Maritime - Dans la Marine française : la troisième campagne de tirs de Polynésie - Le supplément au Livre blanc britannique sur la Défense - Aux États-Unis : guerre du Vietnam et armements navals - La session de 1968 de l'Association technique maritime et aéronautique
L’aggravation récente de la situation internationale et, particulièrement, la crise tchécoslovaque ont relégué dans l’ombre l’évolution de la politique navale au cours des mois d’été, en France comme à l’étranger ; elle mérite pourtant, par son importance souvent décisive, de retenir l’attention.
Dans la marine française : la 3e campagne de tirs de Polynésie
La 3e campagne de tirs nucléaires exécutés par la France au Centre d’expérimentations du Pacifique (CEP) s’est ouverte le 7 juillet 1968. Nos forces navales et aéronavales y ont joué le même rôle que dans la campagne de 1966 et, à une échelle réduite, dans la campagne mineure de 1967 : transports logistiques et de personnel, évacuation des atolls cibles, bouclage et police de la zone dangereuse, déclenchement des explosions par le bâtiment de commandement De Grasse, contribution technique au contrôle des résultats des tirs (appareils de mesure, prélèvements d’eaux supposées radio-actives, décontamination, etc.).
Parallèlement à la campagne de tirs de Mururoa-Fangataufa, d’importants progrès ont été réalisés en métropole dans le domaine des missiles marins.
La frégate lance-engins Suffren vient d’exécuter en Méditerranée les derniers essais exigés pour son admission au service actif. Ils ont compris essentiellement, entre le 8 et le 16 juillet, des lancements réussis d’engins surface-air Masurca, d’une portée de 40 km et comparables aux Terrier américains ; ces engins, pour le moment téléguidés, seront sans doute remplacés en 1969 par des engins autoguidés capables de performances supérieures. Le Duquesne, réplique du Suffren et mis sur cale deux ans après lui, est entré en armement pour essais le 27 juillet.
Au Centre d’essais des Landes ont été lancés au mois de juillet des missiles SSBS (Sol-sol balistiques stratégiques) et MSBS (Mer-sol balistiques stratégiques), ceux-ci destinés à équiper les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), les prototypes de leurs ogives nucléaires étant expérimentés à Mururoa. À la différence des missiles mono-étages lancés en Méditerranée en 1966 et 1967, ils comportaient deux étages actifs (à poudre) ; tirés d’abord à partir d’une rampe installée à terre, et avec un plein succès, ils le seront ensuite par le sous-marin expérimental Gymnote, transféré à cet effet de Toulon à Lorient. Le lancement de ces missiles en direction des Açores est contrôlé, comme on sait, par les appareils électroniques du bâtiment réceptacle Henri Poincaré (trajectoire, rentrée dans la basse atmosphère, point de chute).
Le supplément au Livre blanc britannique sur la défense
On se rappelle que le Livre blanc britannique sur la défense, publié le 22 février 1968 en pleine crise financière et économique, ne pouvait assortir les estimations budgétaires pour l’exercice 1968-1969 d’un exposé précis sur l’avenir à moyen ou à long terme de la politique militaire du Royaume-Uni et de la répartition de ses forces dans le monde : il avait un caractère provisoire et devait être complété au cours de l’été par un nouveau document, formulant avec clarté les intentions d’un gouvernement mieux instruit, espérait-on, de l’évolution probable de la situation.
Ce document vient d’être publié le 11 juillet.
C’est à la concentration de son effort en Europe que le gouvernement britannique entend se consacrer désormais, après avoir pris la décision d’accélérer l’abandon de ses positions au-delà de Suez. Trois principes gouvernent sa nouvelle politique militaire, compte tenu évidemment de la sécurité primordiale de la métropole :
– l’augmentation de la contribution à l’Otan, grâce aux moyens retirés du golfe Persique et du Sud-Est asiatique ;
– le renforcement du flanc méridional de l’Alliance, devenu plus vulnérable à la suite du développement de la puissance navale russe en Méditerranée ;
– dans l’avenir, une solidarité croissante des membres européens de l’Otan, qui devraient adopter « une défense intégrée ». Le supplément au Livre blanc ne manque pas d’observer que « les sous-marins Polaris britanniques sont le seul élément européen du deterrent nucléaire stratégique de l’Otan » et que « la Royal Navy est de loin la plus forte marine de l’Europe ».
En conséquence de ces principes, le gouvernement, qui avait déjà décidé de conserver une petite force de frégates en Méditerranée, l’accroîtra en 1969 d’une escadrille d’avions d’exploration Shackleton, qui sera basée à Malte (des Nimrods modernes remplaceront plus tard ces appareils), – en 1970 d’une frégate lance-missiles du type County et d’un transport de commandos.
D’autre part, 2 transports de commandos et 2 assault ships, ainsi que tous les avions Buccaneer Mark 2 et F-4 Phantom II qui entreront en service au-delà de la période 1969-1972 seront affectés à l’Otan.
Enfin, si le supplément au Livre blanc reproduit les renseignements déjà publiés sur les constructions neuves en cours ou projetées, il les complète sur un certain nombre de points :
– généralement parlant, les difficultés financières exigeront un étalement dans le temps des programmes ;
– le croiseur Blake, premier des Tiger converti en porte-hélicoptères et prototype d’une nouvelle classe de croiseurs, sera commissionné à la fin de l’exercice fiscal 1968-1969 ;
– 2 frégates polyvalentes du type Leander ont été commandées : ce seront les dernières et elles auront pour successeurs des unités plus petites, propulsées uniquement par des turbines à gaz, mais dont la date de première mise en chantier ne peut encore être fixée ;
– enfin un destroyer lance-missiles remplacera, avec un tonnage moindre, le Bristol sur cale depuis 1967 et qui ne sera pas reproduit ; il disposera comme lui d’un système d’armes sol-air Sea Dart, nettement supérieur au Sea Slug qui équipe les County (portée de 50 km au lieu d’une trentaine) et de l’excellent engin anti-sous-marin (ASM) australien Ikara ; mais la date de sa commande demeure aussi imprécise que celle des nouvelles frégates.
Notons, parmi les améliorations apportées au matériel existant, l’installation d’un engin Ikara à bord d’un certain nombre de Leander, dont il accroîtra la capacité ASM, et l’information donnée par M. Healey, Secrétaire d’État à la Défense, le 11 juillet dans une conférence de presse que les sous-marins Polaris britanniques recevraient, comme les SSBN américains quand ils seront équipés du Poseidon, des engins balistiques à têtes multiples, plus capables que les engins à tête unique de traverser les réseaux de défense ennemis et de détruire des objectifs étendus.
Aux États-Unis : guerre du Vietnam et armements navals
La détérioration de la situation internationale inquiète aussi les États-Unis, qui, malgré leur volonté de ne pas porter atteinte à la coexistence pacifique, craignent de voir se réveiller la guerre froide et commencent à souhaiter vivement d’être débarrassés de la servitude vietnamienne, car elle paralyse dans une mesure croissante, financièrement et militairement, leur liberté d’action dans le reste du monde. Mais, ni dans les négociations de Paris (vingt réunions vaines jusqu’à ce jour !), ni sur le théâtre des opérations, aucun événement décisif n’est encore intervenu qui permette à l’Amérique de relâcher son effort, voire, plus simplement, d’accepter un arrêt inconditionnel de ses bombardements, sans s’exposer, croit-elle, à perdre la face et à compromettre la sécurité de ses troupes, menacées par les infiltrations, toujours plus nombreuses, de réguliers nord-vietnamiens.
On ne retracera pas ici l’histoire des combats de l’été, sinon pour rappeler brièvement qu’après une accalmie relative qui a duré jusqu’à la mi-août (peut-être était-elle voulue par Hanoï et le Vietcong pour encourager Washington à prendre l’initiative d’une politique de concessions), les opérations ont recommencé avec violence dans presque tout le pays (au Sud, attaques répétées contre treize villes du Delta, contre Tay Ninh et Trang Bang, – au centre, durs accrochages autour de Da Nang et de Quang Ngai, – au Nord, ébauche d’une offensive d’envergure contre les cinq provinces frontalières). L’impression se confirme qu’Américains et Sud-Vietnamiens, retranchés dans des périmètres fortifiés souvent fort étendus, se bornent à les défendre et à tenter de les élargir, laissant ailleurs sa liberté de mouvements à l’adversaire.
Au cours de ces combats, Marines et forces fluviales ont été engagés vigoureusement à plusieurs reprises : vers la fin de juillet, dans une opération amphibie de nettoyage autour de Cantho, – le 10 août, dans une autre opération amphibie partie de la mer au Nord de Hué et où 8 PACV (patrouilleurs sur coussins d’air, rappelés pour la circonstance du Delta où ils étaient basés depuis le printemps de 1966) ont bousculé l’adversaire, – les 23 et 24 août enfin, autour de Da Nang, qui est, comme on sait, une des bases principales des Marines et de l’aéronavale ; la situation y a été rétablie avec quelque peine.
En métropole, où naturellement aucune des unités inscrites dans le programme de 1968-1969 n’a encore été commandée, 2 frégates à propulsion nucléaire et lance-engins l’ont été au mois de juillet au titre du programme de 1967-1968 : elles porteront à 6 (1 croiseur et 5 frégates) le nombre des escorteurs pourvus de ces caractéristiques, qui sont destinés à faire équipe avec le porte-avions Enterprise et ses successeurs (8 en construction ou prévus) considérés comme les unités les plus précieuses de la marine américaine. Mais M. McNamara a proposé, avant de quitter le secrétariat de la Défense, d’inscrire 2 nouvelles frégates à propulsion nucléaire, d’un type amélioré, dans le budget de 1969-1970 et 2 autres dans celui de 1970-1971 : vers le milieu de la prochaine décennie, les 4 Enterprise bénéficieraient donc de la protection de 10 bâtiments disposant d’un mode de propulsion semblable au leur.
La flotte sous-marine de dissuasion paraît, elle aussi, à la veille de réaliser des progrès importants. On sait que, sur les 41 SSBN qui la composent, 31 doivent être équipés, au fur et à mesure de leurs grands carénages, du nouvel engin Poseidon, qui n’est pas seulement un peu plus puissant et précis que le Polaris A3, mais possède des têtes multiples dont nous avons indiqué plus haut la supériorité incontestable sur les têtes uniques ; le premier Poseidon vient d’être lancé le 16 août, avec un plein succès, à partir d’une base terrestre ; son expérimentation est, semble-t-il, plus précoce que ne le prévoyait le calendrier originel.
Cependant la marine américaine connaît également des déceptions. Déjà au cours de l’hiver 1967-1968 le Royaume-Uni avait annulé par économie la commande passée aux États-Unis de chasseurs-bombardiers General Dynamics F-111A Aardvark à géométrie variable pour le réarmement de la Royal Air Force (RAF). À leur tour, la commission des forces armées de la Chambre des représentants et le Pentagone viennent de condamner la version navale de cet appareil, le F-111B, destiné à remplacer les Phantom dans l’aviation embarquée américaine : ils le considèrent comme trop coûteux, trop lourd et incapable d’accomplir les performances promises. La leçon vaut pour l’Europe comme pour les États-Unis ; l’industrie aéronautique, la militaire surtout, est une industrie chère, par la longueur de ses recherches et de ses essais, par les mécomptes qu’elle subit ; elle exige ou la richesse américaine, ou dans l’Europe occidentale plus pauvre une coopération internationale faite de concessions réciproques à laquelle, on le sait, les puissances intéressées ne s’accoutument pas toujours sans difficultés.
La session de 1968 de l’Association technique maritime et aéronautique
Les circonstances ont empêché la Revue de publier en son temps le compte rendu de la session de 1968 – la 68e – de la célèbre « Association technique maritime et aéronautique », qui s’est tenue à Paris entre le 6 et le 10 mai.
Cette session a rassemblé, comme à l’ordinaire, autour des trente-sept auteurs de communications, l’élite des spécialistes des sciences navales, aéronautiques et spatiales, chercheurs et ingénieurs, militaires ou civils, français ou étrangers.
Comme à l’ordinaire aussi M. Jean Marie président de l’Association a ouvert les débats par un exposé remarquablement clair, malgré la richesse extrême et la technicité de sa documentation, des progrès accomplis d’une année à l’autre dans le triple domaine de la marine militaire, de la marine marchande, de la conquête de l’espace et de l’aéronautique. Nous en retiendrons, comme offrant particulièrement matière à réflexion :
– l’extraordinaire mutation de l’arsenal de Cherbourg, spécialisé non plus seulement dans la construction des sous-marins classiques, mais dans celle de notre flottille de SNLE, avec tous les problèmes délicats qu’elle pose ;
– la mise au point du modèle libre de sous-marin du Bassin d’essais des carènes, « qui accroît de façon très importante le potentiel de cet établissement pour tout ce qui concerne la navigation » ;
– l’analyse très poussée des questions soulevées par le développement des pétroliers géants (sinistre du Torrey Canyon, conséquences de la fermeture du Canal de Suez, chantiers de construction pour les unités de 200 000/300 000 tdw à 500 000 tdw au Japon et en Europe, ports terminaux avec chenaux et postes de réception dragués, rades d’éclatement) ;
– le présent et l’avenir des porte-conteneurs (nécessité d’une politique prudente, s’il est vrai qu’en 1970 « il y aura, sur l’Atlantique, 45 transports de ce type d’une capacité de 9 000 000 tonnes, alors qu’on peut estimer que seulement 3 000 000 t de marchandises devront être transportées ») ;
– la situation actuelle des aéroglisseurs (SRN4 britannique et Naviplane 300 de la SEDAM française) ;
– dans l’ordre de la conquête spatiale et de l’aéronautique où l’exposé de M. Jean Marie est particulièrement documenté et copieux, le parallèle décevant entre l’énormité de l’effort américain ou russe et la dispersion, encore excessive, des recherches comme des réalisations européennes, surtout en ce qui concerne les satellites (communications, navigation, météorologie, etc..) et l’organisation de la vente des avions civils à l’étranger, qui pourrait être beaucoup plus fructueuse qu’elle ne l’est.
Si toutes les communications présentées offrent le plus haut intérêt pour les spécialistes des matières dont elles traitent, les marins – guerre ou commerce – devront s’attacher à lire celles qui ont été consacrées au modèle libre de sous-marin du Bassin d’essais des carènes (l communication), – aux hélicoptères embarqués (2), – aux aéroglisseurs marins (1), – à la construction des navires méthaniers (2, techniques autoporteuses ou techniques intégrées), – aux navires porte-conteneurs (1), – à la détermination de la jauge la plus rationnelle, que devra proposer la conférence internationale de 1969 (1), – aux applications possibles de la gestion automatisée dans un chantier de construction (1), « application des méthodes modernes de traitement de l’information au moyen d’ensembles électroniques de gestion »).