Aéronautique - Le général Delfino - Le remplacement éventuel du F-111B - Le Pentagone croit toujours à la menace constituée par les bombardiers pilotés - Les « Airbus »
Le général Delfino
Le général d’armée aérienne Delfino est décédé subitement le 11 juin 1968. Il a disparu en pleine activité, et ceux qui l’ont connu ou approché savent que ce terme doit être pris dans son acception la plus large. Militaire et combattant exemplaire, il avait, toute sa vie, été un homme d’action.
Au cours de la cérémonie qui s’est déroulée le 17 juin aux Invalides sous la présidence de M. Messmer, ministre des Armées, le général d’armée aérienne Fourquet (Chef d’état-major des armées) a retracé la carrière du général Delfino et mis l’accent sur ses qualités d’homme et de chef :
« …En trente-six ans de vie de soldat, il marque notre Armée de l’air et il laisse pour nous l’exemple d’un homme qui, dans les combats de la guerre, comme dans les tâches journalières du temps de paix, s’est donné totalement, avec passion, à sa mission de soldat, d’aviateur et de chef ; il avait un idéal et il pouvait, légitimement, penser l’avoir réalisé »…
« Comme combattant, le général Delfino a montré des qualités exceptionnelles de courage et de fougue et des qualités exceptionnelles de pilote.
« Pendant la campagne de France, en dépit de nos revers, en dépit de la supériorité ennemie, il s’est battu et bien battu : 8 victoires officielles et 1 probable. Plus tard, au Normandie-Niémen, à la tête d’une poignée de soldats héroïques, il a montré, dans le ciel russe, que la France était partout au combat.
« 15 citations sont venues marquer ce courage et cette valeur.
« …Homme d’action, le général Delfino n’a jamais cessé de travailler et de se perfectionner… Car, et c’est là un des traits de son caractère, il aimait le travail de qualité. Chef rigoureux et exigeant, dans le meilleur sens du terme, il voulait que tout soit fait et bien fait.
« …Et au-delà des actions qu’a accomplies le général Delfino, au-delà de ses réalisations, au-delà du travail qu’il a donné sans compter à l’Armée de l’air, je voudrais dire combien nous estimions ses qualités humaines, ses qualités de cœur. Comme chef d’unité, il aimait ses hommes et se préoccupait de leur sort ; comme camarade et ami, toute sa passion et sa fougue pour défendre ses idées, faire aboutir ses réalisations, étaient tempérées d’une grande chaleur humaine qui lui a valu l’affection de tous… »
À Nice, ville natale du général Delfino, les derniers adieux de l’Armée de l’air lui ont été adressés par le général d’armée aérienne Philippe Maurin, Chef d’état-major de l’Armée de l’air (CEMAA), qui, après avoir passé en revue les étapes de sa brillante carrière, a conclu en ces termes :
« …Au poste d’Inspecteur général de l’Armée de l’air, pendant plus de quatre années, fort de sa grande expérience qu’il a enrichie par un travail acharné, il fait preuve d’une activité inlassable, il visite toutes les unités, les conseille, cherche des solutions à tous les problèmes, qu’ils soient techniques ou administratifs, en sachant toujours les élever à ce qu’ils ont de plus noble, c’est-à-dire aux problèmes humains.
« Homme d’action passionné, agissant avec loyauté et désintéressement, ayant atteint les plus hauts sommets, par ses qualités et son travail, nous sommes tous, ses amis ici présents, sa ville de Nice, l’Armée de l’air, fiers de ce qu’a été Louis Delfino et de l’exemple qu’il nous lègue.
« Que ceux qui cherchent à quelles valeurs se raccrocher et vers quels espoirs tendre leur volonté méditent son existence si bien remplie et sa réussite si éclatante…
« …Oui, Louis Delfino a été un homme dans la plus noble acception du mot, comme pilote de chasse prestigieux, comme chef militaire rayonnant et humain, comme chef de famille aimant et attentionné, comme ami enthousiaste et dévoué.
« Pour les siens… que soit un réconfort à leur grande tristesse la certitude que le souvenir du général Delfino sera pieusement conservé par nous tous, ses amis niçois et d’ailleurs, ses camarades de combat, l’Armée de l’air tout entière… »
Et nous ne saurions mieux résumer le caractère et les qualités du général Delfino qu’en citant les dernières phrases de l’Ordre général n° 9 du général Philippe Maurin :
« Tout au long d’une carrière exceptionnelle, le général d’armée aérienne Delfino a fait preuve des plus brillantes qualités de soldat.
« Passionné d’action, conducteur d’hommes, chef rayonnant et humain, tel fut ce pilote de chasse prestigieux dont l’Armée de l’air conservera fidèlement le souvenir : elle saura s’inspirer de son exemple. »
Le remplacement éventuel du F-111B
Il est encore difficile de savoir qui l’emportera des tenants aux États-Unis du F-111B (General Dynamics/Grumman) ou de ses détracteurs, des partisans de l’avion commun à l’Armée de l’air et à la Marine ou de ceux qui pensent que cette politique a abouti à créer un monstre.
En effet, le F-111B ne figurait plus dans les autorisations de dépenses votées par le Sénat pour le budget de la Défense en 1969 (21,3 milliards de dollars au total) et on pensait que la Chambre des représentants suivrait la même voie. Mais on apprenait récemment que le Pentagone demandait au Sénat le rétablissement des crédits destinés au F-111B.
On a l’impression que les adversaires du programme ont cru trop vite que leur point de vue l’emportait et que seul M. McNamara essayait de maintenir contre vents et marées un de ses projets favoris. Il apparaît qu’il a laissé derrière lui des gens peu enclins à se laisser forcer la main sans contre-attaquer, les mêmes sans doute qui essayaient d’obtenir du Sénat le maintien d’au moins huit des trente avions prévus, en affirmant que le programme avait déjà quelque peu dépassé le point de non-retour, ce qui au demeurant ne veut pas dire grand-chose.
Quel que soit le sort du F-111B, – dont le prix a triplé depuis 1962 du fait des modifications successives imposées par le désir d’accroître les performances et la nécessité de satisfaire les exigences de l’Armée de l’air, elle-même pénalisée par celles de la Marine – il est intéressant d’étudier comment la Marine voit son éventuel remplaçant, baptisé V F X-1, pour lequel il serait possible de passer le premier contrat dès l’été prochain et le contrat de série en mars 1969. Certains représentants de la Marine pensent que l’avion pourrait être, dans ce cas, prêt en deux ans, sauf imprévus techniques. Le Sénat a retenu les 170 millions $ prévus à cet effet sur le prochain budget.
Basé sur porte-avions, le V F X-1 serait un chasseur d’interception chargé essentiellement d’une mission de protection à distance (plusieurs centaines de kilomètres en avant d’une flotte). À la différence du F-111B, il pourrait également assurer une mission de supériorité aérienne. Il aurait en gros les caractéristiques suivantes :
Il serait moins lourd que le F-111B avec le même armement (six engins Phœnix) : 28 tonnes au lieu de 36 ; son prix serait comparable.
L’équipage comprendrait deux hommes, disposés en tandem et non plus côte à côte comme dans le F-111B. On ne trouverait donc plus sur le VFX-1 cette cabine éjectable exigée par la Marine, et elle ne subsisterait plus que sur les F-111 de l’Armée de l’air qui ne l’avait pas demandée.
Le VFX-1 aurait une aile variable ; il serait propulsé par deux réacteurs Pratt & Whitney TF30 P12 et en mesure d’utiliser soit les engins Sparrow, soit les Phœnix, ce qui n’irait pas sans difficultés étant donné la différence de principe des radars de guidage.
D’autres aménagements ou renforcements de structure, correspondant à des besoins de l’Armée de l’air, seraient également abandonnés. En revanche, l’appareil serait dans la proportion de 50 % de sa masse construit en titanium.
L’appareil devrait avoir de meilleures performances que le F-111B :
– accélération de la vitesse de patrouille à la vitesse de combat en moitié moins de temps que le F-111B, sans atteindre néanmoins les caractéristiques du F-4 Phantom II ;
– altitude de patrouille et plafond de combat plus élevés que le F-111B ;
– autonomie de patrouille plus longue que son rival.
Cet avion, s’il est finalement construit, ne sera de toute manière qu’un appareil « intermédiaire », permettant d’attendre la mise en service dans les unités, vers 1975, du VFAX, en même temps que de son cousin, le FX dans l’Armée de l’air. Entre ces deux derniers modèles, on ne recherchera plus la similitude à tout prix qui a apporté tant de déboires avec les F-111 ; celle-ci ne portera que sur les moteurs et les équipements, les cellules étant étudiées séparément.
Le FX/VFAX serait équipé de deux moteurs à double flux et postcombustion à haute performance de près de 12 tonnes de poussée chacun. Muni d’ailes variables, il aurait vraisemblablement une capacité de décollage court ou même vertical. On n’a pas décidé encore si ce résultat serait obtenu par des réacteurs de sustentation ou un système de déviation de jet des réacteurs principaux. Ce serait un avion de combat à toutes fins, à la fois chasseur tactique et intercepteur.
Des crédits de 30 millions de dollars ont été demandés pour les premières études, dans le cadre du prochain budget, et les constructeurs de moteurs ont déjà été invités à soumettre leurs projets au Pentagone.
Le Pentagone croit toujours à la menace constituée par les bombardiers pilotés
Le Sénat américain ne s’est pas borné à refuser les crédits destinés au F-111B ; il a également rayé ceux prévus pour transformer le Convair F-106 en un intercepteur plus évolué, le F-106 X. Le Pentagone a d’ailleurs aussitôt demandé au Sénat, comme pour le F-111B, de rétablir ces crédits. Officiellement, le Sénat n’a fait que repousser la réalisation de la modification du F-106 jusqu’à ce qu’il ait pu examiner les plans concernant la défense contre les bombardiers pilotés.
En fait, la majorité du Comité des forces armées du Sénat a voulu marquer ainsi sa mauvaise humeur de voir tant d’argent dépensé pour une défense aérienne classique au lieu de consacrer tous les efforts à la constitution d’une défense efficace contre les engins, qui constituent désormais la menace principale.
En outre, certains sont choqués de voir transformer un avion comme le F-106 dont la production est arrêtée depuis de nombreuses années, tandis qu’il existe un projet d’avion nouveau, le Lockheed YF-12 A. Sans doute les uns prétendent que chacun de ces derniers appareils coûterait dix fois plus qu’un F-106 modifié, mais selon d’autres, à efficacité égale, une force à base de YF-12 A ne coûterait que 12 % de plus qu’une force de F-106 X (18,7 milliards de dollars, au lieu de 12,3). Ces deux affirmations contradictoires seulement en apparence, sont peut-être l’une et l’autre exactes.
Le Pentagone pensait, alors que M. McNamara était Secrétaire d’État à la Défense, et apparemment pense encore, que grâce à ses radars transhorizon, il peut déceler tout départ d’engin en Russie, quelle que soit la trajectoire de celui-ci. En particulier, tout départ de bombe orbitale (FOBS) serait détecté à temps pour permettre le décollage de la Force stratégique, ce qui enlève tout caractère décisif à un système d’armes précisément dirigé contre les bases de bombardiers. Le Pentagone voudrait d’ailleurs donner à ce FOBS un nom moins inquiétant, tel que « engin à trajectoire basse », au lieu de ce Fractional Orbit Bombardment System qui paraît si lourd de menace. D’ailleurs, ajoutent ses porte-parole, les Russes n’ont plus lancé d’engins de cette sorte depuis octobre. Cela peut signifier qu’il est maintenant au point, mais aussi bien que les « engins orbitaux » n’ont jamais constitué à leurs yeux un système d’armes.
Au contraire, toujours selon le Pentagone, les bombardiers pilotés constituent encore une menace très sérieuse et il est urgent de remplacer un système de défense aérienne périmé, d’où, pour les années 1970, un système de détection et de contrôle utilisant des avions (AWACS : Airborne Warning and Control System) et la nécessité, en attendant, de transformer les F-106 pour en faire des intercepteurs efficaces.
Mais on comprend que les Sénateurs soient agacés de voir des problèmes leur être présentés par les uns comme essentiels, puis comme sans importance par les autres. En refusant les crédits, ils obligent le Département de la Défense à leur présenter une étude complète sur la défense aérienne et son évolution et l’empêchent de s’en tirer une fois de plus par une pirouette pour imposer ses projets sans les expliquer.
Les « Airbus »
La bataille pour conquérir le marché des « Airbus » ou du moins pour s’y tailler la part du lion, se poursuit avec des alternatives diverses entre les constructeurs américains. Si Boeing paraît provisoirement hors de course, son projet d’une réduction du géant 747, le 747.300, n’ayant pas eu les faveurs des compagnies d’aviation, McDonnell Douglas et Lockheed ont reçu tour à tour un nombre considérable de commandes et ont décidé de ce fait d’entreprendre la construction de leurs deux avions.
À peine avait-on proclamé que le premier l’emportait avec son DC-10, du fait de la commande ferme de 25 avions et d’une option sur 25 autres avions par la compagnie American Airlines, que Lockheed arrachait en quinze jours des contrats pour 172 appareils du type 1011 (Eastern Airlines : 50 ; Transworld Airlines : 44 ; Air Holding Limited : 50 ; Delta Airline : 24 ; Northeast Airline : 4). Du coup l’enthousiasme de l’éditorialiste d’Aviation Week débordait pour les méthodes révolutionnaires employées par Lockheed et Rolls pour faire triompher leur modèle. Il n’hésitait pas, après avoir réglé au passage avec mépris le compte de l’Airbus européen, à dénier toute chance de succès à McDonnell Douglas, prisonnier de procédés de lancement et de vente trop traditionalistes.
Mais peu après ce dernier obtenait le marché de la première des compagnies intérieures américaines, United Airline, avec 30 exemplaires de DC-10 commandés ferme et 30 en option.
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En fait, on se trouve maintenant devant quatre projets d’Airbus, mais les deux derniers, bimoteurs au lieu de trimoteurs, ont déjà, quel que soit leur sort futur, pris du retard sur leurs rivaux : ce sont l’Airbus européen A300 et un Boeing encore hypothétique. Les optimistes, et parmi eux les Britanniques, assurent qu’il y a place pour tous sur le marché, que peut-être 1 000 avions de ce genre seront nécessaires avant la fin du siècle. Affirmation facile, certes, puisque nul ne pourra la contredire de longtemps et qu’elle sera oubliée avant d’avoir été démentie ou confirmée par les faits, mais montrant le désir de certains milieux britanniques d’encourager l’Airbus européen malgré le départ foudroyant de ses rivaux américains et les inquiétudes causées par les accords entre Lockheed et Rolls Royce pour les moteurs du 1011.
Le moment est donc venu de faire le point sur ces avions. D’abord, qu’est-ce qu’un Airbus ? Si on prend les caractéristiques annoncées pour l’avion européen, c’est un énorme bimoteur de plus de 135 t au décollage, 45 mètres d’envergure, 48 de long et 15 de haut, capable d’emmener 264 à 300 passagers (dans ce dernier cas alignés par travées de 9), à 950 km/h sur des distances de 2 200 kilomètres, réserves comprises, grâce à des turboréacteurs de près de 25 tonnes de poussée. En fait les « Airbus » américains sont assez différents de ce type.
Le Lockheed 1011, que j’ai déjà évoqué naguère dans cette chronique, a beaucoup changé depuis le temps où ses promoteurs venaient le présenter à Paris. En quelque six mois, son poids au décollage est passé de 135 à 186 tonnes et sa capacité maximum en passagers de 300 à 345. Son rayon d’action, avec une charge utile de 25 tonnes (soit environ 250 passagers), dépasse 6 000 km. Il sera équipé de trois moteurs Rolls Royce à double flux et taux de dilution élevé, d’une poussée unitaire de 18,5 t. Les livraisons pourront commencer à la fin de 1971 et elles s’échelonneront jusqu’en 1975. Le prix est de l’ordre de 85 millions de francs avec les rechanges pour chaque exemplaire. On peut attribuer une partie du succès de Lockheed à l’accord fructueux conclu avec Rolls Royce et aussi aux exigences des Eastern et Trans World Airlines. Parmi celles-ci, la moindre n’a pas été l’augmentation de la poussée du moteur et du poids maximum admissible pour obtenir un rayon d’action égal à la largeur du continent américain, conformément aux désirs de la TWA Lockheed ne s’en tient d’ailleurs pas là et envisage des variantes de son avion, permettant éventuellement sur demande des clients de fournir des modèles différents du type actuel : modèle allongé de capacité plus grande (435 passagers), modèle pour transport de fret, modèle à rayon d’action « transocéanique ». Rappelons que sur le Lockheed 1011, les passagers seront par rangs de 8 (au moins dans les versions économiques), avec deux couloirs de circulation encadrant les 4 sièges centraux.
Le DC-10 de McDonnell Douglas ressemblera beaucoup au Lockheed 1011, si on en juge par les dessins et les maquettes publiés jusqu’ici. Toutefois, alors que le réacteur arrière du L-1011 aura une entrée d’air en S (à la manière du Boeing 727), celui du DC-10, placé un peu plus haut sur la dérive, pourra être alimenté de façon directe. Les moteurs retenus sont des General Electric CF-6, de 18 tonnes de poussée chacun. L’avion aura 47 m d’envergure et 55 m de long ; sa hauteur sera de 17 m. Dans la version destinée aux United Airlines, l’appareil pèsera 186 t avec la possibilité d’emmener 266 passagers, sur une distance de 4 500 km, ou 345 passagers sur 3 700 km. Le prix de chaque exemplaire est évalué aux environs de 80 MF. Les avions seront livrés à partir d’août 1971. La disposition des sièges dans la classe économique est la même que chez son rival. Autre similitude entre les deux appareils : la préparation des repas se fera dans une soute située sous le plancher, et les plateaux seront livrés par des monte-charge.
Je parlerai peu du projet de Boeing sur lequel les représentants de la firme n’ont pas encore fait de déclaration officielle ; on pense qu’il s’agira d’un avion pour étapes courtes, bimoteur équipé de turboréacteurs Pratt & Whitney JT 9D de l’ordre de 20 t de poussée et pouvant transporter 250 passagers. Certains représentants de la Lufthansa, opposés à l’Airbus européen, y seraient favorables, et cela donne à réfléchir sur les mobiles qui peuvent engager une compagnie à commander un avion plutôt qu’un autre.
Reste l’Airbus européen, cet A300 sur lequel les industries européennes fondent tant d’espoirs malgré les réticences et le manque de confiance dans les chances d’aboutissement du projet qui semblent se dessiner ici et là. Ne lit-on pas dans une revue britannique que le ministère de la Technologie et l’Industrie de ce pays croit de moins en moins que Sud-Aviation soit capable d’assurer conjointement la maîtrise d’œuvre de l’Airbus et du Concorde, après l’expérience des retards pris par le Concorde 001 (1) ? On en saura plus long sur les intentions réelles des Britanniques et sur leur désir de remettre en question cette clause du protocole du 26 septembre 1967, lors des discussions précédant la décision officielle sur le lancement du projet, qui doit être prise au mois de juillet 1968. Je rappelle les autres termes du protocole : le Comité directeur créé par les trois gouvernements (Grande-Bretagne, France et Allemagne) remettra son rapport le 30 juin.
Pour qu’une décision positive soit prise, il faudra apporter la preuve que l’avion permet une économie de 80 % sur les frais d’exploitation. Les premiers appareils devraient être mis en service en 1978 ; les gouvernements participant escomptent des commandes d’au moins 75 appareils par les compagnies British European Airways, Air France, Air Inter, Lufthansa et Condor. Le prix serait de l’ordre de 50 millions de francs ; les frais de mise au point de la cellule ne devraient pas dépasser 1 700 millions de francs avant l’homologation officielle ; ceux de mise au point du moteur Rolls Royce RB 207 seraient de l’ordre de 850 MF. Les frais incombant à la France seraient de 87,5 % du total en ce qui concerne la cellule et de 12,5 % pour la mise au point du moteur.
Il reste au gouvernement britannique lors des prochaines discussions, à convaincre ses partenaires que la commande considérable de moteurs Rolls Royce RB 211 destinés au Lockheed 1011 n’affectera pas la capacité de la firme à développer et à produire ce RB 207 qui sera le plus puissant turboréacteur du moment. Les dirigeants ont, à vrai dire, déjà répondu en faisant observer que le 211 précéderait le 207 de deux ans et que l’expérience acquise sur le premier bénéficierait au second.
Malgré le prix de la mise au point qui est évalué maintenant à 2 250 et à 1 000 MF respectivement pour la cellule et le moteur, les gouvernements britannique et allemand semblent penser qu’il faut à tout prix lancer le programme, même si les 75 commandes ne sont pas assurées, car le maintien d’une industrie aéronautique en Europe est à ce prix.
L’avion, pour lequel on a prévu un confort supérieur à celui des premières esquisses, serait rentable surtout pour des étapes comprises entre 500 et 1 500 km, mais resterait encore moins cher que les avions actuels pour des étapes de l’ordre de 400 km.
Pour le cas où toutefois l’accord ne pourrait pas être conclu, les Britanniques gardent en réserve le projet d’un A200, équipé de RB-211, construit pour 200 passagers. Il coûterait deux fois moins cher que le A300, pourrait sortir d’usine beaucoup plus tôt et la maîtrise d’œuvre en serait britannique. Nos voisins d’outre-Manche auront là un atout important dans la discussion qui va s’ouvrir.
Cette brève étude montre que le mot d’« Airbus » couvre des avions bien différents. Mieux : on ne sait plus trop dans quelle catégorie classer ce Lockheed 1011 gigogne qui risque de devenir sous quelqu’une de ses formes un rival du Boeing 747, géant lui-même.
Je ne me risquerai pas à prédire l’avenir réservé au projet d’Airbus A300, qui correspond à une formule plus adaptée aux distances européennes que les avions de Lockheed et de McDonnell Douglas mais s’expose de ce fait à n’intéresser que les pays d’Europe. Tout dépendra du désir réel d’entente des trois États et surtout de leur aptitude à aplanir les difficultés et à supprimer les causes de retard qui se manifestent trop souvent au cours de travaux réalisés en coopération. Il est indispensable que nous allions vite, sans perdre trop de temps dans les détails administratifs, si nous ne voulons pas voir paraître sur le marché, bien avant le nôtre, le modèle d’Airbus que nous prépare probablement Boeing.
(1) Notons cependant que le premier vol du Tupolev Tu-144, rival russe du Concorde, a dû lui aussi être reporté à l’été prochain à la suite de difficultés non prévues.