Outre-mer - L'organisation régionale de l'Afrique de l'Ouest - L'Union des États d'Afrique centrale - Nouveau coup d'État en Sierra-Leone
L’organisation régionale de l’Afrique de l’Ouest
La décision prise à Monrovia, le 23 avril 1968, de constituer une Organisation de l’Afrique de l’Ouest est une nouvelle manifestation du désir de regroupement qui anime la plupart des dirigeants des États africains. Ceux-ci ont en effet pris de plus en plus conscience des très graves inconvénients de l’actuel morcellement du continent, conséquence de l’éclatement des anciennes fédérations coloniales (Afrique occidentale française ou AOF, Afrique équatoriale française ou AEF, Afrique orientale britannique, Fédération Rhodésies-Nyassaland) au fur et à mesure de l’accession à l’indépendance des territoires qui les composaient.
Dès le 7 novembre 1967, les chefs des États riverains du fleuve Sénégal (Guinée, Mali, Mauritanie, Sénégal), réunis à Bamako, avaient pris l’initiative de proposer la convocation à Monrovia, dans la seconde quinzaine d’avril, d’une conférence au sommet des quatorze pays de l’Afrique de l’Ouest (1) pour étudier la constitution d’un vaste groupement régional aux objectifs essentiellement économiques. Mandaté par ses partenaires de l’Organisation des États riverains du fleuve Sénégal, le président mauritanien Moktar Ould Daddah fit la tournée des capitales des dix autres pays pour recueillir l’accord de leurs dirigeants. Il reçut auprès de la plupart d’entre eux un accueil favorable mais rencontra aussi quelques réticences, notamment dans les États de l’Entente où, tout en reconnaissant le grand intérêt de l’entreprise, on insistait sur l’extrême prudence avec laquelle il fallait procéder, du fait des problèmes assez ardus qu’allait poser la coopération entre des États appartenant à des systèmes économiques et monétaires différents, s’inspirant de principes politiques difficilement conciliables et déjà intégrés dans d’autres groupements particuliers (Entente, OCAM, Commonwealth).
La conférence de Monrovia put cependant être organisée à la date prévue mais neuf États seulement y furent représentés. Quatre pays de l’Entente (Côte d’Ivoire, Dahomey, Niger, Togo) estimèrent la réunion prématurée. Quant à la Sierra Leone, qui était prête à participer, elle ne fut pas en mesure d’envoyer des délégués par suite du coup d’État qui avait remis tout en question le 18 avril.
Dans ces conditions, les chefs d’État présents les 22 et 23 avril dans la capitale du Liberia ne se trouvèrent pas en mesure d’entreprendre de façon très concrète la mise sur pied de l’Organisation projetée en l’absence de plus du tiers des membres qui doivent la former. Aussi la Conférence s’est-elle limitée à établir un protocole prévoyant les principales étapes qui, d’ici un an, permettront d’aboutir au but recherché par les promoteurs :
– préparation d’un projet de charte définissant les buts et les conditions de fonctionnement de l’Organisation et dont la rédaction a été confiée au Liberia et au Sénégal ;
– réunion d’un Conseil interministériel des 14 États dans le courant du 4e trimestre de cette année pour examen et mise en forme du projet de charte ;
– conférence au sommet des chefs d’État à Ouagadougou en avril 1969 pour adoption définitive de la charte et définition des mesures à prendre pour organiser la coopération entre les pays membres.
Il y a lieu de relever l’esprit de modération et de conciliation qui a animé la Conférence de Monrovia où en particulier la délégation du Ghana a côtoyé le président de la République de Guinée sans que l’ombre de l’ex-président N’Krumah, réfugié dans ce pays, ait paru troubler la sérénité des débats. L’organisation de l’Afrique de l’Ouest a ainsi pris un départ encourageant pour ses promoteurs. Cependant, les obstacles à surmonter pour rendre cohérent un tel ensemble sont nombreux et il faudra beaucoup de temps pour que se réalise l’intégration économique du groupe.
L’Union des États d’Afrique centrale (UEAC)
On sait que le 1er février 1968 les trois chefs d’État de la République démocratique du Congo (Kinshasa), de la République centrafricaine et du Tchad avaient décidé, au cours d’une rencontre à Bangui, de grouper leurs pays au sein d’une organisation nouvelle qui devait prendre la dénomination d’États-Unis d’Afrique centrale (cf. chronique « Outre-mer » d’avril 1968).
Des réunions de ministres des trois pays se tenaient peu après, principalement à Kinshasa, afin de faire prendre corps au projet et de mettre au point le texte d’une charte de l’organisation. L’accord s’étant rapidement établi, les trois chefs d’État se sont retrouvés le 2 avril à Fort-Lamy pour y signer le document qui constitue la Charte de l’« Union des États d’Afrique centrale » (UEAC), titre définitivement retenu pour le nouveau groupement.
Ce texte organique jette d’abord les bases d’un « marché plus commun et plus cohérent » où seront harmonisées les politiques d’industrialisation, les plans de développement, la fiscalité, les systèmes de transports et de télécommunications. Il est prévu l’établissement d’un tarif douanier unique, l’interdiction de toute taxe sur les produits de l’Union, l’abolition de toute entrave à la libre circulation des personnes et des, capitaux à l’intérieur de l’Union. Un code d’investissements favorisera les régions éloignées de la mer (RCA, Tchad) où les conditions d’industrialisation sont plus onéreuses. Répondant aux mêmes préoccupations, la Charte prévoit la création d’un fonds de compensation et d’investissement, d’une banque d’investissement et l’institution d’une taxe à l’importation destinée à favoriser l’utilisation des produits de l’Union.
Un second volet fort important de la Charte est réservé à l’organisation de la sécurité commune qui institue la solidarité et l’assistance militaire des États membres contre toute agression extérieure, l’échange de renseignements, l’assistance réciproque pour juguler la subversion sur le territoire de l’Union et l’échange des criminels.
Dans une troisième partie, traitant du renforcement de la coopération culturelle, il est prévu l’échange de professeurs, d’étudiants, d’artistes et de sportifs, la création de bourses communes et l’accès de tous les établissements scolaires et universitaires des trois États à tous les ressortissants de l’Union.
Le général Mobutu a été désigné comme président de l’UEAC pour la première année.
Dans diverses déclarations qui ont suivi la signature officielle de la Charte, les chefs d’État ont précisé que les trois pays demeuraient associés à la CEE (Communauté économique européenne) et membres de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) et de l’OCAM (Organisation commune africaine et malgache). En revanche, le président Tombalbaye a annoncé le retrait du Tchad et de la RCA de l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (UDEAC) qui les liait au Cameroun, au Gabon et au Congo-Brazzaville.
Il semble que les trois présidents soient pressés de passer rapidement à la réalisation des objectifs qu’ils se sont fixés. Après la cérémonie de Fort-Lamy, ils ont gagné ensemble Bangui, puis Kinshasa où, dès le 8 avril, ils ont décidé un certain nombre de mesures d’application, en particulier :
– mise en commun des services de transports maritimes, fluviaux, ferroviaires et aériens des trois pays avec création d’une compagnie aérienne commune « Air Afrique Centrale » ;
– organisation immédiate de la coopération entre les services de sécurité des trois pays pour l’échange des renseignements ;
– constitution d’un fonds de démarrage pour permettre le fonctionnement immédiat du secrétariat permanent de l’UEAC.
Le 20 avril, les trois Présidents se retrouvaient à Bangui pour poser la première pierre du siège de l’Union. À cette occasion et en attendant la création de la Compagnie Air Afrique Centrale, ils ont décidé que les appareils civils et militaires des trois pays pouvaient survoler librement le territoire de l’Union et utiliser tous les aérodromes s’y trouvant.
Le succès des trois promoteurs de l’Union n’apparaît cependant pas complet car, jusqu’à ce jour, les divers États pressentis pour adhérer à l’UEAC sont demeurés dans l’expectative (Ruanda, Burundi) ou s’y sont montrés opposés (Gabon, Cameroun, Congo-Brazzaville). La création de l’UEAC, qui se voulait l’amorce d’un vaste regroupement africain, a eu au contraire pour première conséquence de provoquer la dissociation d’un groupement préexistant, l’UDEAC. La possibilité de voir se former une nouvelle union concurrente rassemblant les États côtiers (Cameroun, Gabon, Congo-Brazzaville) n’est en effet pas à écarter en dépit des réticences de Brazzaville à s’engager dans une organisation qui risquerait de nuire à ses rapports avec sa grande voisine : Kinshasa.
Tout compte fait, l’initiative des présidents Mobutu, Tombalbaye et Bokassa apparaît comme une nouvelle tentative de remembrement de l’Afrique en réaction contre l’organisation léguée par les puissances colonisatrices. Mais, pour l’instant du moins, l’apparition de l’UEAC a porté un préjudice certain à l’harmonie qui s’était maintenue dans cette partie du continent sans que l’on puisse encore percevoir le bénéfice que ses promoteurs pourront en retirer.
Nouveau coup d’État en Sierra Leone
Le 18 avril, la junte militaire au pouvoir en Sierra Leone depuis mars 1967 a été renversée par un groupe de militaires et de policiers se disant agir au nom d’un « mouvement révolutionnaire contre la corruption ». Le général Andrew Juxon Smith et les membres de son gouvernement, ainsi que plusieurs dizaines d’officiers de l’armée et de la police, ont été mis en état d’arrestation sans opposition sérieuse. À l’exception de quelques incidents rapidement maîtrisés et localisés dans la capitale, Freetown, où l’on a signalé des fusillades ayant fait une dizaine de victimes, l’événement n’a suscité aucune réaction apparente dans le pays. Cette passivité de la population témoigne de son peu d’attachement à l’équipe en place depuis un peu plus d’un an. Une telle attitude s’explique à la fois par les conditions dans lesquelles le général Juxon Smith est parvenu au pouvoir en mars 1967 et par l’impuissance que son gouvernement a manifestée depuis lors à restaurer un régime politique normal et à redresser la situation économique d’un pays qui dispose pourtant de ressources et de possibilités que beaucoup d’autres États africains peuvent lui envier.
Indépendante depuis le 27 avril 1961, la Sierra Leone a vécu les six premières années de son existence d’État souverain dans un calme assez exceptionnel pour l’Afrique. Les élections législatives organisées en mars 1967 ayant alors retiré la majorité au parti du Premier ministre, Sir Albert Margai, au profit de l’opposition, le Chef d’état-major des forces armées, le général David Lansana, s’était emparé du pouvoir, avec l’accord tacite du Premier ministre battu, afin d’empêcher son vainqueur, M. Siaka Stevens, d’y accéder. En quelques jours, deux autres chefs militaires devaient successivement s’assurer les leviers de commande : le lieutenant-colonel Ambrose Genda, puis le colonel Juxon Smith promu, depuis lors, général. Celui-ci suspendait la Constitution et formait un « Conseil national de réforme » (CNR) tenant lieu de gouvernement. En dépit des déclarations d’intention du général Juxon Smith se présentant comme favorable à la restauration de la légalité constitutionnelle, celui-ci menait son action de façon à conserver le pouvoir coûte que coûte, non sans rencontrer d’ailleurs une opposition croissante au sein même du CNR. M. Siaka Stevens, chef de l’All People’s Congress (APC), qui avait remporté la victoire aux élections, devait peu à peu abandonner tout espoir de se voir confier légalement les responsabilités gouvernementales.
Durant le même temps, les divisions internes du CNR s’accentuaient, paralysant la conduite des affaires de l’État, empêchant toute réforme sérieuse (en dépit de son titre) et entraînant une dégradation de la situation économique et financière. Les mêmes dissensions se retrouvaient entre cadres supérieurs de l’armée et de la police, suivant l’attitude de leurs chefs de file respectifs au sein du CNR.
La population demeurait, elle aussi, divisée sous l’action d’influences tribales et confessionnelles toujours vivaces qui s’opposent et se neutralisent. Dans ces conditions, faute de pouvoir s’appuyer sur un mouvement populaire organisé pour renverser la junte, les chefs de l’opposition se convainquirent qu’ils ne pourraient parvenir à leurs fins qu’en agissant sur les cadres subalternes de l’armée et de la police qui, seuls, disposaient de la force capable de renverser l’équipe en place. La manœuvre a réussi puisque l’exécution du coup d’État du 18 avril a été menée par un groupe de sous-officiers.
Dès le lendemain, un Conseil national intérimaire de sept officiers était constitué (quatre de l’armée, trois de la police) et de nouveaux chefs portés à la tête des forces armées : les colonels David Bangura et Ambrose Genda, connus pour s’être déjà opposés à Sir Albert Margai en mars 1967. Appliquant sans tarder son programme de restauration du pouvoir civil, le Conseil national intérimaire a confié les fonctions de Premier ministre à M. Siaka Stevens et convoqué l’Assemblée parlementaire élue il y a un an et qui n’avait jamais été autorisée à siéger.
Ainsi, après une période de confusion et d’incertitude qui a duré treize mois, se trouvent rétablies à Freetown les conditions constitutionnelles normales d’exercice du pouvoir. Une tâche difficile attend les nouveaux dirigeants qui devront réparer les graves dommages dont ont souffert les appareils administratif, militaire et économique du pays, sous le régime d’exception de Juxon Smith.
(1) En plus des 4 pays précités, il s’agit de la Côte d’Ivoire, du Dahomey, de la Gambie, du Ghana, de la Haute-Volta, du Liberia, du Niger, du Nigeria, de la Sierra Leone et du Togo