Démilitarisation et réarmement en Allemagne
Ce volumineux ouvrage a été publié sous le patronage de la très officieuse « Société allemande pour la Politique étrangère », dont le conseil d’administration comprend de hautes personnalités de la République fédérale d’Allemagne (RFA), et en particulier le Chancelier actuel Kiesinger.
Comme l’indique son titre, cet ouvrage porte d’abord sur la période de démilitarisation, ensuite sur celle de réarmement qui s’est dessinée à partir de 1948. Son but est de montrer combien, pendant les périodes considérées, les Allemands ont été dans la dépendance des organisations internationales. La conclusion souligne d’ailleurs qu’en politique internationale, l’Europe centrale a été, de 1945 à 1935, ravalée au rôle d’objet.
I. – Période de démilitarisation
Dès 1943, les Alliés estiment qu’il faut préparer un plan pour désarmer les Allemands, responsables des deux guerres mondiales. Cependant, les Américains, et encore plus les Britanniques, pensent déjà que, dans l’avenir, il pourrait y avoir un danger autre que le danger allemand et que, par conséquent, le plan de désarmement doit être conçu de façon à limiter l’expansion des Soviétiques en Europe.
En août 1944, tout change, avec l’intervention inattendue du ministre des Finances des États-Unis, Morgenthau, qui qualifie de trop doux les plans de la diplomatie et de l’armée américaines. Il veut, non seulement démilitariser l’Allemagne, mais aussi détruire son potentiel industriel. Il rallie à son point de vue Roosevelt et, partiellement, le commandement militaire américain qui pense déjà à se désengager en Europe pour pouvoir s’engager à fond contre le Japon, après la défaite de l’Allemagne. Cependant, la diplomatie américaine est opposée au Plan Morgenthau ; elle espère que les Britanniques s’y opposeront fermement. Effectivement, à Québec, en septembre 1944, Churchill s’écrie que la destruction de l’industrie allemande équivaudrait à « s’attacher un cadavre au cou ». Mais comme il a besoin de l’appui financier américain, il ne rejette pas entièrement les conceptions de Morgenthau.
En février 1945, à Yalta, ces conceptions reçoivent l’agrément des Soviétiques. Mais, pour ceux-ci, la destruction du potentiel allemand ne constitue qu’un premier stade. Ils espèrent, en effet, qu’elle sera suivie d’une reconstruction sur le modèle communiste, ouvrant la voie à la soviétisation de toute l’Europe.
Bien qu’après la mort de Roosevelt, son successeur, Truman, ait écarté Morgenthau du pouvoir, les conceptions de celui-ci servent encore de base pour l’établissement des Accords de Potsdam, en juin 1943. En effet, le commandement militaire américain espère toujours qu’un accord avec les Soviétiques lui permettra de se désengager en Europe. D’autre part, des facteurs d’ordre émotionnel interviennent : le spectacle des camps de déportés justifie le châtiment et celui des destructions exécutées par les Allemands eux-mêmes sur leur propre territoire écarte les scrupules.
Quand il s’agit de passer à l’application, on s’aperçoit que l’accord réalisé à Potsdam a été purement verbal. Pour les Soviétiques « démocratiser », « pacifier » et « démilitariser » ne peuvent qu’aboutir à « soviétiser ». Quand on en vient à discuter de l’« internationalisation de la Ruhr », dont les Américains et les Anglais ne veulent pas, on s’aperçoit que les Français et les Soviétiques ne la conçoivent pas de la même façon, les premiers y voyant seulement un moyen d’affaiblir l’Allemagne, les seconds la possibilité de la placer entièrement, tôt ou tard, sous leur domination. Quand les Américains et les Anglais proposent d’établir à Berlin une administration centrale allemande, les Soviétiques s’y montrent favorables, car ils pensent pouvoir agir sur toute l’Allemagne, mais les Français s’y opposent.
Au cours de l’année 1947, le danger d’expansion soviétique en Europe amène les Occidentaux à faire front. Les Anglais et les Américains renoncent à maintenir l’unité allemande, préférant une Allemagne coupée en deux à une Allemagne unifiée, sur laquelle les Soviétiques pourraient agir, d’abord pour la ruiner, ensuite pour la reconstruire suivant le modèle communiste.
II. – Période de réarmement
À partir de 1948, les deux blocs qui s’opposent dans la guerre froide disposent chacun d’un potentiel allemand qu’ils sont tentés d’utiliser. Mais l’évolution n’est pas la même dans les deux camps.
Dans le camp occidental, le réarmement allemand est, pendant huit ans, l’objet de discussions passionnées qui se déroulent, le plus souvent, au grand jour. Le changement d’orientation n’est vraiment admis qu’à partir de 1950. Jusqu’en 1952, on discute sur le choix d’une solution répondant aux nécessités de la défense de l’Europe, tout en ménageant, d’une part les préventions des voisins occidentaux de l’Allemagne, d’autre part les susceptibilités allemandes. On pense que cette solution sera trouvée par la Communauté européenne de Défense, la CED. Mais, en 1954, celle-ci est repoussée par la France. Et c’est seulement en 1955 que l’Allemagne de l’Ouest est admise, sous certaines conditions, à l’Otan, et qu’il va être possible de la doter d’une armée qui, toutefois, ne disposerait pas d’un armement nucléaire.
Dans le camp communiste, certainement des discussions ont eu lieu aussi, mais pas au grand jour. D’autre part, si la Pologne et la Tchécoslovaquie ont présenté des objections, il n’en a guère été tenu compte, du moins à l’époque stalinienne. Des cadres militaires allemands ont été formés entre 1948 et 1950, et une armée de 80 000 hommes a été mise sur pied entre 1950 et 1952. Dans l’idée de Staline, cette armée était destinée à imposer un régime communiste dans l’éventualité d’une Allemagne réunifiée et évacuée par les troupes étrangères. Un changement d’orientation s’est produit après la mort de Staline, et surtout après l’insurrection de Berlin-Est réprimée par les Soviétiques, le 17 juin 1953. À partir de ce moment, les dirigeants soviétiques n’espèrent plus réaliser l’unité allemande à leur profit, et leur but est désormais de maintenir la coupure en deux de l’Allemagne. L’armée de l’Allemagne de l’Est n’est plus destinée à agir seule et offensivement, dans un cadre purement allemand. Elle est intégrée dans les forces du Pacte de Varsovie, où elle ne joue qu’un rôle secondaire. En effet, elle ne comprend que 7 divisions, alors que la Pologne fournit 20 divisions et la Tchécoslovaquie, moins peuplée que l’Allemagne de l’Est, 15 divisions.
III. – L’Europe centrale dans la politique internationale de 1945 à 1955
Dans le passé, après chaque guerre, un certain équilibre était rétabli en Europe et les États de l’Europe Centrale constituaient un élément déterminant de cet équilibre. Ainsi l’Europe pouvait régler elle-même son destin et même diriger la politique mondiale.
En 1945, on se trouve en présence, non plus d’un équilibre européen, mais, surtout en Europe centrale, d’un vide entre la force américaine et la force soviétique.
En 1955, deux blocs se sont formés, séparés par une ligne qui est à peu près celle sur laquelle s’étaient rencontrées en 1945, les armées américaines et les armées soviétiques. Ceux des pays de l’Europe centrale qui ont été inclus, arbitrairement, dans le bloc communiste, restent, même après la fin de l’époque stalinienne, soumis à la domination soviétique. La partie de l’Europe qui a échappé à cette domination ne dispose pas d’un espace suffisant pour jouer le rôle d’une puissance mondiale. L’Europe ne mène plus la politique internationale. Elle en est devenue l’objet, surtout en ce qui concerne l’Europe centrale.