Militaire - Modifications des structures des forces terrestres de manœuvre - Mise sur pied d'unités francophones au Canada - Réduction des crédits de défense en Allemagne fédérale - Belgique et Pays-Bas : renouvellement des chars de combat - L'URSS et le Moyen-Orient - L'aide soviétique au Vietnam
Modifications des structures des Forces terrestres de manœuvre
La Division 59 à l’épreuve
En 1967, depuis presque 10 ans, nos Forces de manœuvre se composaient essentiellement de 4 Divisions du type 1959. Conçue à partir d’études lancées vers 1953, la Division type 1959 avait remplacé la Division type 1945 datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale, donc antérieure au fait nucléaire.
Depuis 1959, date de leur adoption, les structures de cette division faisaient l’objet de nombreuses expérimentations, tant en France que dans le cadre des Forces françaises d’Allemagne (FFA), pour juger de leur efficacité dans un combat en ambiance nucléaire. Parallèlement, les études se poursuivaient et d’autres types de structures élémentaires, comme le Régiment interarmes au sein duquel les différentes Armes étaient étroitement intégrées, étaient également testées en vraie grandeur sur le terrain.
Les conclusions de ces expérimentations, jointes à celles de nombreux groupes de travail chargés d’étudier certains problèmes particuliers, comme le système Pluton (système d’arme sol-sol nucléaire tactique) ou la fonction Commandement et liaisons appropriées, concordaient pour reconnaître que la Division type 1959 était en fait assez mal adaptée à une action en ambiance nucléaire :
– ses quelque 20 000 hommes en faisaient un ensemble lourd, difficile à commander ;
– l’existence en son sein de nombreuses unités motorisées réduisait considérablement sa mobilité tout terrain, alors que l’absence de moyens de combat et de transport de troupe à atmosphère interne surpressée et filtrée en interdisait l’emploi dans les zones touchées par des feux nucléaires, tant ennemis qu’amis ;
– enfin, ses matériels eux-mêmes, d’origine étrangère pour beaucoup, étaient souvent dépassés techniquement par les matériels en dotation dans les Armées des autres pays et ils atteignaient pour certains d’entre eux, comme les véhicules de transport, un degré d’usure avancé.
L’évolution des idées et des techniques
D’autres considérations sont entrées également en jeu pour qu’une réforme de nos Forces de manœuvre soit entreprise rapidement et, en tout premier lieu, l’évolution du concept d’emploi de ces Forces.
Le Gouvernement a, en effet, prescrit à toutes les forces une attitude résolument offensive contre toute agression menaçant le territoire national, et a décidé de doter l’Armée de terre d’un armement nucléaire tactique sol-sol national. Il convenait donc d’organiser les forces de manœuvre en grandes unités modernes puissantes et très mobiles, donc entièrement mécanisées, aptes à combattre en ambiance nucléaire et chimique.
Ces mêmes impératifs de souplesse d’emploi et de grande mobilité devaient se traduire dans le domaine logistique par l’adoption d’un système de ravitaillement et de soutien de ces grandes unités adapté à des opérations pouvant être soudaines, brutales et vraisemblablement de courte durée.
De plus, l’évolution des techniques et la mise au point de matériels nouveaux très élaborés impliquaient une révision des structures des unités qui devaient en être dotées pour en assurer le meilleur service possible.
D’autre part, la réduction prévisible à courte échéance de la durée du service militaire, par les incidences qu’elle pouvait avoir sur le volume et la nature des différentes catégories de personnels disponibles pour l’Armée de terre et sur les conditions de leur instruction, nous obligeait également à revoir les structures de nos Forces.
Enfin, les 1re et 2e Lois de programme, qui couvraient respectivement les périodes 1960-1964 et 1965-1970, prévoyaient 5 Divisions mécanisées pour notre Corps de bataille ; or, celui-ci n’en comportait toujours que 4 en 1967.
La décision
C’est pour l’ensemble de ces raisons qu’en avril 1966, Pierre Messmer, le ministre des Armées a décidé d’adopter de nouvelles structures divisionnaires destinées à remplacer celles de la Division du type 1959 (les Forces d’intervention et de défense opérationnelle du territoire (DOT) ne seront l’objet dans les prochaines années que d’aménagements mineurs).
La décision de créer la 5e Division fut prise en juillet 1967.
Profitant des travaux et expérimentations antérieures, des études ont abouti à la définition d’une Division mécanisée de type unique, et non plus à option blindée ou mécanisée comme dans la Division type 1959. Ce nouveau type de Division mécanisée, d’un effectif de 14 000 hommes, a servi de base à l’établissement du plan à long terme de l’Armée de terre paru en mars 1967.
Ainsi, a-t-il été possible, sans accroître le volume des effectifs consenti à l’Armée de terre, de dégager les personnels nécessaires à la nouvelle division en redistribuant les effectifs des 4 divisions existantes entre 5 divisions d’un volume moindre, tout en effectuant le maximum d’économies dans les autres domaines, tels que l’instruction et l’infrastructure.
La nature de l’évolution
Conduites de 1961 à 1966 avec le souci de se placer dans la réalité, ou de s’en approcher le plus possible, les expérimentations ont successivement permis de mesurer l’efficacité réelle des différents types de formations des niveaux régiments et sous-groupements mécanisés puis, à l’échelon de la division, d’étudier en détail l’articulation du commandement et des PC, l’organisation du renseignement et la mise en œuvre des moyens atomiques. Les options suivantes ont été prises dans les domaines nucléaire, classique et logistique.
Les feux nucléaires. – Leur souplesse d’emploi, leur rapidité de mise en œuvre et leur portée font des matériels Pluton sur châssis AMX-30 une arme qui couvre les besoins de l’Armée de terre. Ce matériel équipera donc les unités de lancement actuellement prévues : régiment de Corps d’armée (CA), régiment divisionnaire.
Les moyens classiques. – Les expérimentations Masséna ont montré que, si l’intégration interarmes est avantageuse, le régiment mécanisé, dans sa forme initialement envisagée en 1968, est trop lourd et que toute structure interarmes doit rechercher en priorité la mobilité, l’homogénéité et la capacité antichar.
• La mobilité sera obtenue par la mécanisation quasi complète de formations d’un volume volontairement limité, la capacité amphibie ou submersible des principaux matériels, l’augmentation de la portée des moyens de transmissions, le renforcement des moyens de l’Alat au niveau des Corps d’armée et Divisions, la modernisation des engins de franchissement du Génie.
• L’homogénéité a été réalisée par la constitution de 15 brigades d’un type unique, qui seront les 15 pions de base de la manœuvre des moyens classiques. C’est à leur niveau que seront coordonnées les actions des groupements blindés et mécanisés et les applications des feux classiques.
• La capacité antichar est assurée par un Régiment de chars AMX-30 par Brigade et par une large dotation des unités mécanisées en engins antichars de différents types : lance-missiles de portée 3 000 mètres sur engins blindés, missiles légers d’infanterie Milan de portée 2 000 m, armes antichars collectives ACL de portée 400 m. Dans chacune des 15 brigades, un régiment d’artillerie équipé en 155 automouvants prolongera cette action.
La logistique. – La mobilité et la souplesse s’opposent à une logistique trop lourde, ce qui conduit à n’affecter aux différents échelons que les moyens strictement nécessaires au combat.
Le soutien logistique à l’échelon brigade est allégé. Les possibilités de soutien de certains services divisionnaires sont réduites et les divisions font plus largement appel au Corps d’armée qui est doté de moyens mobiles pour renforcer les divisions jusque dans la zone des combats. Le CA dispose, dans sa zone, d’un réseau de dépôts multiservices d’importance moyenne, suffisamment développé pour réduire la vulnérabilité de l’ensemble. La notion de groupement logistique est ainsi rendue plus dynamique.
La simplification et l’accélération des transports sont obtenues par l’emploi généralisé des ravitaillements palettisés, manipulés par engins de levage. Les ruptures de charge sont réduites par un système d’échange de camions vides contre camions pleins avec échange simultané des chauffeurs, qui restent ainsi affectés à un circuit.
Le potentiel du temps de paix des forces sera maintenu à un niveau suffisant pour leur permettre d’entrer en campagne sans préavis, car il n’est plus possible d’escompter les alimenter avec des ressources qui n’existeraient pas à l’ouverture du conflit.
Les modalités d’exécution de la réforme
Les changements décidés se réaliseront par étapes entraînant quelques modifications d’implantation.
Les étapes. – À la fin de l’année 1968, les 15 brigades des forces de manœuvre, groupées dans 5 divisions, seront constituées. Près de cinquante corps de troupe seront mis sur le nouveau type dès 1968 soit par création, soit par transformation. Toutefois, 5 brigades, une par division, seront provisoirement maintenues sur un type motorisé jusqu’à la livraison des matériels nécessaires à leur passage sur le type unique mécanisé.
L’application des nouveaux tableaux d’effectifs et de dotations en matériel s’étalera au moins jusqu’en 1972. La transformation des brigades provisoirement motorisées en type mécanisé et l’équipement des divisions en matériel Pluton auront lieu ensuite.
L’implantation. – Les neuf brigades des 4e, 7e et 8e Divisions, qui forment le 1er CA, seront stationnées en métropole dans les régions suivantes :
– Verdun pour la 4e Division,
– Mulhouse pour la 7e Division,
– Compiègne pour la 8e Division.
Les 1re et 3e Divisions, stationnées en République fédérale d’Allemagne, seront alignées sur les nouvelles structures, constituant le 2e CA au sein du Commandement en chef des FFA.
L’instruction. – L’instruction sera conduite suivant une procédure décentralisée sous la responsabilité des généraux commandant les 15 brigades chaque fois que le jumelage d’un régiment d’infanterie mécanisée (VTT) et d’un régiment d’arme blindée cavalerie ou ABC (AMX-13) pourra être réalisé dans la brigade, et sous la responsabilité des généraux commandant de division dans tous les autres cas, conformément aux directives qu’ils recevront du général Commandant en chef les FFA ou du général commandant le 1er CA.
Cette instruction aura pour effet d’assurer la formation technique des personnels et de leur faire acquérir l’aptitude à mettre en œuvre les unités de l’échelon section et peloton. Leur formation tactique, au niveau compagnie, escadron et au-dessus, sera entreprise suivant les directives d’emploi qui paraîtront.
Des programmes type de stage de reconversion pour les cadres de l’infanterie mécanisée, destinés aux escadrons de chars AMX-13, et pour les cadres de l’ABC, destinés aux compagnies des régiments mécanisés, ont été établis et diffusés. Des stages de formation de chefs de groupe de chars, de chefs de chars-missiles, de spécialistes tourelle, de pilotes et de tireurs ont été ouverts aux personnels des régiments d’infanterie mécanisée.
Mise sur pied d’unités francophones au Canada
Les militaires canadiens français représentent 20 % des effectifs de l’Armée de terre, 10 % de ceux de la Marine et 14 % de ceux de l’Aviation. Or, ils n’ont pas, dans les différents grades, les places que justifient ces effectifs.
Le général Allard, chef d’état-major de la Défense, estime que cette situation est la conséquence des difficultés linguistiques. Par tradition, les armées canadiennes sont anglophones ; d’autre part les Canadiens français ne peuvent entreprendre des études techniques que s’ils connaissent l’anglais, les livres et la documentation technique n’étant imprimés que dans cette langue. Or, le bilinguisme apparaît comme une utopie au général Allard qui propose, pour remédier à cette situation, de créer des unités francophones et de n’imposer le bilinguisme qu’aux officiers, voire même aux seuls cadres supérieurs ; il envisage en outre de créer une école technique pour la formation des futurs sous-officiers spécialistes. D’ores et déjà, le Conseil des ministres aurait approuvé :
– que le destroyer d’escorte, avec plateforme pour hélicoptères, Ottawa, soit doté d’un équipage entièrement francophone (ce serait le premier de la marine canadienne), ainsi que l’un des deux bâtiments logistiques qui doivent être mis en chantier incessamment ;
– que l’escadron de CF-5 Freedom Fighter basé à Bagotville soit la première unité aérienne navigante canadienne française ;
– que 2 stations radar de la « Pinetree Line » et la base de Bomarc, située à 40 km au Nord de Montréal, soient servies par du personnel d’expression française.
Réduction des crédits de défense en Allemagne fédérale (RFA)
Le budget fédéral pour l’exercice 1968 a été approuvé par le Bundestag. Il s’élève à 80,7 milliards de Deutsche Marks (environ 100 Mds de francs). Mais pour compenser certaines majorations de crédits au profit du secteur social et de l’aide aux Länder (environ 1 Md de DM), des économies sont prévues aux dépens du budget de la défense qui n’atteindra que 18,054 Mds de DM, soit 22,4 % du budget fédéral au lieu de 28,8 % en 1965 et 32,9 % en 1963.
Cette réduction constante des crédits militaires inquiète M. Schroeder, le ministre fédéral de la Défense, qui a déclaré que si ce mouvement n’était pas arrêté, la sécurité de l’Allemagne pourrait être mise en cause. Il estime, en effet, que la menace venant de l’Est, non seulement n’a pas diminué, mais s’est aggravée du fait de l’augmentation très sensible des dépenses militaires dans les pays de l’Est pour 1968 : en URSS de 18 %, en Pologne de 10 %, en Tchécoslovaquie de 12 %, en Bulgarie de 11 %, en Hongrie de 14 % et en République démocratique allemande (RDA) de 62 %.
M. Schroeder a rappelé les trois objectifs essentiels du gouvernement : maintenir l’effort de défense, contribuer au développement de l’Otan, mettre au point des armements nationaux en sus de ceux élaborés par les Alliés.
Puis il a souligné que les crédits militaires étaient mal utilisés car 31 % seulement du total des crédits sont affectés aux dépenses d’investissement contre 69 % aux dépenses de fonctionnement (66,3 % en 1967).
Belgique et Pays-Bas : renouvellement des chars de combat
Dans notre chronique de février 1968, nous avons annoncé la décision de la Belgique de remplacer ses chars de combat périmés par des engins allemands Leopard. Le premier de ces chars a été livré officiellement le 28 février 1968.
La commande de 334 chars s’échelonnera jusqu’à juin 1970 dans les conditions suivantes :
– 34 engins d’ici fin octobre 1968 ;
– 120 de novembre 1968 à octobre 1969 ;
– le reliquat – soit 180 – de novembre 1969 à juin 1970.
Le ministre des Affaires économiques belge a fourni des précisions sur les conditions dans lesquelles s’effectuerait en Belgique, au titre des compensations, la révision des matériels blindés de la Bundeswehr.
La répartition des matériels a tenu compte de la situation géographique et particulièrement du problème linguistique :
M113 dans la province du Hainaut (224 millions de FB)
HS30 dans la province d’Anvers (351 M de FB)
Leopard dans la province de Liège (280 M de FB)
* * *
Le gouvernement néerlandais n’a pas encore pris de décision au sujet du remplacement des chars britanniques Centurion actuellement en service, par un matériel plus moderne.
Aux deux chars en compétition, le Leopard allemand et le Chieftain britannique s’ajoute maintenant le MBT-70 américano-allemand. Mais, pour des raisons économiques, l’état-major néerlandais envisage de prolonger, en les rénovant, les chars Centurion, ce qui lui permettrait d’attendre la fabrication en série des MBT-70 qui auraient sa préférence.
Le gouvernement des Pays-Bas étudie d’ailleurs, à la fois, les qualités de ces engins et leur prix de revient. Le secrétaire d’État pour l’Armée de terre s’est en effet rendu aux États-Unis pour assister à des tirs et à des essais, tandis qu’une mission d’experts doit procéder sur place à une étude économique concernant un achat éventuel.
En tout état de cause, le gouvernement néerlandais exigera une couverture du marché par des compensations qui devraient atteindre au moins 50 %.
L’URSS et le Moyen-Orient
Le Maréchal Gretchko, ministre de la Défense de l’URSS s’est rendu en visite officielle du 20 mars au 2 avril 1968, successivement en Irak et en République arabe unie (RAU). Certaines informations de presse précisent que sa mission en Irak consistait à étudier les problèmes d’aide militaire soviétique, compte tenu des récents accords franco-irakiens.
En Syrie, il a visité le port de Lattaquié, centre principal de débarquement des matériels soviétiques, et s’est assuré de l’emploi des armes fournies par l’URSS.
En Égypte, enfin, après avoir parcouru la zone névralgique de Suez-Ismaïlia, il s’est informé de l’état de préparation des forces égyptiennes.
L’aide soviétique au Vietnam
L’agence Tass a publié le 19 mars 1968 un communiqué annonçant qu’en 1968 l’URSS augmenterait son aide au Vietnam de 20 %. Il s’agit strictement des moyens acheminés par voie maritime. Mais cet accroissement va constituer une charge particulièrement lourde pour l’URSS, en raison de la fermeture du canal de Suez. Le chef de bataillon Louis-Jean Duclos explique dans son article intitulé « Conséquences de la fermeture du canal de Suez » (n° de mars 1968) les conséquences qu’implique pour l’URSS l’augmentation de la longueur du trajet.