Outre-mer - L'accord d'association du Kenoutan (Kenya, Ouganda, Tanzanie) au Marché commun européen - Deux nouveaux États africains accèdent à l'indépendance : le Swaziland et la Guinée espagnole - Le démarrage du barrage géant de Cabora-Bassa - Les dernières opérations militaires au Nigeria
L’Accord d’association du Kenoutan au Marché commun européen
Le 6 juin 1967 à Kampala, les trois chefs d’État du Kenoutan (Kenya, Ouganda et Tanzanie) ont signé un traité de coopération qui fut, à l’époque, présenté comme événement historique. Le 28 août 1968, le vice-Président de l’Ouganda inaugurait dans la même ville l’édifice de 7 étages qui abritera désormais certains des services communs de cette nouvelle Communauté économique Est-africaine.
Cependant, le 26 juillet 1968 cette Communauté économique Est-africaine s’est associée à la Communauté économique européenne. Elle a signé en effet à Arusha, en Tanzanie, l’accord particulier qui, avec les 18 États Africains et Malgache et le Nigeria, porte à 22 le nombre des États d’Afrique noire associés à la CEE.
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Déjà au temps de l’époque coloniale et sous l’instigation des Britanniques, Kenya, Ouganda et Tanzanie avaient tenté de se regrouper en une Fédération politique et économique d’ailleurs très souple. Un système financier unitaire, une organisation commune des transports et un tarif douanier commun unissaient alors les trois économies mais favorisaient singulièrement le Kenya, Nairobi avantagé, ne manqua pas d’en profiter. Aussi, au moment de l’Indépendance, Tanzanie et Ouganda jugèrent bon de prendre leurs distances et la Communauté s’effrita. Cependant cette expérience montra l’intérêt pour chacun des 3 États de grouper leurs efforts pour mieux faire face à leur sous-développement. L’intérêt politique d’un tel regroupement conforme d’ailleurs à l’esprit de l’unité africaine, n’était pas négligeable. Les avantages économiques qui pourraient être tirés d’une coopération régionale, les échanges intérieurs qui s’en trouveraient favorisés et, sur le plan du commerce extérieur, la porte qui pourrait s’ouvrir à de nouveaux marchés, poussèrent les partenaires à se rapprocher de nouveau.
Aussi, après de longues et difficiles négociations, divers aménagements furent-ils apportés aux structures de l’ancienne Communauté. La répartition des services communs fut corrigée mais le principe d’un tarif douanier externe fut maintenu, permettant par le jeu de taxes diverses et par une action préorientée de la Banque d’investissement de donner satisfaction aux aspirations de l’Ouganda et de la Tanzanie.
Ainsi, naquit la Communauté rénovée, objet de l’accord du 6 juin 1967.
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L’accord d’association avec la CEE qui vient d’être signé le 26 juillet à Arusha s’inscrit dans la perspective d’une coopération eurafricaine.
Sans doute les échanges traditionnels avec l’ancien colonisateur demeurent-ils les plus importants et, d’une manière générale, le commerce avec l’Europe des Six occupe le second rang. Il porte essentiellement sur des produits agricoles en échange de divers produits alimentaires ou manufacturés. Mais l’application de l’accord qui prévoit la suppression des droits de douane devrait permettre aux trois États de vendre plus facilement dans certaines conditions et dans certaines limites sur les marchés européens, la Communauté Est-africaine de son côté réduisant sensiblement dans certains domaines ses tarifs douaniers au bénéfice des « Six ». Il se devait, bien sûr, que ces conditions tiennent compte des traités antérieurs qui lient la CEE aux autres États africains et en particulier à ceux signataires de la Convention de Yaoundé.
Aussi la Communauté Est-africaine désire-t-elle déjà pour l’avenir une amélioration du système. Mais pour l’instant, l’accord paraît bien être, aux yeux des trois États, et l’aboutissement d’un désir, affirmation de leur indépendance, et l’espoir, avec un développement accru des échanges, d’une amélioration des aides que les six Gouvernements Européens pourraient leur dispenser. Quoi qu’il en soit, l’accord d’Arusha ne pourra entrer en vigueur qu’après les ratifications nécessaires, et sa période d’application utile en sera réduite d’autant. Il n’empêche qu’un nouveau pas vient d’être fait dans le sens de la Coopération Eurafricaine, alors que la Communauté Est-africaine, qui représente un ensemble viable, suscite déjà l’intérêt de certains de ses voisins. Zambie et Éthiopie notamment souhaiteraient, semble-t-il, vouloir à leur tour s’y associer.
Deux nouveaux États africains accèdent à l’indépendance : le Swaziland et la Guinée espagnole
Le 6 septembre 1968, le Swaziland a accédé à l’Indépendance sous le nom de Ngwane.
Ce petit royaume de 17 000 km2, enclavé à proximité du Mozambique dans le Nord-Est de la République d’Afrique du Sud, groupe, indépendamment de quelque 8 000 Européens et 4 000 Métis, environ 400 000 habitants, Swazis en majorité qui appartiennent au groupe ethnique des Ngumis lequel rassemble aussi des Zoulous et Xhosas. Sa capitale Mbabane compte 14 000 habitants.
Ce dernier protectorat britannique en Afrique, devenu en 1967 un « État protégé », jouissant de l’autonomie interne, est une monarchie constitutionnelle où néanmoins l’autorité du vieux roi Ngwenyama Sobhuza II est encore très forte.
Le Souverain est assisté d’un Conseil national swazi qui groupe avec la Reine-Mère des Conseillers élus ou désignés suivant la tradition tribale. Ce Conseil en particulier émet des avis avant toute attribution de terres ou concessions minières et autorise le Parlement à légiférer en matière de coutumes tribales.
Deux chambres composent ce Parlement : une Assemblée de 30 membres dont six sont nommés par le Roi et un Sénat de 12 membres, six élus par l’Assemblée et six nommés par le Roi.
Le Premier ministre qui est aussi nommé par le Roi doit être le Chef du Parti majoritaire de l’Assemblée. Lors des élections générales de 1967 qui précédèrent l’accession à l’autonomie interne, le parti royaliste INM (Imbokodvo National Movement) remporta la totalité des sièges devant le NNLC (Ngwune National Liberatory Congress) de tendance panafricaine qui avait cependant obtenu près de 20 % des voix.
Le Swaziland n’a pas d’armée. Une force de Police de 600 hommes suffit au maintien de l’ordre.
Le royaume n’est pas dépourvu de ressources. Produits agricoles : 950 000 t de canne à sucre, 9 000 t de coton, des fruits, du maïs et un cheptel relativement important, 500 000 têtes de bovins. Industries extractives prospères : mines d’amiante (36 000 t), mines de fer (1600 000 t) et quelques industries alimentaires, textiles ou dérivées du bois.
Le Swaziland exporte principalement ses produits vers les pays anglophones, Afrique du Sud, Grande-Bretagne, Nouvelle Zélande, États-Unis. Ses fournisseurs habituels restent la Grande-Bretagne qui subventionne encore son budget et l’Afrique du Sud avec laquelle le Royaume a créé une Union monétaire et douanière.
L’infrastructure des transports est assez bonne : 2 000 km de routes non asphaltées, un chemin de fer qui le relie à Lourenço-Marques, un aérodrome à Matsapa qui assure des liaisons avec le Mozambique et l’Afrique du Sud.
L’exploitation d’importantes réserves de charbon et l’augmentation de la capacité de production électrique du barrage d’Edwaleni devraient permettre la mise en œuvre d’industries nouvelles actuellement en projet.
Ces richesses potentielles jointes à une stabilité politique qui ne pourrait qu’être renforcée par le rapprochement possible du parti au pouvoir et de l’opposition, doivent permettre au jeune État d’envisager son avenir avec prudence sans doute, en raison même de sa situation, mais aussi avec optimisme.
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Le 11 août 1968, la Guinée équatoriale a approuvé par plus de 72 000 voix contre 41 000 sur 128 000 inscrits, le projet de Constitution qui avait été élaboré à Madrid lors de la conférence constitutionnelle qui s’était réunie dans la capitale espagnole au cours des mois de mai et juin.
La Guinée équatoriale, qui comprend le Rio Muni et ses dépendances : les Îles Eloben et Corisco (au total 26 000 km2 et 200 000 habitants) – l’Île de Fernando Pô (2 000 km2 et 70 000 habitants) – et l’Îlôt d’Annobon (17 km2 et 2 000 habitants) vit déjà sous un régime d’autonomie interne et doit accéder à l’indépendance le 12 octobre 1968. Elle va tout prochainement élire son premier Chef d’État et son premier Parlement.
Mais les discussions de Madrid ont mis en lumière, outre un conflit de génération parmi les leaders de certains partis politiques, des divergences entre les Bubi de Fernando Pô et les Fang de Rio Muni, les premiers vivant dans une île fertile, les seconds dans une enclave continentale déshéritée. C’est pour tenir compte de cette situation que la nouvelle constitution de type présidentiel a prévu une certaine autonomie pour chacune des deux provinces. Cependant les polémiques continuent et de nombreux habitants de l’île de Fernando Pô refusent une association avec l’enclave continentale.
Quoi qu’il en soit les Espagnols entendent conduire leur ancienne colonie à l’indépendance dans les délais qu’ils se sont fixés, malgré les difficultés politiques, économiques ou financières que le nouvel État aura sans doute à surmonter.
Le démarrage du barrage géant de Cabora-Bassa
Le consortium hydroélectrique du Zambèze (ZAMCO) qui groupe diverses firmes internationales, en partie anglo-saxonnes, vient d’enlever en juillet dernier le marché concernant la première tranche des travaux du barrage de Cabora-Bassa, sur le Zambèze, à environ 400 km de l’océan Indien. Le fait est d’importance car il marque pratiquement le démarrage de la construction d’un ouvrage qui sera le plus grand d’Afrique noire.
Le Zambèze prend sa source près de la frontière congolaise et son bassin s’étend sur plus de 2 700 km. À plusieurs reprises, il traverse ainsi que certains de ses affluents des gorges profondes qui se prêtent fort bien à l’établissement de barrages.
Des études ont évalué à plus de 50 milliards de kWh la production annuelle d’énergie électrique que l’on pourrait attendre d’aménagements de cet immense bassin.
Le site de Cabora-Bassa qui a été retenu en Mozambique offre de multiples avantages pour la construction d’un barrage. C’est un des points les plus étroits du fleuve et les gorges qui s’étendent sur 18 km présentent d’importantes dénivellations. Au point choisi, le lac artificiel de retenue des eaux s’étalera sur une surface de 2 700 km2 emmagasinant une réserve de quelque 63 Mds de mètres cubes. C’est dire le rôle de régulateur que l’on peut attendre d’une telle masse d’eau qui en outre facilitera la navigation fluviale, notamment les transports vers l’arrière-pays. Outre des possibilités d’irrigation et même de diversification des cultures, la présence d’importants gisements de charbon, de fer, de cuivre, de bauxite, de manganèse et d’or fait que sont réunies là toutes les conditions favorables au développement d’industries extractives, d’industries de transformation et même d’industries dérivées de l’agriculture. Le barrage lui-même, haut de 150 m garantira une production annuelle d’énergie de l’ordre de 17 Mds de kWh, dont une partie sera disponible pour l’exportation vers les pays voisins ; l’Afrique du Sud en sera le principal bénéficiaire.
750 Européens et 3 000 Africains vont donc en 6 ans barrer le Zambèze par une immense muraille de quelque 800 000 tonnes de béton. Ce sera la pièce maîtresse d’un vaste plan de développement dont le but est l’amélioration des conditions de vie des populations et qui ne peut se faire qu’avec la participation du secteur privé, l’État se réservant l’orientation des activités et l’organisation de l’infrastructure.
L’Afrique du Sud et la Rhodésie toutes proches, fournisseurs éventuels des matériaux nécessaires, s’intéressent vivement à ces projets qui attirent aussi l’attention du Front de libération de Mozambique dont les commandos nationalistes pourraient s’infiltrer à partir de leurs bases de Zambie ou de Tanzanie. Ils auraient même l’intention a-t-on dit de tout faire pour interrompre ou tout au moins ralentir les travaux du barrage dont la mise en service est prévue pour 1974.
Les dernières opérations militaires au Nigeria
Le conflit sanglant déclenché voici plus d’un an au Nigeria après une succession de crises internes graves, se poursuit malgré les efforts de conciliation tentés à Addis Abeba par le Comité consultatif de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) que préside l’Empereur d’Éthiopie et les tentatives d’humanisation de la guerre que la Croix Rouge internationale s’efforce de faire admettre.
Depuis fin juillet, les troupes fédérales qui encerclent le « réduit biafrais » ont lancé, avec l’appui de l’aviation, une offensive qui se développe sur deux fronts.
Dans l’État des Rivières elles se sont emparées de la ville d’Ahoada et progressent vers le Nord-Est en direction d’Owerri, l’un des derniers centres encore aux mains des Biafrais.
À partir de Port Harcourt d’autres éléments ont réussi après de durs combats à franchir la rivière Imo et ont atteint Aba occupée dans les premiers jours de septembre.
Sur le front de Calabar, la situation est assez confuse. Les Fédéraux, qui s’étaient emparés d’Ikot Ekpene, se sont heurtés à des contre-attaques biafraises qui ont, semble-t-il, permis aux Sécessionnistes de réoccuper la ville et même d’exploiter leur succès jusqu’à Uyo.
Dans le Nord, les activités sont plus réduites. Les Forces fédérales se sont contentées de poursuivre leur progression au Sud d’Awgu et ont atteint et même dépassé la voie ferrée Enugu-Port Harcourt. Cependant les Biafrais, tout en freinant courageusement sur les divers fronts la progression des Fédéraux, mènent sur les arrières ennemis des opérations de guérilla qui se révèlent parfois payantes. La route Onitsha-Enugu n’est pas sûre et des harcèlements étaient encore signalés ces derniers temps dans le Nord-Ouest de Port Harcourt. D’une manière générale, les populations des zones spécifiquement Ibo et occupées par les Fédéraux échappent en fait à leur contrôle. Il en est ainsi à l’Ouest de la voie ferrée Enugu–Port Harcourt, tandis que les régions au Nord-Est du « réduit » paraissent plus calmes, dans les secteurs d’Afikpo ou de Abakaliki par exemple où les Fédéraux d’ailleurs ont ces temps derniers déployé moins d’activité.
Il est évident que le prochain objectif des Forces fédérales doit être Umuahia dernier grand centre aux mains des Biafrais.
Sans doute, ceux-ci, depuis la perte de Port Harcourt ne peuvent recevoir que de faibles ravitaillements en armes et en munitions alors que les Fédéraux continuent d’accroître leur potentiel militaire grâce à l’aide russe et britannique. Mais les Biafrais paraissent décidés à poursuivre la lutte même si leurs adversaires parviennent à occuper tous les centres du « réduit » : le conflit dans ces conditions ne pourrait que se transformer en une interminable guérilla organisée et ne réglerait pas le problème, qui est essentiellement politique.
Les raisons de l’affrontement sont en effet très complexes. La crise affecte les institutions et les structures héritées de la période coloniale, qui se révèlent aujourd’hui inadaptées. L’État fédéral doit faire face à de nombreux problèmes qui se compliquent du fait d’interférences étrangères sur une économie aux possibilités prometteuses. En fait, des sociétés du monde islamisé cherchent à imposer leurs modes de vie et leur religion aux populations noires de la côte, en passes de christianisation et qui ont fait la preuve de leur aptitude à s’intégrer dans le monde moderne.
Ce conflit nigérien représente le conflit particulier au continent africain. Il risque de remettre en cause le fragile équilibre qui prévaut en Afrique depuis l’ère des indépendances. Les Chefs d’États réunis à Alger au 5e Sommet de l’OUA n’ont pas dû manquer de s’en préoccuper.