Militaire - La politique de défense américaine - L'unification des forces armées canadiennes - Renouvellement des accords du NORAD (North American Aerospace Defense Command) - États-Unis participation des forces armées au maintien de l'ordre - Réorganisation du commandement des forces armées britanniques - Contribution militaire de la Grande-Bretagne à l'Otan - Les accords de compensation germano-britanniques - Exportations d'armements britanniques
La politique de défense américaine
Les positions et les initiatives prises par M. Clark Clifford, depuis son arrivée au Pentagone en remplacement de M. McNamara, semblent confirmer que la politique de défense américaine va connaître des changements importants.
Alors que M. McNamara lançait une politique de parité nucléaire avec l’URSS, M. Clifford déclare la nécessité de maintenir la supériorité nucléaire américaine en tenant compte de l’effort soviétique depuis deux à trois ans dans le domaine des armes atomiques stratégiques.
Quant à l’emploi des crédits militaires, une offensive se fait jour chez les adversaires de l’ancien Secrétaire à la Défense pour que soient repris des projets dont la réalisation avait été retardée, voire même annulée. C’est ainsi que la Commission des Forces Armées du Sénat a refusé les crédits nécessaires à la modernisation du North American F-108 Rapier, appareil ancien aux performances relativement modestes, et demandé que soit reprise la mise au point du chasseur trisonique Lockheed YF-12, en raison notamment de la construction par l’URSS d’un intercepteur Mach 3, le Mig-23.
D’autre part, le Sénat a proposé des crédits pour la construction de sous-marins nucléaires d’attaque, alors que M. McNamara avait repoussé, après 1970, la mise en chantier de nouveaux submersibles de ce type.
Enfin, d’autres projets réapparaissent : installation d’antimissiles sur des sous-marins nucléaires, projet d’avion à propulsion nucléaire qui avait été classé par M. McNamara.
M. Clifford, qui avait fait preuve d’une extrême prudence face aux tendances nouvelles, n’en a pas moins maintenu certains programmes élaborés par son prédécesseur, notamment la version marine du General Dynamics F-111 Aardvark et le système d’armes F-106-X.
Le nouveau Secrétaire à la Défense est en effet aussi un homme politique qui doit tenir compte que les États-Unis se trouvent actuellement en période électorale. Il faut donc attendre pour juger de son action.
L’unification des forces armées canadiennes
Nous avons informé nos lecteurs (cf. notre chronique d’octobre 1966) du projet canadien concernant l’intégration des forces armées. Nous suivons avec d’autant plus d’intérêt son évolution que le Canada est à notre connaissance la seule nation qui tente cette opération particulièrement délicate.
C’est le 15 janvier 1968 que le gouvernement canadien a annoncé la mise en application à compter du 1er février, de la loi sur l’unification des forces armées. L’unification représente la troisième et dernière étape de l’intégration prévue dans le Livre blanc sur la Défense de 1964. L’application de cette troisième étape, qui a suscité une vive opposition de la part des conservateurs, sera lente et réalisée avec beaucoup de souplesse ; aucune limite de temps n’a été fixée. Le Haut-Commandement a indiqué que la prochaine décennie serait bien avancée avant qu’une force complètement unifiée soit réalisée.
– le nouvel uniforme ne commencera à être distribué à l’ensemble des personnels que vers le milieu de 1971, au plus tôt ;
– les anciennes appellations : marin, soldat, aviateur, continueront à être employées pendant un certain temps ;
– les nouvelles appellations concernant les grades ne sont obligatoires que dans le service ;
– l’avancement continue à s’établir par armée ; ce n’est que fin 1969 qu’il sera unifié et que les mêmes catégories de personnels des trois armées concourront ensemble. Il existait en effet de fortes différences dans l’avancement au sein des trois armées ;
– les limites d’âge ont été unifiées entre, les armées, mais elles ne sont applicables que dans un an, et les personnels auront à faire connaître dans ce laps de temps s’ils désirent ou non y être assujettis. La mise à la retraite tient compte de deux conditions : limite d’âge et durée des services. Dès que l’une des deux conditions est remplie, l’intéressé est mis à la retraite. Les nouvelles limites d’âge sont particulières à chaque grande catégorie d’officiers :
• officiers du service général : de 45 ans pour les lieutenants et capitaines ; 55 ans pour les généraux et colonel,
• officiers spécialistes : de 50 ans à 60 ans,
• officiers sortis du rang : de 50 ans à 55 ans.
L’application de cette loi sur l’unification semble particulièrement délicate si l’on en juge par l’intense campagne menée auprès des cadres et de la troupe.
Renouvellement des accords du NORAD (North American Air Defense)
Le 30 mars 1968, les gouvernements américain et canadien ont annoncé le renouvellement pour cinq ans des accords de 1958 relatifs à la défense aérienne du continent nord-américain.
À la demande du Canada, le nouveau traité comporte deux clauses nouvelles : 1) un préavis d’un an est prévu de part et d’autre pour dénoncer l’accord ; 2) la défense antimissiles n’est pas comprise dans les engagements souscrits par le Canada. Le gouvernement canadien souligne de la sorte l’insuffisance d’un système qu’il juge à bien des égards inadapté et son souci de conserver sa souveraineté nationale.
Mais les États-Unis ne peuvent protéger leur territoire vers le Nord qu’en plaçant suffisamment loin une protection active efficace (avion, engins) alertée par un système de détection avancé. Ce sont ces considérations oui ont amené le Canada à accepter de participer à la défense aérienne du continent nord-américain. En septembre 1957, avec l’apparition du premier Spoutnik, fut créé un état-major intégré américano-canadien : NORAD ayant à sa tête un général américain dont l’adjoint – et suppléant – était obligatoirement de nationalité canadienne. Cette création fut concrétisée quelques mois plus tard par la signature d’un traité, le 12 mars 1958.
La participation canadienne concerne la mise en œuvre de moyens de détection et de moyens actifs de défense.
Les Canadiens servent la majeure partie des 42 radars de la « Pinetree Line » installée, à frais communs avec les États-Unis, sur leur territoire ; ils assurent le commandement des stations de « DEW Line » et de trois autres centres.
En tant que moyens actifs, ils disposent de trois escadrons d’avions pilotés CF-101 (version canadienne du chasseur américain F-101), deux escadrons de missiles terre-air Bomarc à tête nucléaire et soumis au régime de la double clé.
Cet ensemble canadien constitue le Canadien Air Defense Command qui compte environ 10 000 militaires et 3 000 civils et dont le PC, enterré, est situé à North Bay, dans l’Ontario.
Financièrement, le Canada participe à l’entretien du NORAD pour environ 125 millions de dollars chaque année contre 1 700 millions environ pour les États-Unis.
Ces accords font l’objet de vives controverses. Certains y voient une ingérence américaine dans la défense du Canada ; d’autres soulignent que les deux pays peuvent ne pas être d’accord sur le degré d’une « menace » et par conséquent sur l’opportunité de placer le Canadian Air Defense Command en position d’alerte ; cette difficulté s’est présentée lors de l’affaire de Cuba.
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Du côté américain, des mesures viennent d’être décidées qui permettent de réaliser de sérieuses économies. Certaines unités affectées au NORAD seront supprimées, d’autres déplacées : vingt stations radar seront fermées, une région sera supprimée, trois escadrons d’intercepteurs F-101 et trois de F-106 changeront de base. D’où des réductions de personnels évalués à 4 700 militaires et 1 200 civils.
États-Unis : Participation des forces armées au maintien de l’ordre
Les manifestations qui ont suivi l’assassinat du Pasteur Martin Luther King ont montré l’insuffisance des moyens dont disposait le gouvernement pour maintenir l’ordre : 15 000 hommes répartis en 7 Task Forces.
Onze détachements supplémentaires ont dû être mis sur pied in extremis : 22 600 hommes engagés et 22 000 maintenus en réserve ayant reçu au dernier moment une instruction rudimentaire concernant la pratique du maintien de l’ordre.
Aussi le Secrétaire d’État à l’Armée vient-il de prendre les mesures suivantes :
– constitution de 5 Task Forces nouvelles (ce qui portera leur nombre à 12) ;
– instruction de 200 000 réservistes en ce qui concerne le maintien de l’ordre (s’ajoutant aux 300 000 hommes de la Garde nationale qui ont déjà reçu cette formation) ;
– création d’un centre de contrôle des troubles raciaux, chargé de diriger et de coordonner les activités des forces armées concernant le maintien de l’ordre. Le chef de centre est un général de l’Armée de terre qui disposera d’un adjoint de l’Armée de l’air spécialiste du transport aérien et d’officiers des trois armées. Ce centre est installé au Pentagone.
Ces mesures sont sans doute prises par crainte que de nouvelles émeutes raciales n’éclatent dans le cours de l’été.
Réorganisation du commandement des forces armées britanniques
Le gouvernement britannique vient de prendre deux mesures importantes concernant ses forces armées.
Depuis le 1er avril, la majorité des forces terrestres stationnées en Grande-Bretagne ont été regroupées en deux divisions (3e et 5e divisions), rattachées à l’Army Strategic Command. Leurs missions éventuelles se situent dans le cadre suivant :
– renforcement de l’Armée du Rhin ;
– intervention au profit des Nations Unies ;
– participation à la force terrestre mobile de l’Otan ;
– intervention dans un conflit limité de type conventionnel ;
– concours à la lutte anti-subversive ;
– maintien de l’ordre et aide aux services publics en cas de calamité.
La seconde mesure concerne le Bomber Command et le Fighter Command : créés en 1936 ils fusionnent sous l’appellation de Strike Command. Cette nouvelle formation comprend deux groupes :
N° 1 : les forces aériennes stratégiques : escadres de bombardement conventionnel et nucléaire, escadrons de ravitaillement et escadrons de reconnaissance stratégique ;
N° 2 : la défense aérienne du territoire : escadrons d’interception, escadron de détection lointaine, missiles sol-air.
Contribution militaire de la Grande-Bretagne à l’Otan
Le ministre de la Défense, M. Healey, a annoncé – lors de la conférence des ministres de la Défense de l’OTAN, le 10 mai 1968 à Bruxelles – que le gouvernement britannique avait décidé d’accroître sa participation militaire à l’Alliance.
À l’Armée du Rhin et à la brigade de Berlin (63 000 hommes au 1er janvier 1968) stationnés en Allemagne Fédérale, s’ajouteraient :
– une force aérotransportée dont la mission, en priorité, serait de renforcer l’Armée du Rhin ; elle comprendrait la 3e Division, un régiment de commandos de renseignement et un escadron de reconnaissance dont le transport serait assuré par des moyens de l’Air Support Command ;
– une force d’intervention amphibie affectée au Commandement allié en Méditerranée : 2 porte-hélicoptères, 2 transports de chalands de débarquement, 4 commandos de Royal Marines, 1 bâtiment logistique, éventuellement 2 frégates.
Cette décision confirme la position britannique à l’égard de l’Otan, définie dans le livre blanc ; elle apparaît comme une contrepartie à l’évacuation de la zone située à l’Est de Suez.
Les accords de compensation germano-britanniques
Des accords viennent d’être conclus entre Bonn et Londres, pour équilibrer les dépenses effectuées par la Grande-Bretagne au profit de ses troupes stationnées en République fédérale d’Allemagne (RFA). Ces dépenses ont été estimées, pour l’exercice 1er avril 1968-31 mars 1969, à 90 millions de livres. Elles seront couvertes par des achats allemands en Grande-Bretagne concernant :
– des matériels militaires pour un montant de 22 millions de livres ;
– des articles civils pour un montant de 21 millions de livres ;
– des produits divers par des entreprises et des personnes privées pour un montant de 10,5 millions de livres.
À ces 53,5 millions de livres s’ajouteront des investissements en fonds d’état britanniques à moyen terme (4,5 ans) pour un montant de 21 millions de livres qui apporteront ainsi une aide au redressement de la balance des paiements britannique.
Au total, 74,5 millions de livres, soit 82 % des frais d’entretien qui, grâce aux dépenses – sans contrepartie – effectuées par les forces aériennes américaines stationnées en Grande-Bretagne depuis 1967, seraient portés à 90 %.
Le ministre d’État britannique pour les Affaires étrangères a conclu cette présentation des accords à la Chambre des Communes en affirmant que le gouvernement britannique n’avait pas l’intention de retirer de nouvelles unités de l’Armée du Rhin et en formulant le vœu que les futurs accords de compensation portent sur des périodes plus longues.
Exportation d’armements britanniques
La Grande-Bretagne intensifie ses exportations de matériels militaires ; c’est ainsi :
– Qu’à l’Inde, elle a vendu 15 chasseurs Hawker Hunter.
– Qu’aux gouvernements de Malaisie et de Singapour, elle livrerait prochainement des chasseurs et des automitrailleuses Daimler Ferret.
– Qu’au Nigeria, elle a livré, en janvier 1968, 36 véhicules blindés et 500 tonnes de munitions et qu’elle envisage de poursuivre ses fournitures d’armes légères.
– Qu’en Arabie saoudite, une mission de la Royal Navy a été appelée à étudier l’aménagement des bases navales de Djeddah et d’Al Jubayl (golfe Persique) pour répondre à un développement de la marine saoudienne ; mais le projet britannique serait trop coûteux et Ryad a fait appel aux États-Unis, à la France et à l’Allemagne fédérale pour étudier ce problème et présenter un devis.
– Que le Koweit a passé une commande de chars Vickers MK-2, livrables d’ici 1971 ; ces engins blindés peuvent être armés de missiles antichars Swingfire.
– Enfin, un contrat a été conclu le 28 avril 1968, à Londres, entre le ministère libyen de la Défense et la British Aircraft Corporation. D’un montant que l’on estime à 150 millions de livres et échelonné sur cinq ans, il porte sur la fourniture, l’installation et l’entretien d’un système de défense antiaérienne comprenant : des missiles sol-air, un équipement radar et électronique, des moyens de transmissions. La formation du personnel libyen figure également dans la convention.
Cet accord est l’un des plus importants confiés à une firme britannique ; il est comparable à celui signé en 1966 avec l’Arabie saoudite. Une partie importante de l’industrie britannique spécialisée en bénéficiera, telles les sociétés électroniques et de construction de missiles.
D’autres accords sont envisagés qui porteraient sur des engins téléguidés antichars, des avions intercepteurs, des avions-écoles, des Hovercraft pour la surveillance des côtes.
La marine libyenne avait déjà commandé en Angleterre 3 vedettes, 1 frégate et 1 bâtiment de soutien logistique.
La Libye profite de ses importants revenus pétroliers – estimés annuellement à 300 millions de livres – pour organiser sa défense terrestre, aérienne et maritime. L’industrie britannique vient de montrer dans cette affaire une compétitivité efficace.