Militaire - Expérimentations nucléaires françaises en 1968 - Projet de fusion Armée de terre-Défense territoriale en Allemagne fédérale - Grande-Bretagne : le Livre blanc supplémentaire sur la défense - États-Unis : la réduction des crédits de défense - La politique de défense des Pays-Bas - La position de la Norvège à l'égard de l'Otan - Révision des accords turco-américains - Renouvellement des accords hispano-américains
Expérimentations nucléaires françaises en 1968
Le 27 août 1968, le ministre des Armées, Pierre Messmer, et le ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de la Recherche scientifique et des Questions atomiques et spatiales, M. Roger Galley, ont exposé au cours d’une conférence de presse les conditions dans lesquelles s’est déroulée la première explosion thermonucléaire française, baptisée Canopus, le 24 août, dans le Pacifique.
Le ministre des Armées ouvre la séance, puis après la présentation du film de l’explosion, M. Galley fait l’exposé suivant :
« Comme suite à la présentation de M. Messmer, je vais maintenant vous dire quelques mots sur le déroulement de la première explosion thermonucléaire française, et plus généralement sur l’ensemble du programme d’expérimentations nucléaires de l’année 1968 au Pacifique. Cet essai réussi du 24 août a naturellement fait passer sous silence ce qui s’est passé au mois de juillet de cette année.
Je voudrais, dans ce cadre, rappeler à tous que, le 16 juillet 1968, une explosion d’une particulière importance a été réalisée sur le champ de tir puisqu’il s’agissait de l’essai de la première charge opérationnelle à l’uranium 235 dopée qui, ayant atteint une puissance d’une demi-mégatonne, représente dans le domaine des armes l’état d’avancement de notre programme nucléaire. Je tiens à souligner par là que l’année 1968 ne sera pas seulement l’année du succès thermonucléaire. Cet essai du 16 juillet s’inscrivait bien évidemment dans notre programme d’équipement en engins balistiques opérationnels ; il a été acquis quelque 15 mois après le démarrage de Pierrelatte, ce qui, dans une certaine mesure, vous donne une idée de la rapidité avec laquelle les choses ont été menées tant sur le plan des études que sur celui de la réalisation des engins. Cet essai, remarquablement réussi puisque cette arme correspond à une demi-mégatonne, vient compléter le programme du sous-marin lance-engins qui, comme vous le savez, a été lancé voici quelques mois. J’ai le plaisir de vous annoncer par ailleurs que le premier cœur de ce sous-marin vient de subir avec succès l’épreuve de la pile Azur : l’essai a été effectué dans des conditions particulièrement satisfaisantes.
Dans le cadre de ce programme, nous avons réalisé le 24 août à 8 h 30, heure locale, sur l’atoll de Fangataufa, le premier essai thermonucléaire. Cet essai est l’aboutissement d’un programme de dix années qui a vu d’abord la mise en place de moyens industriels considérables : celui de la production du deutérium, de la production de tritium, de la production de l’uranium 235. Ensuite se sont développées les études, que vous imaginez facilement, nécessaires aussi bien dans les laboratoires du Commissariat à l’énergie atomique [CEA] que dans tout l’ensemble de l’appareil du ministère des Armées qui a mis le meilleur de ses moyens à la disposition de cette série d’expériences.
La première chose qu’il nous faut dire, c’est que cet essai s’est déroulé dans des conditions météorologiques particulièrement satisfaisantes ; je ne veux pas dire par là qu’il faisait beau temps et que nous ayons pu suivre, aussi bien que nous l’aurions voulu, le spectacle ; mais les conditions météorologiques étaient satisfaisantes en ce que les vents au sol, comme les vents en moyenne et très haute altitudes portaient vers le Nord-Est, c’est-à-dire exactement dans l’axe de la zone d’océan que nous avions réservée ; c’était une zone vide de tout atoll et où aucun bateau n’était présent, de sorte que nous n’avons eu aucun souci concernant les retombées ni au cours de cette expérience, ni après.
En second lieu, ce tir a été effectué dans une nacelle qui était suspendue sous le ballon que vous avez vu tout à l’heure, disposé à six cents mètres de haut. À cette hauteur, nous avons pu constater que l’ensemble de ce qu’il est convenu d’appeler la boule de feu, c’est-à-dire la partie de l’explosion où tout matériel est volatilisé et devient radioactif, n’intéressait que très peu l’eau du lagon et les installations qui y sont disposées ; ainsi, nous n’avons eu qu’une contamination extrêmement faible au sol, ce que j’ai pu moi-même constater puisque je suis retourné, avec un avion militaire, quelque trois heures et demie après l’explosion sur l’atoll de Fangataufa.
Pour la question que vous vous posez tous, à savoir quelle est la puissance de l’explosion, la puissance est de l’ordre de deux mégatonnes. Ce chiffre déjà remarquable par la puissance à laquelle il correspond, l’est encore plus par le fait que c’était exactement la valeur fixée dans le programme aux techniciens du CEA. Ainsi, si vous considériez qu’avec un certain empirisme, nous avons obtenu une bombe thermonucléaire indifférenciée, vous commettriez une lourde erreur ; car cet essai réussi prouve qu’aussi bien sur les problèmes délicats de la chronométrie des différents événements qui se succèdent à l’intérieur de l’engin que sur le plan de la maîtrise des caractéristiques théoriques et physiques de l’ensemble des phénomènes, les techniciens du CEA sont arrivés à une très grande maîtrise ; ce que je peux ajouter de surcroît, c’est que le dépouillement des premières mesures nous permet de dire que l’ensemble des événements s’est déroulé strictement comme les théoriciens l’avaient prévu. Ceci encore une fois, montre que scientifiques et techniciens français ont aujourd’hui une parfaite connaissance du phénomène de l’amorçage et de la réaction thermonucléaire elle-même.
En cela, je crois qu’il faut que s’établisse une hiérarchie de valeur lorsqu’il s’agit de faire des comparaisons de dates entre les premières explosions. Pour prendre un exemple, la première explosion américaine était une explosion d’une quantité considérable de matériaux fusibles dans des conditions très indéterminées ; si je devais me recaler dans le temps comme je me suis recalé en puissance, je dirais que l’engin sophistiqué qui a été tiré le 24 août était un engin qui devait pouvoir se comparer aux meilleures expériences américaines de 1956.
Cette observation ainsi que ce qui précède doit ramener à leur juste proportion certaines critiques apportées à la lenteur avec laquelle nous avons réalisé ce programme.
Dans le phénomène de fusion, nous avons fait un très large appel au deutériure de lithium 6 et l’essentiel de la puissance que j’ai citée tout à l’heure a été obtenu par la fusion des atomes légers.
Pour ceux d’entre vous qui ne seraient pas des spécialistes, je dirai que cette énergie de fusion résulte d’un cycle. Dans un premier temps, les neutrons largement empruntés à l’amorçage, à « l’allumette » comme l’on dit en termes vulgaires, viennent frapper les atomes de lithium 6 et les transforment en hélium 4 d’une part, et en tritium d’autre part, avec une énergie relativement faible pour cette première réaction (de l’ordre de 4,8 millions d’électronvolts). Puis dans une deuxième réaction, il y a fusion de l’atome de tritium ainsi formé avec un atome de deutérium présent dans le deutériure de lithium. Cette réaction de fusion des atomes légers produit un neutron qui bien entendu réamorce le cycle et, en plus d’un nouvel atome d’hélium 4 formé, développe l’essentiel de l’énergie (de l’ordre de 17,5 Mev). L’ensemble du cycle représente une énergie de 22,3 Mev. Voilà l’essentiel de la réaction qui a été utilisée dans la première bombe thermonucléaire française. Évidemment, il existe beaucoup d’autres réactions secondaires qu’il serait un peu fastidieux d’énumérer ici. Mais je crois que pour vous Messieurs, il faut que vous reteniez : la fusion du deutérium avec le tritium est l’essentiel du phénomène.
On peut dire également que cet essai thermonucléaire revêt une importance particulière, car il ouvre aux techniciens du CEA et des Armées des perspectives aussi grandes que possible. En effet, à partir du moment où l’on maîtrise, comme je l’ai exprimé tout à l’heure, le phénomène de l’amorçage, et que l’on maîtrise le phénomène de la fusion, c’est toute la possibilité des gammes d’armes qui nous est ouverte.
Sans que personne ne puisse me contredire, j’ai la conviction et nous avons tous l’impression que quelle que soit la puissance, la quantité d’énergie, si vous voulez, fixée aux techniciens comme objectif à atteindre dans un engin déterminé, la réalisation en est possible. Et, sans révéler de secrets, je peux vous dire que nous avons volontairement limité la puissance mégatonnique des engins qui seront tirés sur les atolls de Fangataufa et de Mururoa ; ceci tout simplement parce qu’il ne nous paraît pas nécessaire de démolir le champ de tir et d’obtenir des puissances gigantesques n’ayant pas d’intérêt particulier. Le souci dominant de notre programme a été, est et restera de serrer d’aussi près que possible les engins opérationnels c’est-à-dire leur dimension, leur poids et leur puissance qui sera de l’ordre d’une mégatonne.
Eh bien, que va-t-il se passer maintenant ? Je pense que nous allons essayer, dans un premier temps, d’améliorer notre connaissance physique des phénomènes et que la connaissance profonde qui est révélée par ce succès nous amène à aborder avec une très grande confiance le problème de la diminution du poids des engins à puissance constante, celui de l’augmentation de puissance à poids donné, lequel a une importance particulière lorsqu’il s’agit de vecteurs déterminés, sans oublier des problèmes importants sur le plan financier comme l’économie de matière nucléaire à poids et à puissance constants.
La bombe H est une bombe à la fois propre et peu onéreuse car, à poids égal le deutériure de lithium développe une énergie valant de 3 à 4 fois l’énergie développée par la matière fissile comme l’uranium 235 ou le plutonium.
Comme le deutériure de lithium, vous vous en doutez bien, est un produit qui ne vaut pas cher, il est hors de doute que le problème de l’économie des engins se trouve sensiblement amélioré par l’utilisation de l’énergie de fusion. Enfin, et ceci est particulièrement sensible sur le plan militaire, les armes à fusion du type de celle tirée samedi dernier sont particulièrement insensibles aux contre-mesures. Vous voyez ainsi arriver le phénomène de l’efficacité de la force de dissuasion, concrétisée par cet essai réussi.
Eh bien, je pense que nous ne pouvons tous que nous féliciter, de ce que cet essai, le premier, ait été réussi et que par là même notre pays devienne l’égal des plus grands. Que ceci soit une preuve de confiance en notre avenir. »
Enfin, M. Messmer et M. Galley, répondant aux questions des journalistes, sont amenés à apporter les précisions suivantes :
— Avant que cette nouvelle bombe thermonuclcaire soit utilisable comme arme, il faut franchir deux stades : 1) réaliser d’abord une réduction de poids, d’ailleurs peu considérable, et vérifier par un essai le nouvel engin ; 2) obtenir la réalisation de la militarisation de l’arme correspondante en faisant appel à des considérations de solidité mécanique, de résistance aux vibrations et aux chocs thermiques, enfin à toutes caractéristiques d’ordre opérationnel.
— Il est possible que d’autres expériences aient lieu cette année ; mais dans la mesure où elles seront nécessaires car il n’est pas souhaitable d’augmenter la contamination de la troposphère de manière excessive sans que cela présente de l’intérêt.
– La fusée SSBS (Sol-sol balistique stratégique), compte tenu de son niveau technique, est susceptible d’être dotée d’une tête nucléaire. Il sera donc possible d’ici quelques années de doter nos armées d’un armement thermonucléaire.
– Le fait que l’expérience du 24 août ait été faite sous ballon (technique spécifiquement française) a réduit les retombées radioactives au point que, trois heures après l’explosion, la radioactivité sur l’atoll de Fangataufa était de l’ordre de ce qu’on trouve dans un laboratoire à Saclay.
– En cas d’un accord international sur le désarmement nucléaire – que la France souhaite à condition qu’il soit sérieux, c’est-à-dire total et contrôlé – nous récupérerons d’autant plus facilement les matières fissiles et fusibles que, sur le plan mécanique, ce n’est que quelques heures avant le tir que l’on assemble les différents constituants stockés séparément pour des raisons de sécurité.
– Notre expérience du 24 août a été suivie par beaucoup d’observateurs étrangers : il y avait un très grand bateau américain, un très grand bateau anglais ; il y avait aussi des avions.
– Une arme de portée mondiale n’a de signification que si l’explosif est thermonucléaire. Quant aux armes à tête multiple, elles font appel aux dispositifs thermonucléaires.
– Pour qu’un système d’armes soit utilisable, il faut disposer du vecteur et de la bombe ; par conséquent lorsque nous examinons un programme et son délai d’exécution, nous ajustons toujours la réalisation du vecteur et celle de l’explosif.
Et le ministre des Armées répondant à deux questions, l’une sur le « ralentissement financier » et l’autre sur le coût de ce programme d’essais nucléaires, a terminé comme suit cette conférence de presse :
Ne vous y trompez pas, nous avons réalisé dans le domaine nucléaire – sur le plan financier j’entends – des dépenses très importantes dans les années passées, mais dont beaucoup correspondent à des investissements qui n’ont pas à être refaits tous les ans. Nous ne referons pas une seconde usine de Pierrelatte l’année prochaine ; en tout cas, ce ne seront pas les militaires qui le demanderont. Nous ne referons pas, dans les deux ou trois ans à venir, un nouveau champ de tir comme celui que nous avons réalisé à Mururoa et à Fangataufa. Par conséquent, avec des crédits égaux et même avec des crédits moins importants, il est permis d’enregistrer des réalisations pratiques, dans le domaine militaire, qui sont substantielles car je le répète nous avons payé cher des investissements qui sont maintenant réalisés.
Il est certain que la proportion des crédits entre vecteurs et explosifs a tendance, depuis déjà deux ans, et continuera à avoir tendance à évoluer en faveur des vecteurs.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas voulu donner publiquement la répartition de nos crédits entre les études, les essais et les fabrications. Il est possible que dans un avenir pas très lointain, nous révisions cette décision et que nous fournissions des informations publiques sur ce sujet. Mais jusqu’à aujourd’hui nous n’avons pas accepté de fournir ces informations détaillées et je ne pense pas qu’il soit possible que je les donne aujourd’hui.
Projet de fusion Armée de terre – Défense territoriale, en Allemagne fédérale
Bonn vient de faire connaître les grandes lignes de son projet de fusion de l’Armée de terre (Bundesheer) et des Forces de Défense territoriale (Heimatschutztruppe). Son application pourrait commencer en janvier prochain et s’échelonner sur trois années.
L’intérêt de ce projet réside dans la fusion des 12 divisions de l’Armée de terre – qui sont intégrées dans l’Alliance Atlantique, donc placées sous direction Otan – et des unités territoriales qui, elles, sont sous commandement national.
Cette réorganisation répond, semble-t-il, à deux préoccupations essentielles :
– l’une immédiate, due aux restrictions budgétaires : réduction des états-majors et services, meilleure coordination de l’emploi des moyens existants, notamment dans le domaine de l’instruction.
– l’autre, plus lointaine, envisageant le retrait de troupes américaines stationnées en RFA. La Bundeswehr serait alors en mesure, éventuellement de relever les commandements alliés de l’Otan dans le cadre d’une défense européenne.
Ce projet, bien entendu, doit être soumis à l’Otan. En cas d’acceptation, il entraînerait des modifications dans l’organisation territoriale et dans celle du commandement allemand. En ce qui concerne ce dernier, une chaîne nationale de commandement serait mise en place :
[Schéma]
Ministre de la Défense, Inspecteur des Forces terrestres :
• Commandant Nord installé près de NORTHAG (Général de CA)
– 1 General Kommando
– 1 General Kommando
– 1 Stellvertreter General Kommando
• Commandant Sud installé près de CENTAG (Général de CA)
– 1 General Kommando
– 1 General Kommando
– 1 Stellvertreter General Kommando
Le Stellvertreter General Kommando commanderait une région militaire sans contact avec le rideau de fer.
Le General Kommando commanderait, en temps de paix, à la fois un corps d’armée (une division pour le Schleswig-Holstein) et une région militaire en contact avec le Rideau de fer.
Cette organisation permettrait au gouvernement allemand de faire l’économie de 5 états-majors avec leurs organes de transmissions, d’administration, etc., soit environ 10 000 personnes qui seraient utilisées ailleurs.
Certains ont voulu voir dans ce projet un moyen pour l’Allemagne de se désengager de l’Otan, mais il semble qu’il s’agisse avant tout d’une mesure de défense nationale et de sauvegarde du territoire.
Grande-Bretagne : le Livre blanc supplémentaire sur la défense
Un supplément au Livre blanc annuel, paru en février 1968, a été publié le 11 juillet 1968 par le gouvernement britannique. Il confirme les positions adoptées en ce qui concerne :
– le retrait d’ici 1971 des forces stationnées à l’Est de Suez ;
– l’augmentation de la participation de la Grande-Bretagne à l’Otan ;
– le report de l’effort militaire sur le théâtre européen.
Environ 40 000 hommes stationnés à l’Est de Suez seront rapatriés dans les 3 années qui suivent. Cette mesure entraîne le transfert de la base de Singapour au gouvernement local. Cependant la moitié de l’arsenal restera jusqu’en 1972 à la disposition de la Royal Navy, tandis que l’autre moitié sera reconvertie en chantier naval civil géré par une société auprès de laquelle seront détachés des officiers anglais. Certains services logistiques seront transférés à Hong Kong dont la garnison sera renforcée par une escadrille de la Royal Air Force (RAF). La base de Gau et l’escale de Masirah sont maintenues, en prévision d’une intervention des réserves stratégiques. Quant aux installations militaires du golfe Persique, elles seront remises aux émirats en 1971 selon des accords à réaliser.
L’augmentation de l’aide à l’Otan, décidée par le gouvernement britannique, s’est traduite par la mise à la disposition de l’Alliance, en février, de la 3e Division de la Réserve stratégique (3 brigades d’infanterie, 1 brigade de parachutistes et 1 régiment de commandos de renseignement et d’action) et du 38e Groupe de l’Air Support Command pour le transport et l’appui de cette grande unité. Cet apport doit être complété :
– d’abord par une force navale de 2 porte-hélicoptères d’assaut, de 2 transports de chalands de débarquement et de 3 ou 4 commandos de Royal Marines ;
– un peu plus tard, par une escadrille de Avro Shackleton qui sera transférée d’Angleterre à Malte ;
– en 1969, par des appareils McDonnel Douglas F-4 Phantom II et Blackburn Buccaneer ;
– en 1970, par des unités de missiles sol-air Rapier et un destroyer lance-missiles qui sera affecté à la Force navale de Méditerranée.
C’est donc essentiellement le théâtre européen qui bénéficiera de ce mouvement de rapatriement. Cependant que dans leur ensemble les effectifs militaires seront réduits : 17 bataillons ou unités équivalentes seront dissous avant avril 1970 et 9 autres avant septembre 1972.
D’autres économies toucheront l’infrastructure des forces armées : les arsenaux de Douvres, Harwich et Dalmuir seront fermés cette année ; en 1969, l’établissement de recherche de Harlow ; d’ici à 1972 la moitié des bases affectées à l’aéronavale et d’ici à 1975 une vingtaine de bases de la RAF.
Enfin, la commande du 8e sous-marin nucléaire de chasse prévue pour cette année est retardée d’un an.
Quant aux prochains budgets de la Défense, ils seront réduits en valeur absolue : de 2 271 milliards de livres pour l’exercice 1968-1969, ils ne s’élèveront qu’à 2 251 Mds £ en 1969-1970 et 2 014 en 1972-1973 (prix constants 1968).
Ce supplément au Livre blanc a été soumis à la Chambre des Communes qui l’a approuvé par 284 voix contre 242. L’opposition conservatrice a renouvelé ses critiques à l’égard de la politique de défense du gouvernement travailliste. Si elle approuve l’effort au profit de l’Otan, elle regrette les réductions d’effectifs et le retrait des troupes stationnées à l’Est de Suez. Les conservateurs prétendent que ces mesures ne tiennent aucun compte des intérêts et des obligations de la Grande-Bretagne et que s’ils reviennent au pouvoir, ils amélioreront les crédits affectés à la défense, stopperont les retraits des troupes britanniques, développeront les missiles surface-surface, maintiendront en service les porte-avions pour appuyer les interventions éventuelles outre-mer.
*
Quant à la politique britannique de collaboration avec d’autres pays européens, elle semble devoir s’accentuer en ce qui concerne la fabrication d’armements et de matériels aéronautiques et, au contraire, se réduire dans le domaine aérospatial.
C’est ainsi :
– qu’un accord germano-britannique a été signé pour la fabrication d’un obusier de campagne de 155 mm aérotransportable, d’une portée supérieure à 20 km ;
– que la Grande-Bretagne s’associe avec les Pays-Bas, l’Italie et la RFA pour la réalisation de l’avion de combat MRA-75 ; la France et la Belgique envisagent d’y participer ;
– que la Grande-Bretagne a confirmé sa résolution de faire aboutir, avec la France et la RFA, le projet d’Airbus européen A300.
Par contre, dans le domaine aérospatial, Londres a fait connaître qu’il renonçait à participer au programme ELDO (European Launcher Development Organisation) après 1971 et qu’il ne contribuera plus au financement des dépenses supplémentaires jusqu’à cette date.
États-Unis : la réduction des crédits de défense
Le président Johnson avait accepté, en échange de l’augmentation de 10 % des impôts directs, de réaliser des économies, s’élevant à 6 millions de dollars, sur l’ensemble des dépenses de l’État.
Les crédits militaires – qui représentent 51,3 Mds $, non compris ceux directement liés au conflit vietnamien – doivent subir une amputation d’environ 3 Mds $, répartis à peu près également entre les trois armées.
Des informations récentes indiquent les mesures déjà décidées :
– suppression des manœuvres de la 24e Division d’infanterie (DI) prévue, en RFA en 1969, au moment où deux brigades de cette grande unité avaient été rapatriées aux États-Unis pour renforcer les réserves stratégiques ;
– dissolution, un an plus tôt que prévu, de deux escadrons d’intercepteurs McDonnell F-101 Voodoo du commandement de la défense aérienne ;
– abandon définitif de la version aéronavale du General Dynamics F-111 Aardvark ;
– suppression de 130 000 postes de fonctionnaires du secrétariat de la Défense (sur les 244 000 pour l’ensemble des départements ministériels).
D’autres mesures viendront compléter cette liste. Elles pourraient concerner notamment la version améliorée du Spartan, le radar Tacmar, le système embarqué de défense anti-missiles Sabmis, la production du Hawk amélioré, le système de défense contre avions de l’armée de terre SAM D, les programmes de missiles sol-sol anti-tank Tow et de missiles air-air Sea-Sparrow.
La politique de défense des Pays-Bas
Le gouvernement néerlandais a fait connaître, par une note publiée le 21 juin 1968, sa position en matière de défense.
Il estime que l’Otan demeure la pierre angulaire de la défense européenne. Il justifie cette position par les récents événements dans certains pays de l’Est et par le climat politique entre l’Est et l’Ouest, qui ne s’est pas suffisamment amélioré pour permettre un rapprochement pacifique durable. Il envisage d’accroître, légèrement, le volume de ses forces à la disposition des Nations unies et de créer, au profit de la défense civile, de nouvelles unités capables d’intervenir aussi bien aux Pays-Bas qu’à l’étranger.
Quant aux dépenses militaires, les prévisions sont les suivantes :
1968 : 3 184 millions de florins
1969 : 3 377 “ “
1970 : 3 472 » “
1971 : 3 568 “ “
donc en augmentation constante mais en diminution quant au pourcentage par rapport au budget général (qui était de 18,7 % en 1963 et de 14 % seulement en 1968, soit 4,1 % du revenu national).
La position de la Norvège à l’égard de l’Otan
La Norvège vient de prendre position au sujet du renouvellement du Pacte atlantique, en 1969.
La majorité et l’opposition travailliste ont été d’accord pour adopter la résolution présentée par le gouvernement : la Norvège continuera à faire partie de l’Otan après 1969. Les raisons invoquées sont les suivantes :
– les divergences restent fondamentales entre les deux parties de l’Europe et le problème allemand n’est pas réglé ;
– l’ONU ne dispose toujours pas des moyens d’assurer la sécurité des pays membres ;
– la Norvège, du fait de son importance stratégique, n’a pas la possibilité d’assurer seule sa défense ;
– enfin, elle peut, par sa présence, exercer une influence directe sur la politique de l’Alliance, en vue de favoriser la paix et la sécurité de l’Europe.
Le texte adopté par le parlement norvégien contient également deux prises de position intéressantes : l’une affirme que le nouveau concept stratégique allié dit de la « risposte graduée » a renforcé la « crédibilité » de l’Alliance, l’autre fait allusion à l’intérêt que présenterait un système européen de sécurité pour compenser celui installé dans la zone nord-américaine.
Ainsi la Norvège semble bien devoir rester dans l’Otan après 1969 tout en maintenant, pour ménager l’URS.S, son refus d’autoriser l’installation de bases alliées et de dépôts d’armes nucléaires sur son territoire.
Révision des accords turco-américains
La révision des accords bilatéraux entre la Turquie et les États-Unis – entreprise après l’affaire de l’U-2 abattu en mai 1960 au-dessus du territoire soviétique, puis reprise après celle du B-57 disparu au-dessus de la mer Noire en décembre 1965 – vient de se matérialiser par le transfert, en juin 1968, du centre Otan de télécommunications de Manzarali, près d’Ankara, aux forces armées turques.
La Turquie, elle aussi, sans renoncer à l’aide étrangère pour sa défense et sans remettre en question sa participation à l’Otan, tend à se libérer de certaines contraintes. L’opposition au gouvernement estime que la sécurité des flancs de l’Otan n’est pas suffisante alors que la présence de missiles sur le territoire turc accroît les risques pour le pays en cas de conflit ; elle tend à faire admettre le principe de la souveraineté nationale en matière de défense.
Déjà Ankara a décidé de limiter le développement des installations américaines existantes et de rejeter toute demande de nouvelles constructions. En contrepartie, il envisagerait un plan de fabrication d’armements nationaux ; or les crédits réservés aux industries de guerre ont été réduits en 1968 de 27 % tandis que l’aide financière américaine l’était, pour la même période, de 36 %.
Renouvellement des accords hispano-américains
C’est courant septembre que doivent reprendre à l’échelon gouvernemental les négociations commencées en juillet et août derniers, au niveau des chancelleries et des experts, pour le renouvellement des accords hispano-américains relatifs aux bases américaines dans la péninsule. La presse espagnole a publié les points sur lesquels Madrid compte obtenir des concessions :
– la signature d’un accord bilatéral de défense mutuelle, que justifieraient les menaces que les Soviets font peser en Méditerranée ;
– une augmentation de l’aide militaire qui permettrait à l’Espagne de moderniser plus rapidement ses forces armées, notamment en matériels lourds ;
– un allégement des restrictions financières décidées au début de l’année par le président Johnson, aux dépens de l’industrie espagnole ;
– une révision du statut des militaires américains stationnés en Espagne qui, jusqu’ici, échappent à la justice espagnole en cas de délits commis en Espagne ;
– enfin, un appui de Washington pour le règlement de la question de Gibraltar.