont 67 MF octroyés par le Fonds européen de développement.
La rentabilité du projet est désormais prouvée ; le gouvernement gabonais a su, par sa politique libérale, gagner et conserver la confiance des entreprises privées ; ses ressources diversifiées et substantielles lui permettent enfin de contracter des emprunts auprès des organismes publics. Les conditions paraissent donc réunies pour qu’aboutissent, à terme rapproché, les négociations en cours. Le rythme d’expansion de l’économie gabonaise, supérieur déjà à la moyenne de l’Afrique noire, pourra de la sorte être entretenu durant les prochaines décennies, voire même s’amplifier par les effets d’entraînement de cette nouvelle source de richesse.