Maritime - Dans la Marine française - La Marine espagnole et sa place dans la politique internationale - Dans les marines anglo-saxonnes - La marine marchande française : commandes nouvelles, les répercussions de la crise économique et sociale
Dans la marine française
Tandis qu’une partie importante de nos forces navales a rallié la Polynésie pour y participer à la troisième campagne de tirs nucléaires de Mururoa, imminente semble-t-il, les éléments demeurés en métropole ont continué de s’entraîner activement durant les mois de mai et de juin, dans une série d’exercices et de croisières, les uns nationaux, d’autres internationaux.
Notre chronique précédente avait rendu compte de l’opération de dragage New Broom (Grande-Bretagne, France, Belgique, Pays-Bas, Norvège), destinée à ouvrir à la navigation commerciale de nouvelles routes du large, plus courtes, en basse mer du Nord (1er au 29 mai). Elle a été doublée, au mois de mai, d’un exercice ASM franco-britannique en Manche, – de la croisière de printemps de l’escadre de la Méditerranée dans le Levant et les eaux italiennes, terminée le 4 juin par un exercice franco-italien en mer Tyrrhénienne, – de deux sorties d’entraînement de l’escadre de l’Atlantique sur les côtes bretonnes, puis dans le golfe, – enfin d’une croisière en mer froide (Islande) de la frégate lance-engins Suffren, qui deviendra sans doute « opérationnelle » au cours de l’été.
Ces mouvements ont été suivis, au mois de juin, par les croisières de printemps des forces sous-marines, celles de Lorient en mer du Nord et dans le golfe, celles de Toulon en Méditerranée centrale et jusqu’en Adriatique.
Parmi toutes les opérations exécutées au cours des deux derniers mois, c’est évidemment l’exercice interarmées Néréide II qui force surtout l’attention. Il s’est déroulé dans l’île d’Oléron, entre la nuit du 25 au 26 juin et le 27 juin. Il avait pour thème la reconquête de l’île, occupée par surprise par des « éléments subversifs ». La Marine y a engagé les moyens navals de la Force amphibie d’intervention (navire de commandement, les deux bâtiments de débarquement de chars – BDC – Argens et Bidassoa, deux engins de débarquement d’infanterie et de chars – EDIC – et un certain nombre d’engins plus petits, le groupement des fusiliers-marins commandos – Groufumaco, – etc.), ainsi que les deux escorteurs d’escadre Chevalier Paul et Kersaint pour l’appui de feu, des hélicoptères et des Étendard IV d’assaut de l’Aéronavale. La participation terrestre consistait dans des éléments aéroportés et amphibies de la XIe division d’intervention. La résistance des occupants de l’île d’Oléron a été brisée au bout de peu de temps, grâce à la rapidité de la concentration des moyens qui leur étaient opposés et à la haute qualité de leur entraînement.
Les circonstances (proximité relative de l’objectif, mer calme, point de barre à franchir comme sur le littoral ouest-africain) rendaient certes beaucoup plus facile la tâche de la Force d’intervention que si elle avait eu à remplir une des missions principales pour lesquelles elle a été créée : la défense des républiques africaines et malgache à qui nous attachent des accords militaires et des liens d’amitié ; l’exercice Alligator III a démontré, à l’automne de 1967, combien il était malaisé de resserrer dans des limites acceptables le calendrier des transports successifs d’une expédition lointaine (éléments aéroportés, débarquements par voie de mer, alimentation en moyens logistiques) et combien pouvaient être épineux les problèmes posés aux premières troupes mises à terre, nécessairement peu nombreuses et mal pourvues de matériel lourd.
Il n’en va pas moins, comme le général Fourquet, chef d’état-major des armées et témoin de l’exercice Néréide II, s’est plu à le constater, qu’« une foule d’unités terrestres, aériennes et navales, éparses sur le territoire, a été rassemblée au premier signal », qu’elle s’est transportée sans incidents à une distance relativement considérable de ses bases et que les éléments qui la composaient ont, en dépit de leur diversité, collaboré dans d’excellentes conditions. Du point de vue de l’entraînement l’opération paraît avoir été des plus payantes.
La crise économique et sociale que la France vient de traverser est encore trop proche de nous, ses conséquences financières ont été trop sommairement chiffrées quant à présent pour qu’il y ait un intérêt quelconque à essayer d’en mesurer les répercussions sur notre politique navale. Indiquons simplement que M. Michel Debré, interrogé le 14 juin par un membre de la presse, a répondu avec prudence que « le programme de dissuasion allait se trouver, comme bien d’autres orientations, gêné dans sa réalisation… Les choix fondamentaux de notre politique nationale en matière militaire et civile ne seront en aucune façon changés…, mais certains objectifs que nous devions atteindre dans un an ou deux ne seront atteints qu’un an ou deux ans plus tard. »
Il paraît en effet probable que, si des sacrifices budgétaires doivent être consentis, ils ne porteront pas sur les dépenses de fonctionnement, devenues incompressibles, et que le réajustement des soldes et des salaires augmenterait plutôt, mais sur les investissements, les programmes en cours étant étalés dans le temps et les programmes futurs différés.
La marine espagnole et sa place dans la politique internationale
Si, pour les raisons politiques que l’on sait, l’Espagne franquiste n’a jamais fait partie de l’Otan, les États-Unis, séduits par l’importance de sa position à la pointe sud-occidentale de l’Europe libre, n’en ont pas moins entrepris dès le début des années 1950 de l’englober dans leur réseau stratégique national de « bases périphériques », destinées à mettre autant que faire se pourrait le territoire de l’URSS à portée de leurs bombardiers à capacité atomique : la guerre froide sévissait alors et les forces armées américaines ne disposaient encore ni d’engins nucléaires intercontinentaux, ni d’une flotte de sous-marins Polaris (les premières mises sur cale datent de 1957-1958). Les ports espagnols présentaient, en outre, au débouché de la Méditerranée, un intérêt considérable pour les mouvements et le soutien logistique de la 6e Flotte et de la Flotte d’intervention de l’Atlantique.
Le 26 septembre 1953, un premier accord hispano-américain « de défense et d’aide militaire et économique » a octroyé aux États-Unis le droit d’équiper un certain nombre de bases navales, aéronavales et aériennes sur le territoire espagnol, le périmètre de ces bases demeurant bien entendu sous la souveraineté du gouvernement de Madrid : la plus importante est Rota en baie de Cadix, où stationne aujourd’hui une des deux flottilles de sous-marins Polaris que la marine américaine entretient en Europe (1). En compensation, les États-Unis ont accepté d’ouvrir à l’Espagne des crédits d’investissements économiques et de rajeunir sa flotte de guerre, tant par des cessions de bâtiments que par des modernisations et des constructions neuves.
La marine espagnole, forte d’un peu plus de 140 000 tonnes de navires de combat, se répartit, en proportions à peu près égales, entre trois catégories d’unités :
– Environ 45 000 t de bâtiments hors d’âge, survivants de la guerre civile ou construits pendant la seconde guerre mondiale (1 croiseur, 13 escorteurs dont 6 gréés en mouilleurs de mines et 6 dragueurs).
– 45 000 t également de bâtiments âgés ou relativement âgés, mais dont la plupart ont été modernisés : le porte-avions léger Dedalo, 1 sous-marin océanique, 5 escorteurs et une douzaine de dragueurs proviennent de cessions américaines, – 2 sous-marins océaniques et 2 escorteurs, construits en Espagne, ont été refondus grâce à l’aide de la marine des États-Unis, cette refonte ayant porté essentiellement sur l’artillerie et l’appareillage électronique,
– Enfin 52 000 à 53 000 t de navires récents ou neufs, dont 33 000 à 34 000 en service et 18 000 à 19 000 en construction. Tous sortis des chantiers nationaux, bien que dérivés en grande partie de types étrangers, ou améliorés par le concours américain, ces navires représentent le plus clair de la puissance navale espagnole. Les unités en service comprennent 3 escorteurs de la classe Oquendo (1962-1968) et 8 de la classe Audaz (1953-1962) – réarmement américain entre 1961 et 1965 (2) –, 6 corvettes de la classe Descubierta également pourvues d’un armement américain (1955-1960) et 7 dragueurs (1953-1955). Les 18 000 à 19 000 tonnes en construction dérivent toutes de modèles étrangers, 5 escorteurs des DE (destroyers d’escorte) américains Brooke (engins AA Tartar et ASM Asroc, 2 hélicoptères) et 2 sous-marins de nos Daphné (3 autres Daphné sont en projet).
Il convient enfin de mentionner que la flotte amphibie comporte 2 transports d’attaque ex-américains de 13 000 à 15 000 t pleine charge et une trentaine d’engins de débarquement dont 5 EDIC de type français, – la flotte logistique, l transport de matériel et 2 pétroliers de 7 000 à 8 000 t, tous trois achetés au commerce.
Les accords hispano-américains de 1953 ont été reconduits en 1958, puis en 1963. Ils doivent l’être de nouveau cette année, mais on ne sait encore dans quelles conditions. Grâce aux progrès de la coexistence pacifique et de l’armement nucléaire américain, la stratégie « périphérique » a perdu de sa faveur à Washington : seule, la base de Rota reste considérée comme essentielle ; les États-Unis répugnent aussi à multiplier des prêts de capitaux que d’autres nations pourraient invoquer comme un précédent, et la guerre du Vietnam coûte cher. De son côté, l’Espagne se plaint du prix trop élevé de la modernisation de sa flotte, de la vétusté de certaines livraisons de matériel, de l’appui trop peu discret à son gré accordé par Washington à Londres dans la querelle de Gibraltar (escale d’une partie de la 6e Flotte dans le port au début de cette année). Mais le relâchement apparent de l’Otan et la pénétration soviétique en Méditerranée inspirent, sem ble-t-il, trop d’inquiétudes au gouvernement de Madrid pour qu’il subordonne le renouvellement de la convention de 1953 à l’octroi de compensations que les États Unis hésiteraient à accepter.
Dans les marines anglo-saxonnes
L’on n’insistera pas ici sur les vicissitudes récentes du conflit vietnamien, aussi cruelles sur le plan militaire que fastidieuses sur celui de la négociation politique : ni d’un côté ni de l’autre un pas sérieux ne semble avoir été accompli vers une décision ou vers la paix. Nous nous bornerons à rappeler brièvement les caractères essentiels de la situation au terme des mois de mai et de juin.
Sur le terrain, la lutte continue partout, mais plus particulièrement, avec des alternatives de violence et de calme relatif, dans les quatre secteurs clés de Saïgon et du delta, des Hauts-Plateaux, de Da Nang et du Sud de la zone démilitarisée : elle soumet à une rude épreuve la River Patrol Force sur le Mékong, la rivière de Saïgon et les arroyos, ainsi que les Marines défenseurs de Da Nang, de Dong Ha et du cours du Cua Viet. À l’extrême Nord-Ouest, les Marines qui tenaient la base fortifiée de Khe Sanh en ont été évacués volontairement dans les derniers jours du mois de juin, sans qu’il soit possible de savoir si c’est pour renforcer la défense de Saïgon ou pour donner plus de mobilité à l’armée américaine en face d’un adversaire qui « pourrit » sans cesse davantage les campagnes.
À Paris, les négociations piétinent. Tandis que la délégation américaine continue de subordonner l’interruption complète des bombardements aériens à une concession de Hanoï (la réduction des infiltrations au Sud du 17e parallèle), la vietnamienne semble décidée désormais à étendre sans restrictions aux Vietcongs la fameuse formule de la « renonciation à tout acte de guerre contre la république démocratique du Vietnam » : ils ne sont pas des citoyens rebelles, comme on l’affirme à Washington, mais des patriotes qui défendent, aux côtés des troupes régulières du Nord, un seul Vietnam contre un agresseur étranger et un pseudo-gouvernement à sa solde. Dans de telles conditions un compromis paraît impossible pour le moment.
Aux États-Unis, quelques mouvements de matériel intéressants ont été enregistrés durant les mois de mai et de juin à l’intérieur de la Navy. Le porte-avions de combat lourd à propulsion nucléaire Chester W. Nimitz, réplique améliorée de l’Enterprise, a été mis sur cale le 8 juin (bien qu’il doive avoir 2 réacteurs seulement au lieu de 8, il coûterait 544 millions de dollars, et non 427 comme le prévoyaient les devis primitifs). – Au mois de mai, deux des 40 DE dérivés du Garcia, inscrits dans les programmes 1964-1965 à 1967-1968, ont été mis sur cale ou lancés : la construction de ces unités économiques, confiée par M. McNamara à un petit nombre de chantiers spécialisés dans la production en grande série, ne paraît cependant pas progresser aussi rapidement que l’ancien secrétaire à la défense ne l’escomptait. – Au mois de juin, ce sont deux sous-marins d’attaque (SSN) qui sont venus grossir le tonnage en service ou en achèvement à flot : le Sea-Horse lancé le 15, le Hammerhead, « commissionné » le 28.
En dépit du coût croissant de la guerre du Vietnam, la commission sénatoriale des Forces armées n’a pas hésité à faire sien, à quelques détails près, le programme de constructions et de refontes présenté par M. McNamara, avant son départ, pour l’exercice fiscal 1968-1969 (cf. revue d’avril, p. 762) :
– 17 bâtiments neufs, en majorité d’un type nouveau sinon révolutionnaire, tels 4 Fast Deployment Logistic Ships (FDL), le déjà célèbre avant d’exister Landing Helicopter Assault Ship de 40 000 t (LHA) et 5 escorteurs océaniques baptisés DX, plus gros et mieux armés que les DE,
– 20 refontes, parmi lesquelles la transformation de 6 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SSBN) Polaris en lanceurs d’engins Poseidon,
– enfin l’octroi de fonds d’avance pour la mise en chantier à partir de l’exercice 1969-1970 d’un 3e porte-avions de combat lourd à propulsion nucléaire, de 2 grosses frégates à propulsion nucléaire également (DXGN) pour l’escorte de cette classe de porte-avions, des 2 derniers des 60 sous-marins nucléaires d’attaque (SSN) demandés par la Navy, enfin d’un certain nombre de LHA.
Ces perspectives encourageantes n’ont pas effacé la douloureuse émotion éprouvée par l’opinion américaine et mondiale à la suite de la disparition du SSN Scorpion, coulé dans l’Atlantique à la fin du mois de mai, quatre mois après la catastrophe de notre Minerve. Ce sous-marin d’attaque, bien qu’antérieur aux unités dérivées du Thresher, était considéré par la Navy comme aussi capable qu’elles de remplir toutes les missions dites de « première classe ». Ralliant Norfolk après avoir participé en Méditerranée à un exercice de la 6e Flotte, il a envoyé son dernier message radio le 21 mai au Sud des Açores. Attendu en vain à sa base qu’il devait regagner le 27, des recherches ont été immédiatement entreprises, avec des moyens considérables, aussi bien sur le tronçon de route Açores-Norfolk que dans les eaux de l’archipel, d’où étaient datées les nouvelles du 21. Aucun indice sérieux permettant de localiser le Scorpion n’a pu être découvert, et la Navy l’a officiellement déclaré perdu, le 5 juin, avec les 99 hommes de son équipage.
Aucune précision importante n’a encore été apportée par Londres sur le contenu du Livre Blanc supplémentaire concernant l’organisation future de la défense britannique.
On sait cependant, grâce au discours prononcé le 10 mai 1968 par M. Healey devant le Conseil des ministres de la défense de l’Otan réunis à Bruxelles, que la Royal Navy, au lieu d’évacuer complètement la Méditerranée comme elle devait le faire par économie, y maintiendra jusqu’à nouvel ordre les 2 frégates qui y stationnent encore (réplique des plus modestes à la pénétration soviétique). Mais, quand en 1971-1972 auront été rapatriées les dernières forces navales employées à l’Est de Suez, un tonnage substantiel serait redéployé dans la « zone maritime européenne », tant pour y remplir des missions nationales que pour y collaborer en cas de besoin avec les autres marines de l’Otan : ce tonnage comprendrait les deux transports de commandos Bulwark et Albion, les 2 assault ships Fearless et Intrepid, leurs unités de soutien et leur train d’escadre. Il serait également question, à moins que l’on ne décidât in extremis de prolonger l’existence d’un groupe de porte-avions, de convertir le porte-avions léger Hermes, de la même classe que le Bulwark, en un 3e transport de commandos ; mais ce renseignement demande confirmation.
Les lourds sacrifices financiers imposés à la Royal Navy n’ont heureusement pas ralenti le développement de la force sous-marine de dissuasion : le Resolution a appareillé de Faslane au mois de juin pour sa première patrouille opérationnelle ; le Repulse et le Renown deviendraient opérationnels à leur tour dans un an, et le Revenge dans le courant de 1970.
La marine marchande française : commandes nouvelles, les répercussions de la crise économique et sociale
Sans être encore excellente – il s’en faut – la situation de la marine marchande française – chantiers et flotte en service – s’annonçait assez favorable au début du second trimestre de 1968. Rappelons brièvement la liste des réformes et améliorations en cours d’application ou prévues :
– pour les chantiers, institution d’un « contrat professionnel » englobant les concentrations, conversions, licenciements et reclassements, – coordination des activités, – élévation à 500 000 tonneaux compensés des objectifs de la production pour chacune des années 1969 et 1970, – garantie de change pour les contrats libellés en devises étrangères, – extension de la franchise douanière aux matériaux de construction importés, en compensation de la réduction à 10 % du taux de la loi d’aide, etc. Le montant du carnet de commandes de nos chantiers, légèrement plus faible au 1er avril qu’au 1er janvier (2 636 000 tjb, chiffres arrondis, au lieu de 2 658 000), s’est de nouveau gonflé depuis, grâce à la commande d’un pétrolier de 240 800 tdw pour l’Esso Standard et d’un gros cargo polytherme pour la Compagnie Générale Transatlantique, grâce surtout au contrat passé le 7 mai avec l’Union Soviétique pour la construction de 10 cargos frigorifiques de 8 600-10 000 tdw et 2 de 12 500-15 000 tdw (ravitaillement en combustible et vivres des flottes de grande pêche, relève des équipages, recueil des produits de la pêche) (3),
– pour l’armement, outre les mesures déjà en vigueur les années précédentes, le droit d’assurer à l’étranger une partie de ses risques, – la disparition, par le biais du nouveau régime de la T.V.A., des rémanences de fiscalité indirecte qui alourdissaient le prix de revient de notre pavillon dans les transports internationaux, – l’approbation donnée en principe par l’État au remboursement de la taxe cédulaire de 5 % sur les salaires versés au personnel navigant, – l’allégement et la simplification des tarifs portuaires, etc.
Il est, cela va de soi, beaucoup trop tôt pour analyser même grossièrement les conséquences économiques et financières de la crise qui vient d’ébranler la France. Pendant un mois au moins la plupart des chantiers ont été occupés par les ouvriers, la plupart des ports paralysés par la grève des équipages, des dockers, des remorqueurs, etc. Les hausses de salaires et accessoires de salaires consenties par le patronat seront d’autant plus difficiles à supporter qu’elles frapperont des budgets déjà amenuisés par l’interruption des travaux et les pertes de fret. Que deviendront d’autre part le Ve Plan et les réformes accomplies ou projetées par l’État au bénéfice des chantiers et de l’armement pour les rendre plus concurrentiels ? Tout permet de prévoir que les pouvoirs publics ménageront ou soutiendront par priorité l’appareil de production ; mais pourront-ils l’aider beaucoup plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent ? Pour ne citer qu’un exemple, les accords triennaux de salaires passés le 14 mai (avant les grèves) entre le Comité central des armateurs et les syndicats devaient entraîner une dépense supplémentaire de 50 millions pour l’année 1968-1969 ; la satisfaction des revendications récentes la porterait, d’après certains calculs, à une centaine de millions en ce qui concerne le seul personnel navigant : sans une assistance substantielle de l’État, les paquebots, si souvent déficitaires, et les cargos petits ou moyens qui embarquent des équipages relativement importants pour leur tonnage seront-ils capables de supporter cette surcharge ?
Aussi bien, nombre de problèmes comporteront des données mal conciliables : une poussée de modernisation contribuerait à tirer notre flotte du mauvais pas en la rendant plus compétitive, mais elle suppose des trésoreries équilibrées, qui sont rares ; une automatisation hardie permettrait des économies de personnel, mais elle aggraverait la crise de l’emploi, etc.
Il nous faudra revenir plus d’une fois sur ces problèmes, à mesure que la situation confuse d’aujourd’hui se précisera et se clarifiera.
(1) La seconde est basée, on le sait, à Holy Loch, en Écosse.
(2) Les Audaz devaient reproduire à l’origine les Fier français (1939-1940) dont aucun n’a été achevé en raison des événements. Mais l’intervention technique des États-Unis à partir de 1958 a complètement transformé les caractéristiques d’origine.
(3) Les 10 premiers seront répartis entre les Ateliers et Chantiers de Bretagne (8), La Seyne (8), La Ciotat (2) et France-Gironde (2). Les 2 derniers seront confiés aux Chantiers de l’Atlantique.